Callac-de-Bretagne

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L'Histoire de la Vierge d'argent de Bulat.




Lorsqu'éclate la Révolution de 1789, l'histoire locale a retenu trois noms de prêtres de Pestivien : Charles Pezron, le recteur,  Jean Touboulic, son curé ou vicaire, et Pierre Corbel, alors jeune prêtre.
Charles Pezron est en fait le dernier, mais un des plus grands recteurs de Pesti­vien. Il naquit à Scrignac, aujourd'hui dans le département du Finistère, en 1724. Il devint recteur de Pestivien en 1763.

Dès 1767, il fit bâtir la chapelle de "Zantez-Anna-Radenek" pour abriter la statue de Sainte Anne, découverte cette même année par une jeune bergère dont l'histoire n'a pas retenu le nom.
L'année suivante, 1768, il dotait le beffroi du sanctuaire de Bulat d'un gros bourdon, une cloche baptisée «Marie Innocente», qui pesait exactement 2.224 kilos. Il la paya 4.789 livres : elle coûterait de nos jours plus de 5 millions d'anciens francs ! Quelques années plus tard, en 1775, il entreprenait la restauration complète de l'église paroissiale, dédiée à Saint Blaise.
Inlassable, en 1782, il faisait ériger une grande Croix de bois auprès du sanctuaire de Notre-Dame de Bulat.


A l'encontre de leurs voisins de Pont-Melvez ou de Plougonver, les prêtres de Pesti­vien, le recteur Pezron en tête, refusèrent d'accepter la Constitution Civile du Clergé (1790) et souscrivirent à la protestation de l'évêque de Quimper, Mgr Conan de Saint Luc, contre cette constitution. Messire Pezron ne put empêcher dans sa paroisse les inventaires des biens d'église, ni la confiscation des ornements «vains oripeaux du fanatisme» ou des 197 bagues offertes en ex-voto à Notre-Dame de Bulat. Sur ses conseils, la municipalité pourtant réussit à «garder la plus grosse cloche, parce que la plus nécessaire, attendu que sur elle bat l'horloge et de laquelle on se sert pour tout appel».
Mais que devenait le «principal instrument de la superstition dans la région», comme disaient les pilleurs, c'est-à-dire la célèbre statue d'argent de Notre-Dame de Bulat. Messire Charles Pezron, dès le premier signal du danger de confiscation donné par l'annonce des inventaires, lui avait cherché un abri. Il porta la statue jusqu'au manoir de Kerjulou et la confia à la Dame Desjars, ( Anne Hervé), propriétaire du manoir et originaire de la paroisse. On la déposa au fond d'une armoire et on la recouvrit soigneusement d'une pile de draps.

Mais  vers la fin de 1792, les « purs» de Pestivien eurent quelque vent de la cachette de la Madone. Un jour un petit groupe d'entre eux se présenta donc au manoir pour la réquisitionner. Il n'y avait à la maison qu'une petite bonne, vaquant aux travaux du mé­nage. Le chef de l'expédition voulut, sous la menace, la forcer à indiquer l'endroit où se trouvait le précieux trésor.
La jeune fille aurait peut-être cédé, quand tout à coup, le chien de garde se mit à aboyer furieusement. Instinctivement, la bonne regarda dehors et s'écria : «Ma Doue ! Les Chouans ! Voilà les Chouans ! ». A ce cri, les patriotes, à moitié morts de frayeur, prirent la porte du jardin et déguerpirent au plus vite, renonçant à la perquisition projetée. Il leur fut plus facile de faire arrêter le vieux recteur. Celui-ci était résigné : il avait déjà vendu une partie de ses terres et de son mobilier et en avait distribué le revenu en aumône. Il était prêt.

Il dut faire à pied, malgré sa claudication, le voyage jusqu'à Guingamp. Là on n'avait rien trouvé de mieux que de transformer les monastères en prison. L'une d'elle était le couvent de Montbareil dont la chapelle était dédiée et l'est toujours à Notre-Dame de Bulat. Mais c'est au couvent des Carmélites, à l'angle de la rue Saint-Yves que Charles Pezron fut détenu. Son âge et sa mauvaise santé lui évitèrent une déportation plus lointaine. Il mourut au bout d'un an, le 17 novembre 1793, le 27 brumaire an II, comme on disait.

Le Vicaire, dom Jean Touboulic, pensait bien qu'il ne tarderait pas à être arrêté à son tour, s'il n'échappait aux persécuteurs en émigrant.

Jean Touboulic était né le 2 septembre 1742, à Kernec'h, un village de la paroisse de Pestivien ; il était le second d'une famille de 8 enfants. Il fut l'élève, d'abord à Pestivien, puis à l'lle de Bréhat, de Messire Nicolas Le Bricon, ancien professeur au séminaire de Quim­per. Devenu prêtre, il eut la joie d'être nommé vicaire dans sa commune natale.

•    Après la perquisition manquée au manoir de Kerjulou, après l'arrestation de son recteur, sa décision fut prise. Il émigrerait, mais auparavant il enterrerait la statue d'argent. Sans mettre dans le secret personne d'autre que ses deux frères, Vincent et Joseph, qui habitaient Kernec'h, il porta de nuit la statue jusqu'à ce village. Vincent confectionna le « cercueil», une petite caisse en bois ; Joseph creusa la fosse à l'angle du hangar et maçonna le petit caveau. La statue fut inhumée sans chants et sans fleurs. Pour dissi­muler la tombe fraîchement creusée, on se contenta de jeter dessus quelques fagots ou quelques gerbes d'ajonc sec.
Alors dom Touboulic dit adieu à sa vieille maman. Il rejoignit le port de Brest, put embarquer dans un navire suédois ou norvégien qui le déposa dans l'île de Man, près des côtes d'Irlande. Il y resta dix longues années, jusqu'à la fin de la Révolution, se faisant tailleur (« Kemener ») pour gagner sa pitance.

Pestivien était sans prêtre. En 1793 et 1794, le pardon de Bulat fut interdit. Les fidèles en furent réduits à organiser eux-mêmes des processions clandestines, de Bulat à Notre-Dame de Pitié, devenue aujourd'hui l'église paroissiale de La Chapelle-Neuve. Vers la fin de 1795, Pierre Corbel, jeune prêtre originaire de Duault, qui exerçait un certain ministère à Pestivien avant la Révolution, revint d'exil. Il fut nommé « curé d'office» de la paroisse. Il put rétablir le pardon, mais sans procession et, bien-sûr, sans statue. Il s'acquitta des principales charges du ministère paroissial, souvent d'ailleurs en cachette. Cela dura 2 ans jusqu'à la Noël de 1797 ; ce 25 décembre, 5 nivose an VI, Pierre Corbel fut arrêté chez son frère à Locarn ; on trouva sur lui, entre autres objets compromettants, «une petite boète de plomb, dite à extrême onction. 11 fut conduit à Saint-Brieuc, devenu Port Brieux, jugé et condamné à mort, il fut exécuté à 11 heures du matin le 6 janvier 1798. Il avait 36 ans.

Le temps passa. La Révolution prit fin. En juillet 1802, dom Touboulic put rentrer d'Irlande. Il débarqua au Légué et vint à pied jusqu'à Kernec'h : sa mère, son frère aîné étaient morts pendant son exil. Mgr Cafarelli, nouvel évêque de Saint-Brieuc et dont le diocèse recouvrait le département des Côtes-du-Nord dont faisait partie Pestiven, le nomma successeur de Charles Pezron. Le 14 août, aidé de son frère Joseph et de Vincent, son jeune neveu, il réveilla Notre-Dame de Bulat de sa «dormition» et la sortit de son caveau. Les cloches qui, le lendemain, annonçaient l'Assomption de Marie au ciel, proclamèrent aussi la renaissance du culte public dans la paroisse et la réintégration de la Vierge d'argent dans son sanctuaire. Comme on dut chanter ce jour-là avec ferveur le cantique d'action de grâces!
Au lieu de rester à Pestivien comme ses prédécesseurs, dom Touboulic obtint de l'évê­que la permission de faire de la chapelle de Bulat son église paroissiale : c'était le 14 juillet 1804. Pendant près de 20 ans encore, jusqu'au 15 janvier 1823, il déploya tout son zèle à restaurer la foi dans sa paroisse. Il s'éteignit à 80 ans, avec, dit-on, la sérénité d'un saint. Son corps fut enterré dans le grand choeur, les pieds contre les marches de l'autel, à l'en­droit où il avait dit si souvent :

« Introibo ad altare Dei ! ».



Notes.
Le Tyrant, Louis, abbé, "Miettes d'Histoire et de Légendes" - Imprimerie Angers-Guingamp -1971-2ème trimestre. Extraits.













Joseph Lohou(février2012)    

















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