Callac-de-Bretagne
 
 

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L’affaire de l’octroi de Callac en 1840

(Sources complémentaires)

  Préambule

 

L’affaire de l’octroi de Callac au printemps de l’année 1840, qui vit toute la population de cette petite ville se rebeller contre une mesure édictée par une municipalité sourde aux réclamations de ses administrés, a été publiée dans le «  Pays d’Argoat « Revue d’Histoire et d’Archéologie des cantons d’Argoat au 1er semestre 1991.

 

      Un document retrouvé récemment dans la série U des Archives départementales des Côtes d’Armor, apporte une nouvelle réflexion sur cet événement qui affligea grandement les habitants de la petite ville et ceux des alentours.

 

Situation économique du canton

 

Depuis la Révolution, la petite cité de Callac avait vécu sous une administration plutôt débonnaire, avec des magistrats municipaux que l’on disait faibles et peu actifs. Une gestion qui dans la crainte de s’aliéner les esprits n’osait rien entreprendre, ni apporter d’amélioration notable. Les impositions locales étaient pratiquement inexistantes et les règlements de police quasiment inconnus. L’esprit mercantile était dans tous les esprits et Callac placé au milieu du canton se prêtait à la spéculation et à l’industrie, ses habitants s’enrichissaient.


Plan de la place du Martroy en 1833(Cadastre AD22)

On distingue la halle avec la chapelle Ste Catherine sur la droite,  la rue des Portes au Sud
et les trois rues du Tréguier, du Four et Jobic au Nord .

 

En une vingtaine d’années, nombre d’habitations, autour de la place, avaient été construites ou rénovées ; les commerces étaient libres de toute entrave, les négoces de beurre et bestiaux rapportaient gros. Beaucoup d’abus s’étaient déclarés et la commune, se développant, était toujours sans ressources et revenus. La municipalité n’arrivait plus à subvenir à ses besoins grandissants.

La halle était en ruines, les rues non pavées et pleines de cloaques en hiver, il n’existait aucun édifice pour recevoir une école. Le presbytère qu’occupait l’ancien curé de 1820 à 1838, Placide Guillermic, maintenant à Bégard, avait été négligé et délaissé. Un tableau bien sombre d’une petite cité, dressé par une partie de la population, qui était fortement opposée à la municipalité en place.

 

Les municipalités précédentes.

 

De 1800 à 1840, six maires s’étaient succédés à la tête de la municipalité et dans la gestion des affaires de la cité, du Consulat de Bonaparte à la  Monarchie de Juillet de Louis Philippe en passant par le Premier Empire de Napoléon 1er, la Monarchie de Louis XVIII, sans oublier les Cent Jours de 1815.

 

·         Le premier maire cité en 1800 est le notaire Jean Yves Guillou, originaire de Guingamp, qui arrive à Callac en 1779 où il épouse une fille Le Gouez, il participe aux premières municipalités en 1790, est nommé maire en 1800. Il décède en 1811 et est remplacé par Jérôme Alexandre Guiot.

·         Ce dernier, également notaire, est célibataire, fort capable mais de faible constitution ;  c’est un personnage haut en couleurs issu d’une famille originaire de Champagne. En effet, son père Nicolas, Maréchal des Logis au régiment  Royal-Cravates[1] ou Croates en garnison à Châtelaudren en 1750 épouse une fille Vauchel de Callac, puis au décès de cette dernière une demoiselle Yvonne Bossard de Belle-Isle-en-Terre dont il aura 17 enfants. Cette famille va marquer l’histoire de Callac jusqu’à la fin du 19e siècle en donnant quatre maires à la commune et en s’alliant avec toutes les lignées représentatives de la région. Par sa branche maternelle, les Bossard, Jérôme Alexandre était un petit-cousin du célèbre général Jean Victor Moreau.

 

 

 
Jean Victor MOREAU, (Morlaix 1763-Lahn 1813)
Général de la Révolution et du Consulat


Jérôme Alexandre, d’abord avocat, législateur, puis procureur fiscal et major de la garde nationale,  il  fut le seul représentant de la municipalité à la Fête de la Fédération à Paris le 12 juillet 1790 et la petite histoire l’affirme, il revint à pied de Paris à Callac en trois semaines.  Élu député des Côtes du Nord au Conseil des Cinq-Cents en l’an VI et VII, il devint membre du Conseil général par arrêté du 12 prairial de l’An VIII. Nommé maire par le préfet Jean Pierre Boullé[2]  en 1808, son mandat dura de cette date à 1814, l’année de sa disparition, il avait 54 ans. Le sous-préfet de Guingamp parlait de lui comme d’un magistrat instruit, intègre, et qui jouissait d’une confiance et d’une estime bien méritée.

·         Le troisième maire nommé par le nouveau Préfet, le Comte de Goyon, en 1814 s‘appelle Joseph Laurent Even[3], notaire,  personnage fort contesté compromis dans l’Affaire Georges (1804) et protégé par son parent M. de Cadignan. Également issu d’une famille de notaires, son père Joseph fut Subdélégué de l’Intendance sous l’Ancien Régime et second maire de Callac avant 1789, le premier étant Nicolas Guiot. Malgré son acquittement en 1804 et son exil de 10 ans à Bar-sur Aube, il traîna toujours derrière lui sa renommée de chouan. Joseph Laurent maria sa première fille, Cécile en 1823 à François Antoine Vistorte( de Boisléon) de Guingamp, arpenteur de profession et fils du Président du Tribunal civil de Guingamp. Son mandat prit fin en février 1828, date de son décès et en septembre de la même année sa fille Danielle Caroline se mariait avec Pierre François Huon, un notaire de Lannion. Les descendants Huon ajoutèrent à leur patronyme celui de leur aïeule Penanster, ce fut l’origine des Huon de Penanster, famille répertoriée de fausse noblesse.

·         Yves Pierre Benoît Lafargue ou de Lafargue suivant l’époque était l’adjoint du précédent maire, d’abord greffier puis notaire, il était issu d’une famille originaire du Gers dont l’ancêtre s’établit au village de Maroux vers 1660 comme marchand de bois. Nommé maire une première fois en 1828, il en fut démis aux évènements de Juillet 1830 et remplacé par Charles Desjars, puis à nouveau désigné jusqu’en 1837, date de son décès. Il était resté célibataire malgré une promesse de mariage non concrétisée par opposition avec Marie Françoise Le Bonhomme à Plusquellec en 1799.

·         Charles Desjars, ex-notaire et riche négociant de Callac, le plus imposé en 1839 de la commune de Plusquellec, était originaire de Pestivien. Il entra au conseil municipal en 1814 sous le maire Joseph Laurent Even et  était adjoint du précédent maire, Yves Pierre Benoît Lafargue. Cette charge ne le passionnait pas outre mesure, très pris par son négoce, il démissionna l’année suivante en 1838.

·         En 1839, est nommé maire François Marie Fercoq, un cultivateur aisé et instruit né à Plusquellec au village de Kerdiriou. Il sera le magistrat de Callac pendant cette révolte de l’octroi, un peu sous l’influence de son adjoint Pierre Marie Joret. Ce personnage, originaire de Guingamp et étranger au pays, marchand de fer et fabricant de cidre, est un homme actif, entreprenant, il attaque tous les abus et se fait ainsi de nombreux ennemis parmi la population ; ce qui est vérifié dans le rapport qui suit, sa personne et sa maison subiront de graves attaques par la foule déchaînée lors de la révolte.

 

  Raisons et prétextes de la révolte 

 

Comme on peut le voir dans la description des six maires ci-dessus, une brève étude  montre que  quatre de ces magistrats sont allogènes et deux indigènes, Even et Fercoq, quatre sont notaires, un négociant, ex-notaire, Desjars et un cultivateur, Fercoq. La majorité de ces magistrats, éloignée des problèmes dans une période où les populations paysannes sont  de toutes parts exaspérées par la misère, la cherté des grains et des bestiaux, vivait enfermée dans leur petite ville. Le résultat était facile à prévoir et le peuple avait annoncé hautement son intention de résister par tous les moyens.

  L’attitude rigide de l’adjoint au maire, Pierre Marie Joret, soutenu par le juge de Paix Arthur Vistorte, et Charles Desjars, tous trois guingampais, afin d’appliquer son projet de l’octroi avait suscité, dans la ville même, une opposition vive et certaine.

On peut également se remettre en mémoire, la dualité qui avait existé en 1790 lorsque une rivalité avait surgi entre les deux municipalités, Callac et Botmel, l’une conduite par les gens de judicature de Callac et l’autre par les paysans de Botmel.

 




« Rapport sur l’émeute de Callac.

 

L’an mil huit cent quarante, ce jour trente avril à trois heures du soir.

 

Nous substitut du procureur du Roi près le Tribunal de Guingamp, informé par lettre extraordinaire du brigadier de la gendarmerie de Callac qu’une émeute populaire régnait au centre du bourg de Callac depuis ce matin, nous sommes transportés au dit lieu en exécution de notre réquisitoire en date de ce jour et après avoir prévenu Monsieur Le Juge d’Instruction ainsi que le prescrit l’article 32 du code d’instruction criminelle, nous sommes partis en la compagnie de Monsieur le sous-Préfet de l’arrondissement de Guingamp prévenu ainsi que nous par un gendarme d’ordonnance, et enfin de Monsieur le Lieutenant de gendarmerie de l’arrondissement et de gens d’armes Jourdat, Groby et Le Lagatu requis de nous assister et de nous prêter main forte, s’il y a lieu, pour l’exécution de nos ordonnances.

 

Arrivé au dit lieu de Callac, nous nous sommes  dirigés en compagnie des personnes ci-dessus désignées, vers la caserne de la gendarmerie où nous avons invité de se rendre Monsieur Le Maire[4] de la commune, qui n’ayant pas été rencontré, n’a pu être entendu par nous. S’est aussi trouvé dans ce cas Monsieur Le Juge de Paix[5] du canton de Callac qui s’était aujourd’hui absenté pour affaires, et bientôt est arrivé Monsieur Pierre Joret[6], adjoint au maire de la commune de Callac. Nous avons prié ces magistrats de nous faire connaître les scènes de la journée et les causes qui l’avaient provoquée, et les principaux moteurs de la sédition. Des différents renseignements puisés par nous auprès des autorités locales, il résulte que vers les six heures du matin un rassemblement qui semblait d’abord inoffensif s’est formé sur la place principale de

 

Place du Martroy[7], appelée ainsi jusqu’en 1890
puis devenu par la suite place des Halles.

 

 

Callac; que le but de cette agitation populaire n’était autre que d’empêcher de planter aux diverses entrées de la ville les poteaux que l’autorité municipale avait fait faire pour limiter et désigner l’octroi autorisé par ordonnance royale dont la mise en exécution avait été fixée par diverses publications au premier mai dix huit cent quarante, que l’intention bien arrêtée des agitateurs était de s’opposer, autant que possible à l’érection de ces poteaux ; qu’en effet vers sept heures et demie, deux hommes s’étant présentés sur la place avec un des poteaux qui devait être placé à Sainte Barbe(chapelle), furent suivi par la foule qui se composait de 30 à 40 personnes, criant et vociférant et exigeant qu’on leur livrât le poteau, ce qui fut exécuté ; le poteau fut jeté sur la place, on en détacha l’écriteau que l’on brisa et la foule grossissant toujours et de plus en plus animée, se porta au domicile du sieur Marc Fleuriot, menuisier, chez lequel se trouvaient les autres poteaux ; on brisa les croisées, on enfonça la porte et l’on s’en alla avec les poteaux qui furent portés sur la place et brisé à coup de hache entre dix et onze heures.

 

Ce furent à peu près à cette heure que fut expédié le gendarme d’ordonnance chargé de dénoncer le fait à l’autorité supérieure ; les agents de la force publique et les autorités locales jugeant toute résistance impossible en présence d’une foule de plusieurs centaines de personnes, laissèrent cette irritation suivre son cours. Dans la crainte de plus grands malheurs et dans l’espérance que cette effervescence n’aurait que peu de durée. Cependant vers onze heures, une bande se porta chez Alexandre Montfort, peintre, au domicile duquel se trouvaient les enseignes du bureau de l’octroi qui furent aussi enlevés de vive force, à peu près à la même heure, une autre bande se dirigea vers la maison de Monsieur Le Maire à deux kilomètres du bourg, en criant qu’il fallait que ce magistrat se présentât  mort ou vif. On ne trouva point le maire et on se retira paisiblement. Toute la soirée se passa sans trouble, autre que les cris de rassemblements séditieux auxquels on n’opposa aucune résistance.

 

Cependant depuis sept heures du matin, on n’avait mis en branle les cloches de Callac et celles de Botmel, ce qui faisait craindre l’irruption des habitants des communes rurales environnantes et l’on vit effectivement pendant toute la journée arriver des paysans par bandes de 8 ou 10, la plupart sans armes. Entendant sonner le tocsin et voyant que l’on ne cessait pas, les gendarmes intervinrent pour éloigner les personnes qui mettaient les cloches en branle ; mais à peine avaient-ils tourné le dos que les agitateurs revenaient à la charge et quand ils ne pouvaient monter par l’église, ils le faisaient au moyen d’une échelle. Cet état de chose dura jusqu’à notre arrivée et nous avons pu juger nous même que la sédition régnait toujours, quoique le nombre des émeutiers eut diminué ; car pendant que nous étions occupés à la caserne de gendarmerie à recueillir les faits ci-dessus consignés, nous avons entendu le tocsin et sous les fenêtres de l’appartement où nous étions passaient à chaque instant des troupes qui vociféraient et manifestaient des intentions hostiles.

 

Après nous être concerté, tant avec Monsieur Le sous-préfet qu’avec Messieurs Pierre Joret et Arthur Vistorte, adjoint au maire et juge de paix, nous avons cru nécessaire de ne faire aucune démonstration à la foule irritée et nous nous sommes retirés chez le sieur Chéné, aubergiste.

Les cris de l’émeute, les bruits des bâtons, des fragments de bois et de pierres l’on nous lançait de toute part, tout indiquait que les esprits ne se calmaient point jusqu’à deux heures du matin, les cris des perturbateurs parcourant la ville et sonnait toujours le tocsin par intervalle, ne nous ont pas permis de prendre du repos. De deux heures à quatre heures du matin, le calme paraissait renaître ; mais ce n’était que pour recommencer les scènes de la veille, car à six heures du matin l’émeute était en pleine activité et les abords de la ville gardée soigneusement par des gens apostés.

 

A sept heures, nous nous sommes transporté chez Monsieur le Juge de paix en compagnie de Monsieur le sous-préfet et nous avons invité le sieur Alexandre Le Roux[8], à nous prêter son ministère, la situation du greffe du tribunal de Guingamp ne nous ayant pas permis de mener avec nous un greffier. Le sieur Le Roux a déféré à notre invitation et après avoir préalablement prêté entre nos mains le serment requis par la loi, il a, sous notre dictée, dressé le présent procès-verbal qui a été rapporté en présence des personnes sus désignés, lesquelles ont signé, fors Monsieur le sous-préfet qui a adressé sur cette affaire un rapport spécial à qui de droit.

 

   A sept heures, nous avons pu remarquer que la plupart des campagnards mêlés aux rebelles étaient dans une attitude hostile et armés de lourds bâtons et de fourches en fer. Nous nous sommes mêlé aux groupes, nous avons cherché par nos exhortations réitérées, à éclairer ces malheureux et à les ramener dans la ligne du devoir. Monsieur le sous-préfet s’est présenté à diverses reprises, revêtu de son écharpe dans tous les lieux où l’irritation paraissait la plus intense, haranguant les groupes en breton et leur exposant chaleureusement les devoirs de bons citoyens et les conséquences funestes de toute désobéissance à la loi.

 

A toutes ces observations, ils ont constamment répondu qu’ils n’obéiraient point à l’ordonnance relative à l’octroi, parce que le droit d’octroi leur avait été imposé qu’à l’aide de moyens subreptices. A cet instant, nous avons aperçu dans la foule M. le maire qui de son côté a fait de vains efforts pour apaiser le tumulte qui allait toujours croissant. A neuf heures moins le quart, les exigences de l’émeute se sont formulées plus nettement ; on s’est rapproché de nous avec agitation et plusieurs personnes nous ont déclaré que, si nous ne signions pas à l’instant même, l’acte d’abolition des droits d’octroi, ils étaient déterminés à se porter à des violences extrêmes, que de grands malheurs allaient arriver et qu’ils allaient mettre le feu aux quatre coins de la ville.

 

Alors, Monsieur le sous-préfet a positivement déclaré que l’émeute pouvait attenter aux jours des magistrats ; mais que rien ne pouvait le faire dévier de la ligne de leur devoir. L’effervescence n’a fait qu’augmenter et bien qu’aucune voie de fait n’ait été exercée contre la personne des magistrats qui étaient seulement l’objet de démonstrations très hostiles, il était évident que ces hommes acharnés étaient déterminés à en venir à leur fin car ils se sont rués d’abord sur la maison de monsieur Joret, adjoint au maire et en ont brisé les carreaux et fracassé les volets, ensuite sur les gendarmes dont la contenance énergique les exaspérait.

Deux des gendarmes ont été poursuivis avec le plus d’insistance et même blessé, l’un d’entre eux très grièvement à la tête ; ainsi que nous l’avons remarqué, c’est le gendarme Delanoé[9]. Il était alors neuf heures et demi environ et c’est à la suite de cette scène que la foule s’est rejetée vers la maison de Monsieur le Juge de paix dans laquelle nous venions d’entrer et ont, à diverses reprises brisé les carreaux et lancé de grosses pierres dans l’intérieur de la maison.

 

Nous devons ajouter que M. le Lieutenant de Gendarmerie nous a constamment protégé autant qu’il a dépendu de lui et que voyant leurs camarades blessés et la caserne sur le point d’être envahie, deux des gendarmes se sont retournés vers la foule et ont mis en joue celui qui paraissait l’auteur des blessures en le menaçant, au nom de la loi, de faire feu s’il avançait avec ses complices qui tentaient de s’emparer de la caserne. En ce moment quelques conseillers municipaux ayant réclamé la réunion du conseil comme une mesure urgente et la seule qui put amener quelque quelque calme, M. le sous-préfet a autorisé cette assemblée en faisant observer qu’il refusait d’y assister et de signer la délibération.

 

Profitant d’un instant de calme amené par cette réunion, chacune des autorités d’est mêlé de nouveau aux divers groupes dans le but de leur faire comprendre qu’il n’y avait que les voies légales et régulières qui pussent amener le redressement des griefs, s’il en existait et que toute violence ne pouvait amener qu’un résultat contraire à leurs véritables intérêts. Qu’au surplus le conseil allait manifester son opinion, et qu’il fallait l’attendre tranquillement.

 

   Tous les membres du conseil, à l’exception de messieurs Quénec’hdu Pierre et Joseph, Fulgence Kersauson[10] et deux conseillers décédés, s’étant trouvé au lieu de délibération, au bout d’une heure le résultat a été connu et a produit sur la multitude des effets favorables au rétablissement de l’ordre. Mais les turbulents s’étant aperçu que M. Pierre Joret n’était pas au commencement de la séance, se sont précipités vers sa maison qu’ils ont cernée, y ont fait plusieurs dégradations ainsi qu’au jardin qu’ils ont escaladé et l’ont réclamé pour apposer sa signature à la délibération, ce qui a eu lieu. M. le Maire et M. le Juge de Paix ayant reçu de la foule la promesse qu’il ne serait fait aucun mal. M. le sous-Préfet et M. le Maire ont fait dégager la porte de sa maison pour lui en faciliter une sortie et l’on a entendu des cris de joie, mêlé toute fois de menaces et de gestes hostiles.

 

A peine le vœu  du conseil municipal a-t-il été manifesté, que les habitants des communes rurales voisines se sont retirés et trois quarts d’heure après, l’état des esprits était satisfaisant. Le restant de la foule s’est apprêté à allumer un feu de joie sur la place et sur la prière, à lui faite, de mettre le feu aux fagots, s’y est formellement refusé, disant qu la fête du Roi ne devait être célébrée que dimanche et observant qu’on devait s’abstenir de brûler les fragments des poteaux de l’octroi déposés sur la place, ce que la foule a obtempéré à la suite et comme de coutume les danses du premier mai ont eu lieu sous les halles.

 

 

   Dans cet état de choses et les esprits paraissant enfin revenus à l’idée de devoir, nous nous sommes retirés à la caserne de la gendarmerie à l’effet de rédiger le présent procès verbal.

 

   Parmi les faits qui ont signalé cette triste journée, nous avons omis de constater que le sieur Courtois[11], notaire, étant poursuivit par la foule, a été l’objet de voies de fait très grave et que le sieur Daniel père, menuisier, étant intervenu pour le protéger, a reçu à la tête une pierre dont il a été blessé et qui a produit une effusion de sang.

 

   Les citoyens de Callac, en général, ont fait de bienveillants efforts pour ramener les esprits en leur donnant l’exemple de calme et de la modération.

 

   Et attendu qu’il nous serait impossible de désigner précisément les provocateurs de ces désordres auxquels ont pris part plus de 600 personnes et que tout les moyens de répression serait actuellement impossible, nous avons clos le présent sous nos seings et ceux de toutes les personnes qui ont assisté à sa rédaction.

 

                   Fait et Clos à Callac à la caserne de gendarmerie, ce jour premier mai mil huit cent quarante à deux heures du soir.

 

 Signent :


Alexandre Le Roux, François Marie Fercoq, Limon, Lt, Arthur Vistorte, Barbier, Aulio, Bernhart, brigadier, Pierre Joret, Tallbot, A. Lutz, Belin, Jourdat, Roullier.

  Note en marge du document :

 

« Le Procureur du Roi a invité la gendarmerie à signaler, le plutôt possible au Parquet, les noms de ceux qui se sont rendus coupables des délits et crimes commis dans les deux jours d’émeute, et à tarder à requérir des mandats et une information jusqu’à décision de l’administration en ce qui touche le déploiement des forces nécessaires dans l’état. »

                                                                                                                 Signé : Limon, Lieutenant

     

 

 

                                                                                     Joseph Lohou (mars 2005)  

Notes : Cet article a fait l'objet d'une parution dans le Cahier du Poher N° 14 de juin 2005, pages 3 à 9.

 

Sources.

  AD22- série 2 U- art. 614

 

  Annexe n°1

 

État de Services du sieur Pierre Jean DELANOÉ

  Le sieur Pierre Jean DELANOÉ, fils de Pierre et de Marie BOURGAULT, né le 12 février 1787 à Hillion ( Côtes-du-Nord).

Taille : 1,710 m, cheveux et sourcils châtains, yeux bleus, front haut, nez long, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, marqué de petite vérole.

  Détails des services

  Entré au service comme conscrit, soldat au 11è bataillon bis du Train d’Artillerie, passé au 3è Bataillon de la même arme rentrant de prison de Russie, en novembre 1814, brigadier du 12 mai 1815, licencié le 26 septembre de la même année.

Admis gendarme à cheval le 19 octobre 1818 par ordre du Ministre du 13 même mois.

Total à ce jour : 30 ans et 19 jours.

Campagnes et blessures

 

A fait la campagne des années 1807-1808 à Hambourg, en Prusse en 1809, en Russie en 1812 où il fut fait prisonnier ; rentré en France en 1814, 1815 au blocus de Strasbourg.

Titres et Décorations

 

Chevalier de l’Ordre Royal de la Légion d’Honneur par ordonnance du 31 mai 1840 pour prendre rang à dater du même jour. (N° d’ordre 133 23)



 

                                                        Procès verbal de Réception de la nomination de Pierre Delanoé.



[1] ROYAL-CRAVATES, régiment de mercenaires croates sous Louis XIII dans lequel les cavaliers portaient une bande de tissu autour du cou, d’où l’origine du mot » cravate ».

[2] BOULLÉ, Jean Pierre, premier préfet des Côtes du Nord le 19 avril 1800.

[3] EVEN, Joseph Laurent, (Botmel 1765-Callac 1828) Voir article de la Revue du Pays d’Argoat n°38/2002-

[4] FERCOQ, François Marie, (Plusquellec-1792) maire de Callac de 1839 à 1842 ;

[5] VISTORTE (De Boisléon), Arthur Charles Antoine (Guingamp 1785-La Roche-Derrien 1843), Juge de Paix du canton de Callac de 1819 à 1843.

[6] JORET, Pierre Marie,(Guingamp) marchand de fer et fabricant de cidre,1e adjoint au maire.

[7] MARTRAY, martroy, trei, du latin « martirizatus », place où l’on torture, place publique en général. Il y a une place du Martroy à Orléans,et  à Pontoise, une place du Martray à Saint-Brieuc, et  à Lausanne(Dict. Ancienne langue française du IX° au XV°s.)

[8] LE ROUX, Alexandre, greffier de la Justice de paix de Callac.

[9] DELANOÉ, Pierre Jean( Hillion 12.02.1787), gendarme à cheval de la résidence de Belle-Isle-en-Terre, fait chevalier de l’ordre royal de la Légion d’Honneur le 18 juin 1840.(voir annexe 1)

[10] KERSAUSON, Fulgence, (Callac+1840) receveur des impôts en retraite,  rentier, époux d’Euphrasie Le Bouédec,

[11] COURTOIS, Hippolyte, Notaire  et greffier de Justice de Paix à Callac en 1840

 

 


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