Callac-de-Bretagne

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ANNE DE MONTMORENCY.
montmorency


Anne de Montmorency est l'un des grands personnages du xvie siècle français et européen. Le premier caractère remarquable concernant sa vie réside dans son extraordinaire longévité. Né en 1493, sous le règne de Charles VIII, il meurt en 1567, sous celui de Charles IX. Héritier d'une longue lignée de guerriers, il est pratiquement présent lors de toutes les batailles dans lesquelles ont été engagées les armées des rois de France entre 1512 et 1567. Il participe aux victoires (Ravenne, Marignan) comme aux défaites (La Bicocque, Pavie, Saint-Quentin). Il est plusieurs fois fait prisonnier (Pavie, Saint-Quentin, Dreux), avant de succomber des blessures reçues le 10 novembre 1567, lors de la bataille de Saint-Denis. En mourant à 74 ans, il est le seul parmi les compagnons de jeunesse de François Ier, à avoir dépassé le cap des années 1550. Bonnivet choisit de mourir glorieusement à Pavie à l'âge de 37 ans. Robert III de La Marck, le « Jeune adventureux » s'éteint en 1537, à 46 ans. Philippe Chabot de Brion disparaît en 1543, à 51 ans. Le roi meurt à 53 ans en 1547. Cette longévité et les aléas qu'elle induit, lui ont permis de se maintenir au pouvoir pendant près d'un demi-siècle.

Tout au long de sa vie, Anne de Montmorency a accumulé les honneurs. Militaires : capitaine d'une compagnie à 25 ans, maréchal de France à 29 ans, connétable à 45 ans. Honorifiques : gentilhomme de la chambre dès 1515, puis Grand Maître de France à partir de 1526. Il est aussi gouverneur du Languedoc entre 1526 et 1541, puis de 1547 à 1563, capitaine de Saint-Malo, de Nantes, et de la Bastille. Il fait véritablement office de principal ministre de François Ier entre 1530 et 1541. Pendant cette décennie, il tente de concilier les deux adversaires que sont le roi de France et l'empereur. Sa politique plutôt pacifique, merveilleusement utilisée par Charles Quint pour entretenir l'illusion d'un possible compromis, finit par provoquer sa disgrâce en 1541. Après une éclipse de 6 ans, il revient au pouvoir lorsqu'Henri II monte sur le trône en 1547.

Un rapport presque filial unit le nouveau souverain au connétable car l'ancien petit duc d'Orléans n'a jamais oublié la part prise par le seigneur de Chantilly dans sa libération
en 1530. Cependant, si Anne de Montmorency est remis en possession de ses charges et offices à la cour, il doit se résoudre à partager le pouvoir avec la maîtresse royale, Diane de Poitiers et avec les membres du lignage de Guise. Cet équilibre fonctionne jusqu'à la mort accidentelle du monarque en 1559. De 1559 à 1567, Anne de Montmorency, fervent catholique, est tiraillé entre sa fidélité envers le roi et le soutien qu'il apporte à une partie de sa parentèle (notamment ses neveux Coligny) passée à la Réforme. Sa volonté de ménager les uns et les autres contribue à exacerber les haines et les antagonismes claniques, précipitant ainsi le royaume dans le chaos des guerres de Religion.

Le connétable a également joué un rôle non négligeable dans le domaine culturel. Grâce à d'importants revenus, fondés sur ce que lui rapportent ses domaines fonciers, sur les dons royaux, sur les pensions et les gages perçus en rétribution des charges qu'il occupe, il se place dans le sillage de François Ier en ce qui concerne la construction de résidences. Chantilly, Ecouen, Fère-en-Tardenois sont autant de symboles, toujours présents ou détruits, de sa contribution à la Renaissance française des décennies 1530 et 1540. C'est aussi, selon l'expression utilisée par l'un de ses biographes, un « collectionneur acharné ». Dans ses châteaux, dans ses hôtels parisiens, il entasse livres, médailles antiques, tapisseries, tableaux, monnaies anciennes, sculptures. Est-ce par pur esprit d'imitation du souverain ? Par inclination personnelle? Par souci de s'entourer de beaux objets ? Par ambition ? Aucun de ses biographes ne donne véritablement de réponse à ces questions.

Anne de Montmorency a fait l'objet de nombreux ouvrages. De son vivant, de longs poèmes sont consacrés à célébrer sa gloire, tel Le triomphe et les gestes de monseigneur Anne de Montmorency connétable, Grand Maître et premier baron de France, interminable dithyrambe de 1544 vers composé par l'évêque de Pamiers, Jean de Luxembourg. Sa mort héroïque donne l'occasion aux poètes de cour de rédiger des vers réunis en un tombeau poétique par Jean Dorat. On y rencontre les noms de Pierre de Ronsard, Amadis Jamin, Jean Gohory. En 1624, André Du Chesne écrit une Histoire généalogique de la Maison de Montmorency et de Laval, première véritable somme sur le lignage s'appuyant sur des documents et des sources dont une bonne partie est annexée à l'ouvrage pour servir de preuves. En 1765, Jean-Louis Desormeaux publie les cinq tomes de son Histoire de la Maison de Montmorency, en reprenant pour une bonne part le livre de Du Chesne. Au xixe siècle, paraissent des biographies qui ont le mérite d'exister. Il faut attendre les deux ouvrages que Francis Decrue de Stoutz consacre à la vie d'Anne de Montmorency' pour posséder des oeuvres de référence encore très utiles aujourd'hui. Enfin, en 1990, Brigitte Bedos-Rezak, qui connaît bien

  les Montmorency pour avoir étudié la seigneurie éponyme au Moyen Âge, publie une vie du connétable dont le sous-titre résume à lui seul ce qu'il a été: un seigneur de la Renaissance, c'est-à-dire un homme dont l'éducation, le comportement, la religiosité puisent leurs racines dans le Moyen Âge, mais dont les goûts culturels et les fonctions exercées tiennent compte, par la force des choses, des changements apparus avec le début des temps modernes.

Cependant, quelles que soient leurs qualités, les biographies d'Anne de Montmorency ont négligé une source pourtant essentielle. Francis Decrue, fidèle à l'esprit de l'École Méthodique, écrit dans une optique éminemment politique consistant à aligner des faits dûment établis sur des documents collectés à travers l'Europe entière. Il délaisse donc toute correspondance ne relevant pas de la « grande Histoire », celle des États et des monarques. Brigitte Bedos-Rezak prend en compte des sources plus diverses, ce qui la conduit à présenter le milieu quotidien dans lequel évolue le connétable. Toutefois, elle s'intéresse surtout aux années 1540-1560. Pourtant, parmi toutes les archives déposées aux Archives du Château de Chantilly3, il existe des registres renfermant de précieux renseignements concernant Anne de Montmorency, Grand Maître de France. Avec ses 112 volumes, la série « L » contient ce qui subsiste de la correspondance passive des Montmorency entre 1522 et 1610. Les quinze premiers tomes recèlent les lettres reçues par Anne de Montmorency et son secrétaire, Nicolas Berthereau, entre 1522 et 15384, c'est-à-dire entre le moment où le seigneur de Chantilly devient maréchal de France et celui où il accède à la dignité de connétable. Chaque registre contient en moyenne 300 folios, soit environ 240 missives. Celles-ci complètent parfaitement les centaines de lettres conservées à la Bibliothèque Nationale'.

La lecture de ces quinze tomes réserve plusieurs surprises. Tout d'abord, on s'aperçoit rapidement que le premier tome est décalé chronologique¬ment par rapport aux quatorze autres. Ses lettres ont été écrites entre 1522 et 1524. Aussi, afin de conserver à la correspondance du Grand Maître sa cohérence, il a donc été décidé de l'écarter de l'étude, tout en se réservant la possibilité d'utiliser ses missives le cas échéant dans le but d'appuyer une démonstration_ La seconde surprise vient du tome II qui concentre la correspondance italienne du Grand Maître. Les lettres sont écrites soit par des Italiens, soit par Nicolas Raincé, le secrétaire de l'ambassadeur du roi...

PUF. Thierry Rentet, "Anne de Montmorency, grand maître de François Ier " ;ISBN 978-2-7555-1227-6