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Callac-de-Bretagne |
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La compagnie de Scrignac (Finistère) à la guerre de 1870 par Taldir Jaffrennou
Comme
complément à l'important ouvrage que Camille Le Mercier d'Erm vient de
publier sur L'Armée de Bretagne au Camp de Confie, je vais retracer la
physionomie d'une compagnie de Gardes Mobilisés bas-bretons appartenant
à cette fameuse armée, d'après les notes laissées par mon père, Claude
Jaffrennou, capitaine de la 5° compagnie du 3e bataillon de la 2ème
Légion du Finistère.
Ancien
soldat de la classe 1857, affecté au 11ème régiment d'artillerie
à La Fère (Aisne), Claude Jaffrennou, principal clerc de notaire en
l'étude de M° De La Monneraye, rue de Paris, à Morlaix, célibataire,
âgé de 33 ans quand éclata la guerre de 1870, fut rappelé sous les
drapeaux le 16 août 1870, dans la réserve d'active.
« M. Claude Jaffrenou de Kéforc'h, en Scrignac,
Vous êtes invité à arriver à Quimper dans le délai de 3 jours, avec vos papiers militaires,
, livret et congé de libération suivant la Loi du 10 août 1870.
Serignac, le 16 août 1870.
Le Maire LE MAÎTRE. »
Au
reçu de cet ordre d'appel, Claude Jaffrennou invoqua le bénéfice
d'exemption d'après l'art. 13 de la loi du 21 mars 1832 (étant fils
aîné de veuve). A cette époque une demande devait être appuyée des
signatures de trois citoyens, pères de jeunes gens liés au service et
en activité. Les sieurs Jean Guilloux, Guillaume Guilloux, et
François Le Meur, ayant approuvé, lui valurent d'être maintenu dans ses
foyers.
Mais
par décret du 22 octobre 1870, le Gouvernement de la Défense Nationale
confiait au général de Keratry la mission de lever une Armée de
Bretagne. (Le Mercier d'Erm, chap. 3, p. 50.)
- Il s'agissait de mettre sur le pied de guerre le ban et l'arrière-ban de tous les hommes de 30 à 40 ans.
Le 29 octobre, un décret appela les soutiens de famille de 20 à 30 ans, précédemment exemptés.
Le 2 novembre, un décret appela en trois bans les hommes de 30, 35 et 40 ans.
La
commune de Scrignac fit immédiatement le recensement des citoyens dans
le cas de faire partie de la garde nationale mobilisée, qui se
trouvèrent être au nombre de quatre-vingt-six.
Le 4 novembre, autre décret ordonnant la levée en masse.
Le 7 novembre, le général de Keratry transmettait l'ordre suivant aux cinq départements bretons :
« Conlie, le 7 novembre 1870.
« Attendu que la Patrie est en danger ;
« Attendu que l'Etat adopte les familles des citoyens qui succomberont
pour la défense de la 'Patrie.
« Attendu que les départements sont chargés de subvenir
immédiatement aux besoins des familles privées de leur soutien ;
« 1) Un premier ban de Gardes sédentaires se tiendra prêt à marcher ;
« 2) Tous les Gardes Nationaux volontaires qui voudront devancer cet appel
seront armés et équipés aux frais des départements.
« et dirigés sur le Camp de Conlie, où ils seront versés dans leurs bataillons respectifs ;
« Ils y recevront la même solde et le même armement perfectionné (?).
KÉRATRY. »
Les
Gardes Nationaux Mobilisés de la commune de Scrignac et de Bolazec se
rendirent à Quimper le 9 novembre 1870, et conformément à la loi
organique de la nouvelle Armée Citoyenne, ils procédèrent à l'élection
de leurs officiers (Scrignac et Bolazec formant une compagnie
ensemble.
Capitaine : Jaffrennou, Claude.
• Lieutenant : Pirou, Claude (parent du capitaine).
Sous-Lieutenant : Le Bars, François de Bolazec-(remplacé au camp par
Simon de Carhaix
• Il appartenait au capitaine de désigner ses sous-officiers.
• Sergent-Major : Neuder, Jean Louis.
• Sergent-fourrier : Cotonnec, (remplacé au camp par Guichard Jean-Louis).
• Sergents : Le Foll, Hervé, Jean Marie Le Cosquer, Cotonnec Joseph.
•
Caporaux : Auffret Pierre, Corvez Jean-François, Pierre Le Corre, Louis
Rolland, François Collobert ? Jean Marie Urvoas, Jean Marie Guinamant,
Jean Le Foll.
La Compagnie reçut le n° 5 et fut rattaché au 3ème Bataillon, formé des gardes du canton de Huelgoat, au nombre d’environ 800.
Celui-ci fut embarqué en chemin de fer à Quimper le 16 novembre 1870 et arriva à Rennes le soir.
•
Dans cette ville le capitaine Jaffrennou, qui n’avait reçu à Quimper
qu’un képi à trois galons, et un uniforme, se procura un revolver à
barillet du modèle réglementaire, et un sabre.
Officier en 1870.
En fournées successives, les mobilisés furent dirigés par fer sur
Conlie, où ils touchèrent de la paille et des tentes, et campèrent dans
la partie Est du camp.
La solde de la troupe était par jour : sergent-major : 1 fr. 31 ;
sergent : 0 fr. 93; caporal : 0 fr. 64; soldat : 0 fr. 48. Plus les
brisques (d'ancienneté) : 0 fr.10 par brisque et par jour. La compagnie
Jaffrennou comptait au début 105 hommes. La feuille de prêt se montait
à 876 fr. 16, et les indemnités des briscards à 6 fr. 72. Total : 882
fr. 88.
-Si l'on compare la solde de la troupe en 1870 et la solde de la troupe
en 1914 (le piou-piou, soldat d'un sou), l'avantage reste de loin au
combattant de 1870. Les 48 centimes du mobilisé d'il y a trois quarts
de siècle correspondaient à peu près à 6 francs-papier de maintenant.
Quant au capitaine, il touchait 175 francs de solde mensuelle, ce qui
équivaudrait à 2.000 francs de la troisième dévaluation de 1937.
En février 1871, intervint une augmentation de solde non point des
officiers ni des sous-officiers, mais des soldats, — sans doute pour
les empêcher de trop murmurer dans la boue du Camp. Ils passèrent à 1
franc par jour, et pour qu'ils ne manquâssent point de pétune, la paye
eut lieu tous les 5 jours au lieu de tous les 15 jours.
L'Intendance du Camp délivrait des vivres remboursables.
Les Mobilisés bretons passèrent à Conlie le mois de décembre dans l'inaction. Cet hiver fut particulièrement rigoureux.
Il y eut beaucoup de malades : on les soignait aux ambulances du Camp, ou on les évacuait. Personne n'avait -de fusil.
Enfin, le 6 janvier 1871, le général Chanzy (cf. Le Mercier d'Erm, p.
204) reçut du Ministre de la Guerre Freycinet l'ordre de faire marcher
tous les hommes de Confie sans exception.
Ils étaient là 50.000, dont 6.000 armés seulement.
Le général De Marivault-Emériau, successeur de Kératry à la tête de
l'Armée de Bretagne, refusa d'accepter cette responsabilité, «
sacrifice criminel », dit-il.
Le général Chanzy le tranquillisa en lui disant qu'on placerait les Mobilisés en arrière du Mans.
En réalité, on les mit au point le plus exposé, à la Tuilerie, au rond-point de Pontlieue.
Quelques jours auparavant, on leur avait distribué des fusils «
américains » et des cartouches désassorties; la plupart n'en
con-naissaient pas le maniement.
On connaît l'Histoire : les Prussiens attaquèrent Le Mans; les troupes
d'active ayant cédé, se replièrent sur la réserve des Bre-tons, et tout
le monde battit en retraite dans la plus grande con-fusion.
Cette défaite du Mans, il fallut bien l'expliquer.
Dans son rapport, le Général Chanzy l'attribua à la « panique » des Bretons.
Le Mercier d'Erm réfute sans peine, avec preuves, cette assertion infamante.
En fait, l'Armée de la Loire de Chanzy n'avait jusque-là subi que des défaites. Et les Bretons ne s'y trouvaient pas.
Dès le 12 janvier, les bataillons de Mobilisés de Bretagne reflèrent vers le camp de Conlie, et retraitèrent sur Laval.
passant par le Camp, les approvisionnements furent 'pillés par la troupe, affamée et exténuée.
Les bataillons traversèrent Laval, Evron et entrèrent à Rennes le 20
janvier, où le général Marivault établit son Q. G. 11 démissionna le
23, et fut remplacé par le général De Colomb, avec mission de défendre
Rennes et Nantes.
En fin janvier 71, l'Armée de Bretagne était dissoute. Quelques divisions couvriraient la Mayenne.
D'autres se joindraient aux forces du général Cathelineau, qui avait levé un « corps franc » en Vendée.
La 2ème Légion du Finistère prit, le 30 janvier, la route de
Vannes, où elle arriva le 1er février. Elle y séjourna jusqu'au 19
février. La 5e compagnie, capitaine Jaffrennou, se trouvait en ce
moment réduite à un effectif de 76 hommes de troupe, au lieu de 105 le
15 novembre de l'année précédente.
La maladie en avait décimé plusieurs. Mais une autre plaie se
développait parmi ces soldats presque tous illettrés, et d'autant lus
découragés qu'ils s'étaient vus sacrifiés et traités comme du bétail.
C'était la désertion.
Le 18 février, de Vannes, le capitaine Jaffrennou déposa la plainte suivante :
GARDE MOBILISÉE DU FINISTÈRE
e Légion — 3e Bataillon — 5e Compagnie
«
Plainte adressée à Monsieur le Lieutenant-Colonel Commandant la Légion
contre les dénommés ci-dessous par le Capitaine Comman-dant la 5° Cie,
afin qu'ils soient traduits devant un Conseil de guerre pour désertion
à l'intérieur.
Noms et prénoms des déserteurs :
Neuder,
Jean-Marie; Floc'h, Jean-Marie; Dellour, Etienne; Floc'h, Claude;
Thomas, Jean-Marie; Hervé, Julien, Dinahet, Emmanuel, Menez, François,
Le Coz, Yves, Rivoal, Jean-Marie, Riou, Guillaume, Perrier, Michel, Le
Carz. François, Morvan, Jean-Marie, Le Gac, Jean-Marie, Primel,
Jean, Thomin, Jean-Marie, Guilloux, Yves(?)
Les Gardes Mobilisés sus-dénommés ont manqué à l'appel du matin du 17 février, et depuis n'ont pas paru au bataillon.
J'ai été instruit qu'ils avaient déserté a l'intérieur,
Je suis d'avis que ces hommes soient recherchés et traduits devant un Conseil de guerre pour ce crime.
Je
désire que le Conseil de guerre reconnaisse en leur faveur des
circonstances atténuantes, vu qu'ils ont eu pour chef de complot le
soldat Lohou, Michel, mobilisé à la compagnie. »
Fin février, la 2ème Légion du Finistère reconstituée fut dirigée par
fer sur Angers, pour être incorporée dans le corps du général De
Cathelineau.
La compagnie Jaffrennou y débarqua le 23.
«
Ge corps franc, lit-on dans le Courrier du Maine-et-Loire, du 25
février 1871, est formé de quatre brigades, dont les commandants sont
MM. Marty, Paris, Martynie et De Saisy.
«
Cette petite armée est pourvue d'une artillerie très respectable,
ellepossède une cavalerie parfaitement montée.
« Des Mobiles du Midi et de Bretagne forment le corps de 55 -
bataille; pour les avant-postes, les surprises et les coups de main,
viennent les francs-tireurs, A leur vareuse sombre, à leur pantalon
noir avec bande bleue, à leur large ceinture bleue, où pend le
revolver, au coeur rouge attaché sur leur poitrine, il est facile de
les reconnaître.
« Outre les Francs-Tireurs dits les Cathelinais, le Corps Franc de la
Vendée comprend : les Francs-Tireurs Phocéens; les Francs-Tireurs de
Loir-et-Cher;.les Chasseurs de la Vendée. »
Cette petite armée, grossie des Bretons du Finistère détachés de
l'ex-Armée de Bretagne, harcela l'ennemi au nord de la Loire, jusqu'à
la Paix préliminaire, qui fut conclue à Versailles le 26 fé-vrier 1871.
L'évacuation des Gardes Mobilisés du Finistère eut lieu aussitôt.
Le 14 mars 1871, le capitaine Jaffrennou prenait à la gare d'Angers une
feuille de transport d'Angers à Chàteaulin pour 70 hommes, pour
lesquels il fut payé une somme de 402' fr. 50.
C'est tout ce qui restait de la compagnie : 1 sergent-major, 4
sergents, 1 fourrier, 8 caporaux et 56 soldats, plus le capitaine et
ses deux lieutenants Piron et Simon.
La campagne avait duré pour eux 4 mois.
Claude Jaffrennou rejoignit aussitôt l'étude de M° De La Mon-neraye, notaire à Morlaix, ou il était principal clerc.
Après le Traité de Francfort-sur-le-Mein, le 10 mai 1871, il fut
attribué aux Mobilisés qui s'étaient signalés par leurs services un
certain nombre de médailles militaires. Un jour que le général Le Flô
(de. Lesneven) rendait visite à son ami et parent Me De La Monneraye,
celui-ci lui présenta l'ex-capitaine, et le général lui dit qu'il lui
ferait décerner la médaille militaire.
Mon père déclina cette proposition.
L'apurement de la comptabilité de la guerre eut lieu de 1872 à 1874. Le
8 mai 1872 M. de Champeaux, Sous-Intendant militaire de la 16' Division
à Quimper, écrivait à Claude Jaffrennou, pour lui demander un état
détaillé de :
1) les fonds retenus pour vivres remboursables ;
2) ceux provenant du boni d'ordinaire
3) ceux ayant pour cause un reliquat de solde ;
4) tous autres restés entre vos mains ;
5) le détail des effets reçus par vos officiers et vous à titre onéreux ;
6) si vous les avez payés, à qui, quand, leur prix.
On voit que les Bureaux ne ressentent aucune secousse des guerres ni
des révolutions. Ils fonctionnent comme devant, avec une sage lenteur.
Le 17 octobre 1874, la liquidation de la guerre de 1870 n'était pas encore terminée. Jaffrennou recevait la lettre suivante :
« L'Intendant de Brest me demande la justification des sommes payées
aux hommes des compagnies pour la première quinzaine de janvier 1871.
En conséquence, je vous prie de vouloir bien me donner une quittance de
la somme de 927 fr. 25 qui représente le montant de ce que vous avez
reçu pour la 5e compagnie à cette époque. Veuillez agréer, etc...
« Signé : CORBEL, ex-Officier-Payeur du 3ème Bataillon de la 2ème Légion, à ,Carhaix (Finistère). »
Et de même qu'en 1919, après la guerre de 1914 — celle, dit-on, qui
devait être la DERNIÈRE, la France reprit de plus belle la course aux
armements, de même après 1870, l‘idée de revanche anima le
gouvernement, et l'on procéda aussitôt aux préparatifs d'une autre
guerre. C'est la règle.
En 1874, l'ex-capitaine Jaffrennou recevait l'ordre suivant :
ORDRE DE CONVOCATION
Classe de 1857.
t Le capitaine JAFFRENNOU, Claude, domicilié à Campa, tan
« ton de Callac, Côtes-du-Nord, est invité à se présenter, le 9 no
« vembre 1874, devant le Conseil de Révision d'arrondissement
« qui se réunira à Callac pour
« procéder à la formation de l'Armée Territoriale créée par la loi
« du 27 juillet 1872.
Ces quelques notes de la toute petite Histoire ne pourront qu'inciter
nos Lecteurs — dont beaucoup ont eu des ascendants dans l'Armée de
Bretagne — à lire l'Etrange Aventure de cette armée nomade dans le
magnifique livre que Le Mercier d'Erm lui a consacré, et dont toute la
presse, sans distinction, a apprécié la valeur.
Joseph Lohou (19 mars 2016)
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