Callac-de-Bretagne

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L'ARGOAT SECRET AUTOUR DE G UINGAMP
MÉCONNAISSANCE DE L'ARGOAT

Le moins qu'on puisse dire est que l'Argoat demeure mal connu. Il l'était des précurseurs du tourisme. Et il est bien amusant de relire Ogée, qui dans son Dictionnaire de 1778, décrit le bois de Carlios en Bourbriac ou situe la source du Blavet à Canihuel, celle de l'Aulne à Carnoët, puis dans la forêt de Duault. Bien qu'il prenne la précaution de précéder ses descriptions de la mention "Si ce qu'on m'a rapporté est bien exact", Ogée n'hésite pas à écrire qu'en Bretagne intérieure on ne voit que "des hommes sans activité, courbés sous le poids de l'infortune, sans espérance de pouvoir jouir d'un meilleur sort, des troupes de mendiants, des femmes, des enfants couverts de haillons, des malheureux de toute espèce". Hélas, cette situation était probablement vraie... Cent vingt ans plus tard, le Voyage en Bretagne d'Arnaud Dumazet (1901) ne consacre pas une seule ligne aux cinq cantons du Pays d'Accueil de l'Argoat, en dehors d'un bref commentaire sur le trajet ferroviaire Guingamp-Carhaix au long de la "triste vallée de l'Hyère". La Bretagne, de Dorange (1912) ne cite que quatre des quarante-deux communes du Pays. Quelques années plus tard, le Guide Thiollier donne sept noms, dont six en une ligne. Les Côtes-du-Nord (Hachette, 1924) décrivant Laurivain, Bulat, Callac, Pabre, expliquent qu'en Argoat le sarrasin tend à remplacer le seigle : le fonds de l'alimentation du paysan est constitué de bouillie et de galettes. Le Guide Conty de 1927 ne dit rien de notre contrée, mais il ignore tout autant le séjour de Gauguin et Bernard à Pont Aven quarante ans plus tôt. A la même époque André Suarès, dans le Livre de l'Emeraude, écrit : "La Bretagne va mourir. Demain elle sera riche. Peut-être illustre, à la manière des gueux d'âme, après avoir été tout le contraire, riches d'âme et gueux d'écus. Bientôt elle aura cessé d'être bretonne..."

Entre les deux guerres, Pierre Guéguen écrivait par contre : "Nous, routes de l'Argoat, nous menons à la désolation, à la solitude redoutable, à des paysages presque lunaires, pareils à ceux d'un astre mort".
En 1952, dans "la Basse-Bretagne", Auguste Dupouy considère que tout ce qui est à l'Est d'une ligne Bulat-Glomel doit être détaché de la Cornouaille.Il décrit l'église ogivale de Bourbriac, ignorant sa crypte romane, et déclare que Gurunhuel "offre l'unique exemplaire de calvaire à personnages qu'il y ait dans cette région", oubliant Laurivain, Senven-Léhart, St Corentin Carnoët, Plourac'h, Pestivien, l'Isle-Callac... Bulat est expédié en trois lignes !

Les ouvrages récents, s'ils ne sont pas écrits par des auteurs du cru, fourmillent souvent d'erreurs. Ainsi, sur la carte de l'ouvrage Dolmens et menhirs de Bretagne (éditions Pygmalion, 1981) découvre-t-on Corlay entre Saint-Brieuc et Ploufragan, Kerrien entre Bourbriac et Louargat. Sur la côte, Perros et Guirec constituent deux communes différentes ! Les très savants Dossiers de l'Archéologie, numéro spécial Bretagne 1975, situent Saint-Adrien près de la mer, Trégastel 22 aux lieux et place de Trégastel-Primel 29. L'aussi sérieuse Protohistoire de la Bretagne confond Carnoët, Côtes-du-Nord, et la forêt de Carnoët, Finistère.

Le Guide Kronenbourg de la Bretagne authentique, signé JM, cite dans son index un Bruz-Pestivien qui doit bien exister quelque part, puisque le texte est garanti authentique ! Le Blavet à Toul Goulic - trois mètres de largeur - est qualifié de fleuve. Les arcades de granit de l'ossuaire de Lanrivain sont dites tréfilées, ce qui signifie "converties en fil de métal de diverses grosseurs" !

Bien que riche d'informations précieuses, le Guide Bleu Hachette 1987 invite les touristes à admirer dans la Chapelle du Loc'h en Peumerit-Quintin des scènes de chasse disparues depuis trente ans, écorche les noms de villages, traduit Veuzit par bois, juge maladroit le calvaire de Lanrivain, et se perd dans les ossuaires et les roues à carillons. L'index vaut son pesant d'or, donnant vie à un Emile Gauguin, un Eugène Bourdin, une Grande Condé, une Viviane Merlin ! Non pas six, mais quatre personnages en quête d'index ! On regrette que Maxime de la Rochefoucauld et le Pirée n'aient pas séjourné en Bretagne.

D'autres ouvrages réputés comportent d'étranges lacunes. Le Guide Michelin ignore 28 de nos 42 communes. Jusqu'en 1987, malgré plusieurs appels, il méconnaissait le vaste lac de Kerné-Uhel créé huit ans plus tôt. Il ne croit pas devoir faire des régions de Callac et St Nicolas du Pélem l'objet de notices particulières. Sur sa carte des curiosités bretonnes, il ne juge "intéressant" en notre Pays d'Accueil que les Gorges du Corong, celles de Toul Goulic et le Menez Bré. N'ont pas droit à cette distinction : Guingamp, Bourbriac, Bulat, Loc Envel. Rien dans nos cinq cantons ne "mérite le détour", à plus forte raison ne "vaut le voyage». Seules les côtes bretonnes enthousiasment les érudits michelinesques. Un amateur de calembours de nos amis n'hésite pas à dire que ce jugement des Guides Michelin est un pneu décevant.
Dernier en date le guide du Routard Bretagne consacre 4 de ses 242 pages à notre Argoat, oubliant tout le canton de Bourbriac sauf deux lignes sur Senven, tout le canton de Callac sauf Bulat et Plourac'h, tout le canton de Guingamp, sauf tout de même Guingamp où il signale une rue Olivier-0llivro.  Curieusement six communes du Pélem sont traitées. Sans doute les auteurs se sont-ils tellement plu à Saint Nicolas qu'ils n'ont guère poussé leurs investigations au-delà du canton. A Bulat ils citent l'Ankou et la série de personnages grimaçants, puis une frise macabre dans l'église, alors qu'il s'agit de la même œuvre. Les lecteurs du Routard vont demander à faire ouvrir la sacristie pour voir une décoration qui se situe à l'extérieur.

Les auteurs bretons ne traitent pas mieux l'Argoat ! Mr Y .B. dans un ouvrage décrivant 85 châteaux bretons ne cite que celui de Coadout. Mr Y.P. cite un seul de nos vingt retables. Mr A .M. dans l'Histoire de Bretagne (Pri-vat) parle de "Bourbriac, dans les landes au Sud de Guingamp". Mme A.G. dans l'Histoire des Côtes-du-Nord (Bordessoule) déclare que "les sites de l'intérieur sont moins célèbres que ceux de la côte", ce qui est exact, et que "le répertoire n'est pas encore fait", ce qui l'est moins ! Mme D.D., excellente critique d'art, décrit à propos d'un tableau de Sérusier, dans Armen N° 9, "un type d'érosion de roches granitiques, tels que seuls en France le Sidobre et Huelgoat en donnent des exemples" ; elle n'a assurément pas visité les Gorges du Corong, ni celles de Toul Goulic. Les auteurs de l'exposition "Les Bretons et Dieu" citent les ossuaires toujours actifs de Lanrivain, St Gilles de Gouarec, et un X non précisé, oubliant Trémargat, Kerpert, Bothoa, Magoar, Trégornan.

Le seul exégète lucide est René Sanquer, archéologue brestois qui écrit en 1980 : "la Bretagne intérieure est une région délaissée par les érudits du siècle dernier comme par les universitaires d'aujourd'hui. Pourtant les témoignages du passé le plus ancien y sont peut-être plus facilement accessibles qu'ailleurs, car le pays, peu perturbé jusqu'à présent par l'évolution moderne de l'agriculture, a conservé de nombreux traits archaïques."

Quant aux documents officiels du Tourisme breton (1988), ils ignorent presque complètement notre Argoat. La luxueuse plaquette Détours Bretagne qui fait la part si belle aux châteaux à visite payante, ne cite chez nous que la crypte de Bourbriac, l'église de Lol Envel (sic), la Dérobée de Guingamp... Depuis des années le Président du Syndicat d'Initiatives de Callac, auteur de "l'Argoat secret", s'évertue à obtenir la reconnaissance de la richesse culturelle de l'Argoat, où palpite encore le coeur de la Bretagne ancestrale, la Bretagne magique, alors que d'autres contrées armoricaines ont délibérément choisi de donner la préséance à la Bretagne Nouvelle Vague, entreprise parfaitement louable quand elle prône l'aménagement de ports en eaux profondes, de marinas, de centres de thalassothérapie, voire même d'immeubles vendus par appartements, mais qui entraîne l'ouverture de discothèques, casinos, pizzérias et fast-food dont les appellations mêmes ébranlent les obscurantistes que bien des Bretons demeurent, à l'image du signataire de ces lignes.

L'Argoat des Côtes-du-Nord dresse devant les forces de l'uniformisation l'un des derniers bastions de la Bretagne mystérieuse, celle que recherchent de plus en plus les Français et les étrangers cultivés, avides de découvrir sources, sites, monuments, traditions, créations dont la conjonction constitue l’âme de l'Argoat.

A notre sens, on ne peut décrire valablement un pays que si l'on en a exploré les moindres recoins, jaugé les difficultés, varié les itinéraires. L'Argoat comporte encore des bouts du monde, c'est-à-dire des chemins qui se terminent en cul-de-sac. C'est souvent sans hésitation que l'inventeur de circuits relie deux curiosités distantes de quelques centaines de mètres sur la carte d'état-major. Dans la réalité, du fait de la topographie des lieux, un conque marécageuse, une lande les sépare ; ou bien le chemin n'est pas accèssible aux voitures. Voici nos touristes perdus dans le Hoggar de l'Argoat. J'entends déjà leurs récriminations. C'est dire avec quel sérieux doivent être rédigés les ouvrages aspirant à l'exhaustif.

Et pourtant qu'il est plaisant et émouvant de s'égarer sur ces chemins ruraux pas toujours bien signalés et de terminer dans une cour de ferme une tentative de dégagement marquée au coin de la haute stratégie militaire ! Les vaches sans se presser viennent renifler le véhicule. Peut-être préfèrent-elles le parfum des vapeurs chaudes d'essence à celui de l'aigrelet fourrage ensilé. Plus curieuse qu'inquiète, la fermière montre un instant la moitié de son visage derrière un rideau à fleurs qu'elle rabattra quand vous vous avancerez. Vous frappez à la porte. Elle arrive. Lentement, car elle réfléchit : qu'est-ce qui prouve que vous n'êtes pas huissier, commissaire de police, assureur ou reprémentant ?... Votre accoutrement ? Bermuda et chemise à fleurs, les mêmes que celles du rideau ? De nos jours c'est la tenue préférée des inspecteurs du fisc. Vous vous expliquez : vous voudriez savoir où se trouve la stèle armoricaine de Crec'h Even. Et la fermière, hochant la tête, de songer qu'il faut vraiment n'avoir rien à faire pour chercher Crech Even. Quant à la stèle armoricaine, qu'est-ce que ça peut bien être que ce machin-là ?... La courtoisie lui impose de vous venir en aide : "Crech Even ?... Ah oui !... C'est là qu’habite Maurice... Vous ne connaissez pas Maurice ? Enfin, remarquez, Il n'est peut-être pas là. Il est peut-être parti chez sa fille. Enfin, si vous voulez voir Crech Even, ce n’est pas difficile, vous allez par les maisons neuves de l'Etat, vous traversez, vous tournez à gauche puis à droite. Non, deux fois à gauche, une fois à droite. Vous pouvez pas vous tromper : c'est là qu'habite Maurice."

La stèle armoricaine, vous finirez par la découvrir une heure ou deux jours plus tard, après avoir pris un bon bol, deux bons bols, d'air. Au besoin vous reviendrez voir la dame : "Ah, c'est ce rocher-là !... Ah !... Il est vieux ?... C'est vrai que je l'ai toujours vu là ! ..." A la troisième visite, elle vous invitera à prendre le café et à raconter votre vie. A la campagne, on manque de distractions. Mais il est naturel que les autochtones prennent le temps d'observer les touristes, avec ce regard qu'un mouton darde de prime abord vers un chien-loup.

Si l'on est pressé par le temps, on aura avantage à se munir de bons guides (les nôtres), de cartes détaillées, d'une boussole, de jumelles, d'un appareil photographique et d'un magnétophone afin de ne rien perdre de l'environnement. Quelle que soit la saison, il faudra disposer de bottes, car on peut se trouver à l'improviste contraint de franchir un gué ou un chemin fangeux. Il faudra surtout s'armer de patience, car la chapelle isolée que vous désirerez visiter sera sans aucun doute fermée. Vous devrez enquêter alentour pour savoir qui détient la clef... Vous ne l'aviez pas deviné ? "Mais c'est Maurice qui l'a, la clef ! Et il n'est peut-être pas là ! Il est peut-être parti chez sa fille, à la ville... D'habitude, il s'en va pour la semaine... C'est hier qu'il a dû partir..."

Royaume des ombres, royaume de l'ombre... Le soleil n'y luit pas aussi longtemps que le souhaiteraient les photographes qui guettent les éclaircies. A peine va-t-il commencé à parader que surgissent de gros nuages qui voudraient l'envelopper d'un suaire. Le soleil se débat ; il ne va tout de même pas se laisser étouffer. Son trône est plus au sud, mais il a l'esprit conquérant. Quant à la pluie, je serais tenté de dire comme les Irlandais qu'en Argoat il ne pleut pas entre les averses. C'est une erreur que de prétendre que la Bretagne reçoit bien plus d'eau que d'autres provinces. Comme il se doit, le récent film "Chouans" commence par un déluge. En fait l'Argoat souffre souvent de sécheresse.

Chaque été la baisse du niveau des rivières compromet la survie des truites. Et même si, fort heureusement, il pleut quelquefois, je puis certifier que rien n'est plus beau que le vert des prairies illuminées par un soleil convalescent après la pluie, vers 16 heures en Avril, ou en Septembre ou en n'importe quel autre mois. Un vert à reflets mordorés qu'aucun peintre n'a su reproduire : le vert du printemps renaissant intimement mêlé à l'or des immuables automnes.



L'Argoat secret autour de Guingamp- Le Poher Méconnu- Dr Edmond Rébillé-1989.