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Callac-de-Bretagne |
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Les cruelles leçons de la collection de Penguern
On
vient de voir qu'Halléguen a fait, en séance, allusion à la publication
prochaine, de la collection de Penguern, dont la Société d'Emulation
des Côtes-du-Nord avait publié les Vêpres des Grenouilles. Cette
collection, formée par ce gentilhomme de Taulé, pour répondre à l'appel
du ministère Fortoul, en 1851, après le coup d'Etat de décembre, et un
peu sur l'initiative de Souvestre, resta, après sa mort, entre les
mains de sa veuve. Tout le clergé des environs, nous dit Luzel, vint y
fouiller. Les pièces les plus scabreuses, et il y en avait,
disparurent. Enfin, un dernier ecclésiastique, un peu cousin de Luzel,
l'abbé Daniel, de Ploumiliau, près Lannion, fut chargé, par Mme de
Penguern, de procurer la vente de la collection au mieux de ses
intérêts. L'abbé transporta la collection à Guingamp, au moment du
Congrès Celtique, et la déposa chez M. Gaultier du Mottay, où la vit
Halléguen, où la visitèrent, également, Luzel, La Villemarqué, Le Jean,
Milin, Le Scour, du Cleuziou.
Le
Scour, du Cleuziou et Halléguen, en désiraient la possession. Le Scour
en parlait avec enthousiasme. Une société se forma pour l'achat et la
publicité du Barzaz-Penguern, comme ils l'appelaient. Mais du Cleuziou,
sans rien dire, traita seul, emporta la collection pour 300 francs
.offrant à Luzel d'y entrer pour moitié. Luzel accepta à condition que
le dépôt en fût fait à la Nationale ou à la Bibliothèque de
Saint-Brieuc. Quand La Villemarqué, Le Scour et Halléguen se virent
ainsi joués, — on ne voulait pas, à Saint-Brieuc, que la collection
tombât entre les mains de La Villemarqué, — ils poussèrent les hauts
cris. Du Cleuziou et Luzel furent menacés d'un procès. Halléguen,
voyant après consultation que le procès serait perdu, alla voir Luzel à
Lorient, demandant à entrer pour un tiers dans la propriété. « Comme il
est poli contre son ordinaire » dit expressément la lettre de Luzel à
Gaidoz, en date du 24 mars 1882, lettre dans laquelle nous puisons ces
détails, Luzel n'y vit pas d'opposition, n'ayant pas l'intention de se
servir de ces papiers pour ses Gwerziou ha soniou, dont la publication
était commencée.
M.
du Cleuziou consentit à introduire Halléguen, non sans quelque
répugnance dans la combinaison. Halléguen alla voir du Cleu-ziou, à sa
campagne de Plounévez-du-Faou, et porta, dans sa voiture, toute la
collection. Une fois ces manuscrits.chez lui, il les considéra comme sa
propriété et refusa toute communication. Les Loups de Mer, publiés dans
le premier volume des Gwerziou, ont été communiqués à Luzel, par du
Cleuziou, avant la cession à Halléguen, ainsi que les proverbes et
dictons attribués à Gwenc'hlan. Ces deux pièces ne se retrouvent pas à
la Nationale.
Luzel
se rendit à Châteaulin, près d'Halléguen. Il fut reçu froidement, et
après une assez longue visite, près du feu, quand il fut question de
voir la collection, le docteur répondit qu'il avait une opération
délicate à faire. Devant ce mauvais vouloir, Luzel se retira.
Quinze
jours après, Luzel écrivait à Halléguen que son droit de propriété
était illusoire. Halléguen se rendit à ses raisons et remboursa la
quote-part de Luzel et celle de du Cleuziou. Ainsi il resta maître de
la collection.
Nous
savons qu'il la donna à la Bibliothèque Nationale quelque temps avant
sa mort. Mais de quelle façon? Nous l'ignorons. Elle figure dans le
fond celtique du tome 89 cote tome 100, mais les tomes 111 et 112
comprennent
d'autres éléments acquis par une autre voie (C. F. An Oaled, 3e
trimestre 1932, p. 580, sous la signature d'Hervé Ar Men).
On
se demande pourquoi Halléguen, qui n'était ni poète, ni philologue, ni
guère folkloriste, s'empètra (le ce dépôt, dont il ne fit communication
à personne. Vers 1875, il fit, il est vrai, courir le bruit qu'il
allait publier la collection. N'eut-il d'autre but que d'empêcher qui
que ce soit d'y puiser? litant donné son caractère, rien d'impossible à
cela... Halléguen, au début de la campagne de presse de 1872-1873 du
Finistère, sous la plume d'Hémon et de Luzel se retourna, comme 'Le
Men, vers La Villemarqué. Le Men fit connaître, par la voie de la
presse, qu'il était étranger aux écrits actuels contre le barde de
Nizon. Halléguen protesta près de Luzel, dont il jugea la brochure
blessante, pour La Villemarqué, dans la forme et dans le fond, et lui
reprocha (le l'avoir, lui-même, cité inexactement. Il préciserait,
dit-il, sa pensée, dans son Essai d'Histoire Littéraire de Bretagne
encore sous presse. Il invitait son correspondant à prévenir de son
erreur, Gaidoz, d'Arbois de Jubainville et Barthelemy. Luzel se
contenta de signaler le fait au seul Gaidoz.
13. — Les Frères Ennemis
On
trouve, également, d'Halléguen, une lettre du 26 octobre 1872, donnant
rendez-vous au libraire Salaün, que Luzel appelle le fougueux "torr-e-benn", l'un des adversaires les plus décidés, avec Guinebault, directeur de L'Océan, de l'auteur des "Gwerziou ha Soniou"
dans cette question du Barzaz-Breiz, vite glissée dans la politique.
Halléguen se rendra, le dimanche suivant, à Quimper, pour une réunion
médicale, et Salaün le trouvera au Musée, entre midi et une heure.
Qu'il ait bien soin de recueillir ses souvenirs afin de ne rien oublier
avant le train de 2 heures ! D'ailleurs il blâmera Salaün (l'avoir, en
son premier article, envenimé le débat.
Ces
sautes d'opinion, Luzel affirme ne pas y attacher d'importance, car
Halléguen est changeant. « Il se prépare, dit Luzel, à parler, à tort
et a travers sur toutes les questions, ou à peu près, et à réclamer,
partout, la priorité. Il n'y a qu'à le laisser dire, personne ne le
prend au sérieux. » Quand Halléguen demandera à Luzel son sentiment,
sur son fameux Essai, il lui sera répondu « qu'après avoir lu son
livre, on ne sait au juste quelle est son opinion sur les méthodes de
La Villemarqué, qu'il se contredit, faisant deux pas en avant pour
reculer de trois, à la page suivante ».
Il
est certain qu'Halléguen, plus scrupuleux au fond qu'on ne le pensait,
est dépassé par cette question du Barzaz-Breiz, que rien dans sa
culture, ni sa façon d'estimer les valeurs, ne le prépare à juger. Les
hommes en présence sont emportés par la passion, et le souci du clan
social et politique tient autant de place que la critique... Ecoutons
Luzel se rendant au Congrès de Quimper, en 1873. « Il me revient de
tout côté, écrivait-il à Gaidoz, qu'on me prépare une réception et une
chaude bataille à ce Congrès. On s'attend à m'y voir arriver, en
compagnie (le nos amis de Paris (Gaidoz, d'Arbois de Jubain-ville,
Renan) et on fourbit de vieilles armes et on concerte des plans
d'attaque, des arguments ad hominem, a priori et autres. Hélas, nos
amis de Paris sont loin en ce moment. Mais mon ex-ami, l'inventeur de
Vorganium, le « spiritueux » archiviste que vous connaissez (il s'agit
de Le Men qui s'adonnait à la boisson); le sanglier de Kastellin
(Halléguen): le fameux Torr-e-benn (Salaün); le crapaud (Millin); sans
doute l'archibarde (La Villemarqué): MM. de Kerdrel, de Blois,Morin (de Rennes), et je ne sais combien d'autres, seront à leur poste. »
Un
tel état d'esprit en dit long. Nous savons, hélas! par expérience,
nous, les tenants de la même cause à la génération suivante, que le
mouvement breton souffre toujours des dissentions inhérentes aux
faibles hommes... Gaidoz gourmandait son correspondant à ce sujet, et
Luzel de lui répondre
«
Ah oui! comme vous le dites, quel dommage qu'on ne travaille pas
uniquement pour la Science elle-même, et non par ambition,
amour-propre, ou pour éclipser des rivaux qui demandent aussi leur
petite place au soleil... Mais vous conviendrez qu'il ne faut pas
toujours se laisser manger la laine sur le dos et qu'il est bon de
montrer, quelquefois, les dents, à ceux qui veulent faire les loups...»
Et
nous nous le demanderons, que fit de plus celui qu'on appela le
Sanglier de Saint-Idunet, que d'envoyer quelques coups de boutoir à
ceux qui voulaient lui ravir sa place au soleil.., dans la lutte pour
ce qu'il croyait être la vérité?... Ce ne fut pas un Saint, mais un
Breton de bonne volonté que Halléguen et sa mémoire honorable valait
que nous le fassions sortir un moment de l'oubli!
BIBLIOGRAPHIE
ŒUVRES D'HALLÉGUEN : Les Celtes, les Armoricains, les Bretons.
Nouvelles recherches d'Archéologie, de Géographie et d'Histoire sur
l'Armorique bretonne (1859).
Armorique et Bretagne, origines armorico-bretonnes (1864). Histoire politique et religieuse.
Essai sur l'Histoire littéraire de l'Armorique (1873).
La Cornouaille et Corisopitum (1861).
Lettres
manuscrites de Luzel à Gaidoz, Bibliothèque municipale de Rennes, don
de M. Joseph 0llivier. Lettre cotée 105, du 24 mars 1862, et relative à
la collection Penguern.
H.
Gaidoz, Revue Celtique, t. IV, p. 132 (Quatre lignes d'oraison
funèbre). Bulletin de la Société cl'Emulation (les Côtes-du-Nord.
Compte rendu du Congrès celtique de 1867 (Séance du 18 octobre).
Association
bretonne. Bulletins 1841 (Quimper); 1851 (Nantes); 1855 (Brest): 1857
(Redon); 1873 (Quimper); 1875 (Guingamp); 1877 (Savenay).
Société
d'Archéologie du Finistère, bulletin volume VI (1878-1879) : Louis
Duchesne et E. Ernault, Revue de Bretagne et de Vendée (1885), Nantes;
Lavocat (sic) et Cathiern, prêtres bretons du temps de saint Melaine;
Louis Duchesne, Fastes épiscopaux.
N.
B. — La Bibliothèque municipale de Nantes possède, depuis quatre ans,
la collection des fiches, formant la suite de la bio-bibliographie
bretonne de Pocard-Kerviler, œuvre arrêtée à Guépin (inclus).
Malheureusement le classement n'en étant pas fait, nous n'avons pas pu
avoir communication de la lettre H.
Les
Annales de Bretagne (Hernies) ont publié des lettres de Le Men à Luzel,
sur la collection Penguern (t. XLIV, 3 et 4, p. 374).
La
thèse Halléguen a été reprise en 1902 par feu le R. P. Jouan (de
Carnoêt) dans un débat contre J. Trévédy, et par feu Albert Travers (de
St-Pol-de-Léon), dans une étude serrée dans la Revue de Bretagne, avril
1909-1911.
Notes.
Ce texte est extrait du journal "An Oaled " (Le Foyer Breton) du 2ème trimestre 1939. (AD29)
Joseph Lohou (août 2015)
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