Callac-de-Bretagne

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Duault

Le 18 janvier 1781, à Macao, l'explorateur Paul-Marie-Antoine FLEURIOT  de LANGLE qui devait être massacré sept ans plus tard par les indigènes des îles Samoa, écrivit :

«J'ai vu des hommes de beaucoup d'espèces, j'en ai beaucoup d'autres à voir, mais je verrai encore avec plus de plaisir ceux des montagnes d'Arrée qui sont peut-être les plus stupides de tous, mais ils ne sont pas moins courageux. Je suis infiniment content de mes bas-Bretons. »

Fleuriot  de Langle résidait au manoir de Rosviliou.


Dans "La Hache", Anatole Le Braz décrit la contrée :

«L'endroit était merveilleux. D'un côté c'étaient de hautes et majestueuses avenues où le regard se perdait entre les troncs argentés des hêtres, dans la profondeur tranquille des ombrages. De l'autre nous jouissions d'une claire échappée sur les prés de Rosviliou et de la vue, à flanc de coteau, de la vieille gentilhommière de ce nom, dont les toits pointus, plantés d'élégantes cheminées se dressaient sur le couchant comme autant de clochetons d'église. »

Un vieillard de Maël-Pestivien rapporta à Hersart de la Villemarqué le Chant du départ des Ligueurs cornouaillais pour le siège de Craon. Rassemblés à Kergrist-Moëllou, ils se dirigent vers Callac :

« Comme ils étaient en route et approchaient de Callac, ils entendirent les cloches de Duhot, qui sonnaient la messe, et eux de détourner la tête, et de dire tout d'une voix : "Adieu, ô cloches de Marie ! adieu, ô cloches bien-aimées !. Adieu donc, adieu, ô cloches baptisées, que nous avons tant de fois mises en branle aux jours de fête ! Plaise au Seigneur et à la Vierge sainte que nous vous sonnions encore quand la guerre sera finie ! »» (Barzaz Breiz, 1834.)

L'abbé Sérandour' auteur d'un ouvrage inédit sur Duault, s'exclame :

« Parmi ces soldats de Haute Cornouaille ; si généreux et si vaillants qui partent de Kergrist et traversent Duault, il y a certainement beaucoup des nôtres ; Qu'importé que leur nom n'ait pas émergé de l'incognito qui est le partage ordinaire de la masse... Impossible d'imaginer la grande misère du peuple pendant les guerres de religion. À Duault comme ailleurs l'oie était grasse et le paysan riche. Les prédateurs y firent ripaille... Ces rustiques parlaient d'égorger les gentilshommes et d'épouser leurs dames et demoiselles pour être les maîtres à leur tour. »
« Biken ! Biken ! n'em baro an annaouer hag ar bleiz ! »
(« Jamais, non jamais la génisse ne s'alliera au loup ! »)

Les conteuses de Duault et Saint-Servais
La commune de Duault organise, chaque année, une journée de Kan ar Bobl, consacrée aux chants et contes populaires. Mais les habitants ont oublié que, voici cent trente ans, leur commune jouissait déjà d'une notoriété certaine dans ce même domaine.

Jusqu'au 19 avril 1869, Duault engloba Saint-Servais et Saint-Nicodème.

C'est très probablement Nicolas Le Braz, père d'Anatole, qui signala à François Luzel (1821-1895), de Plouaret, grand collecteur du folklore du Trégor et de Cornouaille, cette mine d'or que Barbe de Saint-Prix, native de Kerbournet, en Saint-Servais, avait été la première à explorer. En 1861, Nicolas Le Bras quitta Saint-Servais pour Ploumilliau. Lui aussi avait collecté des chants mais, selon son fils, un érudit lannionnais les perdit.

Il apparaît que c'est entre 1860 et 1870 que Luzel collecta à Duault-Saint-Servais les vingt-sept soniou et gwerziou qui figurent dans ses ouvrages avec mention de l'origine, mais non de la date.

La consultation des registres des décès aux Archives départementales permet d'en savoir un peu plus.
La principale conteuse fut Marie-Anne Le Noan, qui ne livra pas moins de treize chants, dont Anne Le Gardien (trente-quatre couplets de quatre vers) ; Marie Quélen, qui se déroule à Burthulet ; La femme du recteur de Duault, qui vilipende un abbé Falc'her qui s'était marié en 1793.

Luzel qualifie plusieurs fois Marie-Anne Le Noan de « vieille mendiante ». Son acte de décès indique qu'elle vécut soixante-treize ans, ce qui était effectivement âgé pour l'époque. Née à Callac en 1795, elle termina ses jours comme filandière (fileuse) à Kernon, en Saint-Servais, le 8 avril 1868, ce qui explique que son décès ait été déclaré à Duault. Elle fut deux fois veuve : d'abord de Joseph Cadoret, puis de Vincent Guervenou.

 Luzel désigne toujours informatrices sous leur nom de jeune fille. Il faudrait compulser d'autres registres, s'ils existent, pour savoir si elle eut des enfants dans les années 1820-1840.

En second lieu, vient Marie Daniel (1791-1869), ménagère à Kerlarin, veuve de Joseph Courtois. Elle apporta six chants à Luzel, dont les célèbres :

 L'héritière de Keroulaz, Les Aubrays, La brebis à tête cornue.

Citons encore : Julienne Moreau, filandière à Convenant Bercot ; François Corfec, Jean Guyomar, Perrine Jorgelin, Caroline Le Bouil, Joseph et Marie Raher.

Les personnes âgées devant qui l'on évoque ces chants interprétés à Duault il y a un siècle et demi les ignorent. Suggérons donc aux autochtones de prendre connaissance des quatre volumes de gwerziou et soniou de François Luzel, même si leurs chanteuses ne sont pas passées à la postérité, comme Maharit Fulup, de Pluzunet.

Lohuec

Madeleine Desroseaux (1874-1939) célèbre l'Aulne :

« L'Aulne, fraîche coulée qui vivifie tout un monde végétal, reine des rivières bretonnes, prend sa source dans le Trégor, sur les pentes de Beffou, en Lohuec... L'Aulne est une créature d'eau qui a ses goûts, ses penchants ; tous les artistes le comprendront... Pour se rendre à la mer, elle fait sans s'en apercevoir un voyage de cent vingt kilomètres, alors qu'en allant tout droit elle aurait pu le réduire à soixante. »

Louis Le Guennec (1878-1935) conte l'histoire d'un habitant futé de Lohuec :

« Bilz, de Lohuec, avait volé chevaux et vaches du Marquis de Kerroué en Loguivy-Plougras. On le surprend au lit. On le ligote. On décide de le noyer dans un sac lesté de pierres. La cloche sonne. Marquis et valets vont dîner. Bilz entend des pas de mulet et d'homme. Il crie : "Non, non, je ne veux pas, plutôt mourir ! » L'homme dit : "Qui parle dans ce sac ? Qui êtes-vous ?" "Un marchand normand de mercerie qui vient de Callac et va au Guerlesquin. » Bilz prétend que le Marquis veut l'obliger à épouser sa fille. Elle est belle et bonne, elle a une dot, mais aussi la lèpre. "Moi je me serais marié, dit l'homme, et huit jours après je l'aurais mise en léproserie..." "Prenez ma place. Dites que vous voulez épouser sa fille..." L'homme délivre Bilz et se laisse enchâsser. Le marquis revient : "Je vais te noyer !" "Je veux bien épouser ta fille, crie l'homme, elle a beau être lépreuse !..." Le Marquis, furieux, fait jeter l'homme dans l'étang... Le lendemain Bilz vient trouver le Marquis : Une charmante fée m'a délivrée; elle m'a donné un peu d'argenterie. L'or, c'est pour les gentilshommes. Le Marquis saute et se noie. Bilz propose le mariage à sa fille, qui accepte. »

Pierre Guéguen (1889-1965), dans Bretagne au bout du monde, décrit :

« le désert affreusement écorché de Lohuec et ce funèbre plateau de Saint-Maur couvert, les jours de pardon, de mendiants à plaies... Partout ce n'étaient que terres stériles, pierrailles fiévreuses, hérissement de fourrures pauvres des landes d'hiver... Nous irons tous Quatre Piliers et que l'on est arrivé à la terre des Derniers par la lande pascale, où les ajoncs allument leurs fleurs votives et nous ôterons d'entre les épines, les carènes et les étendards minuscules qui sentent l'amande amère...... C'est l'odeur du Bout-du-Monde. On ne la respire qu'après avoir navigué sur la Très Verte, doublé les des Hommes ».

François Menez (1867-1945), dans Rivières bretonnes, décrit :

« la source de l'Aulne, dans les hautes tourbières de l'Arrée..., en ce pays de crêtes couronnées de forêts qui est demeuré... en dehors des grands chemins du monde ».

J
udoce, saint-patron de Lohuec, est peu connu en Bretagne. Selon le dictionnaire Tchou des Saints bretons:

« Pendant de longues années après sa mort, les cheveux, la barbe et les ongles de saint Judoce avaient continué de croître. Ses neveux étaient obligés d'ouvrir son tombeau pour le raser. »

Maël-Pestivien

Dans son Voyage dans les Montagnes Noires et les Monts d'Arrée paru en 1857 Charles de Keranflec'h écrit :
« Les trois chaînes (Arrée, Montagnes Noires, Monts du Mené) comme une immense étoile se soudent en un point central de la paroisse de Maël-Pestivien. La petite région méditerranéenne dans laquelle cette jonction s'opère a une physionomie très particulière : qu'on se figure une multitude de mamelons arrondis aux sommets couverts de landes, laissant voir ça et là des blocs de granit erratiques dont les formes bizarres et les teintes grisâtres donnent au paysage quelque chose de triste et de sévère à la fois. Peu de grandes vallées, mais un dédale inextricable de petits vallons encaissés qui se replient sur eux-mêmes de mille façons, se coupant et s'enchevêtrant de la manière la plus capricieuse. Dans les bas-fonds, tapissés de verdoyantes prairies, richesse du pays, courent des milliers de ruisseaux sans nom, qui vont se décharger dans de nombreux étangs dont les eaux alimentent des rivières. De cette petite contrée de cinq ou six lieues qu'on peut appeler avec raison le noyau de la Bretagne partent comme les artères du coeur la plupart de nos grands cours d'eau : Blavet, Elle, Aulne, Léguer, Trieux, Oust.

Tout s'enchaîne dans la nature. En vertu d'une des lois les plus immuables qui régissent le monde, le génie des populations est partout en harmonie avec le sol qui les nourrit. Il est lourd, prosaique et sans originalité dans les pays de plaine ; l'air vif des montagnes, le spectacle des horizons sans bornes et la voix sublime des torrents lui donnent une physionomie rude parfois, toujours poétique et fortement trempée. »

Cinq ans plus tard (1862) Sigismond Ropartz visite la Chaire des druides de Kerohou :

« On se demande avec hésitation si l'on doit attribuer à la nature seule ou à un travail de l'homme les bizarres accouplements de roches qu'on remarque à chaque pas et surtout cette grande pierre plate sur laquelle est creusée comme la place d'un cadavre et qui fait rêver à d'abominables sacrifices. »

À son tour Henri Martin décrit la Chaire des druides :

« Un groupe d'énormes blocs, dessinant une espèce d'enceinte, couronnait une colline. Ces masses ne portaient aucune trace de la main de l'homme, mais elles étaient dominées par une autre masse qui ne saurait être l'ouvrage de la seule nature : c'était deux files colossales, formées chacune de trois rochers superposés, vraies colonnes de Titans qui attestent l'audacieux génie des Celtes primitifs et la sauvage grandeur des croyances exprimées par de telles oeuvres, car on ne saurait douter que ce fût un monument religieux. »

L'abbé Victor Villiers de l'Isle Adam confia  ses souvenirs à A. Le Braz :

« Le pays de Maël-Pestivien où je suis né est une contrée rude, pierreuse et pauvre, située dans ce que vous autres, gens des basses terres, vous appelez la montagne. Par une de ses lisières il touche la forêt de Porthuault où la reine Anne, de précieuse mémoire, avait jadis une de ses chasses. Moi-même dans ma jeunesse j'y allais souvent courrir le gros gibier... Jérôme Garel, braconnier vivant dans une hutte, aimait depuis deux ans Catherine Callac, l'héritière de Rosviliou... Seulement Callac le père, un homme serré, têtu, méprisait le vagabond des bois, le sans-terre et le sans-gîte, n'ayant pour dot que ses yeux clairs, ses poings musclés et sa bonne hache d'abatteur d'arbres. Sous sa veste en peau de bique ses os saillaient. Finalement Jérôme Garel épousa Catherine Callac, propriétaire de Rosviliou. Ils eurent douze fils. Chaque Noël ils offraient un chevreuil à Victor Villiers. Celui-ci décrit le costume des paysans : son petit chapeau rond, noué d'un lacet en guise de jugulaire, sa veste courte en berlinge roux, et ses guêtres de toile bise décelaient un montagnard de l'Arrée. »

L'abbé Villiers parle de trésors :

« Mon père, qui dans la guerre chouanne avait commandé un corps de partisans, m'avait souvent parlé de cachettes où l'on enfouissait les subsides envoyés par les princes. C'était même sa tarentule, à ce cher homme, de s'imaginer qu'il y en avait plusieurs d'intactes dans nos parages. »

II parle aussi d'une chapelle de Saint-Barnabé, dans le ravin de Kerdonen : une goutte d'eau de la fontaine de Minuit, qui coule dans un souterrain sous la chapelle, guérit à jamais de leur mal ceux qui souffrent d'un amour contrarié. La chapelle est environnée de saxifrages, cochléarias, fougères, scolopendres. Trente personnes assistèrent à la messe de minuit dite par l'abbé Victor.

Plourac'h

Taldir Jaffrennou a consacré un poème aux rochers du Roc'hellou, proches du bourg de Plourac'h. Un combat s'y était déroulé en 1799 entre les républicains et les chouans des Keranflec'h père et fils, qui perdirent neuf hommes. Voici quelques extraits du poème de huit couplets :

"Sur les rochers (Ar Roc'hellou)
Vent des landes qui passe ici
Au-dessus des rochers, seul je t'entends. Seul... I
l n'y a que mon pauvre chien fidèle
Qui jappe avec empressement à mes pieds...

Rochers sauvages de Cornouailles, est-ce qu'autrefois
Sur vos crêtes Gwenc'hlan ou Riwall
Auraient fait chanter les cordes de leurs harpes,
Le même vent sonnant sur leur tête ?
Le vent de mer qui fouette mes cheveux épars
A enflammé plus d'un coeur de barde.
Des coeurs de bardes qui sont tous morts ;
Beaucoup d'entre eux n'ont pas laissé leur nom."

Voilà pourquoi j'aime à entendre
La voix des vents dans le firmament bouleversé,
Vents qui chantent comme des harpes du ciel
Quand ils passent sur les monts de Cornouailles. »

8
Taldir-Jaffrennou a aussi chanté le Rocher de Kerguz.(8 août 1898)

"Roche de Kerguz !
Roche grise, solitaire dans la lande,
De ton faîte fendu par les coups de foudre ;
L'oeil humain découvre sept lieues alentour
De Calanhel au Cragou, épine dorsale du pays.

Et le pain de sucre que semble
Le Mont Saint-Michel à l'horizon
Et les taches noires que fait
La forêt de Fréau dans la lumière.

Mais là, plus près de moi,
Au fond du vallon profond où coule
Par mille zigzags la menue rivière l'Aulne,
Mes yeux se fixent sur les terres des ancêtres
Où ils vécurent depuis qu'on puisse s'en souvenir.

Voici leurs villages derrières les ormes et les hêtres
Le moulin Claude et sur une éminence, Quillerou,
Ensuite Kerzilès, Kerbalanen, et ccetera

Et leurs chemins creux pleins d'ornières et de pierres
Que de gens, roche antique, en passant au loin là-bas
Ont vers ton arête vive jeté un regard.
Tous savent ici ton nom, mais ton âge,
Jamais les hommes d'Argoat ne sauraient le comprendre.

Yves Le Gallo' dans son ouvrage des années 1970, écrit que :

« Plourac'h est un pays pauvre et peut-être misérable, coupé de vallons à tourbe et broussaille où il suffit d'un bruit de pas dans l'herbe pour que dévalent des pelages et jaillissent des plumages. Le bourg revêt la laideur triste des agglomérations de bicoques où les gagne-petits de la montagne érigent le ciment et la tôle parmi les ruines du granit et de l'ardoise.

Il y a toutefois dans ce désert un lieu où souffle encore l'esprit : un simple champ de tombes avec au fond un calvaire et une église. Le champ est à l'image du bourg, mais le calvaire et l'église y composent un admirable ensemble, émouvant à force d'art, d'isolement et de substance primitive.

Mats et vergues, colonnes, fûts et gibets, gables et fleurons, tour et donjon accolés, corps suppliciés. Un Christ nu, assis, chevilles et poings liés, figure le plus morne des accablements, celui d'une solitude cosmique, dont ce lieu désert et ces architectures étirées sont l'expression. »

Plusquellec

Ogée écrit en 1778 que :

«    le territoire de Plusquellec, plein de vallons et de monticules, borné au sud par la rivière d'Hyère, offre à la vue des terres en labour, des prairies, des arbres fruitiers et des landes. »

Ce qui semble bien avoir été le lot de toutes les communes de l'Argoat !

À la même époque les ingénieurs des Mines de Poullaouën prospectèrent le sol de Carnoët et de Plusquellec. Hélas les espoirs furent déçus. Voici ce qu'en dit Camille Vallaux en 1906 :

«    Autrefois, lorsque Huelgoat et Poullaouën étaient en pleine activité et que la métallurgie du fer essayait de s'implanter sur tous les points favorables, il semblait qu'on vît se dessiner au coeur même de l'Armorique un mouvement vers la grande industrie. Mais ce mouvement a avorté sur tous les points. La Basse Bretagne est tout entière redevenue rurale. »

Selon la Revue Celtique n° 5, on affirmait à Plusquellec que le chant du coq signifie :

"Stok da reour er c'hleun ! (Cogne ton croupion contre le fossé !)

Saint-Servais.

En 1972 un touriste saintongeais, Jouvin de Rochefort visita le Finistère du sud au nord, puis entra en Côtes-d'Armor. Voici ce qu'il en dit :

«    Après Pontou le droit chemin est de passer sur la chaussée d'un grand étang (celui de Lesmoal ou Moulin Neuf proche de Plounérin) et à Belle-Isle où il y a un marché. De là on monte jusqu'à Louargat. Nous y trouvâmes beaucoup de monde qui allait à Saint-Servais dans les bois, qui est un lieu de pèlerinage à trois lieues de Belle-Isle sur la main droite, où il me souvient que voulant faire ferrer mon cheval, on me fit attendre qu'on eut ferré les souliers d'un homme, ce qui se pratique ordinairement en Bretagne durant le mauvais temps où on voit autant de souliers à la boutique du mareschal pour y clouer au talon un petit fer à cheval, qu'à celle d'un savetier dans les autres pays de France."

Car, à ne mentir point, si le petit peuple est grossier d'esprit; il ne l'est pas moins de corps, principalement dans la Basse-Bretagne qui est la partie la plus maritime de la province qui fait qu'il vient beaucoup de l'humeur des gens de mer ; mais aussi on ne trouve en lui que très peu de malice, s'il ne l'a apprise dans l'excès qu'il ait dans les cabarets, comme de la source de tous les crimes, des disgrâces et de tous les malheurs. »
(Rapporté par Louis Le Guennec.)

Le chevalier de Fréminville visite Saint-Servais vers 1837 :

«On m'avait dit que se trouvent dans la forêt de Duault de grands monuments celtiques. Ces prétendus monuments n'étaient que des rochers naturels qui par leurs formes bizarres avaient induit en erreur. »
(En fait, de Fréminville se trompe !)

L'abbé Jouan qui écrivit un petit livre sur Carnoët au milieu du XIXe siècle écrit à propos de Saint-Servais lors de la Révolution et de l'abbé Le Goff qui dut se cacher durant huit ans :

« II y a un siècle le pays de Saint-Servais, de Burthulet, Coat-Parc, Duault, des Convenanchou de Maèl-Pestivien fournissait des retraites sûres à tous ceux qui avaient des raisons pour s'y tenir cachés. C'était un véritable pays de brousse ; d'abord pas de routes et les champs étaient remplis de genêts très hauts; les coteaux, nus aujourd'hui, étaient couverts d'ajoncs et de fougères d'une grosseur remarquable. Joignez à cela les ronces, les épines et surtout le houx qui abondent dans ces régions et vous comprendrez aisément qu'il n'était pas facile de s'emparer d'un homme qui connaissait tous les sentiers perdus d'une telle région.
(L'abbé Le Goff mourut en 1830 à l'âge de 77 ans.)

« Une grave matrone aux jupes bouffantes traverse sur des échasses un brasier flamboyant, ses jambes ballantes en avant présentent l'aspect le plus étrange. Serait-ce une étoile chorégraphique du temps jadis expiant par un tour de broche les grands écarts de sa folle jeunesse ? »
Au siècle dernier une légende relative à Saint Servais était contée en Morbihan : «Un pèlerin avait promis d'aller au pardon de Saint-Servais. Lorsqu'il fut arrivé au milieu du bois, il ne pouvait plus avancer. Saint Servais lui propose alors de le prendre sur sa haquenée. Or l'homme avait promis de faire le pèlerinage sur le bout de ses genoux ou sur ses deux pieds. Ils arrivent au bourg. Saint Servais demande à Dieu pour cet homme et pour d'autres le salut des pèlerins. " Saint Servais, dit Dieu, vous aurez votre demande, mais vous ferez pour eux une dure pénitence : vous porterez pendant sept ans une robe de plomb fermée par une chaîne. " Le saint porte la clef sur le dessus de sa robe. Elle tombe dans la mer. Un gros poisson l'avale. Au bout de sept ans, la Vierge se présente à Saint Servais ; il a les talons écorchés. Elle rogne la longueur de la robe du saint de trois doigts. Le Christ se présente : " Servais, mon cher ami, tu as manqué ici. Vous porterez encore sept ans la robe à cause d'elle [la Vierge]. "

Sept ans plus tard, la Vierge se présente. Servais a les épaules blessées. La Vierge le raccommode avec les voiles du ciel, ou avec les laines douces du ciel. Le Christ se présente : " Tu as encore manqué ici. Tu porteras encore la robe sept autres années pour elle [la Vierge]. " Servais dit : " C'est une pénitence qui n'aura jamais de fin. "

À la vingt-et-unième année, se présente le Sauveur béni : " Servais, mon cher ami, vous êtes fatigué avec cette robe. Allons donc tous les deux pour attraper le poisson. " On y trouve la clef de la robe. Lorsque la clef fut essayée, la robe s'est enfoncée de dix-huit pieds dans la terre. »

II y a cinq places dévotes maintenant parmi les Bretons : Sainte-Anne-d'Auray ; Quelvin bénie ; le Geudec (Giaudet ?) ; la Vierge de Folgoèt ; Saint-Servais. (Annales de Bretagne, n° 2).

Le plus grand écrivain du canton de Callac est indiscutablement Anatole Le Braz qui naquit à Saint-Servais le 2 avril 1859. Voici ce que dit de lui le poète Théophile Briant :

« Anatole Le Braz sut garder la même fraîcheur natale, la même nostalgie du clocher d'ardoise et de la terre de bonne odeur, parsemée d'humbles graminées où sommeillent les aieules dans leur corselet de velours. »

Et Feuder poursuit :

« Le Braz a vu se pencher sur son berceau les mystérieuses influences de l'Argoat. Sur le berceau de l'enfant sont descendus, venus des cimes de la forêt, les dons de la précision pittoresque et de l'interprétation vivifiante, de la vision exacte et de la vision imaginative, d'une langue qui, tantôt chant et tantôt plainte, sera toujours un enchantement. » (Bretagne touristique, n° 70.)

Un autre critique écrit à propos des Poèmes votifs de Le Braz :

« L'auteur célèbre son pays avec une grâce d'abandon, une souple familiarité qui ne lui sont pas coutumières, car sa technique est de tradition parnassienne. C'est la phrase de Chateaubriand versifiée. »

L'académicien André Chevrillon (1864-1957) décrit Saint-Servais :

«Un pays où l'aiguille du temps marchait bien plus lentement qu'ailleurs, semblant presque immobilisée. Les vieilles croyances héréditaires étaient indiscutées ; en hiver, aux veillées des fermes, les antiques légendes revivaient ; les crépuscules, les nuits étaient hantées ; les doués étaient encore presque partout des divinités. »

Anatole Le Braz consacre un poème à la mélancolie des paysages.

"C'est une terre en pierre, et qui tombe en ruine.
C'est le cadavre épars d'un pays effondré,
Un fantôme de ciel erre dans la bruine
En quête du soleil qui s'est évaporé.

Les rochers même, au bord des mers tristes, se meurent
D'un mal mystérieux, nostalgique et fatal
Et la lumière grise a dans ses yeux qui pleurent
Le regard immolé d'une soeur d'hôpital.

Des brumes, des linceuls moisis, de longs suaires
Flottent, lessive morne, au flanc des vallons bas ;
Et là-haut les Menez semblent des ossuaires,
De grands cairns entassés sur d'immenses trépas."

Plus haut encor, les bras ouverts dans les ténèbres
Comme de grands oiseaux cloués en plein essor,
Les Christs miment dans l'air, de leurs gestes funèbres
La désolation de la terre d'Armor.

Hélas depuis plus d'un siècle le pays tombe en ruines et se dépeuple. Et Le Braz de prophétiser :

"Les saints, même les saints, s'enfuiront des églises.
On les verra partir, le rêve celte au front
 Et, s'essuyant les yeux avec leurs barbes grises
Dans leurs auges de pierre ils se rembarqueront."


Académicien comme Chevrillon, Gustave Geffroy (1855-1926), de Morlaix, dit que :

«    Le Braz vit se former dans la brume
la ronde des antiques naïades bretonnes,
filles immortelles des eaux, de la solitude et de la nuit ».

À plusieurs reprises Le Braz décrit son village natal :

«    bourg de schiste bleu coiffé de paille ».
Dans ses Poèmes votifs, il écrit :

"Et tout est en pente, chemins, tombes, maisons d'école,
Tout s'étage, se superpose à mi-flanc de colline
Dans un paysage délicieux qu'enveloppe la forêt de Porthuault
La forêt frappe l'imagination
Ô rude terre !"

Il se souviendra toujours de sa naissance rurale :

"Je suis un fils des monts adopté par la mer...
Ou bien :
"Depuis, fils de l'Argoat émigré dans l'Armor
J'ai suivi sur les flots les mâts de caravelles."

De même, Le Braz décrit plusieurs fois les rudes empoignades du pardon du 13 mai où Trégorrois, Léonards et Vannetais s'efforçaient de s'approprier un morceau de la bannière ou de la statue du saint qui protégeait du gel :

«    Les penn-baz se lèvent, s'abattent, tournoient,
décrivent de larges moulinets sanglants.
Les femmes griffent et mordent.
Des bras sont rompus, des têtes cassées.
Des gens vomissent le sang à pleine gorge. »

Il remercie « les gens de Saint-Servais » d'avoir conservé intacte sa maison natale. Ce qui n'est plus le cas de nos jours...

Anatole Le Braz a décrit la forêt de Duault :

« Émouvante à contempler, l'immense forêt toute poudrée de givre, étincelant au soleil du matin d'un ruissellement de pierreries. Les hêtres aux branches nues, rosés dans la lumière, avaient l'air de candélabres incrustés de diamants et dressés sur une fine nappe éblouissante pour quelque festin de fées. Des messes basses tintaient à Saint-Servais, Duault, Saint-Nicodème, ailleurs encore, à Botmel, à Carnoèt, à Plusquellec. Les carillons alternaient, se répondaient à travers les étendues tranquilles et tout le ciel en vibrait comme s'il eût été de cristal. Au-dessus de la forêt s'élevaient, ça et là, des huttes invisibles, de grêles colonnes de fumée qui s'épanouissaient très haut dans l'atmosphère et s'y balançaient, pareilles à des calices de grandes fleurs bleues. »

Matic Corniguellou s'écrie :

Connaissez-vous la forêt de Porthuault?... c'est un beau pays... Nous grimpions une longue côte au flanc du Menez Mikel... Per me héla: Regarde, Matic, voilà ce que tu n'as jamais vu. Je regardai et j'eus à la vérité un éblouissement tant c'était beau : des bois, des bois, rien que des bois, et si touffus, et si proonds que tout l'horizon en était noir... Le vrai paradis des sabotiers... Il triomphait du geste en me montrant du geste toute cette étendue de collines boisées, entrecoupées de vallons verts avec dans le creux de l'un d'eux, presque à nos pieds, la vieille église si avenante de Saint-Servais.»

Le garde forestier, ou jugard, conduit les acheteurs sabotiers à la hêtraie. Les autres sabotiers les saluent du nom traditionnel de cousins et les aident à construire la hutte...

« Nous étions arrivés en ce pays au moment où il est le plus à son avantage, c'est-à-dire au début de l'automne, alors que les feuilles des bois se parent des teintes plus variées et plus éclatantes, comme les jeunes poitrinaires qui s'habillent plus belles sur le point de mourir... Les enfants se roulaient dans les mousses ou cueillaient des myrtilles le long des sentiers... Les ménagères des huttes prochaines apportaient leurs ravaudages ou leurs tricots et nous devisions tout en travaillant.

Des bohémiens errants, montreurs d'ours et diseurs de bonne aventure, s'égarèrent dans la forêt de Porthuault ; ils arrivèrent harassés, à bout d'haleine et de forces dans la clairière où travaillait avec son équipe François Harnay, qui les hébergea gratuitement. Un vieillard centenaire lui offre une hache :

« Ceci te sera un talisman à condition que tu t'en serves toujours comme un outil de travail, jamais comme d'une arme de combat. » Pendant douze ans la hache apporte la fortune au sabotier, sans qu'il soit nécessaire de l'affûter. Un nommé Chevanz dit que Harnay a fait un pacte avec le Diable et vole la hache. Harnay réunit les sabotiers. Il offrira la hache à qui la récupérera... Deux combattants, Lantic et Chevanz, s'affrontent et disparaissent. Un an après, Harnay retrouve la hache, rouillée. La rouille est en fait du sang d'homme, du sang de chrétien. Les gouttes de sang se sont métamorphosées en feuilles mortes. Per abat un hêtre avec la hache. Elle tombe dans une fosse à loups où il trouve un os et des morceaux de cadavre. Per tombe malade. Il n'y a pas de médecin. On vivait, on mourrait sans médecin ni médecine. Des hommes retirent les reliques de la fosse, et reconnaissent Jozon Lantic, quoiqu'il fût en bouillie. Dans la boite du crâne fendu en deux ils trouvent une nichée de sangsues.

Per meurt. Sa tombe et celle de Jozon Lantic se trouvent dans le cimetière de Saint-Servais au pied de la tour. Harnay, le jour de l'enterrement, met un louis d'or dans un sabot fabriqué par Per et fait la quête pour sa femme et ses enfants.
La hache disparaît. Elle a enrichi un homme, mais elle en a tué deux.



Hélas, le canton de Callac se dépeuple, comme tout le terroir de l'Argoat. Edmond Rébillé exprime la mélancolie ambiante dans Callac sur nostalgie :

"Voici ce vieux pays dont l'âme s'effiloche.
Un par un se sont tus les antiques témoins
De jours pleins de rumeurs et de senteurs de foins,
Quand tournaient les moulins, quand sautait la galoche

Sur le sable crissant du jeu de la marelle.
L'essieu de la charrette hurlait avec les veaux
Et l'écho des battoirs vibrait à Pont ar Vaux
Où cascadait encor l'eau sous la passerelle.

La pioche du carrier ne pourfend plus les schistes
Et nul n'entend le fouet claquant sur les labours
Ni le martèlement des fléaux dans les cours
Ventées où caquetaient les poules anarchistes.

Les moteurs sont rouilles des anciennes batteuses
Qui ronronnaient la nuit à la lueur des feux
Et de fanaux fumants qui rougissaient les yeux
Sous les fronts où perlaient des moiteurs poussiéreuses.

Le tour du sabotier a cessé sa rengaine
De même que les scies et les poussifs hans
Des bûcherons massifs qui tranchaient les sarments
Au fil de la cognée sans perdre leur bedaine.

Les marchands ambulants ne clament plus leur offre :
Rétameurs, rémouleurs, chiffonniers pleins d'humour
Le garde-champêtre ne joue plus du tambour
En clamant ses « Aviss » d'une voix d'outre-coffre.

Mais l'on entend encor si l'on prête l'oreille
Et se montre discret, attenti7, entêté,
Le coucou au printemps et le grillon l'été,
L'adagio du pivert, le scherzo de l'abeille.

Les accents rocailleux de la langue bretonne
Retentissent gaiement dans les marchés couverts
Où parfois le cadran affichant les enchères
Provoque le dépit d'un paysan qui tonne.

Une fois l'an les bourgs entament le cantique
De leur vieux saint patron qu'ils mènent alentour
Avant de l'enfermer dessous la haute tour
Pour qu'il n'entende point la musique exotique.

Le soir par tradition les habitants s'assemblent
Pour danser la gavotte, fredonner les refrains
Tour à tour vifs et lents des chants armoricains.
De fatigue et de joie les plus acharnés tremblent.

Quand au petit matin, baillant, à bout de souffle,
Ils vont parachever cette nuit sans sommeil
Sur un point culminant d'où l'on voit le soleil
À chaque aube arracher la nue qui l'emmitoufle.

Sur ce sol imprégné d'insolites légendes
Et d'un humble passé se dressent des menhirs
Et plusieurs tumulus clos sur leurs souvenirs,
Des chapelles surtout avec leur tronc d'offrandes.

Leur calvaire brisé par d'infâmes vandales,
Quelques statues scellées à mi-hauteur des murs
Afin de rebuter les malfaiteurs impurs.
Combien ont disparu, par d'inconnus dédales.

Qui flattent aujourd'hui la passion sans vergogne
D'un vil collectionneur ? Ils sont trop bons, ces saints,
Qui n'osent foudroyer ceux qui les ont contraints
 À l'exil et l'oubli ! Mais leur front se renfrogne.

Nul ne pourra voler, si ce n'est dans un conte,
l'église de Plourac'h ou celle de Bulat.
Le Diable à Burthulet fera fuir les Goliath
Et l'étalon Naous est trop lourd pour la fonte..."


Voici ce vieux pays dont le corps s'effiloche.
Il possède toujours des sites inviolés,
Des chaos, des forêts.
Et ses champs bariolés.

Je l'aime à fleur de peau.
Il m'aime à fleur de roche.



Deux ouvrages d'Edmond Rébillé se situent dans le canton de Callac : L'Argoat secret autour de Guingamp, Le Diable est mort à Burthulet, roman, grand prix des écrivains bretons 1992.

Edmond Rébillé


 


  Mise en Page par Joseph Lohou (janvier 2017)