Callac-de-Bretagne

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La Révolte du Papier Timbré dans la région de Callac

   

Paiement de l'Impôt, gravure de David, musée des arts décoratifs, PARIS





                        Un épisode de cette tranche d'histoire, non encore répertorié et trouvé par hasard dans la série B des Archives des Côtes d'Armor, donne un point de vue assez original des tensions existantes contre les agents du fisc, fermiers de tout poil et leurs suppôts, sergents, notaires, avocats et autres gens de justice. Tous subissant les mêmes violences, brimades personnelles (sans mise à mort ), pillage et mise à sac de leur demeure.

            Dans cette région, il n'était répertorié qu'une tentative "d'assassinat" le 11 mai 1675 à Saint Servais contre Mauricette Ursule Le Bigot, dame douairière de Kerlouet en Quimper-Guézennec, épouse de Sébastien Fleuriot, seigneur de Langle et de Rosviliou en Duault et grands-parents du célèbre navigateur Fleuriot de Langle.
Ce pardon de Saint Servais était décidément mal fréquenté puisqu'à quelques jours de là Maître Ollivier de La Boissière, écuyer et procureur fiscal de la Juridiction de Quelen en Duault, alors qu'il était occupé  à prélever un droit de coutume sur chaque étal de marchand, fut maltraité et injurié par une "cohorte d'ivrognes, mutins et séditieux et de lui inconnus."

Rappelons en quelques mots l'origine de ce soulèvement, qui dans le cours de l'année 1675, troubla profondément la plus grande partie de la Bretagne[1]. (Voir le "code paysan")
  Eloignée des guerres par sa position géographique, jouissant de nombreux privilèges, conservant une nombreuse noblesse peu séduite par la Cour, la Bretagne était l'une des provinces les plus riches et prospères du Royaume.
            La Royauté, contrainte à faire appel à des nouvelles ressources pour subvenir à ses dépenses, fit promulgué les édits relatifs à l'établissement du Papier Timbré en 1673, au monopole de la vente du tabac et à la marque de la vaisselle d'étain en 1675. Ces édits devaient, par leur nature même, rencontrer un accent particulièrement impopulaire. Ce fut là une des causes de la Révolte. Des articles nombreux, des livres connus ont évoqués la longue série des luttes antifiscales et des guerres paysannes du XVII° siècle. Les analyses des causes sont également nombreuses et variées, elles diffèrent suivant l'appartenance idéologique des auteurs.
Notre propos se bornera à relater une banale affaire de pacage de bestiaux dans une forêt seigneuriale qui se transforme, sans raison bien apparente, en une révolte paysanne.

                                                                                                                                                            L'affaire


  " Début Février 1675, soit cinq mois avant la Révolte qui submergea le Poher et la Cornouaille, le sieur Jan Pichot, avocat au Parlement de Bretagne et Maître particulier des Bois, en charge de la Châtellenie de Callac, fit arrêter les frères Le Suillier, Prigent et Alain, ainsi que leur valet Moysan. Ces trois hommes sont accusés d'avoir introduit un certain nombre de bestiaux dans un bois appartenant à Messire Guillaume Charrier, abbé commendataire[2] de l'abbaye de Sainte Croix de Quimperlé, seigneur châtelain de Callac et des environs. Ces bêtes sont retrouvées le 5 janvier 1675 dans le bois de Kerbern et saisies au profit du seigneur. Le Code Forestier de 1669, élaboré par Colbert, pour combattre le taillis contre la futaie et le pacage des bestiaux, est très contesté.
Les paysans sont auparavant habitués à utiliser ces surfaces; la forêt prolonge le champ, les jachères et les friches, elle est le dernier rempart d'une propriété coutumière aux contours souples.
Les frères Le Suillier sont de fiers paysans bien soutenus par leur milieu et par le clergé local.
Le 15 juillet 1675 vers deux heures de l'après-midi,on vit se réunir au son du tocsin une troupe de mille à douze cent paysans des paroisses de Carnoët, Plourach, Scrignac, Lohuec, Calanhel et autres paroisses. Ils sont armés de fusils, de piques, bâtons, fourches et autres armes offensives, et ayant à leur tête Guillaume Le Maréchal, prêtre, Messire Even, recteur de la paroisse de Plourach, Messire Dencuff, curé de Plourach, Messire Jan Le Parchantour, prêtre de Carnoët, accompagnés des Le Noan, Nédellec et Corgat, se présentent au domicile du Sieur de Trémais, Maître Jan Pichot.

  Ils menacent d'incendier la maison, les meubles, les étables et mulons et sont sur le point de le faire lorsque les habitants de Botmel, Burthulet, Saint Servais et Duault, avertis des menaces,  viennent au secours de leur sénéchaL. Ils parlementent et parviennent à protéger les biens du Sieur de Trémais , mais en contrepartie celui-ci s'engage à rendre dans les huit jours aux frères Le Suillier les quatorze bêtes saisies le 5 Janvier 1675. Il doit également leur rendre les trente marcs[3] d'argent d'amende et abandonner toute prétention de poursuite.

            Le lendemain 16 juillet, Messire Pierre Jaffray, sous-diacre, René Le Berre, Antoine Le Bouhec, Jan Rochou, Jan Le Duault, Charles Le Roux, Maître Louis Guichard, Pierre Salliou, François Gueguen et autres, tous habitants de la ville de Callac, se présentent devant la maison du sénéchal, Maître Jan Pichot.
Ils sont, comme les visiteurs de la veille, armés de mousquetons, fusils, pistolets, serpes et épées. Leurs menaces sont plus directes, ils pénètrent dans la maison à la recherche du sénéchal et veulent attenter à sa vie.
La compagne de Jan Pichot[4], Marie Charlotte Le Joliff se présente pour les apaiser, mais les mutins la menacent également de leurs mousquetons. René Le Berre, particulièrement violent et coléreux, frappe à coup de serpes sur les meubles, jurant le Saint Nom de Dieu et exige de l'épouse qu'elle lui indique l'endroit où se cache son mari. Enfin le sénéchal est extrait de sa cachette au fond du jardin et emmené de force à Callac.
Arrivés au siège de la Juridiction vers les onze heures du matin, ils obligent le greffier Maître Guillaume Hamon, à leur remettre les minutes[5] et les originaux des sentences et jugements, rendus par lui à leur encontre. La majorité de ces affaires avait trait à des condamnations pour des coupes de bois abusives perpétrées dans les forêts appartenant au seigneur abbé de Sainte Croix de Quimperlé. Les rebelles exigent du greffier la reconnaissance du renoncement aux droits de lods et ventes[6]que les particuliers lui doivent dans l'étendue de la censive[7] de Callac.

Après la reprise en main de l'ordre public par le Duc de Chaulnes[8], Maître Jan Pichot présente, début octobre, ses doléances au Commissaire du Roi Monsieur de Marillac. Celui-ci, Seigneur d'Olinville et Conseiller du Roi, Maître ordinaire des requêtes, Intendant de justice, police et finances de la Généralité de Poitiers a été nommé par Louis XIV, profondément irrité par cette révolte, pour juger rapidement tous les meneurs. Des punitions collectives sont décidées : pour obtenir le pardon du roi, les paroisses ne doivent pas seulement livrer les coupables. Il leur faut promettre de réparer tous les dommages causés, de rétablir les bureaux des droits, de payer de fortes amendes .

            Monsieur de Marillac annote en fin du document le permis d'informer et de faire continuer la plainte par devant le sénéchal de Carhaix ou son lieutenant. Il est signé et daté " a guincamp le 5 octobre 1675 "


 
La suite de l'enquête ainsi que le jugement et les sentences prononcées ne nous sont pas connues. Vers la fin de l'année, sous la pression du Duc de Chaulnes, un certain vent de clémence commence à souffler. De nombreux prisonniers sont remis en liberté, faute de charges suffisantes. Finalement, il n'y aura que six condamnation à mort, deux aux galères et une au bannissement.

Dix huit années s'écoulent avant qu'un autre jugement[9] vienne éclairer d'un jour nouveau ces évènements de 1675 à Callac.

  Le Jugement de 1693.


  "
Le 24 juin 1693, Julien Floyd[10], sieur de Rosneven, écuyer et procureur fiscal de la Juridiction et Châtellenie de Callac, fief amorti dépendant de l'abbaye de Sainte Croix de Quimperlé, à présent sénéchal et seul juge, convoque tout ce qui compte de personnalités influentes de la juridiction ayant connu les évènements de 1675.

            Sont présents au siège de la Juridiction à Callac :                                                                                              
                        -Maître René Le Joliff, sieur de Kerguiniou et beau-père du                             sénéchal, Jan Pichot
                        -Alain Le Cottonec, avocat.
                        - François Guillaume, notaire.                       .
                        - Jan Le Dorven, notaire de Plusquellec.
                        - Claude Le Maître, notaire de Plusquellec.
                        -Pierre Le Milbeau, greffier actuel de la Juridiction.

  Après délibération, cette docte assemblée certifie qu'au mois d'août(?) 1675, plusieurs centaines de personnes s'étaient révoltées et attroupées devant la maison du sénéchal, Jan Pichot ,sieur de Trémais, au village de Kerguiniou.
Les révoltés exigèrent de Jan Pichot les procès-verbaux des actes de visites faites aux bois dépendants de la seigneurie de Callac. Ils réclamèrent également les sentences des condamnations
des taux et amendes prononcées. Accompagnés du sénéchal, ils se rendirent à Callac au domicile de Maître Guillaume Hamon, greffier de la Juridiction. Par force et violence, ils obligèrent celui-ci à leur remettre tous les registres, procès-verbaux de visites et condamnations des taux et amendes et les brûlèrent publiquement un jour de marché sur la place de Callac. Ce que nous certifions véritable.
En foi de quoi, nous avons signé ce document pour être délivré à Dom Ignace Puisson, procureur de l'abbaye de Quimperlé, ce jour vingt quatrième juin mil six cent quatre vingt treize.
Ainsi signé, l'original envoyé à Paris."

 
L'amnistie

Le 5 février 1676, Louis XIV a accordé son pardon à tous les Bretons. Les lettres patentes sont enregistrées le 2 mars par le Parlement siégeant à Vannes. Elles accordent :  " Abolition générale à tous les auteurs et coupables de tant de désordre. " Les peines sont effacées.

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L'amnistie par Louis XIV en 1676



            La Révolte du Papier Timbré, comme l'histoire l'a appelée, avait profondément troublé Louis XIV en lui montrant qu'en dépit du caractère absolu de la monarchie, les habitants de certaines provinces n'étaient pas encore disposés à subir le joug d'une obéissance passive.



  
Sources Bibliographiques.

1)- Garland(Y) et Nières(Cl)- Les révoltes bretonnes de 1675 (Papier Timbré et Bonnets Rouges) Ed. Sociales- Problèmes/Histoire- 1975.
2)- Mousnier(R)- La Révolte du Papier Timbré- Actes du Colloque de Strasbourg- 92° Congrès61970.

3)- Levron(J)- Les Bretons contre Louis XIV- Historia- Juin 1975.

4)- Le Grand Robert de la Langue Française.

5)- La révolte du Papier Timbré advenue en Bretagne en 1675- Arthur de la Borderie.



[1]-Jacques Levron-Les Bretons contre Louis XIV.-Historia-Juin 1975.

[2]-Commendataire, commende : droit ecclésiastique ou bénéfice ecclésiastique accordé à vie, en dépôt, en garde.

[3]-Marc- Quantité d'or ou d'argent pesant un marc (244,5 g) -Au marcla livre, au marc le franc, d'une manière proportionnelle.

[4]-Jan Pichot se marie le 20 août 1660 à Callac, chapelle Ste Catherine, avec Marie Charlotte Le Joliff, fille de M° René Le Joliff et Marie Riou.

[5]-Minute - du latin, minutus, menu. Ecrit original d'un jugement ou d'un acte notarié.

[6]-Lods et ventes- redevance que le seigneur percevait lors de la cession d'une tenure.

[7]-Censive, droit féodal, terre assujettie au cens, redevance due au seigneur du fief.

[8]-Charles d'Albert d'Ailly, duc de Chaulnes, Pair de France et Gouverneur de Bretagne. (1624-1698)

[9]-Affaire de l'abbaye de Ste Croix contre M° Roussel-AD des Côtes d'Armor. Série E 232.

[10]-Julien Floyd succède à Jan Pichot comme sénéchal en 1684 et à Gilles Lohou décédé à Carhaix en 1662. Il est le fils de Rolland Floyd, catholique anglais qui émigra en Bretagne après la Conspiration des Poudres(1605).

Cet article est paru dans la revue "Pays d'Argoat" n° 24- 2/1995.



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