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Callac-de-Bretagne |
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MOREAU (Jean-Victor), 1763-1813, général.
Né
à Morlaix le 14 février 1763, il était le fils d'un avocat et étudia le
droit à Rennes où il prit part aux luttes qui marquèrent ce que l'on a
appelé la pré-Révolution, défendant le parlement à la tête de ses
camarades en 1788. Ayant été un temps soldat, il fut choisi en 1789
comme capitaine d'une compagnie de canonniers de la Garde nationale.
Lieutenant-colonel du Ier bataillon de volontaires d'Ille-et-Vilaine
le I1 septembre 1791, il servit à l'armée du Nord sous Dumouriez et
sous Champmorin, se signala à Neerwinden et fut nommé provisoirement
général de brigade par les représentants du peuple Hentz et Guiot, le
20 décembre 1793. Général de division à l'armée du Nord sous Pichegru,
en avril 1794, il fut des combats de Mouscron, Menin, Tourcoing, Ypres
et Nieuport, puis parti¬cipa à la conquête de la Hollande. Il devint le
commandant en chef de l'armée du Nord à la place de Pichegru, le 3 mars
1795 puis de Rhin-et-Moselle le 14 mars 1796. Faisant cam¬pagne contre
l'archiduc Charles, il franchit le Rhin à Kehl, fut vainqueur à Rastadt
le 5 juillet et parvint jusqu'à Munich. Forcé de rétrograder après la
défaite de Jourdan le 11 septem¬bre, il fut vaincu à Emmendingen le 19
octobre, repassa le Rhin et resta sur la défensive durant tout
l'automne.
Cette
retraite de l'armée de Moreau apparaît à plus d'un historien comme
suspecte. Se laissa-t-il volontairement bat¬tre ? On sait que son
armée, au temps où elle était comman¬dée par Pichegru, avait été
travaillée, avec l'assentiment du général, par des agents royalistes.
Ceux-ci cherchaient à retourner les soldats comme ils avaient réussi à
le faire pour le général Pichegru afin de les utiliser dans un coup de
force contre le régime directorial. Il semble bien que, durant sa
retraite à travers la Forêt-Noire, Moreau ait eu des contacts avec des
émissaires royalistes venus de l'armée de Condé qui lui faisait face.
Pichegru vint en octobre à Strasbourg et rencontra Moreau. Il lui
aurait dit que, ou bien l'archiduc Charles parviendrait à franchir le
Rhin et .à mettre en déroute l'armée française et que, dans ce cas,
lui, Pichegru tenterait avec ses amis royalistes « un grand coup » à
Paris, ou bien l'armée adverse piétinerait et Pichegru ne ferait pas un
coup d'État militaire mais un coup parlementaire pour mettre à bas le
régime. Des élections devaient avoir lieu, et le parti royaliste
dissimulé espérait bien les gagner.
Seconde présomption de la trahison de Moreau en faveur des royalistes :
lors de son offensive en Allemagne à la tête de l'armée de
Rhin-et-Moselle, il saisit les papiers d'un général au service de
l'Autriche Klinglin (avril 1797). Ils contenaient pour Pichegru des
pièces accablantes : sa correspondance avec les chefs autrichiens
révélait sa trahison. Or Moreau ne trans¬mit pas, comme c'était son
devoir, ces informations au Direc¬toire. Il attendit, et ce ne fut qu'à
l'annonce du coup d'État du 18 Fructidor et de l'échec de Pichegru et
des royalistes, qu'il fit parvenir au gouvernement le dossier qu'il
avait entre les mains, prenant soin d'antidater de deux jours sa lettre
d'accompagnement. Rappelé à Paris, il fut mis en réforme le 23
septembre 1797, puis nommé inspecteur général à l'armée d'Italie le 15
septembre 1798. Il prit le commandement de cette armée, le 21 avril
1799, le conserva jusqu'à l'arrivée de Joubert le 4 août et retrouva
son poste à la mort de celui-ci (15 août, à Novi). Il quitta l'Italie
le 21 septembre, étant nommé commandant en chef de l'armée du Rhin. Ce
fut alors que Bonaparte, de passage à Paris, le contacta pour
par¬ticiper au coup d'État du 18 Brumaire. Il accepta du bout des
lèvres et fut confiné dans une tâche subalterne, celle d'une sorte de
gendarme chargé de surveiller les directeurs Gohier et Moulin.
Bonaparte lui donna ensuite le commandement de l'armée réunie du Rhin
et d'Helvétie. Ce fut à la tête de celle-ci qu'il remporta la victoire
de Hohenlinden, le 3 décembre 1800, contre l'archiduc Jean. Ce succès
éclipsait presque les vic¬toires de Bonaparte en Italie. Le Consul le
ménagea, cher¬chant à l'attirer dans sa clientèle. Moreau joua les
frondeurs, il allait partout, disant, selon le général Leclerc, qu'à
l'arnçée d'Italie on avait fait une guerre d'écoliers bien loin de la
guerre savante que lui, Moreau, avait su faire en Allemagne. Son
mariage envenima aussi ses relations avec Bonaparte. Mme Moreau était
née Hulot, d'une famille créole qui détes¬tait celle de Joséphine. La
petite guerre que se firent les deux femmes accompagna les
escarmouches que se livrèrent les deux généraux.
Au moment du Concordat, Moreau déclara, avec d'autres généraux, son
dégoût pour les « capucinades » du consul. Montrant à tous sa
désapprobation, il vint à un dîner officiel en « bourgeois » ; on lui
en refusa l'entrée. La Légion d'hon¬neur créée, Moreau tourna en
dérision l'institution : un soir, après dîner, il avait fait appeler,
disait-on, son cuisinier, l'avait félicité du repas et l'avait nommé «
grand chevalier de la casserole ». Recevant son ami le général Decaen,
il rejeta ses conseils de prudence lui disant : « Je suis trop vieux
pour me courber. » Bonaparte, fort habilement, tenta alors de
l'iso¬ler, séduisant les officiers de la clientèle de Moreau par des
promotions, les refusant à ceux qui, comme Lahorie, n'accep¬taient pas
d'abandonner leur ancien chef. Autour de Moreau et de Bernadotte, une
petite fronde des généraux se forma en 1803. Dans certaines villes de
garnison comme à Rennes, les murs se couvrirent d'affiches. On pouvait
y lire : « Vive la République ! Mort à ses ennemis ! Vive Moreau! Mort
au Pre¬mier Consul et à ses partisans!» La police arrêta des
sous-fifres, et on fit comprendre à Bernadotte qu'il avait à se tenir,
sur ses gardes. Quant à Moreau, le consul le jugeait trop velléitaire
pour agir vraiment. Tout changea en 1804.
Ce fut cette année-là, en effet, que la police découvrit le complot
royaliste qui unissait Cadoudal, Pichegru et peut-être Moreau, Les
trois hommes devaient prendre le pouvoir, une fois Bonaparte enlevé et
un prince de la Maison de France arrivé à Paris. Il semble bien que
Moreau, contacté, ait exprimé les plus expresses réserves sinon à
renverser le Premier, Consul, tout au moins à servir un Bourbon
restauré. Arrêté le 15 février 1804, il passa en justice le 28 mai avec
Cadoudal L'accusation se révéla bientôt peu étayée de preuves, et
témoins à charge contre Moreau se contredirent ou se rétractèrent comme
Lajolais, qui revint sur sa première déposition Moreau n'avait jamais
rencontré Pichegru. Les amis de Moreau présents dans la salle
commencèrent à s'agiter. Le général Lecourbe, accompagné du fils de
Moreau, l'éleva dans ses bras et, tourné vers les gardes, cria : «
Soldats, voici le fils de votre général ! » Tous les militaires
présents se levè-rent pour présenter les armes. « L'enthousiasme était
tel, prétendit Bourrienne, que Moreau eût dit un mot, le tribunal s'en
allait renverser et les prisonniers libres. » Dans le prétoire comme
dans les rues avoisinantes, l'opinion tenait Moreau pour innocent :
tout avait été monté, disait-on, par les amis du consul, sinon par
lui-même, pour faire tomber dans un piège un général qui le disputait
en gloire à Bonaparte, ce que celui-ci ne pouvait souffrir.
Thuriot, le juge instructeur et rapporteur, demanda la mort. Les juges
firent tour à tour connaître leur opinion ; il y eut sept voix contre
cinq pour acquitter le prévenu. Thuriot : « Vous voulez mettre en
liberté Moreau, il n'y sera pas mis ; vous forcerez le gouvernement à
faire un coup d'Etat ; car ceci est une affaire politique plutôt qu'une
affaire judiciaire, et il faut quelquefois de grands sacrifices
nécessaires à la sû-reté de l'Etat. » Après de nouveaux débats, on
passa à une seconde délibération, et par un compromis, il y eut une
majo-rité de 8 voix pour infliger à Moreau deux ans de prison. C'était
trop s'il était innocent, c'était se moquer du pouvoir s'il était
coupable.
Bonaparte, apprenant la nouvelle alors qu'il était à Saint-Cloud, entra
en fureur, injuriant le Grand Juge qui s'était témérairement engagé à
ce que la mort fût la sanction du procès. Il destitua le juge Lecourbe,
frère du général, qui avait plaidé l'innocence de Moreau. Il allait à
travers les pièces, criant : « Ces animaux me déclarent qu'il ne peut
se soustraire à une condamnation capitale ; que sa complicité est
évidente, et voilà qu'on me le condamne comme un voleur de mouchoir.
"Que voulez-vous que j'en fasse ? Le
garder ? Ce serait encore un point de ralliement. Qu'il vende ses biens
et qu'il quitte la France. Qu'en ferai-je au Temple ? J'en ai assez de
lui. »
Moreau, gracié, se retira aux États-Unis.
Appelé en Europe par le tsar, il débarqua en Suède en 1813, arriva à
Prague en août, rencontra les souverains coalisés et se joignit à eux
dans leur offensive sur Dresde. Là, le 27 août 1813, il eut le genou
fracassé par un boulet français. Il expira à Lahn dans la nuit du 1er
au 2 septembre.
Jean-Paul BERTAUD
B. : Garçon (Maurice), Le Duel Moreau-Napoléon, 1951.
Savinel (Pierre), Moreau, rival républicain de Bonaparte, 1985.
C.: La Maison natale du général Moreau à Morlaix par Olivier de Wimes.
Joseph Lohou (juillet 2013)
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