Callac-de-Bretagne

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Le MEN François, médecin de campagne.

 


Installé à Callac, dans les Côtes-d'Armor, depuis plus de 60 ans, François Le Men est le doyen des généralistes de France. Doté d'un tempérament et d'une constitution hors pair, il n'a pas l'intention de faire valoir ses droits à la retraite de sitôt. Et ses patients sont attachés à ce médecin de campagne à l'ancienne.

Chaque matin, le docteur Le Men, 91 ans, consulte dans son cabinet de Callac. Le plus vieux médecin en activité de France a la poignée de main directe, le regard aigu derrière ses lunettes fines et le visage étonnamment, lisse.
« Je n'ai pas l'intention de raccrocher, prévient-il, bourru. Et ceux que ça étonne, je leur réponds : "Le vieux, il continue !" » Forcément, un généraliste toujours en activité après soixante-cinq ans d'exercice, ça surprend. Mais la profession n'est pas tenue par une limite d'âge et, surtout, François Le Men n'a guère de goût pour les mots croisés. « La retraite, pour quoi faire ? »

Sa plaque de marbre est fixée à la même adresse depuis 1953. Quant au cabinet, il n'a pas changé depuis les années 1970. Pas la peine d'y chercher un ordinateur ou un terminal de carte Vitale. « On ne soigne pas avec un logiciel ou une carte à puce ! Je me sers de mes mains et de mes yeux, comme je l'ai toujours fait. Et qu'on ne vienne pas me dire que mes diagnostics ne sont pas sûrs ! Vous croyez qu'on me laisserait pratiquer si je ne faisais que des conneries ? » Répond-il en substance aux confrères suspicieux.
En tout cas, ses nombreux patients ne doutent pas de ses compétences. « Bien sûr qu'on lui fait confiance, assure Christiane, une dame de 82 ans qui habite le bourg de Maël-Pestivien, à 12 km de Callac. Pas question de changer de médecin ! D'ailleurs je lui ai déjà dit : "Quand vous partirez, je me demande bien qui on prendra pour vous remplacer !" » C'est lui qui a mis son fils au monde, à une époque où les généralistes se faisaient aussi accoucheurs. C'était bien avant la création du Samu et du 15. Trois des sœurs de cette patiente sont elles aussi suivies par le docteur Le Men.
Après le déjeuner, le toubib entame sa tournée de domiciles. À bord de sa C4, chapeauté d'un feutre gris, il file bon train sur les petites routes du Centre Bretagne pour visiter une clientèle composée en majorité d'habitués et de personnes âgées, parfois isolées au bout d'un chemin. Le voilà dans la cuisine d'un monsieur de 68 ans, qu'il a connu gamin. « Mes parents venaient déjà chez vous », remarque Gildas.

- « Et tes grands-parents aussi, rectifie le praticien. Dans certaines familles, j'en suis à soigner la cinquième, voire la sixième génération. »

« Je vais partout où on m'appelle »



Né à Callac, fils et petit-fils d'agriculteurs, François Le Men a lui-même longtemps élevé des vaches, juste par passion paysanne. Difficile de faire plus proche de ses patients. Il partage avec eux des souvenirs de famille, des préoccupations de terriens et parle breton. « Quand on me dit : "Je n'ai plus rien sur le dos", cela signifie littéralement que la bronchite est guérie ! », traduit-il.

Il avale parfois jusqu'à 150 km dans l'après-midi, débordant largement les limites du canton. Sept jours sur sept, de jour comme de nuit, il répond aux urgences, recoud ici une jambe ouverte par une tronçonneuse, constate ailleurs un décès à 2 h du matin le dimanche, à la demande des gendarmes...« Je vais partout où on m'appelle. Je ne refuse jamais de rendre service. »

À l'heure où d'autres, plus jeunes, se reposent, l'infatigable praticien répond toujours présent. « On se demande quand il trouve le temps de dormir, s'amuse Carole Le Jeune, la maire de Callac. Elle connaît le vieux généraliste depuis... toujours, puisqu'elle aussi, il l'a mise au monde (« Comme la kiné et bien d'autres », précise l'intéressé !). « Le docteur Le Men, c'est le médecin de campagne par excellence, à l'écoute des patients, très disponible, poursuit l'élue. Il a toujours une importante clientèle et nous redoutons le moment où il cessera son activité, parce que les jeunes médecins ne se bousculent pas pour s'installer en milieu rural. Il faut vraiment la fibre pour ça. »

Madame le maire en sait quelque chose : elle recherche depuis des mois des remplaçants à deux généralistes partis fin 2012 de sa commune. « Ce n'est pas pire ici qu'ailleurs. Il reste trois généralistes à la maison médicale et on a de la chance d'avoir encore le docteur Le Men. »

Pour combien de temps ? « Ma famille me dit depuis longtemps d'arrêter. Mais je n'écoute personne », sourit-il, bien conscient d'être un cas particulier. Sa femme, ses deux enfants et quatre petits-enfants ne parviendront pas à le convaincre de poser son stéthoscope. Seul un problème de santé pourrait lui faire lever le pied. « Le travail, c'est ma vie », reconnaît-il. Et au détour d'une phrase, le voilà qui cite Voltaire, dont il reprend la maxime à son compte : « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin. » On pourrait ajouter un quatrième : la vieillesse.


Emmanuelle METIVIER. Photo : Thierry CREUX.


               

Ouest-France du 20 avril 2013