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Désordres
au marché de Callac le 5 avril 1848.
Présentons
d'abord la situation politique en ce début d'année 1848 :
Lamartine devant l'Hôtel de Ville de
Paris le 25 février 1848.
(Tableau de Henri Félix Emmanuel
Philippoteaux
)
Dès
le début de la "Monarchie de Juillet", il se
forme deux partis à la Chambre: celui du mouvement qui
considérera la Charte du 14.08.1830 comme une base
de départ pour l'établissement d'un régime vraiment démocratique,
et le parti de la "résistance" qui la considérait
comme contenant un maximum de concessions à ne pas dépasser.
De 1830 à 1840, le parti du mouvement et celui de la résistance
s'alterne au pouvoir. Mais à partir de 1840, le parti de la
résistance s'installe définitivement avec GUIZOT. Il
refuse obstinément toute nouvelle modification de la loi électorale.
Le
mécontentement s'accroît et il est avivé par la crise économique
latente depuis 1842 mais violente en 1846-1847 à la suite
d'une récolte désastreuse. Les manifestations réformistes
et révolutionnaires se multiplient. L'interdiction d’une
manifestation par la garde nationale du 12e
arrondissement de Paris, le 22.02.1848, provoque l'émeute
à Paris. Le 23 au soir, une fusillade entre les troupes de
ligne qui gardaient le ministère des Affaires étrangères
et une colonne de manifestants transforme l'émeute en révolte
qui fut victorieuse le 24. La monarchie constitutionnelle de
Louis-Philippe est confrontée à une crise de fin de règne.
Louis Philippe abdique, la République est proclamée, un
gouvernement provisoire est constitué avec des républicains
pour moitié démocrates et moitié libéraux. Ce
gouvernement provisoire proclame le 28 février 1848 :
"Au
nom du peuple français, le Gouvernement Provisoire de la République
déclare que les fonctionnaires sont déliés de leurs
serments."
Huit
ans après l'affaire de l'octroi de 1840 à Callac, il en était
resté quelques séquelles dans la mémoire collective des
habitants du canton, impressionnés qu'ils étaient par l'énormité
des moyens mis en place par les autorités du département
pour maîtriser les désordres.
L'affaire
Le mercredi 5 avril 1848, deux
cultivateurs, François Le Bras et Christophe Le Bail, se présentent
et refusent de payer la taxe d'octroi pour les marchandises
qu'ils désirent vendre au marché, prétextant que cette
taxe n'était plus due depuis la chute du gouvernement.
L'adjoint au maire, le sieur Claude Lancien présent, au lieu de
dresser procès-verbal,
menacent de saisir leurs marchandises.
Le
ton monte rapidement et les coups pleuvent, l'adjoint est
terrassé et frappé violemment par les deux cultivateurs.
La foule s'attroupe, la gendarmerie accoure et le maire de
Carnoët réussi à séparer les combattants. Après une
demi-heure d'agitation, le calme est rétabli. Le substitut
et M. Le Juge de Paix,
en la personne de M. Le Roy se rendent sur les lieux
et s'informent sur les fauteurs de troubles.
Les
suites de l'affaire.
Les
autorités s'alarment vivement
en se remémorant la précédente affaire
de l'octroi de l'année 1840,
qui, huit ans auparavant à Callac, avait rapidement
dégénéré en révolte générale, soulevant dans la région
un émoi durable et persistant.
Le
8 avril 1848, le Procureur Général de la Cour d'Appel de
Rennes, M. Varin, averti par les autorités locales, écrit
au Ministre de la Justice, Isaac Crémieux,
et
lui fait part de l'événement. Le Ministre lui répond le
18 avril et demande qu'il soit tenu au courant des suites
judiciaires qui sera donné à l'affaire.
Le
20 de ce même mois, Le Procureur de Rennes lui annonce
qu'un blâme sévère sera adressé au Juge de Paix de
Callac, M. Le Roy en raison de sa faiblesse dans la conduite
des évènements. Puis lui indique ensuite que M. Le Roy a
été suspendu le 17 avril par le Commissaire du
Gouvernement du département des
Le Garde des Sceaux
Isaac CRÉMIEUX.
Côtes du Nord et qu'il sera remplacé
par M. Yves Guyomard, propriétaire et ancien notaire à
Kermoroc'h.
Quant aux fauteurs de troubles, ils
sont condamnés à une peine de prison ferme, François Le
Bras à 9 mois et Christophe Le Bail à 6 semaines pour délit
de rébellion prévu et requis par les arrêtés 209 et 212
du Code pénal. Le Procureur ajoute également que :
"ces
condamnations ont produit le meilleur effet. Les prévenus
sont des cultivateurs, que le
paiement des frais atteindra dans leur fortune d'une manière
efficace. L'ignorance, qui les
avait égarés, le repentir qu'ils ont témoigné, les
reproches qu'on avait adressés au
Juge de Paix et à l'adjoint de la commune pour leur
conduite dans ces circonstances,
les
recommandaient à l'indulgence du Tribunal. La répression
me paraît suffisante ; c'est aussi
l'avis de M. Le Commissaire du Gouvernement dans le département
des Côtes du Nord…"
Le 2 mai 1848, le 1er bureau
de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces au
Ministère de la Justice à Paris, suite à la lettre du
Procureur du 28 avril classe l'affaire sous le dossier n°
5571.
Le même jour à Guingamp, en audience
publique, le Tribunal Civil
après avoir entendu le Ministère Public dans son
exposé a ordonné la lecture d'un arrêté du Gouvernement
Provisoire de la République du 19 avril 1848 qui nomme
monsieur Yves Guyomard, juge de Paix du canton de Callac en
remplacement de Monsieur Le Roy. Cette lecture faite et
Monsieur Guyomard se trouvant présent à l'audience du
Tribunal, on lui décerne 'acte de l'arrêté du
Gouvernement Provisoire de la République du 19 avril 1848.
Conclusions
Les
paysans bretons du Centre Bretagne, exclus du suffrage
universel, mis à l'écart par la langue et leurs mœurs ont
toujours refusé la suprématie établie par les notables.
C'est une des raisons de la méfiance des autorités
locales, fortement francisées, envers la paysannerie, qui
pour une simple rixe de marché, font intervenir tous les échelons
de la Justice jacobine, du Juge de Paix au Ministre de la
Justice à Paris en passant par tous les représentants de
l'autorité du département à la région.
J.Lohou
(sept. 2004)
Sources et Bibliographie.
Archives
Nationales. CARAN-Paris -
cote BB18/1462/ A5571.
AD22- série 3 U 2- art. 38.
Une copie intégrale du procès est joint à ce dossier :
L'audience du 13 avril 1848