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L'AFFAIRE
DU PARDON DE SAINT-SERVAIS 1785
Saint
Servais, l'entrée du bourg le jour du pardon.
Lettre adressée à Monseigneur Le Procureur Général du
Roi
au Parlement de Bretagne en son hôtel à Rennes.
Je
soussigné, Joseph Even,
procureur fiscal de la juridiction et baronnie de Quelen,
demeurant en la ville de Callac, trêve de Botmel, paroisse
de Plusquellec, certifie et rapporte que dans la paroisse de
Duault au proche fief de Quelen appartenant à Monsieur le
comte de Quelen, maréchal des camps et armées du Roy,
existe une chapelle dédiée à saint Servais fréquentée
des pèlerins surtout d'aux environs de Quimper et de l'évêché
de Vannes; qu'il se tient une assemblée dans cette chapelle
les douze et treize mai de chaque année, connue sous le nom
du grand pardon de Saint-Servais; que, la journée du treize
se passe paisiblement et avec la décence possible, mais que
celle du douze est tumultueuse; qu'audit jour douze mai le
clergé de la paroisse était de temps immémorial dans
l'habitude de chanter vêpres dans la chapelle Saint-Servais
et de faire ensuite une procession; que malgré les représentations
du clergé et des officiers de police cette procession était
accompagnée et suivie d'indécences et de tumultes.
Plusieurs
hommes des plus robustes divisés en deux partis opposés,
l'un de l'évêché de Vannes et l'autre des environs de
Quimper, se présentaient dans la chapelle escortés et
soutenus chacun de ses compatriotes armés de bâtons, se
saisissaient de la bannière et des croix, se les
disputaient, l'un parti repoussant l'autre, sortaient ainsi
de la chapelle suivi du clergé portant la statue de saint
Servais; que lors chaque parti faisait des efforts pour
tirer la bannière et attirer la procession de son côté,
faisant mouvoir des bâtons, se les choquant et frappant sur
le pied de la bannière et aux environs pour écarter ceux
qui avoient entrepris de faire à la procession prendre une
autre route. Le parti le plus fort, qui était d'ordinaire
composé de Vannetais, s'attirait la bannière et les croix
et, triomphant de sa victoire, il continuait sa tournée en
jouant du bâton, criant et frappant de côté et d'autre.
La procession le suivait et rentrait ainsi dans la chapelle,
où les cris et le choquement des bâtons n'étaient ni épargnés,
ni modérés; que les vassaux du fief de Quelen, obligés de
se trouver à ces assemblées s'y rendaient en armes, ayant
à leur tête le procureur fiscal dont le but était d'empêcher
les malheurs qui résultent de ces tumultes.
Des
cavaliers de maréchaussée ont été requis et s'y sont
rendus pendant plusieurs années à pareil jour, pour se
joindre à mêmes fins au guet et au procureur fiscal. Des
ordonnances ont été rendues en ln juridiction de Quelen,
publiées et affichées dans les assemblées de
Saint-Servais et dans les lieux voisins pour proscrire ces
folies, sans qu'ont ait pu, jusqu'à présent, les empêcher.
En
l771, Monsieur l'abbé Floyd,
vicaire général de l'évêché de Quimper, instruit de
cette assemblée tumultueuse, et prié par Monsieur le
recteur s'y rendit le douze mai, et ayant refusé la
procession, les pèlerins vannetais s'assemblèrent et résolurent
de la faire de
force, de sorte que le vicaire général et le reste du
clergé ne se trouvant pas en sûreté furent obligé de se
renfermer dans la sacristie mais la porte fut forcée par
les Vannetais qui y entrèrent en foule et les battons levés
demandèrent avec menaces la procession et empêchaient le
clergé de se retirer et de s'évader.
Pour
avoir la liberté de sortir, on fut contraint de leur
accorder le curé de la paroisse qui marcha seul en
procession. Dès ce jour, M. l'abbé Floyd interdit la
chapelle pour le douze mai, Monsieur l'Evêque
de Quimper, en sa visite du trois juin suivant, confirma
l'interdiction et la défense de faire aucun office à
l'avenir le douze mai dans cette chapelle. Depuis ce temps,
le clergé ne s'y est pas trouvé le douze mai, les pèlerins
s'y rendaient toujours et y ont continué, cependant avec
moins d'éclat, leurs indécences en jouant du bâton dans
l'église, aux environs
et en faisant leur procession seuls.
Le
procureur fiscal soussigné, ayant été instruit que les
tumultes et les indécences devaient être portés cette année
à leur plus haut point, prévint le guet qui s'y rendit
avec lui le jour d'hier douze mai, à dessein d'empêcher
les voies de fait annoncées dans le canton. Rendu à
Saint-Servais, je vis que les pèlerins vannetais s'y étaient
effectivement assemblés en plus grand nombre cette année;
que ceux-ci voyant qu'il n'y avait pas de prêtres pour leur
chanter vêpres et faire la procession, formèrent un
détachement de quarante d'entre eux qui, guidés par le
nommé Poder, mendiant et vagabond résidant ordinairement
aux environs de Callac, se rendirent au presbytère de
Duault armés de bâtons et munis de pierres mis en poche,
à dessein de forcer le recteur de venir leur chanter vêpres
et faire la procession à Saint-Servais. Ils auraient commis
des excès à son égard sans que les habitants du bourg et
des laboureurs qui travaillaient dans les champs voisins
accoururent à son secours. Les gens composant ce détachement,
de retour à Saint-Servais et ayant fait leur rapport à
leurs compatriotes, se liguèrent tous pour avoir les croix,
la statue de saint Servais et s'en servir en procession (on
avait eu la précaution d'enfermer sous clefs les ornements
de l'église et de barricader la grande porte par où devait
sortir la procession). S'étant adressé à moi, procureur
fiscal, je leur répondis qu'ils n'auraient ni croix ni
statue et que la chapelle était interdite le douze mai de
chaque année à cause des indécences et irrévérences qui
s'y commettait à pareil jour. Plusieurs Vannetais me répliquèrent
« qu'ils s’embarrassaient très peu de
l'interdiction et des défenses, que de gré ou de
force ils feraient leur procession; qu'il se faisait tous
les ans une pareille dans leur pais (en la chapelle
Saint-Cado, paroisse de Saint-Caradec en Vannes) où les
habitants de ce canton étaient soutenus dans de pareilles cérémonies
malgré le clergé et la police, que les fruits de la terre
étaient plus abondants lorsque les processions étaient en
vogues à Saint-Servais et qu'ils l'étaient moins depuis
qu'on y avait interdit les cérémonies ordinaires du
douze mai».
Plusieurs crièrent que cela était vrai et à l'instant
quatre à cinq cent personnes levant les bâtons se les
heurtèrent, furent en la chapelle, y firent des
perquisitions pour avoir les croix, reliques et ornements.
D'autres forcèrent la grande porte. Une autre bande se présenta
munie d'une longue perche, la tenant élevée en guise de
bannière. Ceux qui faisaient des perquisitions dans la
chapelle y trouvèrent une croix de cuivre dont ils se
saisirent ainsi que d'une clochette et de quelques cierges
trouvées sur les autels, sortirent tous, firent le tour de
la chapelle, y rentrèrent et en sortirent différentes
fois, criant dans leur breton Bon seigle, Bon seigle,
suivis d'une multitude de personnes jouant, frappant du
bâton, courant, criant et frappant tant sur les
balustrades, marche-pieds des autels qu'autres endroits de
la chapelle.
Le
guet, dont j'étais ci-devant accompagné, m'abandonna soit
par timidité, soit parce qu'il applaudissait intérieurement
à ces cérémonies ridicules. J'entrais néanmoins dans
la chapelle plusieurs fois, dans le dessein de recommander
la modestie et la décence dues au lieu saint mais le
tumulte y était si considérable que je ne pus y faire
entendre ma voix. J'eus le déplaisir d'y voir plusieurs se
repousser avec violence, se colleter et quelques-uns uns
terrassés.
J'ai
remarqué à leur habillements que la plus grande partie de
ceux qui commettaient ces grossièretés était des
Vannetais mais qu'il y avait parmi eux plusieurs des
paroisses voisines, spécialement de Trébrivant,
Mezle-Carhaix, Plusquellec, Carnot, Plourach, Glomel,
Kergrist-Moellou, Pestivien, Maël-Pestivien et que
d'autres, sans se mettre et se confondre dans le tumulte,
excitaient et encourageaient ceux qui y étaient.
De
tout quoi, j'ai déclaré publiquement à Saint-Servais
ledit jour douze mai que je rapporterai procès-verbal pour
en donner connaissance à Monsieur le procureur général,
et vu qu'il était impossible de le rédiger immédiatement,
j'ai réservé d'y procéder demain prochain, treize mai mil
sept cens quatre vingt cinq, lequel jour advenu, j'ai fait
et fini mon présent procès-verbal sur les lieux, au bourg
de Saint-Servais, et l'ai signé:
EVEN.
Sources.
PROVOST,
Georges –« La Fête et le Sacré- Pardons et Pèlerinages
en Bretagne aux XVIIème et XVIIIème siècle » -Éditions
du Cerf. Histoire religieuse de la France-N°13-Paris-1998-530
p.
AD35,
cote : 1 Bf 1599, procès-verbal du 13 mai 1785.
JEZEQUEL, Monique- "Anatole Le Braz et sa
famille" - "Découvrons notre patrimoine... Sur le
chemin de Nicolas Le Bras- CG22-Bulletin de Liaison N°
78-p 30. 53 et 54.
Lettre
de Joseph EVEN à l'évêque de Quimper en 1786
Jugement au Parlement de Bretagne en 1786
Lettre
de François CORBEL, dernier recteur de Duault à son
évêque en 1785.
Joseph Lohou(mars 2008)
(Mise à jour avril 2008)