Callac-de-Bretagne

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Cette lettre de Joseph Paradis, d’un style simple et naïf, d’une difficile compréhension pour un non initié aux complications de cette période trouble de la chouannerie, est publiée in extenso, sans correction, ni modification.

 

Lettre de Paradis à Monsieur le Comte de Quélen.

 

« Comme il est d’usage que les persécutés se racontent leurs malheurs, je vais vous raconter seulement mon dernier qui mérite votre attention et celle de toute personne honnête et sensible.

M. Le Paige Debar, chef royaliste, mon très  intime ami, libérateur des prisonniers de Saint-Brieuc, du nombre desquels l’intéresseraient davantage, rapport à leur famille et non à leurs services alors au parti royaliste, Penanster fils et Even, le premier nouvellement sorti de l’armée républicaine, de bonne volonté et par prudence. Penanster prit alors partie avec les chouans, Even n’y entra que par peur et menacé de son beau-frère, joint à la peur de retomber entre les mains des républicains. Lorsque Louis XVIII ordonna de mettre bas les armes, je fus à la prière d’Even, avec M. Thatton, conduire M. Debar, Penanster et autres officiers sur les côtes de Pontrieux pour aller en Angleterre ; Even fut depuis voir ces messieurs, il se chargea de la correspondance. M. Debar repassé par ordre des Princes en France, avec ordre de les aller rejoindre s’ii ne recevait sous peu un paquet du Papa(nom de Georges Cadoudal. Debar communiqua sa commission à Even, les personnes qu’il a vues depuis sa rentrée ; ensuite Debar me fait passer un paquet à l’adresse de Louis XVIII, je la remets à M. Penanster, père, pur et zèlé royaliste, celui-ci le fait rendre à Even de suite. Et à six jours ensuite, trois espions du préfet des Côtes-du-Nord, Piltain, Lavasseur, deux gendarmes et l’ex-chouan Tarillon courent les campagnes, vont au bourg de Callac(où il y a toujours une garnison de gendarmerie), descendent chez l’aubergiste Le Poder, demandent Even et à celui-ci s’il y a quelque lettre pour son beau-frère, que le gouvernement savait resté en Angleterre. Il leur dit non, mais bien un paquet Debar pour Louis XVIII, il s’en fut pour le prendre. Le nommé Benoît Lanargue(Lafargue), greffier de la justice de Paix, lui fit plusieurs observations, surtout qu’il s’exposait à faire commettre les plus grands malheurs en donnant le paquet. Il retourna chez Le Poder et dit à ces trois monstres que le paquet était parti et leur indiqua les personnes et demeures par où il passait avant d’embarquer par Jérôme Carsin au beau-frère, bâteliers ; il leur donna un guide pour les conduire à Pestivien chez Lhostis-Kerhor et fit les devancer de quelques minutes au second express portant la paquet qu’il avait chez lui depuis 5 à 6 jours. Les espions, par le zèle et activité des autres personnes chargées de la correspondance, ne purent attraper le paquet qu’à Lanvollon chez le frère de Lhostis-Kerhor de Pestivien. Les trois espions le déposèrent au Préfet, celui-ci le fit passer au Ministre ; huit à dix jours après un agent de police de Paris, portant le nom de Millet(valet de Quimper) vint arrêter et fouiller la demeure d’Even, qui, depuis qu’il avait fait prendre le paquet, n’écrivait ni ne voyait Debar ; il fut conduit à Saint-Brieuc, au Chapeau Rouge et gardé par des gendarmes. Interrogé par le Préfet et de nouveau par Millet, au bout de quelques jours, il est renvoyé libre. De suite, il m’écrivit de me rendre avec M. Chatton, chez Le Coz, à Trébrivan, que Debar était par lui invité aussi de s’y trouver, qu’il avait les choses les plus intéressantes à nous communiquer à tous les trois. Chatton et moi, rendus à brume de nuit, nous y trouvons M.Debar avec le brave Duverger. Aussitôt arriva aussi Jérôme Blanchard, envoyer par Even pour s’informer si on s’était conformé à sa lettre. Blanchard voulant aller rendre réponse à Even, je communiquai mes soupçons à M. Debar, qui crut comme moi que c’était un piège qu’Even nous tendait. En conséquence, on somma Blanchard de rester jusqu’à notre départ. Debar sentit la nécessité de hâter son départ et de retourner en Angleterre. Deux jours après, il m’écrivit de prier M.Allain-Launay de Coat-an Noz de lui frêter une embarcation à Tréguier. Ce qu’il fit de suite  en présence du Braz, tonnelier, courrier de Debar. Even ayant apporté Blanchard pour savoir du Bras où se retirait Debar depuis qu’il avait quitté la demeure du Coz, Blanchard rencontre par malheur Le Bras et le soûle et lui fait dire d’où il venait. Blanchard dit à Even le jour du départ de Debar et qu’il devait se trouver à Parc-ar-Mestr à cette heure avec Launay et Le Bras. Even fit part de çà à Goudelein, lieutenant de gendarmerie, qui se rendit avec 200 hommes au lieu indiqué.

Ce jour-là même, les dames Penvern et Barac’h Kergoul.. me firent passer un paquet qui, par miracle où hasard venait de Georges . De suite, je le fis porter par Michel Arradon à M. Debar, qui le reçut peu d’heures avant son départ qu’il n’effectua point par les ordres de Georges.

Goudelin et le Préfet prirent cet avertissement d’Even pour une supercherie et mauvaise foi et on l’arrêta avec 28 individus qu’il avait désignés comme les hôtes habituels de Debar, et les autres comme courriers, Chatton et moi comme guides et aussi affidés ; Launay pour avoir frêté la barque. Son beau-père ne fut point à couvert du dénonciateur et fut conduit à la prison de Saint-Brieuc.

Mon interrogatoire dura plusieurs heures car j’étais chargé de dire, d’avouer que j’avais été avec Debar chez M de Feuvre du Laurelag, Keranguével, Paule en Glomel, la famille des Manac’h à Trégarantec, les Jégou du Lac, Melle Tréauret Kerbrat, les demoiselles Barac’h, famille Kerdaniel et ceux qui s’y trouvaient et ce qu’on n’y avait  dit.

J’ai renié le tout et démontré l’impossibilité du tout avec bonté. Le Préfet honnêtement me crut plus véridique et sincère que mon dénonciateur monstre Even.

Trois ou quatre jours après mon interrogation, aux aguets de la conduite d’Even et de ceux qui le venaient voir et de leur conversation, j’appris par Even son neveu qui disait « Mon oncle quand ma tante Even recevra des lettres de votre ami de Paris, elle vous fera rendre chez l’abbé Floyd, qui les donnera à la religieuse qui passe soigner les malades de la prison. Je mis le jeune Kerhor dans cette confidence et je priai le commis … ami du concierge Huet(qui est encore concierge) de m’avertir quand cette dame fût entré, que je voulais effectivement savoir si elle avait des connaissances de l’art de guérir, amis n’y manqua pas, et moi à lui demander de ses nouvelles et de celle de l’abbé Floyd, et si elle n’était point chargée d’un paquet de sa part ; elle répond que si, pour M.Even ; je lui dis le voilà en lui présentant Julien Kerhor qui s’empara du paquet.

On fit assembler notre bande et on en prit lecture à l’insu d’Even. M. Launay fit une lettre pour le Préfet qu’on remit avec la lettre de Valet, dit Millet, qui reprochait à Even d’avoir trompé le gouvernement et Goudelin ; qu’il avait promis de faire perdre Debar ; qu’il l’a trompé lui-même en lui annonçant avoir chargé à la porte 600 francs pour dédommagement de ses frais de route ; que s’il tenait à sa parole qu’il le saurait, qu’il ne se mêlait ni ne répondait que de lui seul.

Le paquet recacheté et sous une enveloppe avec la lettre de M. de Launay, qui priait le préfet d’examiner la conduite de notre bourreau avec l’agent du Gouvernement.

Je m’emparais du paquet et je fis le même Kerhors aller dans l’intérieur de la prison appeler M. Huet et se cacher aussitôt Huet sorti de la geôle ; j’ai fourré le paquet dans le dressoir entre les assiettes ; mettant le couvert pour  souper, on trouva un paquet à l’adresse du préfet sans découvrir de qui ni par qui ; il le porta chez le  préfet qui fut tout étonné, fit de suite appeler Even, qui, à la lecture, fut étonné à son tour et désespéré et confessa la vérité, il entra en fureur et désolation en prison de cette fâcheuse aventure et heureux pour nous car elle servit à nous empêcher de couper le cou et à signaler comme l’assasin de son libérateur et de celui des innocents dont il trompa la bonne foi.

Enfin par le temps le plus rude et sans nous donner le sel, on nous conduisit à Paris à pieds, de cachots en cachots, au milieu d’une forte colonne dont étaient en tête deux des espions qui avaient espoir d’avoir la croix de mérite ou grade d’officier de gendarmerie.

Dans le cours de toutes ces vérités, il en est d’essentielles auxquelles on doit porter encore bien plus d’attention.

C’est quand le paquet fut prit( !), Picot, Bourgeois et Quérel étaient en prison depuis plusieurs mois à l’abbaye Saint Germain à Paris, arrêtés comme suspects, par l’imprudence d’une lettre écrite de Quérel à Blouet, apothicaire à Vannes, son beau-frère, qui par malice ou autrement fut cause que cette lettre de Quérel tomba aux mains du préfet qui la fit passer au Ministre de la Police. Quérel disait par sa lettre «  Je suis à Paris depuis….. je suis logé à…..(effectivement on l’y trouva avec un de ses camarades), il disait de plus « en sous peu sautera la tête du petit caporal…. »

Ces trois jeunes gens furent mis en jugement, manque de preuves suffisantes, on les garda par mesure de sécurité.

            Le Ministre, après que Millet eut arrêter et interrogé Even, ayant dit que Debar lui avait assuré que les principaux chefs de la conspiration de Pichegru, Moreau, Georges étaient avec eux à Paris ; le ministre fit défense à tout préfet de délivrer des passeports pour Paris et fit fermer les barrières, au bout de plusieurs jours de recherches, ne trouvant personne, on considéra ces trois individus comme faisant partie de l’affaire Georges.

On les condamna à mort, au moment qu’on les apprêtait à la Conciergerie, Quérel dit au bourreau et à Viar »que l’on me donne ma grâce, je ferai une révélation qui sauvera la France et le 1er Consul ». Il fut mené chez Réal et dit que lui et ses deux camarades étaient venus devancer ces messieurs et leurs préparer des logements ; on fusilla Picot et Bourgeois dans la plaine de Grenelle ne voulant rien avouer.

Even est donc la cause du jugement de ces trois individus, Even est donc cause que Quérel divulgue l’antre de Georges etc…et fait prendre ces messieurs, cause de leur jugement et de leurs morts à laquelle ils pouvaient se sauver sans lui et son camarade de Quérel. Il est donc cause de la mort de Picot et Bourgeois, rempli d’honneur et de courage ; il est cause que je suis borgne, la mort de plusieurs de mes camarades de fatigue, peine et chagrin et de grande partie de leur ruine et malaises des autres.

Ne serait-il pas possible d’avancer avec une certaine force de justice et de raison que sans sa conduite que Bonaparte n’eût peut-être pas songé à l’assassinat du Duc d’Enghien.

Je laisse ces réflexions noires à de plus savants et plus pénétrants que moi, qu en frémis d’horreur.

L’ancien préfet existe encore et le même concierge Huet qui ne renieront point plus que moi les faits à leur connaissance comme ceux à la mienne.

Comme M. le Comte de Goyon en est légèrement instruit, on peut lui faire passer une copie de ceci et pièces au soutien, même au Ministre afin qu’on élève point en dignité les ennemis de sa majesté, car ça indigne et révolte la nature humaine, un traître est en horreur à toute partie, surtout de ce genre et nature. On doit renier de tels êtres pour amis, même pour parents ; il n’eût été l’un et l’autre avant sa conduite, qu’il ne se serait depuis rien que l’objet du plus profond mépris.

Je confie tout à votre sagesse et prudence, ma conscience et les propos publics ; qui est indignée que l’on a trompé ainsi la bonne foi publique,, me fait un devoir de vous faire part de ces faits.

L’ancien préfet fut tellement indiqué de la noire conduite d’Even qu’il avait en horreur et qu’il nous interrogea sans passion, ni humeur, justice que lui ont rendue tous mes camarades et que je lui rendrai toute la vie.

 

Signé : Paradis

 

                                                                                                J.Lohou(nov.2004) 

Sources : AD22-série 3 M-art. 285- 3 U 2-art. 12

   Notes sur Joseph Paradis, officier de santé, médecin, château de Kerjégu à Rostrenen en 1822.

(Voir "Les bagnards " de Jean Kergrist , page 66)

Habite en 1823 au château de Kerjégu à Rostrenen- candidat au poste de médecin à l'hôpital de Rostrenen en 1822, il ne sera pas retenu et c'est son rival et gendre le docteur Rolland Goëllo, chirurgien de le Marine en 1810 qui prend sa place.

Le 13 décembre 1815, Joseph Paradis est nommé par Napoléon Juge de Paix du canton de Maël-Carhaix en remplacement de Fourrier. Il est encore juge de Paix en 1827 lors de la prestation de serment le 25 octobre du greffier de justice Julien Marie Quéméner et c'est son gendre, Rolland Gouélo, le docteur en médecine comme lui, qui lui succède comme juge de paix du canton de Maël-Carhaix le 14 novembre 1830.

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