Callac-de-Bretagne

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L'INVITATION AU CHATEAU

J'ai hâte à dimanche, Comtesse !...
En partant dès potron-minet

Et dépassant un tantinet
Les limitations de vitesse
Je crois que j'entendrai la messe
A la chapelle... Et puis les chœurs !
Si ces manants sur leurs tracteurs
Veulent bien cesser leur kermesse.


Nous irons d'une humeur charmante
En ce premier jour de printemps
Nous promener loin de vos gens
A travers champs, quelle détente !
Voici l'époque des semailles,
L'air embaumera le lisier,
Ce parfum dru qu'aucun rosier
Ne peut égaler en Cornouaille.

En écarquillant les oreilles
Nous chercherons à percevoir
Les chants d'oiseaux sur leur perchoir,
Pinsons, coucous, merles, corneilles...
S'ils ne sont morts dans la souffrance,
Empoisonnés par les engrais,

Les désherbants, même au marais,
Comme partout ailleurs en France.


Nous verrons au long des rivières
La truite flottant ventre à l'air
Avec des bubons plein la chair.
On en remplirait des civières.
Désormais vous pouvez permettre
Aux indigènes de pêcher
Dans vos étangs, sans plus chercher
Un motif pour les compromettre.

 

Je garde en mémoire la chasse
De l'an dernier, où j'ai manqué
Un pauvre faisan efflanqué
Qui volait bas !... Ce fut cocasse.
Je viens de lire dans la presse
Qu'un passant a cru entrevoir
Un écureuil près du lavoir,
Voilà qui me rend l'allégresse.


Il faut avouer que la nature
A bien changé. L'arasement
Des talus, le remembrement
Au seul profit de la culture
Ont bouleversé le bocage.
Nous n'avons plus de chemins creux,
Le fond des vallées est tourbeux,
Abandonné au marécage.


Souvenez-vous de notre enfance !
Nous attelions un hanneton
A une boîte de carton
Qu'il tirait avec élégance...
A l'aide d'une herbe piquante
Nous faisions sortir de son trou,
Si propret, le grillon grigou,
Arrêtant sa chanson clinquante.


On ne voit plus la sauterelle,
Cette athlète de la prairie.
Elle est partie en Algérie
Sur l'aile de la tourterelle.
Il n'y a plus de chanterelles
- La rime m'y a fait penser -
Ni de bolets à ramasser
Plein son panier... Et plus d'airelles !


Et si l'on cueille la châtaigne
En n'importe quelle saison
C'est que le mot par trahison
- Permettez que je vous renseigne -
Désigne la charge héroïque
Que l'on reçoit rien qu'en posant
La main sur le fil malfaisant
De toute clôture électrique.

 

Transformateurs et hauts pylônes
Hérissant le panorama
Attendent comme au cinéma
Le déchainement des cyclones.
J'aime la pluie qui nous distingue
Des Méridionaux indolents.
Mais j'ai horreur des vents violents
Transformant le ciel en bastringue.


A côté du dépôt d'ordures
Malgré les panneaux d'interdit
S'est installé, c'est inédit,
Un cimetière de voitures
Et de machines agricoles.
Entassées sur un vert coteau
Elles narguent votre château.
Ce sont les modernes idoles.


Pardonnez-moi, chère Comtesse,
Ces commentaires éplorés
Sur ces domaines colorés
Dont vous fûtes toujours l'hôtesse.
Nous oublierons devant la table
L'incurie et la pollution ;
Deux problèmes sans solution.
Le mal était inévitable.


L'eau déjà me monte à la bouche
Quand je songe à votre menu.
Nous aurons du brochet grenu,
Du magret de canard farouche,
Nourri d'hormones naturelles,
Un dessert non identifié
Et du cidre gazéifié.
Il est des joies intemporelles.

                                                                      J'ai hâte à dimanche, Comtesse!...


Sources.
Edmond Rébillé.
Extrait de son oeuvre : La vie n'est-elle qu'un long poème ???