Callac-de-Bretagne

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Le Livre d’Or du Canton de Callac.

Malgré ses airs de bout du monde, le canton de Callac (onze communes) a attiré ou vu naître nombre d'écrivains : poètes, romanciers, historiens, bardes, que nous présentons commune par commune.

Bulat-Pestivien.

La très ancienne gwerz Le Vassal de Du Guesclin évoque le château de Pestivien aujourd'hui disparu :

« Avec l'aide du seigneur Laurent Gwesklé, un chevalier nommé Iannik ar Bennorsont (Jean de Pontorson) tira vengeance d'une bande de malfaiteurs retranchés au château de Pestivien où ils assassinaient les voyageurs, lui-même n'a dû son salut qu'à une jeune fille avec laquelle il s'est enfui. Du Guesclin fit le siège en mars 1363..

Au premier assaut les douves sont traversées,  et jusqu'en son fondement le château a tremblé, et au second assaut une tour est abattue, et deux cents hommes tués, davantage ou autant, et au troisième assaut les portes sont tombées Et la place prise, détruite et incendiée… »

Dans le Barzaz Breiz (1839), Hersart de la Villemarqué rapporte ce « siège de Pestivien », conté par un paysan de Maël-Pestivien.

Un jeune seigneur emprisonné dans la forteresse de Pestivien s'échappe et demande secours à Du Guesclin. Celui-ci s'écrie:
 «Par les saints de Bretagne, tant qu'il y aura un Anglais en vie, il n'y aura ni paix ni loi ! Qu'on équipe mon cheval cl qu'on m'arme à l'instant, et à l'œuvre ! Et voyons si ça peut durer ! »

Le gouverneur du château demandait en raillant du haut des créneaux au seigneur Du Guesclin :

« Est-ce que vous venez au bal, que vous êtes ainsi équipé, vous et vos soldats?... » « Oui, par ma 7oi, Seigneur, nous venons au bal, non toute7ois pour danser, mais pour vous faire danser. Pour vous faire danser un branle qui ne finira pas de sitôt. Quand nous serons lassés, les démons prendront notre place... »

Au premier assaut, les murailles tombèrent et le château trembla jusqu'en ses fondements. Au second assaut, trois des tours s'écroulèrent, et deux cents hommes furent tués, et deux cents autres encore. Au troisième assaut, les portes furent enfoncées et les Bretons entrèrent et le château fut pris.

Le château est maintenant détruit ; le sol a été fort bien écobué ; le laboureur y passe la charrue en chantant :

 » Quoique Jean l'Anglais soit un traître, il ne régnera pas en Bretagne, tant que seront debout les rochers de la colline de Maël-Pestivien ! »


La gwerz de l'ermite de Bellevue (rapportée par A. Bourges) évoque aussi le siège de Pestivien :

« Ici où tu m'écoutes on m'a raconté

Qu'autrefois passait un cavalier magnifique.
Son nom : Du Guesclin ; il allait à Pestivien
Détruire un château pris par les Anglais.
Vieil adversaire de la Bretagne notre cruel ennemi
À l'abri dans le château de Pestivien pillait le pauvre peuple.
Le Saxon traître et barbare, de là, pensait
Piller, voler, détruire et incendier les Bretons ! »

Mais le Breton Du Guesclin, chevalier renommé,
Défenseur de la France, honneur de la Bretagne et ruine des Anglais
Accourut bien vite pour enlever le château
Et détruire les murs et les hautes tours.

Bulat-Pestivien était jadis renommée dans toute la Bretagne, ainsi qu'en témoignent deux autres chants :

La gwerz Coat ar Fo (le bois de hêtres) : sept gentilshommes abattent sept bandits, dont le célèbre Antoine Kolled. Un gentilhomme raconte :
Antoine Kolled disait :
« À tous ses frères, les encourageait
À nous saigner comme des verrats :
Secours-nous, Notre-Dame de Bulat,
Sikour, Itron Varia ar Bulat ! »
La gwerz de Françoise Le Nové (du Morbihan)
Luzel rapporte qu'un marin naufragé, en grand danger de se noyer, se mit à prier :

Et moi j'irai maintenant à Bulat,
Nu-pieds, nu-tête et à pied,
Sur mes genoux nus, si je peux durer.
Si Françoise Le Nové arrive ici,
Allez, matelots, la saluer,
Et dites-lui : « Bonjour, ma bonne maîtresse,
Votre amour est allé à Bulat. »

En 1835, Prosper Mérimée effectue, au titre d'inspecteur des Monuments historiques un voyage qu'il relatera sous le titre de Notes d'un voyage dans l'Ouest de la France. Avant son départ, il craint le manque d'hygiène :

« Demain je pars pour la Basse-Bretagne où pendant six semaines ou deux mois je vais mener à peu près la vie de klephte, à cela près que je risque beaucoup d'attraper la gale, maladie rare, je crois, sur le Montparnasse ». À Bulat-Pestivien il est frappé d'effroi devant l'Ankou qui crie. Il le nomme « le spectre hurleur ».

En 1836, paraît son ouvrage qui renferme de sinistres commentaires :

« Quant aux naturels du pays, hélas, c'est la province sans soleil. Impossible de toucher sans pincettes les personnes du sexe de Brest, Morlaix, Saint-Brieuc, Rennes, Vannes, Quimper. Les vivres sont médiocres. Une langue que le Diable a inventée.»

Auguste Dupouy (1872-1967) semble avoir été le premier (vers 1926) à décrire poétiquement Bulat et son église :

«    La région comprise entre les forêts de Fréau et du Beffou, celle de Pestivien à l'est, sont parmi, non les plus désertes, mais les plus isolées de la Bretagne. Beaucoup de landes, beaucoup de rocs épars, de bosses granitiques d'une altitude moyenne de trois cents mètres, de coupures vertes au fond desquels s'allongent de minces cours d'eau et de chétifs villages au bord de routes qui ne sont pas toutes excellentes. Dans l'ensemble un grand pays, d'un puissant caractère... Et cette merveille qui vous attend au centre d'un village de fière tenue, Notre-Dame-de-Bulat, sa tour robuste, sa haute flèche ajourée la guipure de son porche latéral, telle tête sculptée sur sa façade et sa large et profonde piscine. »

Charles Le Goffic (1863-1932) écrit que :

« vers 1850 une jeune 7ille de Goudelin raconta qu'elle avait vu apparaître sa maîtresse morte, qui lui demanda d'aller à son intention à Bulat, trente kilomètres, sur les genoux nus. Un beau jour d'été la jeune fille se mit en route, mit une heure et demie à traverser la ville de Guingamp sur le pavé. Membres brisés, sueurs, larmes. Les Guingampais lui offrent de l'argent, des spiritueux, des fortifiants ; d'autres veulent la dissuader. Elle continua son terrible voyage et toucha le but, exténuée et presque mourante ».

Vers 1930, Fanch Gourvil décrit à son tour Bulat :

« Et sa belle église érigeant sur un mamelon parmi des pins aux fûts grêles, une flèche audacieuse criblée d'ouvertures à forme géométrique. Ce joyau de pierre, ornement d'un canton perdu de l'Argoat, est dû sans doute aux offrandes des pèlerins du Tro Breiz, tour de Bretagne que tout Breton était jadis tenu d'effectuer au moins une fois, vif ou mort, pour visiter dans leurs cathédrales respectives les sept fondateurs des évêchés de la péninsule. Allant de Tréguier à Saint-Brieuc les pieux voyageurs faisaient, en passant par Bulat, un long crochet motivé par quelque très ancienne tradition, et grâce à eux cette simple trêve de Pestivien devait avec sa tour Renaissance de 1530 s'inscrire en faux contre la légende qui voudrait la Bretagne en retard d'un bon demi-siècle sur les autres pays en ce qui concerne l'adoption des nouveaux styles ».

Vers 1975, Yves Le Gallo note :

« le contraste entre la splendeur d'une église monumentale, surgie du milieu d'une campagne silencieuse et l'humilité d'un bourg chétif, aux quelques maisons serrées autour de l'enclos paroissial... ».
Certaines surprises sont exaltantes.
Ainsi :

« la route de Pont- Melvez qui cahote si durement par monts et par vaux donne le sentiment qu'elle va s'ensevelir sous les branches, tant les feuillages des hêtres splendides qui la bordent retombent en lourdes tentures par-dessus les talus. La campagne entière, où abonde l'asphodèle, semble parsemée d'oratoires ».

Il assiste à la messe :

«La prière dite et l'obole glissée dans le tronc, un jeune garçon impassible, assiste derrière l'autel sur fond de tulle à fleurs de lys, donne un coup de clochettes qui enregistre et qui remercie. D'autres pièces de monnaie miroitent au pied de la Vierge au fond de la piscine sacrée où les têtards cognent du chef dans les lentilles d'eau. »

Calanhel.

Le barde breton Prosper Proux (1811-1873), percepteur à Guerlesquin, qui fut très critiqué par certains de ses pairs parce qu'il prenait des libertés avec la langue bretonne, a célébré la chapelle Saint-Yves, de Calanhel :

« En passant par la commune de Calanhel je me trouvai un jour près d'une chapelle, une chapelle nouvelle bâtie et dédiée à saint Yves le justicier. « Au-dessus de la porte est gravé l'écusson des Du Parc, seigneurs de grand renom avec leur devise : "Vaincre ou mourir !" devise de guerriers intrépides. Oui, vous fûtes jadis des gentilshommes loyaux, de puissants chevaliers bretons !

Qu'il faisait bon vous voir, fermes et terribles, sur vos destriers bardés de fer ! Vous précipitez comme la foudre au milieu de la mêlée, l'épée à la main, portant fièrement votre bannière en criant : "Vaincre ou mourir ! »... Et pourtant il est resté un humble barde de votre sang pour chanter vos louanges, dans la vieille langue d'Armor. »
En 1898, l'instituteur de Calanhel se nommait Simon Le Beaudour qui publia La Grève blanche, volume de poèmes préfacé par Anatole Le Braz, qui s'exprime ainsi :

«Exilé dans les Monts d'Arrée, captif d'un métier vers lequel ne l'entraînaient point ses premiers goûts, Simon Le Beaudour s'en est évadé sur l'aile de ses vers. La poésie lui a été une libération, et c'est le regret des plages natales qui l'a fait poète. Chanter la mer, c'est encore une façon d'être marin. Du fond de sa bourgade de Calanhel, perdue, ensevelie dans les plis sinueux de l'Argoat, il a tenté en imagination de chimériques odyssées vers des Atlantides idéales... »
Le Beaudour consacre cependant quelques vers à ce pays rural :

« Souvent, lorsque je traîne à travers les guérets
Le boulet du terrien devant l'aube vermeille,
Je me souviens des jours enchantés de la veille,
Et je vais me cacher dans les sombres 7orêts.
Et couché près d'une eau qui jase sur le grès
Sous le feuillage dru des chênes - ô merveille !
Le mousse que j'étais naguère se réveille
Sur le pont d'un vaisseau très grand, aux mille agrès. »



Callac

En 1818, un voyageur anglais nommé A. Stothard écrit un livre où il parle des paysans des environs de Callac (Letters during a tour through Brittany). Soixante ans plus tard, en 1878, son compatriote Randolph Caldecott relate trois voyages estivaux en Bretagne où il déclare que la description de Stothard est toujours valable :

« Ces paysans des environs de Callac sont rudes, non civilisés, simples et sales dans leurs habits ; ils vivent littéralement comme des porcs, couchant sur le sol et mangeant des châtaignes bouillies dans le lait en guise de nourriture. Leurs maisons sont généralement construites en terre et c'est chose commune en Bretagne qu’hommes, femmes, enfants et animaux dorment ensemble sur la terre recouverte de paille !... »

En 1837, le chevalier de Fréminville décrit ainsi Callac dans ses Antiquités de Bretagne :

« La petite ville de Callac, isolée au milieu d'une contrée sauvage, presque inculte et couverte de bois, me paraissait ressembler à une île au milieu d'une vaste mer. »

L'abbé Antoine Favé qui rapporte ces propos de Fréminville a une toute autre impression de Callac :

« En fait c'est un pastiche d'un paysage d'Helvétie, évoquant la belle Lorraine, beau, pittoresque à peindre et à chanter. »

En 1850 «  Guillaume Le Jean » dans La Bretagne, critique des dessins de Taylor sur la ville de Vitré :

« II s'est reporté de quatre cents ans en arrière et a dessiné des rues serpentées et creusées de ravins fabuleux, comme je n'en ai vu de ma vie, pas même à Callac ou à Pont-Aven. »

La gwerz : Le meunier et la servante, rapportée par Luzel' se situe dans la région de Callac..

..La meunière :
- Je ne suis pas plus la petite Margot que tu n'es, toi, Robert ! Je suis la meunière et toi tu es un paillard !
-    Seigneur Dieu, dit le meunier, c'est moi le plus attrapé. Moi qui ai été cherché un domestique pour me faire cocu !
-    Est-ce le Diable, dit la meunière, que tu avais dans la gorge ?
Si tu n'étais pas cocu, maintenant tu l'es !
Je vais aller à Callac ou quelque autre ville
Acheter à ma petite servante un habit violet,
À mon domestique j'aurai un chapeau,
Et à mon mari un bonnet. »

Callac a eu son barde. Il se nommait Juluan Godest et écrivit en 1904 ses "Dastumaden gwerziou poblus" :

« Quatre vers de Botrel en tête

À nos derniers bardes champêtres
Soyons charitables et doux
Car c'est l'âme de nos ancêtres
Qui chante aux cœurs de leurs binious. »

Anatole Le Braz situe à Callac l'épisode « La route barrée », des Légendes de la Mort ou les trois frères Guissouarn sont menacés par l'ankou.

Vers 1930, Auguste Dupouy signale que :

« Callac est un gros bourg qui ne sent pas la misère, aux confins de deux pays. Il mêle la touken trégorroise à la corliden de Huelgoat et de Carhaix. »

En 1926, Pierre Massé qui se dit petit-fils des Le Cam de Callac, publie à Brest ses Souvenirs charmants. Il y parle des fêtes patronales :
 « Pendant trois jours la ville entière riait sous le soleil d'été. »
II assiste aux battages du blé noir à l'aide de fléaux :
« Seuls leurs bruits troublaient le silence
Car les batteurs marchaient pieds nus
Et leurs corps sains, jamais 7ourbus,
Sans cesse frappaient en cadence.»
Pierre Massé se mêle aux acheteurs du marché du mercredi :
« Le marché de Callac :
 Autour du grand marché couvert
 Le mercredi, chaque semaine,
Printemps, été, automne, hiver,
De monde la place était pleine.

Dès le jour, suivant la saison,
Les charrettes en longues files
Des quatre coins de l'horizon
Venaient vers la petite ville.
Par les vieux chemins en lacets
En défilé interminable
Des bêtes et des gens passaient
Répandant une odeur d'étable.
Bientôt au coin des carre7ours,
Près des halles et dans les rues
Dans les auberges et les cours
Se heurtait la foule accourue.
Sur la place les boutiquiers
Se hâtaient vers leurs déballages,
Sur les tréteaux aux pieds légers
Ils disposaient leurs étalages.
Ils y vendaient de tout, de tout,
Chapeaux, articles de ménage,
Graines, tissus, sabots et clous,
Tout cela dans le grand tapage.
Des beuglements et des jurons,
Des claquements de mains calleuses
Des marchands et des maquignons
Dans leurs discussions orageuses
Des grognements aigus, bruyants
Des cochons vautrés dans la terre;
Des galops, des hennissements
Dans des nuages de poussière ;
 
Tandis que de leur pas traînard
Belles en châles des dimanches,
Les femmes autour des bazars
Souriaient sous leur coiffe blanche.
Leur doux parler breton chantait,
Chipotant le beurre ou les poules,
Et tout l'ensemble ne faisait
Qu'un seul murmure sur la foule.
Après un moment de répit,
Vers la fin de la matinée
Quand dans les multiples débits
Chacun, sa soupe terminée,
Avait calmé son appétit
Par une plantureuse écuelle,
Le marché, la foule, les bruits,
S'agitaient encore de plus belle.
Petit à petit cependant
On voyait que la grande place
Se dégarnissait lentement.
Puis soudain, les compactes masses
Des bêtes et des gens pressés
S'en retournaient en longues files,
Tout comme ils s'étaient empressés
Le matin pour venir en ville.
Et vers cinq heures au plus tard
Toute trace était disparue
De ce grand mouvement, à part
Quelque désordre dans les rues. »

À la même époque, Jean Guillotin instituteur à l'école Saint-Antoine,
 témoigne d'un lyrisme vibrant avec le Chant de Callac (1929)

REFRAIN
Callac ô ma chère patrie,
Aux souvenirs si glorieux,
Tu 7ais le charme de ma vie,
Ville au séjour délicieux (bis)
Sur ton roc 7ièrement assise
Bercée au murmure des eaux
Je te salue cité tout exquise
Callac ô toi le plus doux des berceaux (bis)

PREMIER COUPLET
Les siècles ont passé, sans ternir ta mémoire,
Pieux ermite Beaumaèl, et si le vieux donjon
De Callac est détruit, jadis témoin de tant de gloire,
Botmel garde encore, fidèlement ton nom. (Bis)

DEUXIEME COUPLET
Je te salue Botmel, église de Bretagne,
Par de pieux artisans, dans la pierre taillée
Et qui depuis cinq siècles, veille sur la campagne
Comme une sentinelle, veillant sur une armée, (bis)

TROISIEME COUPLET
Oui j'aime ô mon Callac, tes sites grandioses,
Tes coteaux verdoyants, tes collines altières,
Tes moissons de blé d'or, et tes bruyères rosés,
Et la nappe d'argent de ta jolie rivière (bis)

En 1975, Jeanine Huas fille du docteur Liégard, qui fut pharmacien à Callac, a publié un court roman dont l'action se dérouleà Callac et dans les villages environnants : Comme un nuage en mer... Elle y parle de Les Mais :
«Il savait par-dessus tout, cet enfant d'Argoat, la façon souveraine de faire envoler les «s» à la fin des deux pauvres mots Les Mais.
Alors ceux-ci, parés de leur grâce dansante, traînant leurs finales en comètes jolies, prenaient une teinte nouvelle que les gens de la grand ‘ville ne distinguaient pas ; ils devenaient d'or, ils devenaient d'ambre, de cet ambre jaune que les marins jadis, certains beaux soirs au creux de la Baltique, récoltaient en songeant au pays... »

Elle évoque très souvent Botmel :

« Botmel, autrefois, c'était la grâce qui se mourait pleine de pudeur mais se mouraient ses ruines ; Botmel, c'était le charme d'un tertre aux odeurs de menthe et de chardons où trois arcs d'ogives - témoins debout de la nef détruite - laissaient les zéphyrs enlacer les colonnes et les enfants se cacher dessous; Botmel, c'était la nostalgie d'un porche d'église couronné de son campanile et parasité d'un lierre qui descellait peu à peu la façade ; Botmel, vieillard presque mort qui réchauffait ses pierres quand midi éclatait au soleil, ou se blottissait frileux à l'ombre de ses pins dès que marmonnait le vent... »



Et plus loin :

«Les pins suaient d'arômes, de résine, et les aiguilles palpitaient, dans leur inquiétude du vent. Les oiseaux avaient fui comme avaient fui les hommes. Seuls, impuissants à vociférer, les diables grimaçaient de colère, mais la pierre irradiait, souveraine au-dessus des chardons. En se mêlant aux orties les ronces accroissaient le mystère, camouflant les tombes par-delà la ne. Il y avait toujours le campanile qu'égorgeait le lierre. »

Et voici la ville de Callac :

«La ville qui, blême d'austérité, la repoussait hier avait fait place au gros bourg gavé de ciel bleu dont, à présent, le sol cliquetait sous ses pas. Sur la place de l'église, des gamins jouaient aux billes tandis que des filles poussaient des cris d'oiselles, couraient, cherchaient à s'attraper. Plus loin les vieilles habillées en noir tricotaient déjà sur le pas des portes, le nez en quête de conversation. »



Paule Le Milbeau "poète contemporain" qui a des attaches à Kerhiré, a publié Sklerig, recueil de poèmes, où elle  se  désole du  dépeuplement :

« Un pays qui se meurt
C'est affreux, c'est horrible :
La flèche dans la cible
La fin de toute ardeur.
Le chemin déserté


En plein coeur de l'été
 À voir que nul ne passe
Seresserre  en impasse.
Un silence oppressant
Accabl e  la campagne
Où nul troupeau ne gagne
Les  hauteurs en paissant.
 
Les ormes d'autreois
 Ne sont-ils pas malades?
Les oiseaux en balades
Y font sombrer leurs voix.
Sous le vent et la bruine
Béant comme un tombeau
La ferme du hameau
 Se  résigne à la ruine.
Plus un ramier en vol
Plus un sursaut d'eau vive
Plus une âme qui vive
Seul un épagneul
Vers  nous s'élance encore...
Serait-ce envoûtement?
Le pays nous implore
 De rester longuement.

Kerhiré, le 1er avril 1986
 
Jean Le Gall «  ancien maquisard », a écrit un drame en trois actes intitulé Loup, dont
À la même époque François Le Gall,' futur maire de Callac, a écrit une gwerz consacrée aux fusillés de Plougonver (chant reproduit dans Musique bretonne, 1993).

 
Carnoët

Le grand homme de Carnoèt est le barde Taldir Jaffrennou (1879-1956) qui, à la suite de Jouan,
évoque les « sépulcres de Carnoèt ».

Au milieu du XIXe siècle l'abbé R.-M. Jouan' recteur de Carnoèt, écrivit un livre intitulé
Histoire de la commune de Carnoit. Taldir, cinquante ans plus tard, s'adresse à lui :

« Toi le premier, Jouan, sur le déclin de ton âge
En un livre remarquable tu as témoigné
Aux générations à venir que notre paroisse
Est une des plus antiques de l'Armorique,
Que sa terre est aussi sacrée que celle d'un cimetière
Puisqu'on chacun de ses coins on trouve des tombes de Celtes.

Tes recherches ont démontré que nous sommes deux fois Celtes ;
 ici même au sein des montagnes grises demeurent les purs descendants de la race des Armoricains et que Carnoèt couvert de tombeaux était leur temple sacré, leur cimetière.
Ici dans notre sombre pays tout parle à l'esprit de la mort.
Partout nous marchons sur les tombes.


Ici sont Killi-gern, et Lez Kern, et Lez Karn, Kern-Garn sur le flanc d'une colline, et plus loin Lok Karn. Partout ce ne sont que des Karn, et Carnoèt lui-même signifie les sépulcres, les tumuli, les cimetières.
Ô pays des sépulcres, terre cent fois engraissée des ossements de nos aieux depuis longtemps devenus poussière sous ces pauvres champs, où l'on ne voit plus que quelques tumuli de terre, tranchant sur le sol, et que souvent la charrue, avouons-le avec regret a labouré, ô pays des sépulcres, à toi respect et honneur, car il fait bon vivre toujours sur les tombes armoricaines. Et toi, ô butte de Saint-Gildas, trois fois sacrée pour nous, sépulcre de nos ancêtres, édifié si près des cieux ; temple des druides vêtus de blanc, lieu de prière, champ de bataille où furent sauvée la Bretagne et anéanties les troupes de Richard Coeur de Lion, sois à jamais chantée par tout Breton. »

Taldir Jaffrennou recevait à Carnoèt, à l'occasion des Gorsedd druidiques (Menez Bré, 1909), des amis irlandais et gallois. Il dédia à la harpiste Maggie Jones le poème Le chant que chantait Maggie et inspira à Thomas Gwym Jones une Ode du mariage de Taldir. Le prestige du barde de Carnoèt dans les milieux celtiques fut énorme.

Anatole Le Braz (1859-1926) parle de Taldir Jaffrennou, et donc de Carnoèt :

 « Ce qui m'a séduit tout d'abord en Jaffrennou c'est que je retrouvais en lui dans toute sa pureté le type sobre, discret et fin du montagnard cornouaillais. Son enfance s'est écoulée là-haut, dans les terres onduleuses du pays de Carnoèt, que parsèment des restes de l'ancienne forêt primitive encore tout frissonnants, dirait-on, des grandes haleines de notre passé. Là tout parle à la race de ses origines les plus lointaines comme de ses songes les plus immémoriaux. Les arbres, les pierres, les eaux, tout y porte témoignage, tout y raconte la mystérieuse histoire des temps évanouis. Sous le couvert des lourds ombrages, on respire un je-ne-sais-quoi de druidique. Ou bien les perspectives s'ouvrent sur de calmes et nobles paysages arthuriens, où s'évoquent d'elles-mêmes des visions de légendes, d'idéales chevauchées de héros. Les habitants, retirés dans leurs collines où les bruits du dehors leur parviennent à peine, à l'écart des grandes voies qui, sous prétexte de nous apporter la civilisation tendent à banaliser outrageusement nos côtes, ont gardé des habitudes de vie quasi patriarcales, une exquise douceur de moeurs, le goût des longues contemplations, une touchante ingénuité d'esprit, féconde en beaux rêves... Cette foi invincible dans les destinées de la race, Renan l'a définie comme une sorte de messianisme celtique. »


Toujours à propos de Taldir, Charles Le Goffic parle de Carnoèt :

«    En moyen-breton, Carnoëdd - et par corruption Carnoèt -, veut dire : les sépulcres, les ossuaires. Séparé de son milieu d'origine Jaffrennou devient inexplicable. Il fallait cet air large et tonique des sommets, ces longues articulations de rocs, échine géologique de la Bretagne, ces eaux vives de la vallée, tout ce terroir spécial de Carnoèt-Poher, âpre seulement à la surface et qui découvre aux regards de l'analyste les plus magnifiques réserves de sensibilité. Pour produire le « représentative man » qu'est l'auteur du Barzaz Taldir, parfait exemple du tempérament et de l'esprit cornouaillais. Taldir se refuse à amputer l'âme bretonne de cette grande paire d'ailes indispensable, selon le mot de Taine, pour élever l'homme au-dessus de lui-même... » (Âme bretonne, II.)

Taldir (1879-1956) lui-même évoque Carnoët :

«    Soleils de mercure régnant dans les cieux tranquilles. Mille bruits des âmes se confondent avec les bruits d'arbres. Douceur des pauvres bourgs entourant leur cimetière.
Granit du foyer, chaise en chêne de mon père, rêves que j'y ai faits, aussi courts que la flamme.
Bonheur et orgueil de pouvoir parler la langue bretonne descendue du ciel. Consolation de croire encore à l'au-delà de la mort. »

Dans la Revue de Bretagne et Vendée de 1904, Henry de La Guichardière" barde Telenaour", parle de Carnoët, :

«    bourg endormi au sein des montagnes de la Cornouailles, patrie du célèbre Ar Balp et un des rares centres de langue bretonne qui soutinrent le pays gallo dans la lutte de la chouannerie. Envoyons ceux qui ne le connaissent pas encore dans le pays natal de Taldir pour les inviter à suivre le cours torrentueux de ses rivières, à gravir les pentes rocheuses de ses vallées et à prendre un bain d'air et de lumière au sommet du Tossen Sant Weltas ».

Taldir Jaffrennou a consacré un poème à la chapelle Saint-Gildas-de-Carnoët :

Sur le versant d'une colline verte
Aussi tranquille qu'un coin de ciel sans nuage
On trouve une jolie chapelle
Bâtie par des mains inconnues.

Au-dessus du portail, un petit saint de pierre,
Tellement usé qu'il ne ressemble plus
A un homme, un saint de pierre a été placé
: C'est saint Gildas béni.

La chapelle de Saint-Gildas est bien vieille
Nul dans la paroisse ne connaît son âge.
Les murailles sont en pierre taillées.
Et en chêne solide les portes.

Au coin des murs des gargouilles hideuses
Ont des formes extraordinaires
Et quand il pleut l'eau se précipite
Par leurs bouches larges ouvertes.

La tour est svelte et haute,
Elle défie le vent
Et en elle deux petites cloches
Sonnent depuis trois cents ans.

Lorsqu'arrive le jour du pardon
Les deux soeurs retentissent ensemble
Et les bons pèlerins
De loin reconnaissent leur appel.

Une fois l'an, en septembre,
L'intérieur se couvre de fleurs
Et de draps blancs
Pour le pardon et la messe.

Le plus beau pardon d'alentour
Est certes ici dans notre coin de patrie.
Nul ne dira de combien de maladies
Saint Gildas a guéri.

Mais par ailleurs, durant l'année entière,
On entend le vent siffler
Dans les fenêtres mal fermées
Et dans les portes disjointes.

La chouette grise se perche
Dans les combles, loin des hommes
Et la chauve-souris boudeuse
Au-dessus de l'autel a établi son nid.

La chapelle sent l'odeur de la mort
L'odeur des choses passées depuis longtemps.
Et le pavé retentit tristement
Comme un souterrain sur une montagne.

Les boiseries peu à peu tombent de vétusté
Et les vieux saints
Sur leur socle
Semblent à demi-endormis.

À mesure que je marche dans l'église
J'entends passer des choses étranges
Comme le vol de mille fantômes réveillés,
Épouvantés par le bruit de mes pas.

De temps à autre une plainte,
Peut-être une âme en peine
Car autrefois dans les églises
On enterrait les gentilshommes.

À droite la statue de saint Gildas
 S'élève sur une estrade ;
Il a dans la main une crosse
Et deux petits chiens de chaque côté.

Les deux petits chiens sont usés,
On les embrasse si souvent !
Les joues du saint sont usées,
Et ses mains et ses épaules.

Que de générations de gens de notre pays
Ont prié, agenouillés ici !
Que de lèvres ont baisé
La statue de saint Gildas béni !

Au point que lorsque mon esprit
Regarde en arrière vers tant de générations
Disparues, je m'épouvante de voir
Que j'ose demeurer debout dans ce sanctuaire.

Tandis qu'un hibou ivre
S'envole de son trou en faisant résonner
L'écho de la chapelle close
Je tombe à deux genoux.

Les saints de bois deviennent plus réjouis,
Je vois le bon saint Gildas
Sourire dans ses yeux,
Sourire paisible des statues.

Le même Taldir est hanté par le Tossen Sant Weltas (colline Saint-Gildas) où il est 'objet de «Visions».

« ...J'avais fait l'ascension de la montagne de Saint-Gildas. Les voiles de la nuit étaient descendus et la lumière pâlotte de la lune éclairait seule le ciel. Son croissant pointu au-dessus de l'horizon répandait sur les monts de Glomel qui courent de Kergrist à Plounévézel deux filets de rayons couleur de cire...

Il y avait des ténèbres sur Cragou, sur Huelgoat et ses montagnes, de Poullaouën à Lannéanou, sur Scrignac, pays des hommes durs comme l'acier. Au sein de cette contrée le mont de Saint-Gildas, semblable à un phare s'élevait droit comme un nid de corbeau entre la terre et le ciel ; l'un de ses flancs était éclairé par la timide lumière de la lune, tandis que sur l'autre la nuit noire avait étendu son roid manteau.

J'ai vu alors une chose miraculeuse. À peine un rayon avait-il frôlé la surface de la plaine et du marais fangeux que la croûte de la terre se fendait; l'ajonc écartait ses piquants et les branches de genêts leurs fleurs, les pierres fuyaient et faisaient place sur les routes aux tombes qui s'ouvraient. De chaque tombe un mort se leva et grimpant au rayon de lune atteignit la surface de la terre et se rendit vers la butte. Ils s'y rassemblèrent sur trois rangs. Leurs os jaunâtres tremblotaient de leurs pieds à leurs têtes comme les feuilles sèches de vieux arbres.

Je me blottis dans les branchages, qui pareils à des lances entourent les flancs de la montagne, car j'étais transi de frayeur: je pus ainsi contempler ces morts se rangeant sur les collines et cependant je ne percevais pas un bruit parmi tant d'homme trépassés. Les morts du premier rang portaient des harpes superbes : sans doute c'étaient les bardes de la vieille Bretagne. Au second rang l'on portait des épées rouillées par le temps et le sang : sans doute c'étaient des hommes amis des batailles, ennemis des Romains et des Francs.

 Au troisième rang c'étaient des hommes du peuple. J'apercevais leurs instruments de travail dans leurs mains osseuses. À travers leurs dents à demi rongées passaient de faibles souffles de vent, aussi doux que la brise à travers les arbustes et je crus qu'ils respiraient.

La lune pointue, dans le large firmament, nageait tel un navire au milieu d'une mer où les vagues sont tranquilles ; dans les landes nul homme ne jetait plus le cri de la chouette et les coqs ne chantaient pas encore à Leskern ni à Keransker.

Alors, du sein de la butte de Saint-Gildas, des ombres grises s'élevèrent dans les airs et parlèrent aux fantômes rassemblés... »

(Les ouvrages de Taldir ont été écrits en breton, et traduits en français par lui-même.)


Le roman de Paul Beaufils' Le douanier de Toul an Diaoul, se situe en Poullaouën, mais comporte des évocations du Tossen Sant Weltas.