Callac-de-Bretagne

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        Un récit haut en couleurs que fit en 1942 le recteur Joseph Sérandour, nouvellement promu à Duault dans une période  sombre des années de guerre...

Le lecteur jugera de la pertinence de ses propos...


 La Chapelle de SAINT JEAN de LANDUGEN. - (Archives paroissiales)

Une grande barque normande : poupe basse, proue élevée, exactement les détails dont s'illustrait mon histoire primaire. Son mât de Cocagne, ou si vous voulez, son clocher à jour, noir comme si on l'avait passé au goudron, est original. En le voyant trapu et râblé, tel un fantassin, je me dis : "en voilà un gaillard qui n'a eu que la peine de naître pour entrer illico dans l'immortalité : c'est un beau travail".
Les archéologues vous apprendront qu'il est construit dans le style breton le plus pur. Il doit être cousin germain des clochers du Loc'h en Peumerit et de Maël-Carhaix. Une même marque de fabrique se décèle dans les trois. Croyons-en les archéologues et admirons-y un produit du sol, l'enfant des picoteurs de pierres de chez nous qui y ont apposé leur sceau : l'escalier extérieur.
Dans les églises et chapelles, c'est une coutume bien établie de construire le clocher en dernier lieu, parfois longtemps après l'édifice lui-même et quelquefois même jamais.
A St Jean de Landujen, on a commencé semble-t-il par la tour. Les ouvriers ont ensuite entamé le transept et le chevet, laissant à quelques apprentis-maçons le soin de raccorder l'ensemble.
Ou plutôt, ce qui est arrivé est très simple : primitivement, la chapelle est d'une seule pièce et d'une belle venue. Puis l'âge et les intempéries ont lézardé et fait crouler les murs en certains endroits. La fabrique dont la caisse n'égale pas le cœur appelle le premier gâcheur de mortier venu et lui dit : colmatez-moi cette masure. Le recteur qui n'est pas forcément un artiste, mais qui devrait du moins être un homme de goût, se tait. Que n'a-t-il pas appelé un architecte afin que fussent évitées les fautes inexpiables dans le genre de celles de Landujen.

L'art est fils du désintéressement : la libéralité le développe, l'avarice le tue.


Ce méchant raccord est-il à jamais irréparable. En tout cas, il y faudra cet argent qu'on ne trouve que dans le sabot d'un cheval (de quatre-vingt à cent mille francs parfois : prix de guerre).

Peut-être aussi que ce chevet et ce clocher sont-ils l'œuvre des Templiers.

A côté de la tour, on voyait encore, il y a vingt ans, les restes d'un ossuaire assez considérable. Quand, après l'autre guerre, Duault s'avisa d'élever un monument à ses morts, il trouva tout indiqué d'y consacrer les pierres de l'ancien ossuaire. On aurait pu, dans l'actuelle grossièreté, en faire un emploi moins noble par exemple, en empierrer les routes. Où peut s'arrêter la muflerie des sectaires ayant perdu le sens du respect ?

Autre curiosité digne de mémoire : dans le sol du cimetière, auprès de l'escalier ouest, une pierre portant en relief le globe surmonté de la croix. D'où provient-elle ? de l'ossuaire ou des murs mêmes de la chapelle ? ... (Archives paroissiales) J'ai en vain cherché cette pierre.
On voit plusieurs rangées de tombes dans le cimetière. Autrefois, les morts du quartier y venaient dormir leur dernier sommeil. Eût-on compris qu'au temps de la captivité, ils allassent se faire enterrer à Callac ?... Actuellement, on n'enterre plus qu'au bourg. Mais la cloche de St Jean sonne le glas pour tous les décès du "bas" ou quartier.

Une croyance enracinée, c'est que les décès arrivent toujours par trois : tant que le chiffre fatidique n'est pas atteint, la cloche fait entendre un grondement souterrain très sensible.

Dans le cimetière, une croix chante l'espérance. La Révolution avait dû l'endommager. Hernot l'a réparée. La grand route du Pénity a coupé le cimetière en deux. Le calvaire ne lui a échappé que de justesse. Il manque à St Jean une bonne clôture, tant pour le défendre des garnements que des bêtes. Et toujours la question des fonds se pose...

Allons maintenant présenter nos hommages au saint Patron. Quoi ! le Précurseur, celui-là ?... La tête est bien celle de St Jean-Baptiste, mais les emblêmes : glaive, livre des épîtres, sont de Saint Paul. L'aigle qui est aux pieds de la statue est l'emblème de St Jean l'Evangéliste. Cette confusion mettait en colère le bon M. Prigent. Il n'y a pourtant pas de quoi fouetter un chat. Les saints ne sont pas accapareurs; ils ne prétendent nullement avoir la possession exclusive de tel ou tel instrument de supplice. Si c'est pour avoir été décapité au moyen d'un glaive qu'on attache cet emblème à St Paul, j'estime que St Jean y a autant de droit que lui, à moins de soutenir - ce qui me paraît invraisemblable - que la décollation [1] du rude Précurseur a été faite avec un couteau de cuisine ou de boucher. De même, au titre de la parole vivante, efficace, singulièrement pénétrante, le baptiste le cède-t-il beaucoup au docteur des nations ? Ne sont-ils pas, l'un et l'autre, des "sabreurs" ? Longtemps avant sa cruelle mort, l'image du glaive dont il devait périr hantait l'esprit du précurseur : "Il faut, répétait-il, que je diminue"...  J'absous donc bien volontiers l'ouvrier sculpteur qui accole le nom du Précurseur de l'Agneau à cette statue armée. Mais je condamne ceux qui ont badigeonné tous les ouvrages en pierre, même sculptés, que compte la chapelle.

Mêmes remarques pour l'aigle. L'intuition du baptiste égale celle de l'évangéliste.

         
L'arbre de Jessé (Détail du vitrail de la basilique de Saint DENIS)                                                               

A remarquer une belle statue de la Sainte Vierge, sortant de la tige de Jessé, [2] sommeillant, la tête sur la main. A côté, sur le même socle, une petite figurine a l'air de tendre une pomme : Eve, notre première mère.
Il y a aussi une statue archaïque de Ste Anne, assise dans une chaire du Moyen Age, outre la Ste Vierge et le petit Jésus, une autre de St Ivy, dont il existe une fontaine à proximité de la chapelle.

Une ébauche de statue mariale encore qui remonte peut-être au temps de la fondation. A quelle date ?...

Dans le transept, enfin, du côté de l'Evangile, beaucoup plus soigné, un sacraire, une niche dont le tympan triangulaire est soutenu par des colonnettes engagées. Le Christ qui montre ses plaies, deux anges avec les clous et la couronne d'épines.

Plus bas, St Pierre et St Paul"fundamentum apostolorum" (socle des apôtres).

Du côté de l'Epitre, dans le chœur, la statue de St Tujen qui a donné son nom à la chapelle. Le quartier, dit-on, lui fit mauvais accueil à son arrivée.


Notes.

[1] Décollation : action de couper la tête.
[2] Tige de Jessé : branche d'où descend la Vierge par le roi David et qui de David remonte à Jessé.
  Le saint ne fut pas tendre pour le Noguel et lui annonça des veuves. (Note originale)

[3] Pénity : le nom de Pénity (maison de pénitence) rappelle l'ermitage de St Tujen; la chapelle qui lui était dédiée se trouvait face à celle de Notre-Dame sur la rive gauche de l'Hyères. (Note originale), piqué au vif, il s'éloigna de ce sol inhospitalier et alla bâtir son pénity du côté de l'Hyères. Il gagna le lieu de son repos en deux enjambées. Le boulet du péché n'entravait pas l'homme de Dieu. Le pas du départ resta empreint dans un rocher qui était tout auprès du Noguel . - En 1911, on a fait sauter le rocher miraculeux et casser en petits morceaux pour servir à la construction de la route du Pénity.

Sous prétexte de consolider le chevet de la chapelle, mon prédécesseur a condamné la sacristie. Cette réparation aussi est une horreur. "Cela s'appelle cochonner le métier" comme disait M. Merrien, peintre à St Nicolas. - Observons pour finir que l'ogive et la renaissance s'entremêlent à St Jean.

Joseph Sérandour, rect...




Joseph LOHOU(-août 2012)