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Tentative de révocation du Sénéchal
de Callac, Yves LE BARON.
Préambule
Peu
avant la Révolution, la seigneurie de Callac fut confrontée
à une affaire qui mit en émoi toute l’administration de
la petite cité. Rappelons les faits qui mirent en présence
le Parlement de Bretagne en la personne du Procureur général,
l’abbaye de Sainte Croix de Quimperlé par son abbé,
seigneur de la châtellenie de Callac et le dernier sénéchal
nommé, le sieur Yves LE BARON. Ce dernier avait succédé
à Paul René LADVENANT, sieur de Kérisac, sénéchal de
1735 à 1774, date de son décès, lui-même successeur de
Mathurin François de PLOESQUELLEC, sénéchal de 1727 à
1734 et successeur de Guillaume FLOYD, sieur de Rosneven, de
1695 à 1726.
Comme nous le voyons dans l’exemple ci-dessus, le
choix des abbés seigneurs de Callac se portait sur des
administrateurs issus de la petite noblesse locale. Yves LE
BARON, avocat, né au Loc’h en 1740, malgré son récent
mariage avec la fille d’un écuyer Mathurin LE GONIDEC,
allié aux de COATGOUREDEN, Marie Anne LE GONIDEC de
Plougonver, ne correspondait nullement au profil fixé par
le Parlement de Bretagne, autorité chargée de la sélection
des candidats et qui, comme il était d’usage, en faisait
la proposition aux abbés de Quimperlé.
Le
déroulement de l’affaire.
Une fois nommé en 1776, Yves LE BARON ne tarda pas
à dévoiler son vrai visage, sa véritable personnalité
dans la conduite et la régence de la Sénéchaussée de
Callac. Son autorité s’exerçait sur les procureurs fiscaux de la Châtellenie,
fort nombreux à l’époque, et appartenant à plusieurs
juridictions. Sa première intervention, dans laquelle il se
fit remarquer, avait consisté à révoquer son procureur
fiscal en place pour un manque évident de respect et de
condescendance à son égard. Malgré l’intervention du
recteur de la paroisse mère de Plusquellec, Guillaume René
Armand FLOYD,
également vicaire général du diocèse de Cornouaille à
Quimper, le sénéchal Yves LE BARON demeura inflexible dans
sa décision.
Deux
ans plus tard, ce procureur, dont le nom n’est nullement
mentionné dans le document, tentait une nouvelle demande de
réintégration dans ses anciennes fonctions, la perte de
son état l’avait réduit à la misère. Il se présenta,
les larmes aux yeux au domicile du sieur LE BARON pour lui
demander pardon, mais celui-ci lui ferma la porte au nez.
Profitant aussitôt de la présence à Callac du Prieur
de Sainte Croix de Quimperlé, l’abbé BARON, il sollicita
l’intercession de ce dernier afin d’obtenir un nouveau
mandement, mais Yves LE BARON répondit au Prieur :
« Vous êtes le maître, mais j’ai le droit de
refuser de l’admettre ; il ne militera jamais dans la
Juridiction pendant que j’en serai le juge… .
La réponse cinglante et impitoyable laissa dans les esprits
de ses auditeurs la juste indignation qu’inspira sa cruauté.
Nous
n’en étions qu’au début du comportement excessif de
l’inexorable sénéchal. Un nouveau candidat procureur, le
sieur Guillaume BEUBRY, porteur d’un mandement obtenu du
Prieur BARON, se présenta chez Yves LE BARON. Il était
accompagné par son frère Yves, le recteur de Clohars-Carnoët, pensant
ainsi impressionner le sénéchal. L’entrevue fut brève,
le sénéchal imposait à l’impétrant qu’il devait
d’abord lui payer 54 livres, frais de ses deux voyages à
Quimperlé au siège de l’abbaye pour la révocation du précédent
procureur. Après discussion, le sénéchal lui dit : « cependant
en considération avec Monsieur Le Recteur, que j’estime,
je me réduirai à deux livres. Payez-les, vous êtes reçu.
Si vous n’y satisfaîtes (sic) pas, gardez-vous de vous présenter… .
Malgré la discussion de son frère recteur, qui déploya
logique et théologie, Yves LE BARON refusa la candidature
du sieur BEUBRY.
Un second
candidat procureur fit son apparition en la personne de Jérôme
Alexandre GUIOT,
en 1784. Devant ce jeune et brillant avocat de 24 ans, issu
d’une famille connue et honorable de Callac,
Yves LE BARON changea un peu d’attitude. Il ne fit
aucune allusion à ses frais de voyages comme dans le cas du
sieur BEUBRY. Il opta pour une autre démarche, toute en
finesse, en faisant part aux personnes fréquentant le
procureur, de ses 54 livres qu’il désirait obtenir pour
ses frais de route. Jérôme Alexandre GUIOT, averti, refusa
d’accéder à sa demande. Yves LE BARON en prit ombrage et
menaça son procureur de révocation, mais sans le faire
plier. Il se rendit même chez le sénéchal pour une
franche explication mais celui-ci considérant sa démarche
comme une faiblesse, exigea,
avant de sceller la paix, qu’il revint le voir
accompagné de témoins. Jérôme GUIOT, conduit par le désir
sincère de bien vivre avec un juge, dont l’accès lui était
à tout moment nécessaire, s’exécuta.
Quelques
temps après, le comportement du sénéchal dégénéra en
singulier combat contre un greffier qui lui avait manqué de
respect. Fou de rage, il blessa d’un coup d’épée le
greffier aux mains et aux jambes, ainsi que l’épouse du
greffier au sein. Les cris poussés par les victimes attirèrent
du monde qui firent rapidement fuir le sénéchal. Toutes
ces violences furent consignées au greffe de Carhaix mais
le greffier en perdit sa charge. Un second greffier
rapidement nommé, abdiqua sur-le-champ, craignant l’ire
du personnage tant décrié. Un troisième greffier, ayant
reçu deux décrets de mariage en l’absence du sénéchal,
ce dernier prit la mouche, se plaignant de la perte de ces
vacations
qui auraient dû lui être versées. Dans sa colère, il déchira
de ses propres mains les deux actes et un troisième qui était
de son fait. Terrorisé à la suite de ces outrages et
effrayé par les conséquences, le greffier dénonça le sénéchal
et démissionna aussitôt.
Épilogue.
Il
y eut encore de nombreuses escarmouches entre le sénéchal
et ses officiers, procureur, greffier, huissier, et sergent
en place de 1784 à 1790. Péripéties qu’il serait trop
long d’exposer ici. Contentons-nous d’énoncer la
plupart des
adjectifs et épithètes qui furent attribués à Yves LE BARON durant son
mandat. Il fut successivement jaloux, haineux, implacable,
impitoyable, cruel, intéressé pécuniairement, inique, méprisant,
vaniteux, d’un caractère bilieux, atrabilaire, coléreux,
de mauvaise foi, falsificateur, odieux, orgueilleux au suprême
degré, et sans égard aux droits de ses associés. Malgré
ce déluge de défauts, Yves LE BARON réussit à se
maintenir comme sénéchal de Callac jusqu’au terme de
l’Ancien Régime.
Entre temps, il avait participé à la rédaction du Cahier de Doléances
de Callac en mars 1789,
oeuvre collective d'un groupe presque
exclusivement composé de gens de judicature, emmené par Joseph Even,
maire et subdélégué de l’Intendance, de François Le Quéré,
notaire et syndic militaire, de Jérôme Alexandre Guiot,
procureur fiscal, de Joseph Le Roux, notaire, et enfin de
François Goéry, aubergiste.
En avril 1789, il devint député chargé de représenter
Callac lors de la réunion de la Sénéchaussée en avril
1789, puis en août de la même année, élu officier major
de la Garde Nationale de Callac. Il en démissionna le 18 août
1789, remplacé par Jérôme Alexandre GUIOT, son ancien
procureur.
Yves LE BARON, le dernier sénéchal de Callac, disparut
ainsi de la vie politique de la petite cité et évidemment,
nous le supposons, sans en être regretté de ses édiles et
de sa population.
Annexe
1-
Cette lettre adressée au Révérend Prieur de
l’abbaye de Quimperlé par Monseigneur Le Procureur Général
du Parlement de Bretagne au sujet de la conduite du Sénéchal
de Callac, concernant le sieur Yves LE BARON est un document
non daté du dossier H 399 des Archives Départementales des
Côtes d’Armor. Ce dossier d’archives contient les
titres nouveaux et anciens sur parchemin des propriétés de
l’abbaye de sainte Croix de Quimperlé, les baux des
moulins et four banal, une contestation de la mesure des
grains de Callac et un inventaire général des aveux de la
Seigneurie…
Cette lettre non signée, ni datée est un petit chef-d’œuvre
de préciosité propre à l’époque qui termina l’Ancien
Régime, mais nous laissons le soin à nos lecteurs d’en
juger par eux-mêmes.
»A
Monseigneur
Monseigneur le Procureur Général du Parlement de Bretagne
Supplient humblement les révérends prieurs, procureurs et
religieux bénédictins de l’abbaye royale Sainte Croix de
Quimperlé, Seigneur châtelain de Callac, Plusquellec,
Plougonver et membres indépendants, tant en privés noms
que comme fondés aux droits de leur abbé commendataire,
aux fins de lettres patentes du Roi.
Monseigneur,
De
toutes nos obligations envers nos vassaux, il n’en est pas
de plus sacrée que celle de leur donner pour
l’administration de la justice des officiers que leurs
lumières, leurs mœurs, leurs probités rendent dignes de
leurs emplois. Mais si le choix est difficile, si malgré
toutes nos précautions nous avons eut le malheur de nous
tromper dans ce choix, une obligation non moins étroite
pour nous est de tacher de réparer le mal que nous avons
produit, ou du moins de l’arrêter. C’est pour la
remplir, Monseigneur, cette obligation, que nous nous
trouvons dans la fâcheuse nécessité de vous faire le
tableau de la mauvaise conduite d’un officier, d’autant
plus coupable, que sa place l’obligeait plus que tout
autre à une conduite pure, intacte, et à donner par son
exemple à ses subalternes une terreur capable de les éloigner
de la loyauté et de la droiture qu’ils ont fait serment
de garder.
Il y a bientôt sept ans que nous honorâmes le sieur LE
BARON du mandement de Sénéchal de Callac. Les personnes
qui le protégèrent le crurent et nous le firent croire
digne de cette place ; jusqu’ici nous nous plaisions
même à croire qu’il méritait toute notre estime et
celle du public, malgré des peintures assez désavantageuses
qui nous sont parvenues de sa conduite depuis quelques années,
et ce n’est qu’à la force de la conviction que nous
nous sommes trompés sur son compte qu’il doit attribuer
la perte de cette estime ce nôtre part.
Un
orgueil insupportable, une sensibilité excessive s’il lui
échappe les plus petits émoluments ; ce sont,
Monseigneur, dans le sieur LE BARON, deux sources d’où
ont découlés tous les maux qu’il nous réduit à vous
retracer.
A peine fut-il Sénéchal de Callac qu’il donna à ses
subalternes des preuves non équivoques et cet orgueil qui
le caractérise et qui l’a si bien distingué dans son
territoire ; gonflé de son pouvoir, il le fit si bientôt
sentir d’une manière éclatante et impitoyable pour ceux
qui en firent l’épreuve. Selon lui les officiers ne
portaient pas assez loin la condescendance et le respect
qu’ils lui devaient ; une voix timide, tremblante,
des expressions étudiées ne comblaient pas sa
satisfaction. Avec cet esprit il ne tarda pas à trouver sa
dignité offensée ; deux procureurs durent lui manquer
successivement ; il fit le voyage à l’abbaye, à l’occasion du premier dont il crut devoir se plaindre ;
les grands l’emportent ordinairement sur les petits ;
il donna de la force à ses griefs ; il fut écouté et
le Procureur révoqué.
Ce premier succès
l’encouragea dans le dessein qu’il avait formé de
pousser sa domination jusqu’au despotisme. Sa demande de révocation
d’un second procureur suivit de près la première ;
mais soit qu’il ne put donner de couleur à ses moyens,
soit qu’il n’osa avouer ses vrais motifs, ce que sa
conduite postérieure rend vraisemblable, il échoua dans sa
tentative. Plus irrité de notre refus de souscrire à cette
révocation, il usa d’un autre expédient. Audience
tenante il prononça publiquement l’interdiction de six
mois du procureur qu’il voulait molester, sans en énoncer
le motif, sans porter sur le registre cette prescription
limitée.
….La haine est perpétuellement dans son cœur, et il
excite ce sentiment fâcheux dans tous ceux que ses
violences effraient. Mécontent de tout le monde, il est
comme un tyran au milieu des esclaves dont il soupçonne
l’aversion forcée de lire la terreur qu’il inspire sur
les visages qui l’abordent. Mais si ses violences sont répréhensibles,
si sa haine est injuste, la colère et la haine qu’on rend
à ses actions sont des sentiments louables. Toute âme honnête,
tout bon citoyen ne peut voir qu’avec ces sentiments, que
Cicéron appelle haine civile, exercer des violences,
attirer la vérité, se jouer des devoirs les plus sacrés
au détriment public.
Excessivement
sensible à la perte des plus petits émoluments, portant même
l’intérêt trop loin à en juger que nous en avons
rapporté, il n’est pas possible qu’il concilie cette
affection désordonnée avec la droiture et la loyauté
qu’il doit dans ses fonctions.
Il est sans
doute malheureux pour le public d’avoir pour juge un homme
dévoué à tant de passions nuisibles, après avoir poussé
ses emportements au point de déchirer des actes d’autant
plus importants qu’ils étaient destinés à assurer
l’honneur des familles ; après avoir altéré un
registre public au préjudice de ceux dont nous avons parlé,
de ceux mêmes qui n’ont point encore manifesté leurs
droits et qui peuvent le faire d’ici bien des années, de
quel œil peut-il être vu désormais ? Avec quelle
confiance ira-ton à son tribunal réclamant justice ?
Les officiers qui militent sous un tel juge sont-ils moins
à plaindre d’être réduits à une coupable
condescendance à ses volontés pour éloigner l’éclat de
la haine qui semble lui être naturelle et jouir d’une
paix momentanée ? Il résulte des inclinations fâcheuses
du sieur LE BARON qu’il reste peu d’espérance de le
voir s’acquitter plus honorablement des fonctions
auxquelles nous l’avons destiné. Nous ne pouvons revenir
sur l’analyse que nous venons de faire sans éprouver de
plus en plus que son ensemble présage une incendie totale
dans l’esprit du chef de notre justice, et qui en écartera
tous les suppôts, ou les enveloppera dans ses flancs.
Nous eussions
désiré, Monseigneur, pouvoir jeter dans son âme une
terreur capable de lui ouvrir les yeux sur ses égarements ;
de lui appendre à ne pas violer ses devoirs, à respecter
les lois, à rabaisser son orgueil, à rendre son accès
facile en devenant plus traitable, et surtout en bannissant
cette haine qui le rend odieux aux autres et peut-être à
lui-même, mais désespérant du succès de l’entreprise,
nous avons été consultés de donner la présente requête
capitulaire et de requérir de votre justice, ce votre amour
pour le bon ordre, pour le bien public.
Qu’il
vous plaise, Monseigneur, employer votre ministère à
approfondir sa conduite et à faire rendre au public, comme
aux particuliers qu’il a lésé la juste satisfaction qui
leur est due.
Nous réservons passé de ce dépendre à son égard tel
parti qu’il sera vu appartenir.
Agrées avec
nos vœux pour votre félicité, le profond respect avec
lequel nous sommes.
Mgr Xa
Annexe 2
Liste
non exhaustive des sénéchaux de Callac.
Période
|
NOMS
|
Prénoms
|
Notes-Conjointes
|
1637-1647
|
BERVET(LE)-du
PARC
|
Yves
|
X
Marie HUON
|
1648-1662
|
LOHOU
|
Gilles
|
X
Jeanne BOULLAYE
|
1663-1683
|
PICHOT
|
Jean
|
X Charlotte LE JOLIFF
|
1684-1690
|
FLOYD
|
Julien
|
X Catherine ROBIN
|
1690-1710
|
SOREAU
|
René
|
X
Charlotte GALLET
|
1710-1726
|
FLOYD
|
Guillaume
|
X Anne de la NOÉ
|
1727-1745
|
PLOESQUELLEC
de
|
Mathurin
|
X
Charlotte SOREAU
|
1746-1774
|
LADVENANT
|
Paul
René
|
X
Anne MICHEL
|
1775-1790
|
BARON(LE)
|
Yves
|
X
Marie Anne GONIDEC(LE)
|
Joseph Lohou (janvier 2006)
(modification du 17 avril 2011)
Sources.
AD22-Série H – art. 399
Cet article publié par le Centre Généalogique du Poher dans KAHIER AR POHER N°32-MARS 2011, pp 26 à 30, à bénéficié d'une mise en page moderne ; remercions ici les artistes de cet artistique travail.
Lettre anonyme adressée par les
officiers de justice de la Juridiction de Callac aux
Bénédictins de sainte Croix de Quimperlé, leurs
seigneurs, contre leur sénéchal, M° Yves Le Baron.