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Le Tombeau
d’Adam et Eve.
Nous ne pouvons
évoquer les monuments mégalithiques du canton de Callac sans faire également connaître
à nos lecteurs les réflexions de M. Hervé Marie CATTA qui, dans les années
d’après-guerre, décrit avec un certain talent une petite vallée située entre le
château de Rosviliou et le village du Bourgneuf.
La personnalité de M. Hervé Marie CATTA,
nous a longtemps intrigués, mais une lecture plus fine de son texte ci-dessous,
nous a permis de le cerner et ainsi de le découvrir.
En 1995,
Hervé Marie CATTA revient au manoir de
Rosviliou, d’où il raconte avec beaucoup d’émotion ses souvenirs
d’enfant, cinquante ans auparavant. Hervé avait donc huit ans et passait avec
ses frères et sœurs, cousins et cousines de bien joyeuses vacances chez sa
tante Aliette de Quélen,
sœur de sa mère Henriette.
Il découvrait ainsi, des petites fenêtres du manoir, le ru de Kerangle qui
prend sa source aux confins de St Nicodème vers le village de Bodelsy ; la
forêt de Duault vers le village de Kerbernès et ses menhirs.
Nous sommes en 1947, et Hervé, curieux de nature rencontre le fermier de son
grand-père Henry, René Le Boulc’h qui vient de rentrer de ses quatre années de
captivité en Allemagne et son ami, Job Prigent.
Ces deux compères vont peut-être lui permettre de percer le mystère de ces
villes pierres, pour lesquelles il voudrait avoir de plus amples informations
que celles données par sa tante Aliette, qu’il juge trop savantes.
Il voulait donc savoir tout de cette légende : Pendant la nuit de Pâques, une heure durant, les menhirs vont se
promener et pendant ce temps on peut ramasser un trésor.
Nous
laissons le soin aux lecteurs de découvrir la façon émouvante qu’en fait Hervé
Marie CATTA de ce souvenir.
« Cette vallée-là,
qui la connaît ? Perdue quelque part au fond de l'Armorique, elle demeure aussi
ignorée aujourd'hui que jadis. Sauf des cinq fermes qui la bordent, Linglay, Rosviliou,
Goaremon, le
Bourgneuf et Kerbernès.
Pour nous qui y étions
nés, il nous semblait que Rosviliou, le beau manoir, en était le centre. Des
petites fenêtres d'en haut, on voyait le bois en face, à droite, à gauche. A la
vieille longue vue de cuivre, on voyait les feuillages des arbres du bois, dans
leurs couleurs de verts délicatement teintés ci et là de jaune. En bas, parmi
les arbres, coulait le ruisseau, sorti de la cascade par les prairies de Linglay.
Juste au pied de chez nous, on le traversait sur une ligne de grosses pierres
qui pouvaient bien dater de la préhistoire, mais que toujours les enfants
aimeront à sauter. Plus loin le ruisseau tournait en élargissant un peu la vallée,
tandis que montait du moulin la grande pente de Kerbernès. Par là il y avait
des menhirs, mais le plus grand de tous était tout en haut dans le bois où, à l’époque,
il dépassait les arbres.
C'était le temps où,
marchant vers cette fameuse dent de Saint Servais, je voyais briller de l'or
dans le sable du chemin. Mais les grandes personnes, je m'en souviens encore,
m'ont expliqué que ce n'était pas de l'or en disant "tout ce qui brille
n'est pas or". Et pourtant, si vous l'aviez vu, le sable du Guellec, avec
ses paillettes dorées ... Il me restait donc les menhirs.
La guerre était finie
depuis deux ans, et René Le Boulc'h (prononcez bien "le bourh"), René
donc avait repris la petite ferme de mon grand-père. Et l’été, quand nous
venions en vacances, naturellement on apprenait de René le secret des choses
que tante Aliette avait racontées de façon trop savante.
Ainsi je m'intéressais
beaucoup aux menhirs et décidai d'en parler plutôt à René. Un jour je lui dis
" René, est-ce vrai que les menhirs vont se promener une heure pendant la
nuit de Pâques, et que pendant ce temps l'on peut ramasser le trésor?"
Naturellement c'était
vrai ! On le racontait dans beaucoup d’histoires, même à Landerneau et à Vannes,
et je l'avais lu dans un livre : mais c'était un avare qui avait trouvé le trésor.
Il avait passé tellement de temps à regarder et à faire couler dans ses mains
les pièces d'or que le menhir avait repris sa place en silence, et plus
d'avare.
" Ce que je
voudrais savoir, c'est si toi René tu y es déjà allé, ou si tu iras un jour,
auquel cas peut-être tu pourrais m'emmener."
" Ah ! Hervé
(René soufflait très fort sur le H "Donc le soir, nous sommes allés tous
deux pas loin de Rosviliou ici, en dessous du Bourgneuf, juste dans le bois de
la chapelle saint Yves, et là on les voyait bien les menhirs jumeaux comme on
les appelle. On avait pris des crêpes et du cidre, comme vous savez bien que le
samedi saint ce n'est plus carême. Avec Job on a dit le chapelet parce que Hervé,
dans ces choses-là vous savez on ne sait pas si le diable n'est pas à se
promener lui aussi près des menhirs. On ne connaît pas tout non plus. Mais en
tout cas ce n'est pas du tout ça qui s'est passé.
"Après le
chapelet, la nuit était humide, et Job avait apporté du lambic, de l'eau de vie
quoi. Et Job me dit comme ça que ça le réchauffait bien. Si bien que j'en ai bu
aussi, dame. Bon, alors on s'est endormi sûrement.
"Alors Hervé,
quand ça s'est passé sûr minuit était arrivé, et ça Hervé je ne l'ai jamais dit,
ni le Prigent non plus, mais je m'en souviendrai toujours tellement ç'était
beau. Il faut que je vous le dise à vous que vous n'alliez pas vous tromper
avec les menhirs.
"Il y avait un
peu de brouillard qui montait de la rivière, mais pas très épais. Et de la
lumière brillait sur la pente de Kerbernès où devaient se trouver les menhirs jumeaux.
Ils avaient l'air de bouger justement, comme au centre de la lumière qui se
perdait peu à peu dans le brouillard.
"Et puis tout
d'un coup j'ai dit à Job "tu vois les menhirs ?" mais Job n'a pas pu
répondre, et moi j'ai cessé de parler.
Ce n'était plus des menhirs.
Comme vous voyez le tilleul qui est là, Hervé, il y avait un homme et une femme
qui bougeaient dans la lumière comme s'ils levaient les bras. Et puis ils se
sont mis à chanter, la femme d'une voix très haute, l'homme d'une voix très basse,
comme les Russes, ou comme l'harmonium de Duault, quand il marche, et que le
vieux père Herviou accompagne le Credo, mais en plus beau. Impossible de dire
ça, Hervé. Et la femme chantait, chantait de plus en plus haut , avec une voix
claire, émue ,exprimant une joie qui montait avec les notes...Ah je saurais à
peine dire un peu de ce qu'elle disait en breton, mais en français c'est plus
difficile encore."
Voici les paroles,
telles que René me les a rapportées en cet été 1947 :
" Oh joie de ma vie, joie pour toujours
Joie pour mes enfants dans tous les millénaires,
Joie sur le monde et dans le ciel,
Adam, que me vaut cette joie que mon petit-fils soit notre Rédempteur,
Oui le voici, le fils de nos fils et de nos filles, le fils de Marie,
Fils de l'homme et Fils de Dieu, le voici enfin mon Sauveur qui nous fait
sortir du tombeau."
René disait encore que
Job et lui n'avaient pas pu supporter, enfin le mot n'est pas exact, qu'ils
avaient été comme dépassés, laissés sur place par le chant qui d'octave en
octave montait. Ils avaient perdu connaissance, endormis sans dormir, et
s'étaient réveillés plus tard dans l'humidité de la nuit. La lumière avait
disparu, les menhirs jumeaux avaient repris leur place dans leur veille
immémoriale, tombeaux de pierre dressés vers le ciel où Adam et Eve étaient
remontés.
Des années, des années
plus tard, un demi-siècle peut-être, cette histoire m'est revenue. Elle était
restée enfouie dans un coin de ma mémoire, là où les choses ne se réveillent
qu'au signal d'une peine ou d'une joie extraordinaires.
C'était à l'Abbaye de
Sylvanès
quand ce musicien de la Liturgie, André Gouzes, et
son équipe nous avaient chanté le Salve Regina des moines d'Aubrac. Salve très
ancien aux voix héroïques qui montaient gravement vers les voûtes
cisterciennes. Alors, comme dans la vallée de Kerangle, comme René Le Boulc'h,
j'ai entendu soudain chanter Adam et Eve la joie de la Résurrection.
Je suis retourné à la
vallée des menhirs. J'ai vu la pente qui monte vers la forêt immense où
finissent de s'user les montagnes hercyniennes.
René n'est plus là. A
la petite ferme de Rosviliou le vieux houx qu'il ne taille plus étends
maintenant son ombre sur la maison. Mais quand je regarde les menhirs jumeaux,
je vois. Et je dis ces mots qui me sont restés dans la gorge depuis l'enfance :
"Adam ! Eve ! Il vous a ressuscités !de façon qu'on entendait presque
Yervé), ça je l'ai cru longtemps, mais ça n'est pas vrai non. Je vais vous
raconter comment ça se passe vraiment. Vous savez il y a deux ans, quand j'ai
été libéré de l'Allemagne où j'étais prisonnier, un samedi saint, nous y sommes
allés avec Job Prigent qui était rentré comme moi. Celui-là est à Loquitou,
vers Locarn, sur le ruisseau de Follezou. »…
Hervé Catta, novembre 1995
Sources.
Génalogie de la Maison de Quélen.
A la demnde de M. Hervé Marie Catta, nous avons modifié la note (1) et ajouté les liens suivants. (9 /10/2011)
Liens:
http://www.1000questions.net/bret/
http://www.1000questions.net/fr/chroniq/adameve.html
http://www.1000questions.net/br/adam-br.html
Joseph Lohou (mise à jour janvier 2017)
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