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La Fête de l’Etre Suprême
Le 18 floréal de l'an II
(7 mai 1794), la Convention, sur la proposition de
Robespierre, avait adopté par acclamation un décret dont
l'article 1er était ainsi conçu : « Le
peuple français reconnaît l'existence de l'Être Suprême
et de l'immortalité de l'âme. » L'Assemblée
avait ordonné en même temps qu'une fête solennelle à l'Être
Suprême serait célébrée le 20 prairial (8 juin),
et en avait confié le plan au peintre David. Robespierre,
nommé président de la Convention le 16 prairial, était
par cela même investi du premier rôle dans la fête.
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L e 20 au matin, le
soleil brillait de tout son éclat. Dès les premières
heures du jour, les détonations de l'artillerie annoncèrent
la solennité ; des drapeaux tricolores, des guirlandes
de fleurs ou de verdure ornaient les façades de toutes les
maisons. La foule accourait, toujours prête à assister aux
représentations que lui donne le pouvoir. Des colonnes
d'hommes, de femmes et d'enfants, parties de leurs sections
respectives, se rendaient au jardin des Tuileries, nommé
alors Jardin national.
R obespierre se fit
attendre longtemps ; il parut enfin au milieu des
membres de la Convention qui, précédés d'un corps de
musique nombreux, sortirent du palais des séances par le
pavillon de l'Horloge et prirent place sur un vaste amphithéâtre
élevé dans le jardin. Robespierre était soigneusement paré ;
il portait un habit violet, un chapeau surmonté d'un
panache ; il était ceint d'une écharpe tricolore et
tenait à la main, comme tous les représentants, un bouquet
de fleurs, de fruits et d'épis de blé. Sur son visage,
habituellement sombre, éclatait une joie qui ne lui était
pas ordinaire.
A droite et à gauche de
l'amphithéâtre occupé par la Convention se trouvaient
plusieurs groupes d'enfants, d'hommes, de vieillards et de
femmes. Les enfants étaient couronnés de violettes, les
adolescents de myrte, les hommes de chêne, les vieillards
de pampre et d'olivier. Les femmes tenaient leurs filles par
la main et portaient des corbeilles de fleurs. Vis-à-vis de
l'amphithéâtre, au centre
du bassin circulaire situé dans le parterre, s'élevait un
groupe de figures représentant l'Athéisme, l'Ambition, l'Égoïsme,
la Discorde et la fausse Simplicité, qui à travers les
haillons de la misère laissaient apercevoir les ornements
et les décorations des esclaves de la royauté.
Dès que la Convention
eut pris place, une symphonie se fit entendre. Le président,
placé au point culminant de l'amphithéâtre, fit ensuite
un premier discours sur l'objet de la fête, en exhortant
son auditoire à rendre hommage à l'Auteur de la nature.
Après avoir parlé quelques minutes, le président
descendit de l'amphithéâtre, saisit une torche allumée et
s'avança vers le groupe de figures allégoriques,
auxquelles il mit le feu. Elles disparurent dans les
flammes, et au milieu de leurs cendres parut la statue de la
Sagesse ; mais on pouvait remarquer qu'elle était
noircie par la fumée d'où elle sortait. Robespierre
retourna à sa place et prononça un second discours sur
l'extirpation des vices ligués contre la République. Après
cette première cérémonie, on se mit en marche pour se
rendre au Champ de Mars, alors nommé Champ de la Réunion.
Le cortège était composé
de corps de cavalerie, d'infanterie, de musique, de tambours
et de différents groupes d'hommes et de femmes des
sections. En tête de la Convention marchait Robespierre,
dont l'orgueil semblait redoubler aux applaudissements de
quelques spectateurs et aux cris de « Vive
Robespierre ! » que des enthousiastes
poussaient autour de lui. Il affectait de marcher très en
avant de ses collègues ; mais quelques-uns, indignés,
se rapprochèrent de sa personne et lui prodiguèrent les
sarcasmes les plus amers. Les
uns se moquaient du nouveau pontife : « Voyez-vous comme on l'applaudit ?
Ne veut-il pas faire le Dieu ? N'est-il pas le grand prêtre
de l'Être Suprême ? » D'autres, faisant
allusion à la statue de la Sagesse qui avait paru enfumée,
lui dirent que sa sagesse était obscurcie. D'autres firent
entendre le mot de tyran, et s'écrièrent « qu'il est encore des Brutus ».
Bourdon de l'Oise lui dit ces mots : « La roche Tarpéienne est près du
Capitole ».
L e cortège arriva enfin
au Champ de Mars. Là se trouvait, au lieu de l'ancien autel
de la Patrie, une montagne construite et peinte avec goût
et d'un bel effet. Au sommet était un arbre. La Convention
s'assit sous ses rameaux. De chaque côté de la montagne se
plaçaient les musiciens et les groupes de femmes,
d'enfants, de vieillards, comprenant deux mille quatre cents
individus choisis par les quarante-huit sections de Paris.
Une symphonie commença ;
les groupes chantèrent ensuite des strophes dont Chénier
avait composé quelques-unes ; enfin, à un signal donné,
les adolescents tirèrent leurs épées et jurèrent, dans
les mains des vieillards, de défendre la patrie ; les
femmes élevèrent leurs enfants dans leurs bras ; tous
les assistants levèrent les bras vers le ciel, et les
serments de vaincre se mêlèrent aux hommages rendus à l'Être
Suprême. Après cette scène, accompagnée du roulement des
tambours et des salves de l'artillerie, le cortège retourna
au jardin des Tuileries, et la fête se termina par des jeux
publics.
Telle fut la fameuse fête
célébrée en l'honneur de l'Être Suprême. Robespierre,
en ce jour, était parvenu au comble des honneurs ;
mais il n'était arrivé au faîte que pour en être précipité.
Son orgueil avait blessé tout le monde. Les sarcasmes étaient
parvenus jusqu'à son oreille, et il avait vu chez
quelques-uns de ses collègues une hardiesse qui ne leur était
pas ordinaire.
(Wikipedia)