Callac-de-Bretagne

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Le Prieuré de Landugen,
une exception singulière.



     Compulsant les registres de catholicité de cet Argoat profond, nous nous sommes souvent demandé les raisons des durables dissensions qui, au cours de l'histoire, ont surgit entre la paroisse mère de Duault et sa trêve ou fillette de Landugen. Plusieurs motifs en sont les causes, nous les citons toutes  sans en privilégier aucune.                                                 
     - Les mobiles de la grande révolte de juillet 1675[1]  qui, mélangés avec le soulèvement des Bonnets Rouges, ont conduit au saccage du presbytère sous la conduite de Messire François Gourlay, curé de Landugen.                                                  
     -Les raisons du procès interminable entre le Sieur Etienne Dominique Le Lonquer, futur recteur de Pestivien, et les abbés de l'abbaye de Ste Croix de Quimperlé, seigneurs du Prieuré, de 1717 à la Révolution[2]                                               
     -L'attraction exercée par la paroisse voisine de Plusquellec qui recevait les habitants de Landugen lors des naissances et décès par défiance envers la paroisse de Duault lorsque le desservant de Landugen faisait défaut[3].
         
     -Les causes profondes qui ont poussé les habitants de Landugen, lors de la constitution des communes en 1791, à rejoindre la commune de Callac jusqu'en 1873, date à laquelle Landugen revint dans le giron de Duault.


          Quelques éléments d'histoire sont utiles pour éclairer cette curieuse situation.
Le 14 octobre 1029, le Duc Alain Canhiart fonde l'abbaye bénédictine de Ste Croix de Quimperlé[4]. L'abbaye reçoit du Duc Hoël, fils d'Alain et confirmé par le Duc Alain, fils d'Hoël, le Prieuré de Landugen[5]
    
     A l'origine les prieurés de l'Ordre de St Benoît étaient ce qu'on appelle des Granges ou Obédiences dépendantes des monastères.
Le titre de Prieuré de Landugen a toujours été possédé par des réguliers ou des commandataires et les titulaires ont mis un chapelain pour y célébrer deux messes par semaine, l'une le dimanche et l'autre, basse tous les lundis. Les habitants de Landugen se rendent à la chapelle du prieuré au lieu de l'église paroissiale de Duault.
Au fil du temps, cette habitude est devenue pour les desservants une paroisse à part entière, ce qui n'était pas de l'avis des abbés de Ste Croix de Quimperlé, d'où le procès.

Le Procès

     Le 18 décembre 1716, l'évêque de Quimper nomme Messire Etienne Dominique Le Lonquer, vicaire perpétuel de la paroisse de Landugen. Il se présente le 21 du même mois sur les lieux mais le titulaire, Messire Guillaume Jézéquel, nommé par Dom Jean Joseph Suduygrand, religieux professe et titulaire du prieuré, refuse de lui céder la place. (Voir la lettre de recommandation anonyme)
C'est le début du procès, le 8 octobre 1717 les Présidiaux de Quimper maintiennent Dom Suduygrand comme titulaire avec pour effet de faire desservir la fondation par un prêtre approuvé de l'ordinaire. Mais le Sieur Le Lonquer, procédurier en diable, ne se tient pas pour battu et de procès en procès, il obtint par arrêt du 5 avril 1720 que son frère Guillaume, également prêtre, fut nommé curé de Landugen. Mais les attendus de ce procès sont si complexes et si imbriqués de droit civil et religieux propres à l'époque, qu'il est extrêmement  difficile à un non-initié d'en déterminer les tenants et aboutissants.
Le procès se prolonge jusqu'en 1735 et une transaction a lieu le 28 avril 1744 entre Dom Jean-Baptiste Charrier, Prieur de l'abbaye de Ste Croix de Quimperlé et Maître Nicolas Connan, notaire de Kergrist-Moëllou, époux de Delle Marie Anne Le Lonquer, héritière de Messire Etienne Dominique Le Lonquer, son oncle, pour un arrérage de 600 livres.
Un dernier mémoire de 1783, rédigé à la demande des paroissiens, est adressé à l'abbé prieur de Ste Croix . Dans cet acte, les vassaux du Prieuré de Landugen prétendent que l'église de Landugen est une trêve ou succursale que les Bénédictins leur doivent, comme gros décimateurs, un vicaire à portion congrue[6] pour leur administrer les sacrements et dire les deux messes auxquelles ils se trouvent obligés en vertu du titre de fondation du Prieuré.
La réponse de l'abbé prieur est immédiate et relate les termes de la fondation. Mais s'il est d'accord sur les deux messes, il rappelle que le prieuré a toujours été possédé par des réguliers ou par des commandataires, il est connu comme un bénéfice simple et régulier, non conventuel, ni chargé du soin des âmes. Il cite comme prieurs, Monseigneur Guillaume Le Prêtre, évêque de Quimper, du 2 mars 1616 à 1641 et le Sieur Claude Budes, seigneur du Rufflay, prieur de 1646 à 1679, soit pendant 33 ans[7].

     L'église ou la chapelle de Landugen était le monastère de St Tujace ou Tujan[8], elle a conservé ce nom jusqu'en 1615 et a dans la suite pris celui de St Jean à cause d'une relique du même saint qui y repose( Décollation de St Jean) et d'une fontaine St Jean située près de la chapelle. Le sieur Le Lonquer affirme lui, que la chapelle St Jean fut bâtie sur le côté de l'église d'origine mais il ne peut apporter de preuves formelles.
Il déclare également qu'une démarcation matérielle sous la forme d'un fossé, appelé Cleuz fin[9] , sépare la paroisse de Duault du Prieuré de Landugen, l'autre limite étant la rivière de l'Yée (Hyère).

          La Révolution mit fin à la dispute mais ne régla point la discorde entre Landugen et Duault puisqu'il fallut cinquante ans pour que Landugen fasse partie intégrante de la commune de Duault. Peut-on s'imaginer, en suivant cette belle rivière de l'Hyère, que ce petit territoire soit si chargé d'histoire.



                                                Joseph Lohou.(Janv. 1989)


Note sur la définition d'un Prieuré :
                                               

  Le prieuré est un petit monastère dépendant d'une abbaye, mais situé à une certaine distance de celle ci. Cette distance obligeant l'abbé à nommer un prieur qui sera responsable et dirigera la petite communauté de moines et le territoire dépendant du prieuré.
Ce territoire est destiné a assurer les revenus destinés à la vie de la communauté, aux oeuvres et aux travaux des bâtiments. Les revenus étaient parfois très importants et parfois forts modestes.

A l'époque de "décadence" des abbayes, les revenus furent souvent attribués en bénéfice à la personne nommée prieur ou furent parfois mis en commende, c'est à dire attribués à une personne extérieure qui touchait directement
les revenus fonciers....



[1] Marie Guézennec-Les révoltes du Prieuré de Landugen -Lettre du Poher N°4-p.17.

[2] Archives Départementales des Côtes d'Armor-cote H416.

[3] Voir Relevés des Tables de Landugen- Centre du Poher et CG22.

[4] J.Lohou- La Seigneurie de Callac, sous l'autorité de l'abbaye de Ste Croix-Pays d'Argoat N°22/1994-p.15.

[5] Dom Guy Alexis Lobineau, bénédictin de la Congrégation de St Maur.-La Vie des Saints-Tome II, col. 101.

[6] Portion congrue-pension annuelle payée par un bénéficiaire au prêtre qui dessert son bénéfice.                      - Par extension:Ressources à peine suffisantes pour vivre(Larouusse pour tous)

[7] Le Sieur Recteur de Duault et ses paroissiens- Pays d'Argoat N°31 du 1/1999 (J.Lohou).

[8] Landugen de Lann : monastère et Tugen :Tujean, vieux saint et solitaire breton (cf: Dom Lobineau)

[9] Cleuz fin : de Cleuz, fossé ou rempart et de fin : petit par opposition à Meur : grand.

 


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