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Callac-de-Bretagne |
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JEAN MEYER
Un témoignage exceptionnel
sur la noblesse de province
à l'orée du XVIIe siècle :
Les "advis moraux " de René Fleuriot
Le document intitulé « Advis moraux » que l'on lira ci-dessous provient
des archives de la famille Fleuriot. Ce document nous a été aimablement
communiqué par M. le comte Fleuriot de Langle, grâce à l'obligeance de
J. Delumeau. Qu'ils en soient vivement remerciés. Tirés des Archi¬ves
départementales des Côtes-du-Nord (série 2 E, n" 145). les advis moraux
font partie d'un ensemble complexe, où figure un journal sommaire de la
vie de René Fleuriot. publié voici bien longtemps, par Anatole de
Barthélémy (1). Les « advis moraux » — témoignage capital de la
mentalité nobiliaire bretonne au début du XVIe siècle — se trouve
inclus dans un petit cahier groupant deux ensembles, rédigés
tête-bêche : les advis moraux adressés par un père à son fils aîné et à
l'ensemble de sa famille, et d'une espèce d'autojustification, que
l'auteur, René Fleuriot, sieur de Coat-guenou, intitule de la manière
suivante : « C’est issy le Livre où je marque les affaires de
conséquence que je eu avecque touttes sortes de gens depuis que je nie
mesle de commercer parmy le monde que je voulu issy rédiger pour
esclairer par un chacqun la véritté de ce quy c’est passé en mes
affai-res particulières que je me permet de reconnaître par autant que
ce qui se trouve écrit issy qui est la véritté Entière en ma foi et
conscience et ay signé ceci pour servir d'instruction à mes héritiers
». L'intérêt de ce dernier document, qui consiste en la très classique
énumération des procès et de quelques dettes. est d'être signé du 2
janvier 1609. A ce petit livre s'ajoute toute une série d'autres papiers.
Citons, entre autres, un livre de gages de domestiques, qui révèle un
maître très humain, s'occupant de près des frais de maladie de ses
valets et de ses servantes ; une série de procès des fils et petit-fils
du rédacteur —qui marquent combien les advis moraux ont été peu
respectés. — Malheureusement, les advis moraux s'arrêtent brutalement
au milieu du livre, car il y manque plusieurs feuillets, cinq ou six,
probablement, à en juger par le format de l'ensemble.
Nous avons donc
là, la possibilité, grâce à la publication antérieure d'A. de
Barthélémy, (le toucher de très près la mentalité d'un homme de la fin
des guerres des Ligues et du début du mouvement de la réforme
catholique.
De quand date ce document ? Nous disposons de plusieurs repères. Le
relevé des procès, qui accompagne les « advis moraux », est daté de
1609, mais comporte des procès s'échelonnant de 1608 à 1625. Ainsi, ce
mémento a été rédigé au fil des principaux événements. Les advis moraux
sont un peu plus tardifs. Se présentant comme une espèce de testament
spirituel, leur début de rédaction se situe à l'orée de la vieillesse,
mais la rédaction a pu être reprise, comme en témoigne la mention du
mariage de son fils aîné, inscrite en marge du texte primitif.
Celui-ci, Claude Fleuriot, sieur de Kerlouët et de la Saudraye, s'est
marié le 19 novembre 1623 avec demoiselle Fiacre Le Bahezre, mariage au
surplus de courte durée, puisque la dame de Kerlouët est morte (lès
1626, et que Claude Fleuriot s'est ultérieurement remarié avec une de
Coëtlogon. Ainsi, les advis moraux peuvent avoir été écrits, pour
l'essentiel, avant 1623.
Leur interprétation suppose, cependant, la
consultation préalable du troisième document, le Journal déjà évoqué.
Celui-ci permet de mieux cerner la personnalité de l'auteur, le texte
étant rédigé, pour l'essentiel, avant 1610. En effet, l'intitulé de ce
journal mérite d'être relaté : « issy après est enregistré le temps que
j'ai épousé damoiselle Margueritte de Chef-du-Bois. ma femme ; ensemble
la naissance de ses enfants... avec plusieurs autres choses mémorables
advenu tant pendant les guerres de la Ligue... que depuis la paix, le tout soubz le règne
de Henry quattriesme... à qui Dieu veille prolonger la vie pour le bien
et le repos de son peuple et de son Etat. » On peut donc reconstituer
la manière de procéder de René Fleuriot. Il a commencé trois écrits
principaux : le relevé des procès en 1609, son Journal
vraisemblablement au même moment (en reprenant sans doute des notes
antérieures), puis, plus tard, les « advis moraux ». Mais cette
rédaction .,'..;t prolongée, par la suite, par le relevé des principaux
événements ultérieurs. Le Journal s'achève seulement 20 mars 1624, date
de l'entrée en religion de sa fille. Comme René Fleuriot est mort entre
1635 et 1637, sans que l'on puisse préciser davantage, il faut admettre
que la mort de sa bru l'a découragé de continuer son triple récit.
Rete¬nons une dernière indication. L'auteur note dans son journal « que
le 15' janvier 1623, au 56"an de mon age, je fuz attaqué de la
gouste au pied droict » ; or, plus -haut, il relevait, en 1616, la mort
du gouverneur de Guingamp, « après avoir esté travaillé de la goutte
dix ou douze ans ». L'accident de 1623 n'est-il peut-être pas étranger
au premier mariage de son aîné, survenu au cours de la même année (ce
qui rendait les « advis moraux » en partie inutiles). Commencé avant
les tractations de mariage (qui, à cette époque, durent un certain
temps), donc vers 1622, les advis moraux ont été légèrement remaniés
après novembre 1623, René Fleuriot estimant désormais inutile de
prolonger son œuvre éducative écrite.
En 1622, René Fleuriot a 55 ans. Il est issu d'une famille noble
possessionnée dans les environs de Guingamp et près de la
Roche-Derrien. Il appartient à cette noblesse catholique qui, en dépit
de la profondeur de ses sentiments religieux, n'a jamais abandonné le
parti royal. A vrai dire, cette prise de position ne lui avait pas
tellement réussi. Il est fait prisonnier une première fois, par le
parti de la Ligue au siège de Guingamp ; niais la capitulation de la
ville lui permit de s'en tirer à bon compte, sans bourse délier. Il est
repris, une seconde fois, en septembre 1594 et put, une nouvelle fois,
s'en tirer par un échange de prisonniers.
A peine revenu dans l'armée du maréchal d'Aumont il est repris une troisième
fois, dès le mois de mars 1595, et, cette fois, la note fut lourde : 2
750 écus au total (dont 250 pour son « logement » dans le château de
Dinan pour une durée d'à peine un mois). L'épisode illustre bien les
heurs et les malheurs de la noblesse française lors des guerres de la
Ligue. Il est infiniment regrettable que ce gentilhomme catholique et
royaliste ne nous ait pas fait part de ses sentiments intimes. Il reste
que les liens de famille ont joué un rôle important dans sa décision
politique. Il servit, en effet, dans le parti des « Royaux », « sous
son beau-frère », c'est-à-dire sous le commandement de Claude de
Kerguezay », gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, « capitaine
de 50 hommes d'armes des ordonnances ». Ainsi transparaît le rôle des
clientèles et des parentés, qui a certainement été pour beaucoup dans
la formation et le développement de ce tiers parti qui devait
permettre à Henri IV de conduire le pays à l'apaisement.
Peut-on dégager un portrait moral de l'homme qui s'adresse à ses
enfants au seuil de ce qui, à l'époque, est déjà la vieillesse ? Le
journal permet de dresser un premier bilan préliminaire. Sur les 57
paragraphes dont il est composé, cinq seulement ont trait à des
épisodes précis de la vie du narrateur : son mariage, ses captivités
sous la Ligue, la goutte dont il fût victime en 1623, la construction
de son cabinet-pavillon (1617). et dont il ne nous laisse quitte
d'aucun chiffre :« 60 livres de fasson, 60 livres de charpente, 21
livres de couvertures, 7 livres pour la terrasse, les fenêtres et les
portes collant 12 livres », soit, au total une centaine de livres. René
Fleuriot n'étale guère ses sentiments, et liquide ces questions
personnelles de la façon la plus expéditive possible. Le gros du
journal est réservé aux. événements familiaux : naissance, et,
éventuellement mort des enfants, morts d'amis ou de parents, entrées en
religion etc..., soit 28 mentions (40 % au total). Le tout est
brièvement relaté sans la moindre effusion sentimentale, avec une
précision sèche, remarquable pour l'époque par sa netteté et, plus
encore, l'exactitude des relevés d'âge et de date.
Nous sommes ici dans une famille qui, suivant l'excellente
formule de Lucien Febvre, a déjà passé de l'âge de l'à peu près, à
celui de l'exactitude. Détail piquant, la naissance des enfants est
presque toujours accompagnée de la mention de l'heure précise et de la
lunaison : « le 17 may 1599, au décours de la lune, fust nay... vers
huit heures du matin, ma seconde fille », ou encore : « le 18 juing
1600, au croissant de la lune, sur les huit heures du matin ». ou aussi
: « le 12e jour (le septembre, sur les onze heures du soir, au plain de
la lune » etc. Le détail permet d'abord d'affirmer que ce relevé
repose, à tout le moins, sur des notes précises (il apparaît peu
vraisemblable que notre gentilhomme ait conservé longtemps de mémoire
des données aussi différentes d'enfant à enfant).
Il permet aussi
d'envisager l'hypothèse d'une possible référence à l'astrologie. Quant
aux événements politiques généraux. ils n'ont droit qu'à sept
paragraphes, à savoir, le 28 niai 1598 la conclusion de la paix « entre
le Roy et Monseigneur de Mercure (sic) à Angers » ; le 27 septembre
1601, la naissance du Dauphin à Fontainebleau « au grand aise et
contenttement de toute la France dont furent faicts les feulx de
joie » ; la découverte, enfin, au cours du mois de juin 1602, de la
conjuration du maréchal de Biron « et du comte d'Auvergne par le sieur
de la La Noce, contre le Roy. le Dauphin de l'Estai, dont ensuivit
la punition dudit maré-chal qui eust la teste tranchée à la Bastille à
Paris. et le sieur ( La Fontenelle. cadet de Beaumanoir Eder, fust
rompu viff sur la roue convaincu d'avoir participé à ladite conjuration
». Le mot revient à plusieurs reprises sous la plume du gentilhomme :
mot-réflexe qui pourrait bien être la clef (le son attitude politique.
Il est d'autant plus curieux que la mort de Henri IV est relatée avec
la sécheresse la plus absolue : « fust tué le roy Henry dans un
carosse, d'un coup de couteau près le simetière Saint Innocent, par un
nommé François Ravaillac, fils d'un avicat d'Angoulême ». Mais René
Fleuriot est aussi peu favorable aux insurrections de la minorité du
règne de Louis XIII. qu'il l'avait été aux tentatives de la Ligue.
L'arrestation de Condé (octobre 1616) est assaisonnée de la remarque
suivante : « prisonnier au Louvre... d'où l'on espère pas qu'il sorte
de longtemps, crainte qu'il ne trouble l'Estat ». L'assassinat du
marquis d'Ancre (24 août 1617) lui fait dire que sa « mort apporta la
paix... et osta tout le maniement de l'Estat à la reine-mère ». Au
total, un gentilhomme royaliste, peu porté à suivre les incartades des
Grands, soucieux du bien de l'Etat : encore un trait de remarquable
modernité.
Mais la politique extérieure est très lointaine de la
péninsule bretonne. Un seul paragraphe du Journal y fait allusion, lors
de la guerre de Henri IV contre le duc de Savoie, expliquée en un
remarquable raccourci : « pour le recouvrement du marquisat de Salusse
usurpé par ledit duc en l'an 1589, lorsque la Ligue commença à lever
les armes contre le roy Henri 3e ; enfin la paix fust faicte par
l'entremise du pape, parce que le duc bailla la Bresse au roy en
échange dudict marquisat ». En dépit de la concision de ces remarques,
on ne peut pas dire que le gentilhomme breton se désintéresse du sort
du pays, bien au contraire, et l'on croit pouvoir discerner sous le
masque d'impavide sérénité une inquiétude constante. Mais ses
préoccupations les plus immédiates sont tournées vers l'écume des
jours, les menues et les grandes difficultés de la vie quotidienne.
Chertés des grains, pluies, cas d'exception météorologiques,
événements survenus dans le voisinage, nous rapprochent des « advis
moraux ». Détails importants, car les notations de ce genre n'abondent
pas en Bretagne. En 1596, « il y eust une grande cherté par toute la
France, et particulièrement en Bretaigne où le boisseau de fourment
vallut jusqu'à 4 et 5 escu ». En 1608, la hausse des prix débute au
mois de mars, s'accroit à la suite des pluies de septembre et d'octobre
« qu'il se pourrist grande quantitté de bléds », et s'aggrave enfin par
« les grandes groues (gelées) qu'il fist l'hiver ». En 1602, la neige
est. précoce, puisqu'elle débute le 26 novembre « qui deura bien 15
jours sur la terre, et fust sy haulte qu'on y allaict jusqu'au genou
». La semaine de Pâques (mars) 1606, la tempête « fist perdre grande
canditté de maisons à Lannion et par tout ailleurs ».
En 1608 enfin, le froid déclenche son offensive au
mois de janvier : « une forte groue qui portaict charettes et chevaux
et dura bien 3 mois ou environ ». Notons au passage que ces
descriptions coincident avec les analyses du rapport des isotopes 0 18
et 0 16 des carottes glaciaires du Groënland pour caractériser la
première décennie (au XVIIe siècle comme une période très froide par
rapport à l'époque des guerres de la Ligue. En dépit des accidents de
1596 et de 1608, la hausse des prix des grains devient très faible,
preuve de récoltes suffisantes. Politique avisé, — et intéressé — notre
gentilhomme est surtout un bon gérant de ses biens, qui relève tout ce
qui peut favo¬riser ou défavoriser le bilan de son entreprise
familiale. D'où l'inquiétude qui le prend en février 1604, quand, pour
répondre à la taxe de 30 % décrétée par le roi d'Espagne, les autorités
françaises répliquent par l'interdiction « de trafiquer » avec la
péninsule ibérique et les Flandres, ce « sur peine de vie ». C'est que
le propriétaire disposant (l'excédents de grains les vend, d'ordinaire,
aux marchands de Lannion qui les écoulent en Espagne. On comprend que
René Fleuriot accueille avec soulagement la levée de l'interdit
prononcée le 29 novembre de la même année. Même satisfaction quand les
Etats de Bretagne réunis à Saint-Brieuc abolissent, le 19 octobre 1605,
la « pancarte de dix-huit livres par tonneau de vin qui avoict esté
misse pour entretenir gens de guerre de l'an 1592 » ; pancarte plus ou
moins remplacée par un impôt indirect : « un soult pour pot de vin qui
se débitteroit aulx tavernes pour raquitter le domaine du roy alliéné
en Bretaigne » — en effet la mesure favorise les privilégiés.
Politique, intérêts matériels se mêlent aux préoccupations morales.
Si
notre gentilhomme relate d'abondance les malheurs du voisinage, la
morale, qui sera celle des « advis moraux » affleure. En 1617, l'un de
ses voisins, le seigneur de la Rochejagu, est victime d'une espèce de
guet-apens dressé par ses propres enfants, ce qui lui inspire la
réflexion
suivante : « cela est fatal en secte maison aulx enfants d'emprisonner
leurs pères et mères sur le décours des ans ». Tous ces traits vont se retrouver dans les advis. moraux qui ne
sont donc nullement une oeuvre tardive, mais bien une réflexion nourrie
de l'expérience méditée de-toute une vie.
L'homme étant ainsi cerné, autant que faire se pouvait, à qui
s'adresse-t-il ? L'aîné, Sébastien Fleuriot, est né le 6 juin 1594 à
Guingamp. Il avait donc, au moment de la rédaction de ce texte, quelque
26 à 28 ans. Mieux que tout commentaire, ce simple fait traduit la
puissance du « pater familias » capable de s'adresser encore à cet
homme fait sur le ton qui est celui des « advix moraux ». D'après le
portrait moral implicite qu'en dresse le père, le fils serait un bon
fils, qui, des vices abhorrés par ses parents, ne serait guère enclin à
autre chose qu'à la passion pour le jeu, et ne serait pas trop porté
aux exercices spirituels. Mais le discours s'adresse tout autant aux
autres enfants, à Marguerite, née en 1599, Marie née en 1600,
Toussaints, né en 1604, et Marc, né en 1607. Quatre autres enfants
étaient morts en bas âge : Maurice, à 15 mois, Louise, à 4 ans,
Florimonde, à 7 ans et Renée, à 16 mois. Le couple a donc eu 9 enfants,
dont 5 survivent : proportion honorable à l'époque où la mortalité
infantile et juvénile fauche la moitié des enfants. Les intervalles
des naissances sont très irréguliers : respectivement 11, 24, 18, 14,
12, 15, 32, 19 et 42 mois, ce qui implique une imbrication de deux
types d'intervalles inter génésiques très exceptionnels pour l'époque
et la région considérée.
Ici encore, nous sommes dans le cas d'une
famille nettement à part. S'il en fallait une démonstration
supplémentaire, elle est apportée par la recommandation du père faite
au sujet de son travail : « je ne désire pas que ces rapsodies soient
seules ailleurs qu'en mon cabinet, seullement par vos frères et soeurs
». Visiblement, René Fleuriot a conçu cette cinquantaine de pages de
très petit format comme un travail important, à la fois par sa portée
morale, mais aussi par la somme de travail qu'elle lui a coûtée : «
une peine et un labeur ». En soi, l'écriture est assez cursive,
témoignant d'une incontestable aisance dans le maniement de l'écrit,
quoique comportant des passages de lecture incertaine.
La graphie, comme il est logique en
ce premier tiers du XVIe siècle, est — on s'en est déjà aperçu à la
lecture de quelques extraits proposés ci-dessus — très phonétique. La
ponctuation fait à peu près totalement défaut. Les majuscules se
répartissent absolument au hasard. Du point de vue linguistique, la
phrase, souvent longue, est à mi-chemin entre celle de la fin du XVIe
siècle, encore paysanne d'allure, et la langue révisée, logique, que
Lucien Febvre décrit dans son « Rabelais » (2).
TEXTE.
p. 1/ Mon fils mon amy, je croirois avoir esté
inutille au monde pour vous et pour le surplus de ma famille si je ne
vous traçois
un formulaire de vivre aultre que celluy que je vois en pratique parmy
la jeunesse (le ce temps que je remarque adonnée à touttes sortes de
desbauches, signeunent au Jeu, à l'ivrognerie, à la paillardise et
aulx blasphèmes du nom de dieu ; pour le premier, auquel vous axés
quelque inclination, attire une mauvaise habitude que l'on ne peult
quitter aisement et, la continuant, elle causse de grandes despances
quy dégénère en prodigallitté et quy bouleverse les meilleures
p. 2/ et plus riches / familles et les les réduisant à un estat pitoiable et plain de misère quy redonne en suitte sur la
postéritté quy simili et entasse misère sur misère, quy les convie de
fulminer mille malédictions contre leurs pères et mères pour les avoir
engendrés pour vivre en une vie (le misère, aussy je vous convie de
quitter absolument le jeu de (lez et de cartes, sy ce nest pour passer
le temps que vous jouiés un escu ou deulx au plus sans vous piquer au
jeu. Pour les trois aultres visses, qui est la paillardise,
l'ivrognerie et les blasphèmes, je né pas recogneu que vous y soiés /
adonné, mais il fault prandre garde de ne sy adonner par mauvaise hantisse,
estant trois grands visses quy attiret sur nous l'ire de dieu et sa
malédiction, comme dit l'ecclésiastique que la plaie de dieu ne sortira
jamais de la maison du blasphémateur. Voilla pourquoy jes jugé à propos
de vous avertir d'évitter ces visses corne infâmes et odieux à dieu et
au monde et quy conduiset ceulx quy en font ordinaire profession aulx
paines eternelles. Sy je voullois vous raporter des exemples, je vous
citterois quattre ou cinq maisons en nostre pais quy ont faict
nauffrage pour avoir pratiqué ces visses,
p. 4/et de nos proches parents, les Noms desquelz je veulz taire par
honneur. Il est bon du mal dautruy faire son aprantissage et
de ne faire corne les taupes quy nouvret les yeulx qu'àprès la mort ;
ainsi font le prodigues quy naperçoives leur ruine quilz ne sont
réduits à une honteusse mandisitté. Je sensure daultant plus
critique-ment ce visse que je le vois estre plus commun parmy la
jeunesse de ce temps. J'en diré encore quelque chose : à la suitte de
ces advis que je vous donne en père plain d'attention et de désir de
vous voir, corne aussy vos
p. 5/ frères, suilvre le / train de la vertu, estant la voie quy
conduict les hommes aulx sieuls et les rand recomman¬dables au monde.
Je ne désire pas que ces rapsodies soient seues ailleurs quen mon
cabinet, seullement pour vos frères et soeurs, à quy je les donne tome
à vous, pour preuve de l'amour que je vous porte. En général, sy vous
en tirés proffict, ma paine et mon labeur, ce seu-ront ce contantement
dë navoir esté inutille et sans fruict ; y aussy vous en faictes
mespris, ne douttés point que dieu ne punira vostre arogance et
esloignera ces bénédictions de vous.
p. 6/ Prévoiant les grandes animosittés quy naissent aulx
familles sur la division des biens que pères et mères delaisset à leurs
enfants à leur déscès et les grands proçès quy s'engendret entreulx,
qu'ils randet imor-tels par la matisse et des aisnés et des cadets,
l'un votif-lant de mauvaisse foy cacher et latiser (?) les biens de la
succession et les aultres voullant extorquer plus que leur légitime ;
pour à quoy obvier et désirant nourrir la paix et la concorde en ma
famille, je voullu faire le partage et la dimission des biens, tant
meubles qu'im¬meubles, que ma femme et moy posedons à présant, et
p. 7/ pour y parvenir, je / mis par ordre dans une liasse de
papier relié le gros du bien de lad. sucession, scavoir l'ancien patrimoine de la maison de céans avecq ce
que je en départage de la maison de mon aisné, que je partage deulx
parts et tiers ; après, je sépare les acquets que jé faicts pour entre
partagés, scavoir les acquets nobles noblement et les acquets roturiers
par esgalles porsions entre l'aisné et les cadets, ayant aporté tant de
l'égalitté en ce partage, que mes enfants seroit par trop dénaturés
s'ils voulloient contrarier par procès ce que j'ordonne entre eulx,
ayant gardé en bon père à chascun son droict, sans affection
particulière aulx uns
P- 8/ plus qu'aulx aultres, et corne tel / jé tenu la ballante
en main le plus juste qui) ma esté possible. Ainsy dong, je conjure les
uns et les aultres de garder de point en aultre tout ce que je
prescript et ordonne entreulx pour leur partage, à paine de
désobeissance et de malé¬diction à celluy qui contremandra.
P- 9/ Ayant censuré les visses du temps, je creu qu'il estoit
(le mon debvoir de vous dire quelque chosse sur le suiebt de la pietté,
en quoy je vous ai recogneu un peu tiède, quy ma obligé de vous dire un
mot sur ce suiebt pour vous convier destre plus ardant à 'advenir à
servir dieu et ne laisser passer un seul jour, quelques affaires que
vous puissiés avoir, que vous ne fléchissiés le genout en terre devant
dieu, pour implorer sa grasse et sa miséricorde de tout vostre coeur et
vostre pançée, et
non à la seulement que sy vous préférés
les plaisirs et voluptés à ce quy est de son culte,
p. 10/ corne / font les libertins du siècle, ne douttés point qu'il ne
vous tourne le dos, quy vous fera trébucher dabisme en abisme corne les
enfants diniquitté. Il y a plus, c'est que les habitudes quelon prand
en la jeunese destre pieulx ou irréligieux, réglés ou débordés, seront
compa¬gnons de vostre vie jusqu'à la fin, synon ceulx que vous
quitterés par impuissance ou quy vous quitterons. Voillà pour quoy, il
est à propos d'eslir la meilleure voie puis quelle conduict à salut et
fuir l'aultre quy mène à perdition.
p. 11/ Après la piété suilt la charitté, l'une nopérant rien
sans l'aultre, la dernière nous estant tant recommandée toutte
lescripture, tesmoign ce queu dict ce bon et grand roy david au psalme
40 « beatus vir qui intelliget super Egenum et pauperem In die mala
Liberabit Eum domi-nus » ? Ainsy dong soiés charittable et
miséricordieulx en l'androict des pauvres et leur départés de vostre
bien libérallement, au moins du superflu. Vous ne ferés qu'imitter
vostre mère et moy, quy avons eu toujours cella en singulière
recommandaison. Aussy dieu a bény nostre travail et mesnagé et multiplié nos biens corne
p. 12/ Il fera aussy / Les vostres, nous imitant ou faisant mieulx et
ne détournés l'oeil de sur le pauvre, la veuffve et l'orphelin quy
mandiront vostre secours ; ains assis-tet les de vos biens et de vostre
conseil et de vostre fabveur, soict en justice ou ailleurs ou tu
voirras que Ion le veult opresser injustement, et vous ferés euvre
agréable dieu, naiant rien quy expie tant ny espargne la paine du péché
que la charitté. Ainsy dong, je la vous recommande, non seullement aulx
vivants mais aussy aulx morts, desquelz vous possédez les biens et, par
conséquent, obligé de faire prier dieu pour eulx. Ce
p. 13/ n'est pas assez / de donner un morceau de pain it la porte corne
on feroit it un chien, il fault faire rechercher ou il y a des pauvres
malades et vieilles gens, impuis¬sants de pouvoir plus travailler ny
gaigner leur vie et les faire nourrir de bons vivres, car les malades
et les vieillars ne peuvet saccomoder à touttes sotes de vivres. Ne
soiés aussy faché dabiller tous les ans une dousaine de pauvres, au
moins ces pauvres orphelins et aultres vieilles gens indigents et
necessiteulx ; ce faisant, vous préparerés le chemin pour monter au
siel et neu serés pas plus pauvre au bout de lan.
p. 14/ Je vous recommande aussy l'honneur et le respect et
l'obeissance dei)._ à vostre mère, corne f la personne à quy vous estes
obligés de l'estre et, de la fortune ne pouvant espérer nul bien au
monde que de sa libéra-litté, tout le bien luy appartenant, soict par
donnaison, my acquest qu'aultrement ; laquelle donnaison je faict a
deulx fins, l'une pour ne dépandre en rien de vous, sy dieu meust faiet
survivre vostre mère, et l'aultre pour vous obliger de luy randre
touttes sortes d'honneur et
p. 15/ d'obeissance et, en un mot, dépandre / entièrement entièrement
delle, La recognoissant sy bonne quelle ne vous laissera manqué de
comoditté, luy randant l'hon¬neur que luy debues. Je vous recommande
aussi Lamour de vos frères et seurs et leur avancement au cas, que
dispose de vostre mère et de moy avant que de les pouvoir marier, ny
avancer en dignitté éclésiastique et offices ; et sur tout, gardés vous
bien de les chasser (le la maison paternelle qu'ilz naiet rencontré
fortune, car ce sont vos frères, engendrés de mesine père et mère que
vous et nia que la primogéniture qui vous donne avantage sur eulx.
p. 16/ Je yen en mon voesine deulx ou trois aisnés quy ont mal
traicté leurs cadets et mesme chassé de leurs maisons, mais (lieu, quy
est juste et quy voict nos iniquittés, ne les a laissés long temps
inpunnis et réduits y misé
rables quilz ont été forçés de mandier laide et le secours de leurs
cadets. Ce pauvre misérable Runegoff traicta ainsy ces frères et seurs,
les ayant chassés de la maison de leur père incontinant après sa mort ;
il ne fust pas long temps sans en estre punny et n'est pas le seul de
-p. 17 ma cognoissance quy a reseu pareille punition
/ pour pareille faune. Ainsy dong, servés leur de père et de frère
s'ils
demeurés impourveus de fortune après nous ; oultre l'obligation qu'ils
vous en auront, dieu vous bénira et touttes vostre postérité. Je vous
recommande aussy de vivre avecq vots voesins en bonne intelligence sans
proçès ny querelle, comme je faict ; sy vous les avés pour ennemis, ce
seront aultant d'espions auprès de vous. J'é, grasse à dieu, passé le
meilleur de mon age sans avoir eu koigne ny querelle avecque eulx, au
moins
p. 18/ que fort peu et / men suis bien trouvé ; fuiés dong les
occasions de navoir proçès ny litige avecques eulx sy ce n'est avecq
causse legittime et pour la conservation du vostre. Je fuis toutte ma
vie le proçès, mais je esté sy malement que je rencontré des parties sy
rebour-ses (?) quilz mont toujours obligé de pléder contre nia volonté
et en me deffandant. Que sy par nécessitté vous estes contrainct de
pléder, donné vous garde de vous servir de faulx actes ny de faulx
témoins ny d'aultres méchante invention quy est ù présan commun parmy
le monde /
-p. 19/ Pour la conversation, quy est une partie requisse pour
le commerce du monde, je ne vous en dis que peu, reco-gnoissant que ce
n'est pas la plus faible partie que je remarque en vous, quy me
retiendra de ne vous en dire grand chosse. Il ne fault que voir ce queu
a dict charon au traicté de la Sagesse en la préfasze de son premier
livre ou je vous renvoie pour lumeur de nostre pais
nous haions les humeurs altières et fuions leur conversation, nous
aimons la franchisse et les humeurs complaisante it chascun, sans faire
le retenu ny par trop le sérémonieulx : hurleur de nostre pais. /
p. 20/ Je loue dieu de vous voir marié avant ma mort
et davoir sy bien ren¬contré, ayant une Du mariage.
Il se rencontrera peult estre que je serai mort avant que vous soiés
marié Aussy, le cas adve¬nant, je voullu vous en dire mon advis pour
vous servir mais que femme sage et quy a vous soiés sur ces avenues. Lors du bien. Gardés den
dong que vous voudrés vous ma¬faire mespris à cause rier, regardés de
prendre une quelle porte de l'âge bonne alliance et d'une rasse quy
vous vous. Sy dieu ne soit point tachée d'aucun vous en donne li¬ visse
hérédittaire comme lèpre, gnée, ce ne seront épilepsie ou mal caduc,
bosse, pas les plus pauvres folie ipocondriaque et plusieurs enfants de
leur pais; aultres maladies, qui sont corne mais sur tout, don¬
héréditaires en sertaines famil¬nés ordre de vivre les, que l'on doibt
fuir, quelque
p. 21/ sans debtes, car, tan comoditté que lon / y rencontre,
dis que vous en au- qu'il fault un siècle pour purger rés, vous serés
en une rasse de ces maladies qui inquiétude perpé¬ passés de père en
filz. Il y a
tuelle. plus : c'est que ces rasses ainsi
tachées ne sont pas désirées par alliance. Il est aussi à désirer que
la fille que lon désire en mariage soict engendrée (l'une sage
mère, car il advient souvant qu'elle leur raporter et dumeur et
d'action et. estant d'une mère insouciante, elles loget souvant leurs
maris au signe du Capricorne. Il y a un aultre mal quy suilt : test
qu'elles disposet le bien en affiquets et boubances, tellement que mal
fault du bien ; tout va en désordre quy aporte
22/ en suilte la ruine des bonnes / et riches maisons. Il y
en a en nostre pais quy ont faict nauffrage par le mau¬vais
gouvernement que les femmes ont faict et des biens et de leurs
personnes ; voillà pour quoy, quand il vous prendra envie de vous
marier, choisissez une bonne alliance et d'une rasse non tachée, corne
je dict sy devant, et tachés sy possible de recognoistre l'humeur de
celle que vous désirés faire compagne de vostre vie et fortune ; mais,
ayant faict rencontre d'une femme
13- 23/ sage et bonne, donnés vous garde de la mesprisser / ny
vous adonner à la putaserie ny à la desbauche des garses, de peur que
vostre femme, recognoissant cella, elle ne prenne l'essore à vostre
imitation et, à beau jeu beau retour. Je ne vous dict pas cella sans
causse car je
cogneu de mon temps trois ou quattre gentilz hommes signallés et de
maison, quy avoient de belles, sages et chastes femmes, lesquels
néantmoins tenoint des garses en leurs maisons contre tout respect et
honneur debu à leurs femmes. Qu'en est il advenu : leurs femmes, irri
p. 24/ tées du mespris queu faisoient leurs maris, ilz ont / faict banqueroutte à leur honneur pour aller au• change,
en sorte que ces familles ont esté diffamées d'honneur et mesme de
biens ; et le plus grand mal, cest qu'il s'est trouvé qu'ayant des
filles grandes et en age, elles ont suivi la piste de leurs mères, quy
a esté le comble de toute sorte d'infamie aux maisons ou cella est
avenu, et quy sont des meilleures de nostre pais, tant en l'esvéché de
Tréguier que St Brieuc, dont par honneur je veulz taire leurs noms.
Faictes dong vostre proffict de la faulte d'aultres.
p. 25/ 11 est aussi à propos de / ne prandre pour feme
d'aultre religion que la vostre, de peur que les enfants provenant de
ce mariage n'engendreraient (lu divorse entre vous, l'un voullant
nourir à sa religion et l'aultre à la sienne. Je ne vous dis pas cella
sans suiebt car j'en ay veu l'expériance en quelques familles de ce
pais. Prenés aussy garde en vous mariant que la beaulté ne vous
transporte de telle passion que vous nauriés pour tout dot quun beau
nez car, en la saison ou nous sommes ou le luxe est sy grand, il fault
avoir du bien pour
p. 26/ paroir parmy le monde. / Vos cadets tireront de vostre maison
dousse cents Livres de rante ; sy la feme que vous espoussées ne vous
aporte aultant de bien que cela, vostre maison ira en reculant au lieu
de l'avancer : cest pour quoy, ne vous laissés pas piper aulx apats
d'une pauvre beaulté car, en trois mois, la plus belle femme est
inportune et à charge sy le bien est en défissit. Je ne vous
conseillerois pas aussy de prandre une trop laide pour ne pas faire de
vostre maison un
p. 27/ purgatoire. Il y a plus : c'est que les / laides sont quel¬que
fois aussy diformes de l'esprit que du corps, quy n'est pas une petitte
genne à ceulx quy font de telles rencontres. Prenés dong garde à vous,
lorsque vous serés aulx termes de vous marier, car les faunes que lon y
faict sont irréparables et sans ressource.
Je ne vous conseillerois pas de vous allier La hault ny hors vostre
pais, par ce que ces femmes ne scavet rien au mesnage d'ailleurs, que
l'air de ce pais ne leur plaict nullement, ne trouvant point de
personnes de
p. 28/ conversation ny de compliment quy est le talent des / femmes de
la hault nourries aulx villes. Il v a un aultre inconveniant : cest
quelles sont de grandes despances en affiquets, baguetelles, brillands,
dantelles et aultres espèces de hardes comme cella, quy couste
grandement, tellement qu'il fault emploier un tiers (les deniers
dottaulx pour satisfaire ces despances, quy est charger d'aultant
vostre bien ; oultre tout cella, il fault, pour
imitter madame d'un tel lieu, avoir aussy un carosse, quy sont deulx cents escus de espance tous les ans, ce
p. 29/ que suputte sonnant. Voilla dong / l'importance due cest d'avoir
des femmes de la Hault quy ne se souciet de donner ordre ny à la
despance ny à ce quy depant du mesnage, tellement que, laissant touttes
chosses à la discretion des servitteurs quy sont pour laplupart larons,
tout ce consomme et se dépérit ainsi. Il est très nécessaire que la
femme aye l'oeil à ce quy regarde la despance de la maison, à paine den
courir ruine, car il n'est pas de la bien séance aulx hommes de mettre
le nez à cella, quy regarde entièrement le debvoir de
p. 30/ la femme. Il y a quelques aultres chosses / quy sont de la
charge du mary, que je remarqueray sy après en l'endroit de l'économie,
corne sont les grosses provi¬sions, vin, beuffs, heure et ce qu'il
fault de viande fresche pour la semaine ; du reste, c'est à la femme
dordonner de faire boulanger et ce qu'il fault de viande pour le disner
et le souper. Je veu des grandes dames ordonner toutes les despances,
néantmoins, s'il avient que la femme fasse mespris de cella, il fault
que l'home y suplee à paine dencourir ruine./
p. 31/ De l'économie de la maison.
Vous ayant dict mon advis sur vostre mariage, je juge estre nécessaire
de vous prescrire la forme que vous debvés observer en la despance de
vostre maison au désir du bien que vous laisseray. S'il acroit par
vostre mariage, vous pourez l'acroitre à la proportion ou bien le
mettre en réserve pour l'emploier en fonds ou en bastiment ou en rante
constituée, celluy que vous juge-rés estre le plus utille. A l'entrée
dong de vostre mes-nage, soiés soigneulx de régler vostre despance à la
p. 32/ proportion / et à lesgal de vostre bien, et ne faictes pas corne
un tas de jeunes évantés que je cogneu, les¬quels je veu depandre la
meilleur part de leur bien avant que de l'avoir recogneu, et après,
estre sy misérables qu'il falloict devenir sergent, tavernier ou
nottaire pour passer en misère le reste de leurs jours. Je vous en
nomerais de ma paranté un ou deulx et aultant de mes voesins, dont les
Sr de Keruerret et de Runegoff sont du nombre, l'un mon cousin, l'autre
mon nepveu quy
p. 33/ consomma en deulx / ans, avecq l'aide de sa femme, trante mille
tant de Livres de conte, fait et aretté en présance de plusieurs de ces
parans. Je eu deulx aultres voesins quy ont aussi consommé en
ivrognerie et aultres mauvais mesnage chacun deulx mille Livres de
rante, l'un le sieur de Isles, l'aultre le Sr du Tranbeuff, que je veu depuis
contraincts de mandier. Il me fauldrois un grand volume pour enroler
nombre d'aultres quy ont suivi la piste de ces pauvres misérables
prodigues, quy mangent en trois mois ce quy leur debvoit durer un an,
p. 34/ tellement qu'il falloit / s'attacher au fonds pour vivre le
reste de l'année, quy ne rapporte plus de fruict depuis qu'il est
aliéné et aussi, de presse en presse, l'on réduit le bien à rien. Pour
évitter donqà cella, il vous fault des provisions pour la despance de
vostre maison, corne beuff, lart et vin quy sont les grosses provisions
qu'il fault faire, chascune en sa saison, ou les achetter au double,
venant du jour à la journée, comme font
p. 35/ plusieurs grands seigneurs de nostre pais et d'ailleurs / quy
par ce moien consommet les grands biens et sont toujours en arrière. Il
fault dong faire sa provision de beure depuis la my may jusqu'à la fin
de juillet, corne estant la saison de l'année quil est à meilleur
marché pour le cautum (?), je vous en diré mon advis avant finir ce
chapittre ; pour les beuffs, il les fault achetter à la fin de juillet
ou à la my aust, par ce que cest la séson de l'année qu'ils sont aussi
à meilleur marché, joint que vous pouvés les faire engresser dans la
regaign de vos prairies jusqu'à la Toussaints ou la my novembre.
p. 36/ quy est la séson propre pour faire les tuaisons ; / pour le
lart, il fault avoir le soign de faire nourir des pour-seaulx au logis,
la canditté que vous jugerez estre requis pour lentretien (le vostre
maison. Sy vous en tués quat-tre par an, tant de plus que de moins, il
fault en nourir au double de ce que vous tuerés pour en avoir les uns
soubz les aultres. Sete nourriture ce peult faire, corne je dict, à la
maison à peu de fraiz, sy non lorsqu'il les fault engresser, mais cest
à la femme davoir ce soign,
p. 37/ ou le comettre à une servante ou gouvernante / quy sy acquitet
fidellement. Il fault avecq cella donner ordre aussi• que le foin,
paille ny avoine ne manquet jamais, quy font aussi partie des grosses
provisions car, s'ilz manquent corne en plusieurs maisons que je
cognois en nostre pais à nouel ou au mois de febvrier ou mars, il
faudroit les achetter au double, voire quelque fois au triple. C'est
pour quoy, soiés prévoiant à faire touttes ces grosses provisions, quy
sont de vostre charge, corne à vostre femme de les distribuer en temps
et en séson. De vous prescrire la cantitté, ny combien de chascune
,p. 38/ espèce, / il m'est difficile ; cella se doibt regler à la proportion de ces comodittés. Je vous diré néantmoins
corne je vescu : au commansement, de mon inesnage, je me passois avecq
trois et quattre cents livres de heure et deulx vaches grasses ou un
beuff et six bariques de vin ; depuis, aiant paié mes debtes et acquis
quelque bien, je. augmenté ma despance en sorte qu'il me fault à
présant cinq à six cents livres de beure, deulx beuffs de vin(g)t et
quattre et cinq escus le couple, et quelque vache
p. 39/ grasse, deulx tonneaux de vin / et quattre pour céans, qui est
une despance assez bonne pour un home de-six à sept cents escus de
rante, pour veu quelle soit despandue avecq économie, car le
gouvernement et la distribution des provisions faict la meilleure part
de l'epargne ; quelques grandes provisions que fassiez ne vous
suiliroient point sy on les anal gouverne. Pour le vin, il fault faire
vostre provision depuis nouel jusquà pasques et faictes que vostre
vieux vin vous dure jusqu'à
p. 40/ nouel et ne faictes pas corne aulx / grandes maisons ou l'on ne
boit jamais, ou peu souvent, de bon vin par¬ce qu'ilz ne le prenet qua
mesure qu'ilz en ont besoign, de fasson que, le charoiant en may juign
ny les aultres_ mois séquants, le vin ne s'épure jamais de lie et
devient grass. Passé dong le mois d'avril, ne prenés plus (le vin pour
la provision et, quand vous en prandrés une barique ou deulx plus qu'il
n'en fault pour vostre provi¬sion, vous ne ferés que bien, de peur que
quelque pièsse
p. 41/ ne se pousse / ou aigrisse ; sy cella n'arive, vous pourés
toujours vous en défaire à un tavernier pour du vin nouveau. On a
proffict, le vin estant ordinairement cher sur l'arrière séson. Pour en
avoir bon conte et au pris du marché, il faut vous entretenir aulx
bonnes grasses des marchants de Pontrieu quy vous le baille¬ront au
mesme pris qu'il leur coutte, les paiant contant corne je faics, car il
ne seroit pas raisonable de vous
p. 41/ bailler leur marchandise au pris du marché et / retenir-leur
argent huict et dix mois, tant du plus que du moins. Voilla ce que
j'avois à vous dire pour les provisions de vostre maison, auxquelles
vous debvez pourvoir aulx sésons prescriptes. Les faisant corne cella,
vostre des-pance parroitra et despanderés peu, pour veu que ceulz quy
en ont la charge les distribuet lidellement ; et sera à propos de faire
surveiller la despancière ou aultres quy en auront la charge car,
quelques fois, ils ont des
p. 42/ gens affectés aulx / quels l'on baille vin, viande et aultres
provisions en cachette, et signament, sy elles ont de l'amour pour
quelque servitteur ou pour quel¬qu'un du dehors, quy le même par
dariolettes (?) car
à celles la on faict largesse. Pour évitter à cella, il est requis de
semer la discorde entreeulx car, pour lors, un chascun découvrira son
compagnon : c'est la meil¬leure invention que je trouve pour découvrir
les larsins de mes gouvernantes, servitteurs et servantes. /
p. 43/ Ayant ordonné des provisions requises et nécessaires
pour vostre maison, je veulx vous dire aussy un mot pour ce qu'il fault
pour l'entretien de vos chevaulx et combien vous en debvez tenir
d'ordinaire en l'escurie. Quand vous aurez trois chevaulx en l'escurie,
scavoir deulx pour vous et une haquenée pour vostre feme et deulx
hongres aux champs, l'un damble pour porter une demoiselle et un aultre
pour porter une valisce et
p. 44/ aultre bagage au besoign / et trois ou quattre cavales pour
servir à la charette et pour porter poulains ; elles sont de peu de
despance, et néantmoins de grand proffict et de servisse, naiant
besoign de leur bailler ny foin, ny avoine, sy non lorsqu'elles
travaillent ou qu'il fasse de la groue ou de la nège, pour ceulz qu'il
fault entre¬tenir en l'escurie. Il fault pour l'entretien de chasque
cheval cinquante bouesseaulx davoine, à ne leur bailler
p. 45/ que trois mesures / par jour, les vin(g)t et quattre fai¬sant le
bouesseau, ou quattre mesures à trante deulx au bouesseau. Il fault
quattre charettées de foin et deulx de paille pour chasque cheval, ou
trois de chascune sy pour le moins vous leur donnés de la paille tous
les jours. Il vous fault dong, pour lentretien de vostre escurie à
trois chevaulx, dousse charettées de foin et huict charettées de paille
et, pour vos cavalles et hon¬gres et aultre bestail corne vaches,
aultre dousse cha-rettées de foin et dix de paille, que vous pourez
cueillir
p. 46/ en vos / prairies, les bien mesnageant comme je faicts en mon
temps. Pour la paille, vous en pourez avoir à suffire, tant de vostre
méttairie que de la disme de Pabu et Bihan, que je eu toujours en ferme
du recteur pour cinquante bouesseaulx fourment par an. Pour lavoine, il
vous en fault deulx cents bouesseaulx, scavoir : cent cinquante
bouesseaulx pour l'ordinaire de vos trois che-vaulx et cinquante pour
les survenants, et pour faire de
la bouillie aux laboureurs et servitteurs de la
(la suite manque)
L'analyse de cette exhortation paternelle soulève de nom¬breux
problèmes. La composition est très cohérente, quoi¬qu'il y ait quelques
chevauchements et quelques retours en arrière. Quatre parties principales s'en dégagent : une intro¬duction
en forme d'admonestation spirituelle, admirable exemple de ce que
pouvait être la morale familiale ; puis, —d'ailleurs imbriquée dans la
partie précédente — la mise en ordre de la situation familiale :
partage, situation privilégiée de la mère de famille en cas de veuvage
par rapport aux enfants (dont certains, ne l'oublions pas, ont dépassé
l'âge légal de la majorité) ; ensuite, un long passage sur le choix de
l'épouse idéale à l'usage de l'aîné ; et, enfin, la dernière partie,
malheureusement inachevée, portant sur l'économie domestique.
Ce texte repose sur une morale précise.
On aimerait connaître, à ce
sujet, quelle a ét•4 la formation intellectuelle et spirituelle de René
Fleuriot. A-t-il été à Paris avant son mariage, comme ses liaisons
familiales auraient pu le lui suggérer ? S'est-il, en dehors des
guerres de la Ligue (pendant lesquelles il n'a pas quitté sa Bretagne
natale), laissé entrai-ner à quelque voyage ? Si cela a été le cas, ces
séjours extra-provinciaires ont certainement été de très courte durée.
Ils n'ont, en tout cas, laissé aucune trace dans son « Journal ».
L'analyse interne de notre document permet de préciser un certain
nombre de points. René Fleuriot est un lecteur averti de l'Ancien
Testament, ce dans le texte latin (le la Vulgate. Il cite, en effet, p.
11, le premier verset du psaume 40 : « Heu¬reux qui pense au pauvre et
au faible : au jour de malheur, Yahvé le délivre ». On pourra objecter
qu'une citation uni¬que ne signifie pas grand chose, et qu'elle peut, à
la rigueur, être tirée de la liturgie courante (ce qui, d'ailleurs,
suppose¬rait, de la part de René Fleuriot, précisément, une certaine
habitude de cette liturgie). Mais ce premier renseignement est
corroboré p. 3 par une allusion explicite de l'Ecclésiasti¬que. Or, la
lecture comparée des « Advis moraux » et de l'Ecclésiastique fait
apparaître bien autre chose qu'une sim¬ple citation d'emprunt. En fait,
la morale de René Fleuriot est à très peu de chose près, celle de
l'Ancien Testament. La citation explicite concerne le chapitre XXIII,
verset 7 à 11 : « N'accoutume pas ta bouche à faire des serments, ne
prends pas l'habitude de prononcer le nom du Saint... un homme•
prodigue de serments est rempli d'impiété... celui qui jure et invoque
Dieu à tort et à travers ne sera pas exempt de fautes ». Au-delà de cet
exemple évident, il suffirait de tra¬duire les advis moraux en un
tableau et de lui accoler les citations correspondantes du livre de la
sagesse de Jésus Hen Sira. Même morale de respect vis-à-vis des
parents, et, en par¬ticulier de la mère, chapitre 3, devoirs envers les
parents : « la bénédiction d'un père affermit la maison de ses enfants,
mais la malédiction d'une mère en détruit les fondations etc. » ; mêmes
recommandations au sujet des femmes, IX, 1 à 8 : « ne te livre pas aux
mains des prostituées : tu y per¬drais ton patrimoine » ; même méfiance
vis-à-vis des hom¬mes occupant des situation trop élevées, III, 17, et
surtout VIII, 1 à 2 : « ne lutte pas avec un grand... ne te querelle
pas avec un riche » ; même insistance sur la charité et sur la manière
de donner, IV, 1 à 10, et VII, 32 à 36 : « que la générosité touche
tous les vivants... etc. » et, plus encore, XVIII, 15 à 18 : « Une
parole ne vaut-elle pas mieux qu'un riche présent ? Mais l'homme
charitable unit les deux » ; même désir de ne fréquenter que ses égaux
(ensemble du chapitre XIII : « quand un grand t'appelle, dérobe-toi ;
ne te précipite pas, de peur d'être repoussé ; ne te tiens pas trop
loin, de peur d'être oublié » ; même désir d'éviter les procès avec les
voisins, XXV, 1 à 2 : « II y à trois choses que mon fune désire...
l'accord entre frères, l'amitié entre voisins, un mari et une femme qui
s'entendent bien ; » mème souci de prudence matérielle et de prévision
économique, XVIII, 25 :
quand tu est dans l'abondance songe à la disette, à la pau¬vreté et la
misère quand tu es riche » ; même souci, enfin, (le la responsabilité
paternelle, XXII, 3 à 6. En dehors de ces convergences précises, l'état
d'esprit général est également très ressemblant. Sans doute plus d'une
de ces recomman¬dations pourrait se situer au confluent des sagesses
popu¬laires les plus classiques. Néanmoins, la superposition des
citations de détail, la coïncidence de l'ensemble l'aveu explicite,
enfin, font, que nous sommes en présence, non d'une démarcation
littérale, mais bien d'un esprit tellement pénétré du vieux livre qu'il
en a assimilé l'esprit. Le fait est
d'autant plus surprenant qu'on ne trouve, dans les divers documents du dossier Fleuriot aucune mention du Nouveau Testament.
Religion d'efficacité, nourrie de l'Ecriture (un aspect que
l'on n'est pas tellement habitué à trouver, du moins à cette date, sous
la plume d'un laïc catholique), elle est d'abord une morale adaptée aux
besoins précis des en¬fants, fussent-ils adultes. Elle porte sur trois
points essentiels : la piété envers Dieu, caractérisée par l'obligation
faite de faire son « culte » quotidien, quelles que fussént les
cir¬constances ; la « charitté » — qui n'opère rien sans piété — ;
enfin un jugement sur l'attitude morale de la jeunesse de ce xvième
siècle commençant. On ne peut qu'être frappé par l'insistance mise sur
le devoir de secours du prochain, que ce soit par une aide devant la
justice, que ce soit en conseil,
que ce soit surtout « en vos biens ». Cette charité ne peut se contenter d'être passive : il n'est pas question de tendre
son pain au pauvre sur le pas de sa porte « comme à un chien ». Il
faut, au contraire, une charité active, qui présup¬pose la recherche de
l'aide à fournir. On retrouve ici la pas
torale du « pauvre honteux » si caractéristique des xvile et
xvine siècles, qu'illustrent les testaments, les donations de deux siècles. Issu du concile de Trente, cet aspect de la pas
torale a été, jusqu'à présent, très peu étudié par les historiens ; or,
elle est l'une des pièces essentielles de la « Contre-Réforme ». La
présence de cet aspect du renouveau religieux
dans notre document témoigne de la pénétration dans le
monde laïc des courants de la pensée religieuse. La descrip¬tion des « visses de ce temps » est beaucoup plus classique :
jeu, ivrognerie, paillardise, blasphèmes, et, pour reprendre les termes
de René Fleuriot, « les progrès des libertins » le mot, ici, met
plustôt l'accent sur l'impiété.
Par delà cette morale, il est intéressant de noter la moti¬vation assez
originale de ces « advis moraux ». Il y a, sans doute et ce dès la
première page, la référence « aux peines éternelles ». Mais René
Fleuriot n'y insiste guère. En revan¬che, il est une idée à laquelle,
visiblement, il tient beaucoup : c'est celle de la rétribution
immédiate, dès cette vie terrestre. Le vice, est par soi-même, « odieux
au monde » ; il est, de
toute façon, puni ici-bas. Tout au long de ce texte, presque chaque cas est illustré par des exemples concrets, choisis
dans le voisinage immédiat, si ce n'est dans la famille même.
Ces exemples, d'abord pudiquement anonymes, sont expli¬cités en toutes lettres dès qu'il s'agit de donner un exemple
de mauvaise gestion de fortune. La pratique de la charité aboutit à la
bénédiction divine, et sans fausse modestie, l'au¬teur se réfère à la
réussite de sa propre famille. Cette religion,
ici encore, est directement issue de l'Ancien Testament. En dépit de l'aversion marquée par René Fleuriot vis-à-vis des
inariages mixtes protestants-catholiques (condamnés, au sur
plus, pour une raison très pratique de désaccord sur l'édu¬cation des enfants), on peut se demander dans qu'elle mesure
cette lecture assidue de l'Ancien Testament n'est pas, en partie, le
résultat des contacts avec des gentilshommes calvi¬nistes. Il n'en
manquait pas dans les armées royales, et il en existait même dans le
Trégorrois.
Famille et religion sont intimement liées dans l'esprit du rédacteur. Le but essentiel de sa vie réside dans la trans
mission à ses enfants de la morale ainsi définie. C'est au « pater
familias » de veiller, à la fois, au salut éternel de sa tribu, comme
aussi de conserver et d'augmenter la fortune du clan. Le respect des
parents, d'essence religieuse, se
traduit, concrètement, par l'obligation de respecter aussi les réglementations qu'ils ont édictées au sujet du partage de
la fortune. Ce d'autant plus, que nous nous trouvons dans une famille
noble, et qui entend bien faire respecter sa noblesse, tout comme, dans
l'Ecclésiastique, l'inégalité des
conditions est voulue par Dieu (XXXIII, 7 à 19). Pour éviter toute
dispute entre enfants héritiers, le « pater familias » a pris deux
dispositions, que renforcent — et tempèrent aussi
— ses recommandations. Le pré-partage opéré par ses soins,
est accompagné par une donation complète effectuée en faveur de la veuve survivante, garante, après la mort du père,
du respect et de la stricte observance des conditions impo¬sées. Les
enfants dépendront entièrement de son bon vouloir. Sur le plan
nobiliaire, nous sommes en présence du partage noble typique, suivant
les règles de la Coutume de Bretagne.
L'aîné reçoit les deux tiers des biens nobles (c'est-à-dire des terres
nobles, des immeubles, de l'argent etc) ; le dernier tiers revenant à
l'ensemble des cadets. Quant aux biens roturiers (c'est-à-dire, pour
l'essentiel, les terres roturières), elles sont partagées également. On
comprend, dans ces conditions, le lien étroit établi entre le mariage
et le partage qui est l'une des caractéristiques fondamentales de
l'Ancien Régime. René Fleuriot met d'ailleurs les points sur les i. 11
est indispensable de faire un bon mariage rentable. C'est une nécessité
pour l'aîné, car il voit partir avec ses cadets et ses cadettes 1 200
livres de rente. Au mariage donc de réparer les « brèches » creusées
dans la fortune familiale du « chef de nom et d'armes », pour
s'exprimer dans les termes d'au¬tres textes contemporains. La femme de
l'aîné doit donc, en bonne logique, apporter en ce cas précis, un
capital mini¬mum de 20 000 livres. Aussi le mariage de l'aîné est-il la
grande affaire, qui passe avant toute autre considération.. Et l'on
comprend l'immense soupir de soulagement qui s'étale, naïvement, dans
la marge de la page 20, l'opéra¬tion une fois réussie : « une femme
sage et qui a du bien ». C'est là, d'ailleurs, que la comparaison avec
l'Ecclésiastique se trouve en défaut. Ben Sira se borne à recom¬mander
sagesse et beauté dans le choix d'une épouse, XXVI, 21 à 27 : « La
beauté d'une femme réjouit le regard, c'est le plus grand désir de
l'homme. Si la bonté et la douceur sont sur ses lèvres, son mari est le
plus heureux des hommes ». Pour le sage de l'Ancien Tes¬tament, un
pauvre en bonne santé vaut largement un riche malade. Ici, le maintien
de la lignée exige la richesse, ou du moins l'aisance de l'épousée de
manière à ce que « vos enfants ne soient pas les plus pauvres de leur
pais ». Mais le mariage est tout autant nécessité vitale pour la survie
des cadets. Individuellement, ils disposent, en effet, chacun de 240 à
250 livres de rente. En ce début du xviie siècle, ce n'est pas la
misère, surtout à la campagne. Ce n'est pas, non plus, l'aisance, ni, à
plus forte raison, ce qu'il faudrait pour tenir le rang. Mais,
visiblement, les cadets devront se « débrouil¬ler ». Ce qui nous vaut
un piquant tableau de la femme idéale. Ne poussons en effet pas le tableau au noir, la fortune, si
elle justifie une petite différence d'âge, ne peut s'accomoder de
laxisme moral.
La femme idéale doit être saine, issue d'une famille sans maladies
héréditaires. L'énumération de ses maladies révèle, au-delà de
l'anecdote, une mentalité très évoluée, puisque la folie, comme
l'épilepsie sont considérées comme des maladies, dont, à la rigueur,
on peut « purger » une « rasse », au prix d'un siècle d'attente... Et
regardons aux parents ! La mère doit avoir été « sage ». Que la fille
soit fortunée autant que possible, de même religion catholique, mais
qu'elle n'appartienne pas à la haute noblesse, qu'elle soit issue du
crû et comprenne l'humeur du pays, n'aimant pas — parce que ne
connaissant pas les bagatelles : dentelles et bijoux —. Enfin, qu'elle
mette la main à la pâte, ce au sens le plus strict du terme, puisque
son devoir de maîtresse de maison impli¬que le
gouvernement des petites provisions, dont la part essentielle revient à
la fabrication du pain. Point laide, mais pas trop belle, ou, plus
exactement, trop uniquement belle, elle doit — cela va de soi — être de
bonne alliance. L'on se prend, par moments à songer à certains passages
de l'école des maris qui puise au même fonds médiéval. Sous-entendu :
aux cadets de faire de même. Quant à la dot, il convient — nous sommes
ici très près des termes des contrats de mariage — « colloquer » ou «
enfoncer » les deniers dottaux en terres, dignités ecclésiastiques ou
en offices, — ou en rentes consti¬tuées. Cette partie prévisionnelle
impose une double remar¬que : l'importance accordée aux offices et le
rôle attribué aux rentes constituées. En effet, l'investissement en
terres, en biens immobiliers, voire en prébendes est traditionnel. En
revanche, la noblesse bretonne se différencie de la plupart des autres
noblesses françaises par le fait que les familles d'ancienne noblesse
n'ont jamais boudé l'achat d'offices, ce dès le xie siècle. A cet
égard, l'attitude de cette noblesse est très proche de celle de la
bourgeoisie, ce peut-être parce qu'aux x vie et xvie siècles, surtout
dans la région considérée, la bourgeoisie est encore peu nombreuse et
peu influente. Quant au cours du x vie siècle, comme un succédané moné
taire, destiné. à la fois, à palier l'insuffisance de l'argent liquide,
et à créer des rentes et des revenus facilement négociables.
La gestion des biens. Les remarques très développées que nous trouvons
sous la plume de René Fleuriot s'éclairent par les notations qu'à la
fin du siècle, Toussaint de Saint-Lue a sur l'évolution de la richesse
de la noblesse bretonne (3). On retrouve, dans les deux textes, la même
inquiétude devant l'écroulement de certaines fortunes nobles, le même
souci d'équilibrer, par une bonne gestion, les recettes et les
dépen¬ses, la même hantise, la même peur et le même refus de pro¬céder
à des emprunts, de compliquer la gestion par le rem¬boursement des
dettes. Aussi le « pater familias » ne se contente-t-il plus de
généralités, mais entre-t-il dans le détail de la vie quotidienne. Il
ne conçoit cette gestion que sous la forme d'un partage des
responsabilités entre mari et femmè. A l'homme revient le soin de
procéder aux achats des gros¬ses provisions (et, implicitement, à la
rentrée des revenus, voire aux dépenses des domestiques, comme le
prouvent les fragments de livres de compte qui accompagnent ce texte) ;
à la femme d'opérer la redistribution quotidienne et de sur¬veiller le
détail des petites provisions. Ce qui explique la recommandation
adressée aux enfants de ne pas choisir leurs femmes dans un milieu
d'origine urbaine ou socialement trop élevé. Car si la femme ne prend
pas sa part de responsabi¬lités, tout retombe sur son mari. L'image
d'une noblesse insouciante et dépensière, telle qu'on la trouve
couramment chez les historiens, se trouve ici totalement en défaut.
L'analyse à laquelle se livre René Fleuriot, a pour l'histo¬rien du xxe siècle l'immense avantage de démontrer
sation des mécanismes des prix agricoles. Fleuriot ne parle
pratiquement pas de la hausse générale des prix qui a affecté la
deuxième moitié du xvi° siècle. Cela est logique dans la mesure où les
prix des trois premières décennies du xviie siècle oscillent autour du
palier de hausse atteint vers 1590, du moins si l'on considère
uniquement les prix nominaux en livres non « rectifiés » en valeur métal précieux. 11 y a, certes
quelques pointes importantes (1603, 1608, 1617, 1625). mais rien de
comparable à l'immense catastrophe de l'année 1596 (4). 11 faut
attendre l'année 1630 et 1641 pour voir se rééditer dans la région de
Lannion-Guingamp — en beau¬coup moins grave — un phénomène comparable à
celui de la décennie de 1590. De 1600 à 1630, on peut considérer que la
moyenne des prix des céréales est assez stable. Aussi le maî¬tre de
maison économe joue-t-il sur les différences des prix saisonniers. 11
faut acheter à la bonne saison — celle des bas prix — les provisions
dont on a besoin au courant de l'année, de manière à éviter les effets
de la spéculation saisonnière : « les faire chascune en sa saison, ou
les acheter au double, venant du jour à la journée ». Sur ce point,
Fleuriot prend une attitude qui s'oppose aux habitudes de la haute
noblesse, et s'affirme donc un cas d'espèce. Il existe cependant un
moyen de contrôle : les inventaires après décès. Malheureu¬sement,
l'inventaire des archives judiciaires (en Bretagne, les inventaires
après décès se font non devant notaire, mais devant les juridictions
locales) est loin d'être achevé, et nous ne disposons pas d'études
d'inventaires après décès du début du xvne siècle. Force est de se
contenter d'impressions. Or. René Fleuriot n'est pas le seul grand
seigneur à faire provi¬sions de ce type; nous connaissons plusieurs cas
similaires, sans que l'on puisse dire, pour l'instant, s'il s'agit
unique¬ment de cas particuliers. Ces réflexions du maître s'appli-quent
ici aux seuls achats extérieurs. On peut supposer qu'il a agi de même
pour ses propres ventes dont, paradoxale¬ment, il ne parle pas. Le
détenteur de grains (et de paille) a, en effet, un intérêt évident à ne
pas vendre après la récolte, au moment où les prix sont au plus bas,
mais de retenir ses grains pour les vendre au moment de la soudure,
c'est-à-dire à l'époque où les prix sont au plus haut de l'an¬née. On
peut, sur ce point, faire confiance au savoir-faire de l'auteur.
L'originalité de notre document réside dans le fait que
René Fleuriot établit un véritable calendrier d'achat. Il est dicté par
l'autoconsommation d'un certain nombre de produits (grains, produits
de la basse-cour et du jardin, chasse. ect.). On peut ainsi mesurer le
degré de dépendance de la famille par rapport au marché. Toutefois, le
calendrier, ainsi établi, n'est valable que pour les grosses provisions
— qui sont, essentiellement — celles de l'hiver. La dépendance réelle
est donc plus grande, car il faut y ajouter les dépenses au jour le
jour : viande de boucherie, poissons de Carême, épices, pour ne pas
parler du sel dont la consommation a dû être très élevée, puisque la
seule salaison de 4 porcs, de 3 têtes de gros bétail et de quelques 300
kg de beurre nécessite, d'après les normes de salaison de l'époque un
achat de 300 kg de sel, non inclus la consommation courante (ce qui
souligne l'avantage énorme dont dispose une Bretagne sans gabelle).
L'auteur suppose l'autosatisfaction des besoins en grains —peut-être à
l'exception d'une partie des besoins en avoine (réservée pour les
chevaux et la nourriture des domestiques : les grains sont donc en
partie encore consommés sous forme de bouillies), la paille
(explicitement affimée, grâce à l'apport des dîmes), et le foin, soit,
au total environ 24 charretées de foin et une vingtaine de paille. Mais
le grand problème est celui de la consommation de la viande d'hiver.
La
combinaison adoptée est fondée sur le principe du moindre coût. Le
domaine des Fleuriot n'est pas utilisé comme un domaine « naisseur ».
On achète les bêtes à l'extérieur, pour les engraisser sur ses terres.
La Bretagne du nord donnait donc une certaine spécialisation du travail
agricole. Naturellement, l'achat des bêtes doit se faire au meilleur
moment, à la fin de l'été, quand le prix du bétail baisse, quand
l'herbe vient à manquer, Les boeufs acquis en juillet-août paissent
donc sur les prairies du domaine pour être tués, au cours du mois de
novembre. Le procédé est celui de l'embouche, utilisant l'herbe du
regain, tandis que le foin de juin est sans doute utilisé comme réserve
générale pour le reste du cheptel. Ce qui suppose une surface de
prairies suffisante. Or, en dépit des avantages du climat océanique
breton, les prairies ne sont pas très nombreuses en Trégorrois. L'un
des avantapes majeurs de la noblesse réside dans le fait qu'elle possède la
majorité de ces prairies.
Quant aux porcs, l'auteur souligne combien
leur élevage peut se faire à peu de frais. à condition toutefois, et la
remarque est précieuse, de prévoir d'emblée un cheptel double par
rapport aux besoins, de manière à avoir toutes garanties contre les
aléas du sort. Peut-on aller plus loin et utiliser ces indications pour
essayer de calculer ce que pouvait être la ration alimentaire carnée
(le la famille ? Le résultat auquel on aboutit ne concerne que les
seules grosses provisions : ce qui ne représente qu'une partie de la
consommation annuelle. En 1620, la famille comporte 7 personnes (les
deux parents et les cinq enfants), auxquelles s'ajoutent le
domesticité. Celle-ci monte à 6 personnes (d'après le relevé fait
d'après le carnet de gages de René Fleuriot). La maisonnée compte donc
13 bouches à nourrir, plus la marge indispensable pour accueillir les
hôtes (le passage. Or, la provision carnée salée, comprenant le boeuf
salé et le lard des porc représente au total deux boeufs, une vache
grasse et quatre porcs soit, à raison de 150 kg de viande pour les
boeufs et de 50 pour les porcs quelque 400 kg de viande de boeuf et de vache, un peu plus de 150 kg de
viande de porc, La ration annuelle s'élève donc à un total de 40 à 45
kg de viande salée par an. Or la basse-cour est importante, le
pigeonnier bien garni, les redevances seigneuriales apportent un contingent non négligeable de poules, de coqs
« bons et compétents » etc. Il faut donc, au minimum, doubler ces
chiffres. A rester très prudent, on peut estimer que la ration carnée
annuelle se situe autour de 70 kg par personne, et probablement,
nettement davantage. Encore peut-on se demander si les domestiques
reçoivent réellement la même ration que les maîtres, puisqu'il est
expressément spécifié qu'ils consomment des grains d'avoine. Ces
rations sont, en réalité, énormes et sont fort comparables à des
rations du xxème siècle.
La famille Fleuriot disposait donc d'une
alimentation très équilibrée, dans laquelle la part des protéines
d'origine animale était largement suffisante. Il en va de même pour les
matières grasses : 250 à 300 kg de beurre salé (quel que fut son goût
au début du printemps...) représentent une ration d'un peu plus de 20
kg par personne, compte non tenu de la consommation fraîche. Ce chiffre
de beurre salé peut surprendre, mais les inventaires après décès des
grandes familles montrent toujours l'existence de stocks de beurre
importants. Il semble que la quantité de lait exigée pour cet
approvisionnement n'ait pu être obtenu sur le domaine et qu'il fallait
acheter tout, ou partie, de cette provision sur les marchés —
probablement de Pontrieux, comme pour le vin.
Pareil approvisionnement
ressemble étrangement à celui des navires de commerce. Pour apprécier
ces données quantitatives, il importe de les situer dans le domaine
géographique où elles sont valables, et qui est celui des franges
agricoles du domaine maritime. La cuisine locale a pu profiter des
procédés de conservation élaborés pour la navigation.
Les achats de vin réflètent, eux aussi, cette interpénétration du monde
rural et du monde marin. Trait de moeurs, René Fleuriot insiste
lourdement, auprès de ses enfants, pour leur suggérer de bonnes
relations avec les marchands de vin de Pontrieux. L'acquisition du vin
doit se faire au bon moment, de janvier à avril, en plein hiver,
toujours au plus bas prix possible, c'est-à-dire en payant comptant,
soit à la valeur du prix de revient. Nul doute que sur ce point,
Fleuriot doit être une exception. Achat massif, qui comporte
l'indispensable marge de sécurité annuelle.
Que le vin ne soit pas entièrement
consommé, ou qu'il se pique, il n'y a rien de perdu. En arrière-saison,
à l'automne et au début de l'hiver, le vin est si rare que, même piqué,
il se vend avec bénéfice par rapport aux prix d'achat. D'où vient ce
vin, de Bordeaux ou de Nantes ? On eût aimé trouver ce détail, d'autant
que René Fleuriot a quelques prédispositions gastronomiques. L'achat à
la bonne saison d'hiver a l'immense avantage de laisser reposer le vin,
de le décanter. Nulle allusion au cidre. A cette date, le pommier à
cidre, venu de Normandie, n'a encore que peu pénétré en Basse-Bretagne.
Reste un petit mystère : le « cautum ». Les dernières pages étant
perdues, nous sommes privés du développement annoncé. De quoi s'agit-il
? On peut émettre deux hypothè¬ses. On peut penser à l'orthographe
phonétique de coton et, en ce cas, la maison le long des veilles
d'hiver, filerait le coton pour ses propres besoins. Si le fait est
habituel pour la laine, le lin ou le chanvre, il l'est infiniment moins
pour le coton. On serait donc en présence d'une nouvelle confirmation
du modernisme relatif du maître de maison. La deuxième hypothèses
tendrait à faire dériver le mot du « catun », c'est-à-dire du tabac.
Faire sa provision de tabac en un seul achat massif et à bas prix
serait tout à fait dans la ligne des habitudes familiales. Avouons que
nous ne savons pas exactement de quoi il retourne — et qu'il y a,
peut-être, d'autres suggestions possibles.
Au total, nous sommes donc en présence d'une alimentation riche, où,
nécessairement, la part des grains est sensiblement réduite par
rapport à la moyenne des consommateurs, comportant une part très forte
en protéines d'origine animale, en graisses, riche en calories.
Peut-être y a-t-il déficit en vitamines, surtout en morte saison.
CONCLUSION
Cette vie (l'un gentilhomme breton est, incontestablement. une réussite
matérielle indiscutable. D'ailleurs, René Fleu-riot en est très
conscient, puisqu'il en fait la remarque à deux reprises d'abord, au
début de ses advis moraux, quand il souligne l'efficacité de la
récompense temporelle de sa charité ; à la fin de son travail ensuite,
quand il compare avec fierté l'amélioration du niveau de vie de la
maisonnée. Ce succès lui a permis de se débarrasser de ses dettes et
de surmonter les conséquences du trou financier creusé au début de son
mariage par la lourde rançon de 1595 (2 750 écus), soit le revenu de 4
années. A l'orée de sa vieillesse, son aîné solidement établi, il
dispose d'un train de vie de 700 livres.
Il est certes, personnages plus illustres. Sans ces « advis moraux » et
son journal, René Fleuriot ne serait qu'un nom à l'intérieur d'un arbre
généalogique. Mais les deux témoignages font ressurgir, à la mémoire
des historiens, un homme qui, sans bruit, a fait son devoir et a su
mener sa barque familiale dans une période difficile entre toutes.
D'aucuns, pourraient faire observer que sa religion est, par moments,
bien intéressée, certains de ses procédés, comme celui de semer la
dissension dans son petit monde domestique de manière à empêcher les
larçins, discutables. Outre qu'un jugement de ce genre porte témoigne prime, ces attitudes s'expliquent fort bien à une
époque dure qu'est le début du xvième siècle. Au surplus, les relevés des
comptes des domestiques montre l'humanité de l'homme face aux coups du
sort. Constatons combien René Fleuriot est un homme de son temps,
participant pleinement aux circuits économiques régionaux, dont
l'indiscutable préférence pour une vie campagnarde tranquille est
tempérée par le souci de « l'Estat ».
Il est admirablement au fait des
nécessités quotidiennes, des événements locaux. Une culture certaine, dont
témoigne la maitrise de l'écriture et la saveur du style, va de pair
avec une morale austère, imbibée de la lecture de l'Ancien Testament,
voire de quelques philosophes. Quel dommage qu'il n'ait songé à écrire
plus ! Quelles ont été ses lectures ? Quelle a été l'éducation donnée à
ses enfants ? Autant de questions auxquelles il n'est pas de réponse.
Au-delà de cette analyse, la dernière question déterminante, est de
savoir si René Fleuriot est vraiment représentatif de la noblesse
trégoroise. Lui-même se considère comme un homme quelque peu à part,
témoin son souci de ne pas ébruiter l'existence de ses « advis moraux
», témoin encore les comparaisons qu'il établit avec ses voisins, tant
sur le plan moral que pratique. Il faut ajouter que vers 1620 le
nombre de gentilhommes sachant lire et écrire reste, probablement,
assez faible. L'alphabétisation de la noblesse bretonne se fait surtout
au cours de ce xvir siècle.
Le témoignage est donc exceptionnel à bien
des égards. Encore convient-il de ne pas tomber dans le piège d'un
noircissement excessif de la situation dépeinte par René Fleuriot. Il
faut faire la part du genre littéraire auquel appartiennent les « advis
moraux ». qui se rapprochent beaucoup du sermon. Le but poursuivi est
didactique, et les exemples choisis sont volontairement déterminés en
fonction de la dissuasion à obtenir.
Ces réserves faites, il nous
reste le plaisir de lire une réflexion lucide, nette, précise,
véritable mine de renseignements pour l'historien, bien venue sous la
plume d'un honnête homme à une époque où les documents de ce genre
n'abondent pas. Pensant oeuvrer uniquement pour ses enfants, René
Fleuriot apporte à l'histoire un témoignage inestimable autant que
pittoresque.
Note de la rédaction.
Meyer Jean. Un témoignage exceptionnel sur la noblesse de province à
l'orée du XVIIe siècle. Les « advis moraux » de René Fleuriot.. In:
Annales de Bretagne. Tome 79, numéro 2, 1972. pp. 315-347;
Jean Meyer (né en 1924) est un historien français. Il fut
professeur d'histoire-géographie aux lycées Clemenceau et Jules-Verne de Nantes
(1953-1962), professeur à l'Université de Rennes (1963-1978), puis professeur
émérite à l'université Paris Sorbonne-Paris IV et docteur honoris causa de
l'université de Marbourg en Allemagne1. Il est un ancien directeur du
Laboratoire d'histoire et d'archéologie maritime, seule unité de recherche du
CNRS consacrée à l'histoire maritime française et étrangère
J.LOHOU (juin 2016)
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