Le
Code Paysan
Quelques
éléments pour comprendre cette situation de la Bretagne
en 1675.
A
la veille des révoltes, les spécificités bretonnes et
les libertés et privilèges hérités de l’ancien duché
sont que la Bretagne ne connaît pas encore le régime
de l’intendance, et c’est un gouverneur, le duc de
Chaulnes, qui y représente le souverain ; des états
de Bretagne se réunissent tous les deux ans dans une
ville choisie par le roi afin de discuter des affaires
provinciales et, en particulier, des questions fiscales ;
enfin, un Parlement est installé de manière permanente
à Rennes depuis 1561 et il se présente comme le
successeur des Grands Jours ducaux. C'est donc
l’existence d’une situation privilégiée de la
province en matière fiscale, la Bretagne n’était
soumise ni à la taille, ni à la gabelle sur le sel, à
la différence de provinces voisines. En revanche, depuis
la fin du XVI° siècle, des “aides” (taxations sur des
produits) étaient instaurées : les « Devoirs »,
depuis 1593, et des « fouages extraordinaires »,
à partir de 1643. Enfin, en 1674, le Parlement de Rennes
enregistrait une taxe sur le papier timbré sans qu’il y
eût un accord des états provinciaux.
La
singularité socio-politique bretonne réside dans la
pléthore nobiliaire l’existence d’une véritable
plèbe dont les conditions de vie difficiles expliquent
l’âpreté de l’attachement aux marques de
distinction. L’existence d’un type de bail
défavorable aux paysans en basse Bretagne - le domaine
congéable - déstabilise le monde rural et exacerbe des
tensions déjà très fortes entre paysans et seigneurs en
basse Bretagne (et surtout en Cornouaille). En outre, les
effectifs importants de nobles se heurtent aux exigences
croissantes de la monarchie. En 1667-68, les
« Recherches de noblesse », lancées par
Colbert, s’efforcent de démasquer les prétendues
usurpations nobiliaires pour faire entrer de nouvelles
ressources fiscales dans les caisses de la monarchie alors
qu’en 1672, l’instauration à Rennes d’une Chambre
du domaine royal et d’une Chambre de justice
seigneuriale pour lutter contre les abus seigneuriaux
explique l’inquiétude croissante des nobliaux bretons,
menacés dans leurs prérogatives. Enfin, une situation
militaire difficile se superpose aux mécontentements
paysans et nobiliaires. Le commerce maritime, et notamment
le négoce malouin avec le monde ibéro-américain, se
trouve entravé par la guerre de Hollande, déclenchée
par Louis XIV en 1672, ce conflit limitant fortement les
conditions de navigation.
Le
3 avril 1675, des mouvements urbains éclatent à Rennes,
en écho aux émeutes bordelaises ; la rumeur
publique amplifie les mesures annoncées d’imposition
sur le tabac et sur l’étain qui menaceraient les
« libertés » de la province. La ville s’émeut
une première fois le 3 avril, puis à nouveau le 18 de ce
mois. Ces tumultes tournent aux pillages et le bureau
chargé de la perception des Devoirs est saccagé ; même
l’annonce de la suspension des édits ne suffit pas à rétablir
l’ordre puisque, la semaine suivante, la population
reporte son mécontentement contre les protestants des
faubourgs de Cleunay. Au cours du mois de juin, des
incidents de moindre ampleur, qualifiés de « coliques
pierreuses » par les auteurs, se reproduisent à
Rennes. A Nantes, des troubles similaires ont lieu ;
si les édiles réussissent tant bien que mal à contenir
la population en proclamant un moratoire sur les nouvelles
mesures fiscales, il faut préciser que la milice urbaine
reste totalement passive alors qu’une partie des révoltés
s’en prend à l’évêque, retenu un moment prisonnier.
A Rennes et à Nantes, des bruits de conspirations sont répandus
du côté des rebelles comme du côté des autorités.
Pourtant, la plus grande intensité de la contestation se
produit en milieu rural, pendant l’été 1675.
Le
9 juin 1675, au son du tocsin, réservé en temps normal
à la défense de la communauté, les paroissiens de Briec
en Cornouaille s’arment et attaquent un manoir qu’ils
pillent, et ils s’en prennent aux nobles et au curé.
Quinze jours sont nécessaires pour que le foyer
insurrectionnel s’étende, et le 23 juin, quatorze
paroisses ont pris les armes. L’affrontement social est
net : les insurgés attaquent des châteaux et des
manoirs ; les correspondances citées confirment
l’inquiétude croissante du second ordre devant la vague
de révoltes qui embrase la basse Bretagne. Ce n’est
qu’au début du mois de juillet, à son retour de la
Cour, que le duc de Chaulnes rassemble les forces nécessaires
pour mâter la rébellion. Pourtant les attaques des
insoumis se prolongent jusqu’à la fin du mois d’août.
Une volonté de revanche sociale transparaît par une
formulation utopique et égalitaire, suggérant une fusion
des classes sociales avec la noblesse locale que les
insoumis voudraient imposer par le biais de mariages
exogamiques. Appelé « le code paysan », le
texte qui suit, traitant de ces projets est très étonnant
par son contenu. Ainsi à Plouguervénel, c’est
l’annonce de l’arrivée d’une mission de la
Compagnie de Jésus qui motive la rébellion, car elle est
suivie de la rumeur de nouveaux droits sur les
enterrements et sur les mariages... Enfin, le chef de la révolte
de Cornouaille, Sébastien Le Balp, était issu d’une
fraction du peuple, puisque son père était meunier ;
il ne provenait donc pas des élites comme dans le cas de
nombreuses révoltes populaires, à l’instar des
Nu-Pieds normands de 1639.
Au
cours du mois d’août 1675, le duc de Chaulnes concentra
des troupes ; les premières exécutions eurent alors
lieu, et les paroisses révoltées durent faire leur
soumission. La répression suivit un cheminement semblable
à ce qu’on connut sous le ministériat de Richelieu,
avec le désarmement systématique des milices urbaines,
le logement des troupes, la taxation des habitants et
l’exécution des meneurs. Les élites municipales et
provinciales furent mises en cause par l’autorité
monarchique, qui les sanctionna pour leur incompétence
(ou leur mauvaise volonté) à réprimer les séditions
populaires. Ainsi, le Parlement de Rennes fut exilé à
Vannes à partir d’octobre 1675, et cela jusqu’en
1689. Or, à cette date, le souverain nommait le premier
intendant pour la province. Les états provinciaux, réunis
à l’automne dans la ville de Dinan, durent dorénavant
voter le « don gratuit » dès le début de la
session...
"Copie
du règlement fait par les habitants des quatorze paroisses
unies du pays Armorique, situé depuis Douarnenez jusqu'à
Concarneau, pour être observé inviolablement entre eux
jusqu'à la Saint Michel prochaine, sous peine de "Torrében"
(traduisez: casse-tête).
1,
Que les dites quatorze paroisses, unies ensemble pour la
liberté de la province, députeront six des plus notables
de leurs paroisses aux états prochains pour déduire les
raisons de leur soulèvement, lesquels seront défrayés
aux dépens de
leurs
communautés, qui leur fourniront à chacun un bonnet bleu
et une camisole rouge, un haut-de-chausses bleu, avec la
veste et l'équipage convenable à leurs qualités.
2.
Qu'ils (les habitants des quatorze paroisses unies) mettront
les armes bas et cesseront tout acte d'hostilité
jusqu’audit temps (de la Saint Michel 1675), par une grâce
spéciale qu'ils font aux gentilshommes, qu'ils feront
sommer de retourner dans leurs maisons de campagne au
plus tôt, faute de quoi ils seront déchus de ladite grâce.
3.
Que défense soit faite de sonner le tocsin et de faire assemblée
d'hommes armés sans le consentement universel de ladite
union, à peine aux délinquants d'être pendus aux clochers,
ou passés par les armes.
4.
Que les droits de champart et corvée, prétendus par les
dits gentilshommes, seront abolis comme une violation de
la liberté armorique.
5.
Que pour confirmer la paix et la concorde entre les gentilshommes
et nobles habitants des dites paroisses, il se fera des
mariages entre eux, à condition que les filles nobles
choisiront leurs maris de condition commune, qu'elles
anobliront et leur postérité, qui partagera également
les biens de leurs successions.
6.
Il est défendu, à peine d'être passé par la fourche,
de donner retraite à la gabelle et à ses enfants, et
de leur fournir, ni à manger, ni aucune commodité ; mais
au contraire il est enjoint de tirer sur elle comme sur
un chien enragé.
7.
Qu'il ne se lèvera, pour tout droit, que cent sols par
barrique de vin, et un écu pour celui du cru de la
province, à condition que les hôtes et cabaretiers ne
pourront vendre l'un que cinq sols, et l'autre que trois
sols la pinte.
8.
Que l'argent des fouages anciens sera employé pour
acheter du tabac, qui sera distribué avec le pain bénit
aux messes paroissiales, pour la satisfaction des
paroissiens.
9.
Que les recteurs, curés et prêtres seront gagés pour le
service de leurs paroissiens, sans qu'ils puissent prétendre
aucun droit de dîme, ni aucun autre salaire pour toutes
leurs fonctions curiales.
10.
Que la justice sera exercée par gens capables choisis par
les nobles habitants, qui seront gagés avec leurs greffiers,
sans qu'ils puissent prétendre rien des parties pour
leurs vacations, sous peine de punition, et que le papier
timbré sera en exécration à eux et à leur postérité,
pour ce que tous les actes qui ont été passés sur
papier timbré seront écrits en autre papier et seront
par après brûlés pour en effacer entièrement la mémoire.
11.
Que la chasse sera défendue à qui que ce soit depuis le
premier jour de mars jusqu'à la mi-septembre, et que
fuies et colombiers seront rasés, et permis de tirer sur
les pigeons en campagne.
12.
Qu'il sera loisible d'aIler aux moulins que l'on voudra,
et que les meuniers seront contraints de rendre la farine
au poids du blé.
13.
Que la viIle de Quimper et autres adjacentes seront contraintes
par la force des armes d'approuver et ratifier le présent
règlement, à peine d'être déclarées ennemies de la
liberté Armorique, et les habitants punis où ils seront
rencontrés ; défense de leur porter aucune denrée ni
marchandise jusqu'à ce qu'ils aient satisfait, sous peine
de "Torrében".
14.
Que le présent règlement sera lu et publié aux prônes
des grandes messes et par tous les carrefours et aux
paroisses, et affiché aux croix qui seront posées.
Signé
: TORRÉBEN
et les habitants.
"
J.Lohou (mars 2005)
Notes.
Torreben :
c’est-à-dire en breton : « casse lui la tête »,
sous-entendu avec le bâton appelé Penn Bazh.
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