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Une
querelle de la dîme à Plusquellec en 1747.
La dîme, ou dixme, disme, « le dixième », un
impôt mal accepté.
La dîme, impôt en nature prélevé au moment de la récolte
sur les bleds ( céréales), dont le tiers était sensé
servir à l’entretien de l‘église et au salaire du curé
ou recteur, était prélevée à des taux variables ( de la 36e à
la 8e gerbe) et uniquement sur des terres roturières.
Charlemagne était à son origine, la Révolution
allait rapidement l’abolir dès août 1789. Ce prélèvement
qui se voulait théoriquement égal au dixième de la récolte, a été rarement levé par son destinataire, l’abbé du
monastère, l’évêque ou le recteur qui en était
titulaire. Ceux-ci confiaient la tache à un adjudicataire
ou décimateur qui en faisait la collecte pour son
propre compte moyennant un loyer.
Les protagonistes.
Un recteur breton
(Dessin d'Olivier Perrin(1))
Décrivons tout d’abord le sieur recteur de Plusquellec, il
s’appelle Mathias Claude SOUBENS, nommé recteur de
Plusquellec en 1744, docteur en Sorbonne et chanoine de
Quimper. Il succède au recteur de
LESQUEN et précède le recteur Joseph Louis HEUSSAFF
d’OIXANT. Les recteurs de cette grande paroisse
et de ses deux trêves Calanhel et Botmel étaient généralement
d’origine de petite noblesse, et donc loin des préoccupations
des paysans, laissant aux prêtres du crû la conduite
journalière de la paroisse. Ce qui n’était pas le cas de
Messire Soubens, d’une origine plus modeste, mais auréolé
de son titre de docteur en Sorbonne. Le portrait du recteur,
tel qu’il ressort des différentes audiences du procès,
n’est pas à son avantage et ses paroissiens parlent de
lui avec peu de retenue et même une certaine dose de mépris.
Physiquement, il est de petite taille, de caractère on le
sent nerveux, emporté et bilieux, ce n’est pas un
pacifique. Il a toujours ses affaires, c’est son
tempérament qui le veut. Il est susceptible au-delà de ce
qui est tolérable, en somme orgueilleux, légèrement présomptueux
et « petit en tout ».( Un personnage très
décrié et des défauts qu’il faut tempérer de quelques
réserves… )
Le second personnage de l ‘affaire est une
Demoiselle, Marie Julienne RUELLO, fille du sieur de
Maisonneuve, Charles RUELLO et de demoiselle Renée HUON[9],
dame de Maisonneuve. Elle épousa en 1707 l’écuyer
Maurice Julien de KERAUTEM, sieur de Kerurien, originaire de
Carnoët et décédé en1719 à l’âge de 63 ans. Le
couple n’eut pas de descendance. Elle habitait à l’époque
du procès, le village de Guerfanc en Plusquellec et était
âgée de 68 ans. La Demoiselle Ruello n’était pas en
reste concernant son caractère ; une personnalité
combative, énergique et passionnée, d’un esprit alerte
et malin, d’une complexion portée à la fougue, d’une
impétuosité allant jusqu’à
la colère, cruelle même, d’une certaine
disposition heureuse à l’attaque et à la riposte. Physiquement, elle boîte et se sert d’un bâton d’appui,
elle a une respiration sifflante et tousse, un début
d’asthme.
L’affaire
racontée par le recteur.
Le matin du jeudi 28 septembre 1747, le recteur SOUBENS, contrairement à
l’usage vient personnellement lever sa dîme, accompagné
de ses dixmeurs. Ils se rendent dans un champ ensemencé de
blé noir et possédé par Jean CAROFF, métayer de la Dame
de Kerurien, situé au village de Croas-ar-Bern en
Plusquellec. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver le blé
noir tout couché, déjà germé et mis à part. Malgré
cela, le recteur ordonna à ses gens de charger les gerbes
de sa dîme. Pendant le chargement, la Dame de Kerurien
apparut « toute essoufflée, la colère dans les
yeux et armée d’un bâton. Elle prit à partie le
recteur Soubens, reprochant à ce dernier d’être entré
dans son champ sans l’avertir ; elle lui cria à
pleine tête :
1-
Que la dîme de blé noir ne lui était pas due.
2-
Qu’elle se moquait des arrêts de la Cour.
3-
Qu’il était venu sans doute la voler.
4-
Qu’il était un brutal, ayant frappé déjà plusieurs personnes.
5-
Qu’elle le méprisait autant que sa chienne qui l’accompagnait.
Elle le menaça enfin en le vouant plusieurs fois aux
enfers.
Le recteur Soubens, respectant la « faiblesse du
sexe et l’âge décrépit
la dame », opposa un grand flegme à la
bile répandue de la dame Ruello. Pour toute réponse à ces
injures, il lui dit qu’il formerait une plainte en
justice. Outrée de rage, elle leva le bâton qu’elle
tenait en main et osa le porter jusqu’à la tête sacrée
de son Pasteur, le conduisant hors du champ en l’accablant
d’injures le plus loin qu’elle put.
La plainte fut déposée le lendemain par le recteur devant
la Juridiction de Coatleau dont le Sénéchal était le
Sieur Pierre du Parc, sieur de Tronjoly. Dans cette déposition,
il demande la réparation sous forme d’une amende de 100
livres au profit de la fabrique de Plusquellec. Kerurien.
La réaction
de la Dame de Kerurien à l’audience du 20 novembre 1747.
Une copie de cette déposition fut signifiée à la veuve
Marie Julienne Ruello,
par le sergent de la Juridiction de Callac, Jean Ménard.
Outrée par les propos du recteur Soubens qui émaillaient
la supplique ;
« Madame de Kerurien à 75 ans et 35 écus
de rente », « tout retentit au loin de sa
voix de harengère ».
Elle entame alors dans sa défense devant la Juridiction de
Coatleau et répond article par article à la plainte :
1-
Elle n’a pas contesté le droit du recteur à la dîme.
2-
Elle ne s’est pas moqué des arrêts de la Cour.
3-
Elle s’est seulement plainte de la façon du recteur à lever la dîme.
4-
Elle reconnaît avoir reproché au recteur ses emportements sur la
foi de rumeurs non vérifiées
5-
Elle reconnaît avoir été choquée par ses menaces et a répondu
de la même façon.
6-
Elle explique que son bâton n’était pas une arme mais une aide,
un appui à sa marche difficile en raison de son âge.
7-
Elle n’a levé son bâton que par un geste non réfléchi.
Si la scène dont il s’agit a été si
scandaleuse, c’est autant la faute du sieur Soubens que de
la Dame de Kerurien. Cette dernière conclut que le recteur
Soubens sera débouté de sa requête.
L’audience
du 17 janvier 1748- Audition
des Témoins.
Devant le sénéchal de la Juridiction de Coatleau, Pierre du
Parc,
sieur de Tronjoly, comparaissent dix témoins ayant assisté,
de près ou de loin, à
l’altercation entre les deux parties,
le jour du prélèvement de la dîme le 28 septembre
1747.
Le premier témoin à paraître est François Le Roy du
village de Bec Ar Lan qui déclare que les gerbes de blé
noir destinées à la dîme n’étaient pas endommagées
mais il ne sait ce que « le recteur et la Dame
pouvaient se dire, étant donné qu’il ne sait pas le français. ».
Les Émarch du village de Coatleau témoignent ensuite,
Louis le père « ne sait rien » et Jean,
le fils qui faisait un mullon(meule) de fumier dans un champ
voisin, « entendit du bruit, mais n’a pas
connaissance de la querelle.’ Les Coquil, frère et soeur
du village de Kerpaulan et François Le Dantec du village de
Croas an Bercot« ne savent rien.’ Maistre
François Le Dot du village de Hellaouët-Huellan,
Yves Guézennec du village de Kerdiriou et Maistre Gabriel
Guerrier, ne savent qu’une chose : qu’à
l’audience du 20 novembre 1747, « la Dame nia le
tout si ce n’est qu’elle avait parlé de troquer les
gerbes ».
De cette audience, les parties en présence essuyèrent
une déconvenue et ne trouvèrent pas leur compte ;
particulièrement le recteur Soubens qui lui, quitta
l’audience complètement décontenancé et littéralement
désemparé. Pour lui : « ce fut une cohue, un
champ de foire où l’on maquignonnaient les témoins, où l’on
vociférait, on clamait à tue-tête, où les organisateurs
de la pièce déparlaient sans cesse ».
Le
tournant du procès
A l’issue de cette
dernière audience, le recteur Soubens venait de
s’apercevoir que le vent avait tourné et qu’une sérieuse
opposition s’était faîte jour en la personne du Subdélégué
de l’Intendance,
Mathurin François de Ploesquellec,
l’avocat-conseil de la Dame de Kerurien ; un
gentilhomme du terroir, fort de sa longue expérience de sénéchal
de la juridiction de Callac ainsi que de son statut de Subdélégué.
Le recteur se
rappela alors la lettre qu’il avait écrite un an plus tôt
en octobre 1746 au Prieur de l’abbaye de sainte Croix de
Quimperlé, seigneur de Callac et dans laquelle il se
plaignait de l’attitude et des vexations du subdélégué
à son égard, ainsi que des corvées excessives dont la
paroisse était accablée. Il outrepassait, dans cette
supplique adressée à son seigneur religieux, son rôle de
gardien des âmes de la paroisse. L’autorité civile
appartenait au subdélégué qui devait en rendre compte à
l’Intendant de Bretagne à Rennes.
Néanmoins, le
recteur Soubens renouvela ses accusations dans une nouvelle
lettre à son seigneur Prieur de Quimperlé le 7 février
1748. Dans cette dernière, qu’il rédigeait au domicile
du nouveau sénéchal de la juridiction, Paul René
Ladvenant, au château de Keranlouant, le sieur Soubens se
plaignait une nouvelle fois de M. de Ploesquellec. Il
demandait, en outre, la
destitution du notaire et
procureur Raoulin, qu’il accusait d’avoir signé
le procès-verbal de l’audience du 17 janvier 1748 sans
avoir assisté à l’audition des témoins.
L’épilogue de l’affaire
Messire Mathias Claude Soubens écrivait, amer et déçu de
la conclusion du dernier procès-verbal, à la fin de son
exposé du 4 février 1748 que la Dame de Kerurien ne
voulait pas reconnaître sa faute :
« Que la Dame de Kerurien a traité son
recteur de voleur, d’impudent, de brutal, de troqueur de
gerbes à l’insu des propriétaires, d’homme à procédés
noirs, indigne, cruel, d’homme dur que les remords doivent
déchirer, emporté…
Le recteur resta encore six ans à la tête de la
paroisse et il signa son dernier acte en janvier 1754 comme
chanoine de Saint-Brieuc, une dernière promotion, avant de
laisser la place de recteur à Joseph Louis Heusaff d’Oixant.
L’année précédente, en mars 1753, il eut l’occasion
de marier sa nièce Barbe Thérin de la Villebien, fille de
sa sœur Catherine Françoise Soubens, née à Landerneau,
avec Charles Noël Marie Pastol, fils d’un procureur à la
Cour de Rennes, sieur de Kerloas.
Quant à la Dame de Kerurien, Marie Julienne Ruello, elle
décéda en décembre 1759 au village de Croas Ar Bern à
l'âge respectable de 80 ans.
Cet article est paru dans la
lettre du Poher- N° 21 en octobre 2006, pages 10 à 12.
J.Lohou(août 2006)
Lettre
du recteur Soubens de 1746
Lettre du recteur Soubens de 1748
Dossier des fiançailles
et
Dossier du mariage
Pastol-Thérin.
Le sieur de Maisonneuve et ses
terres à Plusquellec.
Sources.
Archives de Finistère. Cote H 168- Ste Croix de Quimperlé
Bulletin de la Société Archéologique du Finistère- Tome
XXXVII.
AD22- GENEARMOR
Notes.
(11=-Olivier Perrin, dont les musées municipaux de
Quimper et de Saint-Brieuc conservent plusieurs tableaux,
est l'un des premiers peintres de la Bretagne. Né à
Rostrenen, il fit ses études de dessin à Rennes et Paris
avant de se fixer à Quimper où il enseigna le dessin. Son
ouvre est double : d'une part, il peint une série de toiles
inspirées de la vie quotidienne de la région de Quimper et
d'autre part deux grandes séries de gravures dont l'une est
profondément bretonne : la "Galerie des mœurs ,
usages et costumes des Bretons de l'Armorique" est en
effet la chronique de la vie de Corentin, paysan de
Kerfeunteun près de Quimper. Elle constitue un document
exceptionnel, sans équivalent, sur les mœurs dans les
campagnes bretonnes au début du 19e siècle.