Callac-de-Bretagne

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L'ancienne noblesse bretonne d'avant 89

par le Vicomte FROTIER DE LA MESSELIERE [1].

frotier

J'ai lu avec intérêt l'étude héraldique et généalogique parue dans An Oaled du 3e trimestre 1938.

Il serait très intéressant de pouvoir retrouver la trace des branches tombées des anciennes familles nobles bretonnes, ce que j'ai pu faire dans les Filiations Bretonnes pour les de Coëtlogon, de Keroulas, de Tinténiac, du Vaufurin, etc... Dont l'éclipse était à peine centenaire; mais pour celles qui remontent à la Réforma­tion générale de la noblesse bretonne du XXème siècle il faut distin­guer entre les maintenus et les déboutés, et, parmi ces derniers, la cause qui les a fait priver des privilèges de la Noblesse.

Les réformations de la noblesse avaient un caractère fiscal. Les impôts roturiers étant répartis sur tous les non nobles de la paroisse, les paroissiens étaient très attentifs aux droits des exemptés et le pouvoir fiscal aussi, ces derniers étant généralement parmi les habitants les plus aisés. Mais le noble breton était pré­sumé noble jusqu'à la preuve du contraire faite par son adver­saire, sans avoir à fournir lui-même la preuve de sa noblesse.

Les enquêtes partielles ont eu lieu très anciennement sur ce chapitre, mais la première réforme générale eut lieu en Bretagne en 1427 et 1428, en raison des difficultés, pratiques du recouvre­ment des fouages (impôt foncier).

Jusqu'au milieu du siècle, les roturiers ayant défense expresse d'ac­quérir les fiefs nobles, comme réputés inhabiles au service mili­taire, tout propriétaire de fief noble était, ipso facto, réputé noble. Les croisades ayant obligé les gentilshommes croisés à engager leurs biens à des prêteurs non nobles, l'acquisition en fut permise aux roturiers moyennant l'obligation de les faire représenter aux armées par des gentilshommes équipés aux frais de l'acquéreur.

En 1427 le duc de Bretagne nomma des commissaires généraux pour tout le duché, et, dans chaque paroisse, furent constituées des commissions mixtes de gentilshommes et de roturiers pour les assister en qualité de rapporteurs et témoins. La justice la plus stricte fut rendue, le nombre réel des feux substitué au nombre fictif, et toutes les terres ou contribuables faussement déclarés nobles rayés du rôle d'exemption des fouages et obligés de les payer jusqu'à la fin des contestations.

Furent exemptés des fouages les seigneurs des fiefs reconnus nobles et leurs métayers. À raison d'un seul métayer par paroisse, et les concierges des châteaux non habités par leurs propriétaires. Cette faveur fut refusée aux domaniers ou métayers qui sous-louaient leurs métairies, à tous sergents roturiers armés en temps de guerre, veneurs des barons, métayers et grangers des prieurés et abbayes, et même aux nobles sans fortune partageant roturièrement où vivant sur la terre d'autrui. Les gentilshommes taverniers, très nombreux dans certaines régions, où ils prétendaient liquider eux-mêmes les produits de leurs vergers ou vignobles, auraient mérité l'indulgence des commissaires par leurs bons soins pour les clients, mais la Chambre des Comptes de Nantes ne fut pas de cet avis et les assimila aux roturiers.

Au cours du XVe siècle eurent lieu de nouvelles réformations partielles à la demande des paroisses trop imposées, mais jamais pour cause d'anoblissements de roturiers, le duc déchargeant proportionnellement des fouages la paroisse du domicile des anoblis.

En 1456 fut prescrit une nouvelle recherche générale des nobles de lignage, anoblis et exempté de rouages. Furent exempts de fouages les nobles servant aux armées, au ban ou à l'arrière-ban. en bon équipement de guerre, même ceux qui faisaient le commerce en gros ou labouraient eux-mêmes leurs terres, mais furent, assimilés aux non nobles les gentilshommes ou anoblis se livrant au commerce de détail des draps et linges, aubergistes, marchands de bétail, travaillant pour le compte ou sur la terre d'autrui, ou vivant en bourse commune et coutumière; mais tous ces nobles et anoblis pouvaient, en abandonnant leur situation de dérogeance et en remplissant leurs devoirs féodaux, recouvrer les privilèges attachés à l'état nobiliaire, sur déclaration de le reprendre. On appelait cela « réveiller la noblesse endormie »,

De nouveaux abus relatifs au recouvrement des fouages provoquèrent la nouvelle réformation générale de 1513. En 1427 on avait présumé nobles les terres déclarées telles par leurs propriétaires; en 1456 on visa plus spécialement la qualité des personnes; en 1513 on examina les titres des exempts de fouages.

Comme en 1427 on nomma des commissaires généraux pour diriger l'enquête, et, dans chaque paroisse, des contribuables dont les rapports furent certifiés exacts par la signature des notaires, des prêtres et des gentilshommes indiscutés.

D'autres enquêtes analogues furent faites en Bretagne de 1535 à 1543, mais leur caractère exclusivement fiscal ne leur permit pas d'être admises comme preuves de noblesse, beaucoup de roturiers étant alors possesseurs de terres nobles, et en acquittant les obligations par procureurs.

Les désordres des guerres du XVe siècle, les privilèges accordés à certaines charges, les anoblissements inconsidérés et sans contrepartie fiscale amenèrent de fréquentes usurpations des privilèges nobiliaires.

Louis XIV, considérant que cet état de choses cause du discrédit à la noblesse et une aggravation de charges pour le Tiers-Etat, donna, en 1663, commission au Parlement de Rennes de vérifier l'état réel de tous ceux qui auraient pris les qualités de chevalier ou d'écuyer, réservées aux seuls nobles, dans toute l’étendue du pays et duché de Bretagne.

La chambre de réformation bretonne s'appuya sur deux moyens de preuves : 1° les réformations précédentes faites dans la province; 2° l'observation du gouvernement noble par les familles nobles d'origine ou anoblies.

Tous ceux qui purent prouver leur filiation depuis un gentilhomme reconnu noble en Bretagne au XVe siècle furent maintenus nobles, même si leurs ancêtres ou eux-mêmes avaient dérogé depuis, à la seule condition de se soumettre aux obligations de la noblesse. Les réformations du XVIe siècle furent seulement admises lorsque la qualité de noble y était reconnue expressément à l'ancêtre y mentionné, la simple possession de terre noble n'impliquant plus alors la noblesse. Les montres militaires furent systématiquement négligées, ce qui rejeta dans la roture de nombreuses familles nobles sans biens nobles, certains commissaires appartenant à des familles n'ayant jamais porté l'épée. Certains gentilshommes très pauvres furent déboutés faute de preuves, n'ayant pu en assumer les frais élevés, quelques anoblis de fraîche date obtinrent quelques complaisances, mais néanmoins près de 3000 familles furent alors reconnues nobles en Bretagne; seule la Normandie en offrait à peu près un pareil nombre pour une superficie équivalente, alors qu'en Champagne quelques centaines seulement furent maintenues.

Bien qu'en droit tous les nobles soient réputés égaux, on établit en Bretagne des catégories d'ancienne extraction pour les familles reconnues nobles dès le XVe siècle, sans trace d'anoblissement, d'extraction noble pour les autres. Les familles récemment anoblies mentionnèrent la date de leur anoblissement.

Parmi les déboutés beaucoup se désistèrent en payant 100 livres, faute de pouvoir faire leurs preuves, afin d'éviter une amende plus considérable, d'autres achetèrent des charges conférant les privilèges de la noblesse, d'autres se remirent à vivre noblement et obtinrent, sur preuves de trois générations de gouvernement noble, des maintenues tardives au cours du XVIII° siècle. La nuit du 4 août 1789 abolit les privilèges de la noblesse, mais la noblesse bretonne n'était pas représentée aux Etats Généraux, s'en étant abstenue comme appartenant à un pays d'Etat privilégié ayant son autonomie propre.

On peut tirer la conséquence que la noblesse fut toujours très nombreuse en Bretagne. Néanmoins le statut des familles nobles bretonnes a été officiellement fixé par la Réformation de 1668. Ne sauraient être présumées nobles aujourd'hui que celles alors maintenues ou déboutées faute de gouvernement noble mais pouvant établir leur filiation depuis 1668 ou au moins depuis un acte recognitif de noblesse antérieur à 1789.

Mais il serait excessif de vouloir rattacher sans preuves aux familles nobles homonymes toutes les familles portant le même nom patronymique (si ce n'est un nom de fief bien connu.) Les noms patronymiques dérivés d'un prénom ou d'un sobriquet concernent aussi bien les roturiers que les nobles et les noms à particules ne se rattachant pas à un fief noble patronymique bien connu sont souvent présomption de bâtardises, Or, les bâtards, même nés de nobles, avaient besoin d'anoblissement pour jouir des privilèges de la noblesse. Dans d'autres provinces ils désignent souvent aussi d'anciennes familles de serfs qui prenaient le nom de leur village, mais ce cas ne se présente pas en Bretagne.

Sur les 3000 familles bretonnes maintenues nobles en 1668 il en reste à peine quelques centaines en 1938. Les héritières des autres ont le plus souvent porté leurs fiefs à ces quelques survivantes, ou h des maisons venues par mariages en Bretagne, ce qui est le cas de ma famille.

 Extrait du journal "An Oaled" - 1er trimestre 1939-pages 58-59-60/100.

Note [1] Le 2 novembre 1876, venait au monde, à Plesder (Ille-et-Vilaine), le vicomte Henri Frotier de la Messelière qui devait devenir un héraldiste célèbre en même temps qu'un brillant dessinateur.

 

Ayant obtenu son doctorat en Droit à la faculté de Rennes, avec une thèse sur l'héraldisme, et marié à une Briochine, M. de la Messelière pensa ouvrir, à contrecœur d'ailleurs, car il se savait peu douer pour l'éloquence, un cabinet d'avocat. Un héritage substantiel arriva à point pour décider le jeune marié à se consacrer à la généalogie et à des travaux littéraires.

 

Pendant près d'un demi-siècle, le vicomte de la Messelière parcourut, souvent à bicyclette, la Bretagne, étudiant les familles et les monuments, recherchant les dessins qu'il effectuait à traits fins et d'une grande minutie. Il fut le collaborateur de M. René-Théophile Salaün, délégué au recensement des Monuments Historiques dans le Finistère, mais surtout le promoteur d'un tourisme d'art et de sentiment qui ne se contente pas d'avaler les kilomètres, mais s'attarde volontiers devant les sites et les monuments au pied desquels il restait lui-même des heures à dessiner les pierres et leurs inscriptions.

 

Dans le domaine privé, M. de la Messelière a effectué de très nombreux livrets de généalogie pour les familles alliées et amies offrant généreusement ses dessins, véritables petits chefs-d’œuvre. Personnellement il m'a fait une généalogie dès La Motte Rouge, m'a illustré la correspondance Gouyon Beaufort (voir à Plancoët) et m'a fait également la généalogie du sénéchal de Lantillais. Il apparentait volontiers avec les La Motte Rouge ayant une ascendance dans la branche des La Motte Rouge de Montmuran.

 

Le vicomte de la Messelière a écrit une quinzaine d'ouvrages très importants. Il a apporté également sa collaboration à une cinquantaine d'autres par ses écrits et par ses dessins que l'on peut retrouver dans la « Bretagne Touristique » de Louis-Octave Aubert, l'ancien président de la Chambre de Commerce, « Histoire de Bretagne » de A. du Cleuziou, l'« Association Bretonne » et dans quantité d'autres œuvres.

 

Il avait donné, au lendemain de la première guerre mondiale, un nouvel essor à la Société d'Émulation dont il demeura jusqu'à sa mort, en 1965, le secrétaire général.

Le dessin était pour lui un travail de bénédictin, une sorte de passion comme l'était également l'héraldisme qui fit de cet homme, courtois et toujours modeste, une sommité.

 

Les « Filiations Bretonnes » dont la parution s'est échelonnée de 1912 à 1926, a dressé une table descendante de plusieurs centaines de familles. Il y mentionne une foule de dates, naissances, mariages, décès permettant toutes les vérifications. On connaît ainsi l'ascendance de notables bretons et la filiation comme la descendance de personnages illustres tels que Charles de Blois. Grâce à lui, j'ai pu faire une réunion familiale des descendants d'un ménage la Motte Rouge au XVIII° siècle.

 

Le vicomte de la Messelière dont les travaux font autorité dans toutes les archives, aimait à rappeler malicieusement la date de sa naissance, le 2 novembre : « Je suis né le Jour des Morts et sans doute est-ce pour cela que je me suis toujours intéressé aux familles éteintes... »

 

De la MOTTE ROUGE.

 

 

 

NOTES.

[1] FROTIER de la MESSELIERE, Henri, né à Plesder(35), docteur en Droit, fils de Paul FROTIER, comte de la MESSELIERE, ancien capitaine au régiment de zouaves pontificaux, chevalier de Pie IX et de Louise Marie Anne de CHALUS. Il se marie le 6 octobre 1903 à Guingamp avec Jeanne Thérèse Marie de COATGOUREDEN, née à Guingamp le 17 décembre 1881, fille d’Arsène Marie Louis Jean de COATGOUREDEN et de Jeanne Marie MICAULT.

Les témoins du mariage étaient Charles FROTIER, marquis de la MESSELIERE, 64 ans , oncle paternel, Chef de Bataillon en retraite, habitant la ville de Poitiers dans la Vienne, Le Vicomte Louis Marie de CHALUS, 61 ans, propriétaire, oncle de la contractante, habitant à Landévennec dans le Finistère, Ernest Marie MICAULT, 61 ans, propriétaire et maire de Plouvara (22), oncle de la contractante et Charles Marie de COATGOUREDEN, 59 ans, Propriétaire et maire de Saint-Vougay(29) et demeurant au château de Kerjean.

 

Joseph Lohou (août 2015-avril 2018)