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Le Christ de l’Auditoire de Callac.
La salle de l’auditoire de Callac était le siège de
la justice d'Ancien régime, fief du sénéchal de la
seigneurie. Ce lieu, située dans le bâtiment de la Halle,
présentait une particularité, elle était ornée d’un
tableau curieux, peint par un artiste local, représentant
un christ en
croix entouré de deux personnages, un bourgeois et un
paysan en costumes d’époque. L’interprétation de cette
peinture fit l’objet de plusieurs écrits dans la presse
locale sous le nom de : « Le Christ de
l’auditoire de Callac », et le tableau, curieusement,
resta en place après la Révolution et ne fut enlevé que
vers les années1871-1872.
|
Tableau
du Christ de l'auditoire.
(Esquisse d'après le texte-
réalisation : Jean.François Lohou ) |
Nous présentons dans ce document, les deux oeuvres
principales : la première écrite dans les années 1850 par
Sigismond ROPARTZ[1], écrivain et littérateur qui donne
cours à son imagination et d'un simple fait divers, en fait
une histoire merveilleuse.
La seconde histoire, écrite dans les années 1925, par un
instituteur privé de l'école Saint-Laurent, Jean
GUILLOTIN[2], est bien plus prosaïque. Son récit, plus
direct et juste narratif, diffère dans la chute finale de
celui de S. Ropartz.
Le Christ de l'Auditoire de Callac par S. ROPARTZ.
"La seigneurie de Callac a appartenu, de temps
presque immémorial, et jusqu’à la Révolution, à l’Abbaye
de Sainte Croix de Quimperlé. En l’année 1753, les bons
moines furent peindre, par un artiste du nom d’Herbault,
qui n’était pas, hélas ! un Raphaël, un christ
pour suspendre dans l’auditoire de leur juridiction, situé,
comme partout en Bretagne, dans une
chambre au-dessus des halles de Callac. Quand un juge
de paix est venu remplacer le sénéchal, il a établi son
prétoire dans l’auditoire de son prédécesseur, si bien
que c’est encore aujourd’hui devant le christ peint par
Herbault en 1753, que les justiciables du canton de Callac
sont appelés à lever la main, dans toutes les
circonstances où notre législation introduit le serment
judiciaire.
Or,
ce tableau est singulièrement remarquable ; non pas,
comme je vous l’ai dit, à cause de son exécution, qui
est véritablement pitoyable, mais à cause de sa
composition. En effet, le Christ en croix, au lieu d’être
accompagné, soit des deux larrons, soit des deux saintes
femmes, suivant la coutume, est flanqué de deux personnages
en costume du 18° siècle, et dont l’attitude, comme la
présence, est absolument énigmatique. Celui de droite, une
façon de gentilhomme ou de riche bourgeois, est à genoux
et lève la main vers le crucifix, comme pour prêter
serment, celui de gauche, un campagnard, est debout ;
il a les insignes traditionnels des pèlerins, le bourdon et
la gourde, le chapeau et le camail constellés de coquilles
de saint Jacques : de la main droite, il tient on objet
bizarre, moitié noir et moitié jaune, une sorte de bâton
qui s »éventre par le milieu comme un épis de maïs
ou une grenade mère, en laissant échapper une graine jaunâtre.
On
sent, à n’en vouloir douter, qu’il y a là-dessous une
légende, et la curiosité sitôt éveillée peut-être
aussitôt satisfaite, car il n’est personne à Callac, qui
ne sache donner à l’étranger le commentaire historique
du tableau de la justice de paix.
Cette
tradition est-elle locale ou inédite ? C’est un
petit problème que je ne saurais résoudre. Je ne l’ai
lue nulle part, cela me suffit. J’use du privilège de mon
ignorance, et, supposant mon lecteur aussi ignorant sur ce
point que moi-même, je demeure convaincu que ce qui m’a
intéressé vaut la peine d’être conté.
Il
y avait donc, une fois à telle époque qu’il vous plaira
de fixer, un
colon de la baronnie de Callac, sur lequel le ciel s’était
plu à répandre la bénédiction des patriarches. Tout
prospérait entre ses mains. Il n’était pas besoin
qu’il menât aux foires de Carhaix ses grands bœufs noirs
et blancs, ni ses poulains, aux jambes sèches et fines. On
voyait arriver à sa maison les marchands du haut pays, qui
lui achetaient ses bêtes à des prix mystérieux, dont il
gardait le secret, mais que l’on disait exorbitants. Il
est vrai qu’à vingt lieues à la ronde, personne, pas même
les comtes et les marquis, n’élevaient des bêtes
pareilles. Il avait joint à son domaine une vaste lande afféagée
à des conditions favorables, car depuis le temps où les
grandes guerres civiles avaient dépeuplé la Bretagne, ce désert
n’avait produit un denier au seigneur, et nul n’avait
jamais eu la pensée d’en tirer une autre récolte que la
bruyère et les ajoncs nains qui échappaient à la dent
vorace des moutons et des vaches maigres ? A peine
notre habile homme eut-il obtenu la concession, que le désert
devint une oasis. Dans la vallée, à la place du marécage,
il y eut une immense prairie toujours verte, où les jeunes
veaux entraient jusqu’au ventre dans l’herbe touffue :
sur les flancs des deux coteaux, profondément labourés par
la charrue, un vit pousser des avoines et des seigles si
drus et si hauts, qu’on n’apercevait plus la corne
pointue des bœufs qui paissaient, à la file, le long des
moissons, pour descendre aux prairies.
Or,
le prud’homme avait toujours été fort bon chrétien, et,
reconnaissant de toutes ses prospérités envers Dieu, la
bonne Vierge et les saints, il forma le projet d’un pèlerinage
soit aux sept saints de Bretagne, soit à Saint-Jacques de
Compostelle, soit aux tombeaux des apôtres. Un seul
obstacle l’arrêtait. Les fruits qu’il avait recueillis
de ses travaux ne s’étaient pas bornés à
l’agrandissement de son domaine, il avait secrètement
amassé un trésor, qui dépassait dix mille écus, et dont
personne au monde, pas même sa femme, ne connaissait
l’existence. Il estimait sagement que ses enfants
s’habitueraient mieux au travail, source de tout bonheur,
s’ils ignoraient l’importance de leur fortune. Ne
voulant point révéler son pécule aux siens, et ne pouvant
l’emporter avec lui, il chercha longtemps un ami sûr à
qui il pourrait confier ce dépôt.
Il crut
enfin l’avoir trouvé dans la personne d’un voisin, qui
exerçait les fonctions de notaire, passait pour à peu près
noble, et habitait un petit manoir, arrière fief de Callac,
dont sa femme était propriétaire. Le notaire, après
quelques difficultés sincères ou feintes, reçut
l’argent, et le pèlerin partit le cœur content.
Cependant le démon
de la cupidité s ‘emparait d’un jour à l’autre
de l’âme du dépositaire, et bientôt il l’eut envahie
tout entière. Le paysan n’avait aucune reconnaissance écrite ;
bien plus, il avait demandé le secret : aucun moyen de
preuve n’existait donc autre que le serment ; mais,
comme dans ce temps là on n’avait pas tant joué avec les
serments qu’on l’a fait depuis, le notaire infidèle qui
s’était bien familiarisé avec l’idée du vol, ne se
pouvait accoutumer à l’idée de parjure. Cette
lutte de sa conscience et de sa passion devint si cruelle,
qu’il en perdit le sommeil et l’appétit, et qu’il en
dépérissait à vue d’œil, et, tant est grande la folie
des hommes, il fut à la veille d’en mourir. Puis, un beau
jour il retrouva en même temps la gaieté, le sommeil,
l’appétit et la santé. Était-ce que la passion était
vaincue, ou que la conscience était rendue muette ?
Ce
jour-là, il mit sur le dos de son petit cheval une valise
peu volumineuse, mais si lourde que les jambes du poney fléchissaient,
il se rendit on ne sait où. Il revint peu de jours après ;
la valise était vide ; mais le notaire avait fait
l’acquisition d’un gros bâton noir, qu’il portait
avec lui et qu’il déposa négligemment dans un coin de
son cabinet.
Il
continua d’être gai, bien portant, et retrouva avec usure
l’embonpoint qu’il avait perdu.
A
quelques temps de là, le pèlerin était de retour et réclama
à son ami le trésor qu’il avait déposé entre ses
mains. Le notaire l’embrassa avec effusion, et l’amenant
dans son cabinet, lui dit qu’il allait tout à
l’heure lui rendre le dépôt. Cependant, il fit mine de
ranger quelques papiers dans un coin, et comme le bâton
noir le gênait, il dit au paysan : « Prenez
donc, je vous prie, ce bâton qui m’embarrasse. » Le
paysan, prit le bâton, et le plaça un peu plus loin. Le
notaire trouva une clef derrière les papiers et sortit du
cabinet : l’autre crut qu’il allait prendre
l’argent en quelque coffre, et mettant le feu sur sa pipe,
attendit patiemment ; mais le tabellion rentré, ne
faisait point mine de s’exécuter ; la paysan perdit
patience et réclama de nouveau : « Quoi donc,
dit le dépositaire, et qu’est cette mauvaise foi ?
Je vous ai rendu tout à l’heure en votre propre main,
tout ce que vous m’aviez confié, et si vous en avez
autrement disposé, je n’en suis plus responsable. »
-Le pèlerin stupéfait pensa que son ami plaisantait, et
prit quelque temps la chose sur ce ton ; mais celui-ci
ajouta : «
Votre
insistance est une insulte est une insulte : sortez
d’ici et sachez bien que je suis tout prêt à jurer, par
les serments les plus terribles, devant Dieu et sur mon âme,
que je vous ai rendu le dépôt que j’avais eu la
faiblesse d’accepter. »- C’est bien, dit le paysan :
je perdrai mes épargnes ; mais elle vous coûteront un
double crime ; je vous ajourne devant notre sénéchal,
et si vous êtes assez hardi pour outrer le serment, Dieu
nous jugera. »
Donc, au
jour assigné, le notaire et le pèlerin comparurent devant
M. le sénéchal de Callac. Au moment de s’agenouiller
pour prêter le serment
redoutable, le dépositaire infidèle confia encore
son bâton noir au paysan comme s’il en eût été
embarrassé ; puis il leva la main vers le Christ :
mais dans le même instant, ô prodige ! le bâton
noir, s’ouvrit de lui-même par le milieu, laissait rouler
sur le sol une immense quantité de pièces d’or, formant
l’équivalent des dix mille écus déposés au moment du départ.
Ainsi
Dieu vengea la sainteté du serment et déjoua la ruse
sacrilège du notaire. Car, vous avez sans doute compris le
perfide calcul de celui-ci, et le moyen qu’il avait cru
trouver d’échapper au parjure, en gardant le trésor. Il
était allé à Quimper ou à Nantes, avait chandé les
grosse pièces d’argent contre la plus petite monnaie
d’or, puis fait artistement fabriquer ce bâton creux dans
lequel il avait introduit les dix mille écus, et il s’était
dit : « Au moment de jurer, le remettrai à mon
ami le bâton, et il sera absolument vrai que je lui aurai
restitué le de
dépôt,
puisqu’il le tiendra dans a propre main ; ensuite il
ne manquera pas de rendre ce bâton dont il ne soupçonnera
pas la contenance, et les dix mille écus m’appartiendront
à jamais. »
C’est de cette façon que le misérable, qui avait
projeté de se donner Dieu même pour complice, fut pris
dans se filets, couvert de confusion en face de tout le
peuple, et convaincu par ses propres œuvres de crime
affreux qui lui mérita justement le dernier supplice,
auquel M. le sénéchal le condamna, séance tenante.
Tel est
le sujet sur lequel maître HERBAULT a péniblement exercé
sa verve glacée et son pinceau maladroit, et la tradition
que les moines de Quimperlé avaient jugé utile de perpétuer
parmi les vassaux de Callac, comme propre à leur inspirer
une religieuse et salutaire terreur du serment, cet acte
solennel qui appelle la religion et la justice de Dieu au
soutien de la justice humaine."
Sigismond
ROPARTZ
Notes.
[1] Sigismond Jean Pélage ROPARTZ,
avocat, originaire de Guingamp, décédé à Yffendic le 19
avril 1878, dans sa 56° année. Littérateur, érudit, il
appartint aux Sociétés savantes locales. Membre de la Société
Archéologique des Côtes-du-Nord, puis de celle
d’Ille-et-Vilaine, il devint président de l’Association
bretonne et avait été placé à la tête de la Section
historique et archéologique de celle-ci.
(2) La prison de Callac.
Une autre source de ce texte.
M. Pol de
Courcy répond à M. Sigismond Ropartz sur son texte.
(Bibliographie du Nobiliaire et
Armorial de Bretagne de Pol Potier de Courcy)
« Je
viens de lire avec intérêt votre légende du « Christ
de Callac » ; mais je crois que c’est à
Quimper que le fait s’est passé, et la tradition ajoute
qu’au moment où le dépositaire infidèle produit son
faux serment devant le crucifix, les pieds de l’Homme-Dieu
se détachèrent du clou et il s’en échappa trois gouttes
de sang. La relation de ce miracle est donnée avec de
grands détails dans le livre : Hent ar baradoz, lagact
ô brezonec gant an Aoutrou Dumoulin, chaloni, livre qui se
lit dans toutes les fermes. On montre toujours dans la cathédrale
de Quimper le crucifix miraculeux, et l’office de la fête
des Trois Gouttes de Sang se célèbre encore aujourd’hui
dans la cathédrale et figure au Propre de Quimper et Léon. »
Sources.
Cet article est paru dans la Revue de Bretagne et de Vendée
en 1860-Tome VIII-pages 176 à 180- GALLICA.
AD22 cote HP art.2 –1860.
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Le
Christ de l’Auditoire de Callac par Jean GUILLOTIN
Autrefois,
l’auditoire de Callac, consistait en une salle située
au-dessus des Halles. C’était dans ce lieu que les sénéchal
de la juridiction siégeait pour juger les différents
litiges survenus entre les gens du pays. Or du temps que les
abbés de l’abbaye de Saint Croix de Quimperlé étaient
seigneurs du château de Callac, c’est-à-dire de 1584 à
1789, soit pendant près de deux cent ans, ils firent
peindre un Christ par un artiste du pays nommé HERBAULT.
Si ce
tableau n’était pas un chef-d’œuvre, il avait au moins
le mérite d’être très curieux. En effet, le Christ, au
lieu d’être accompagné de deux larrons ou des saintes
femmes, était entouré de deux personnages en costume du début
du 18° siècle.
A droite, se tenait un riche bourgeois à genoux, levant la
main vers le Christ et à gauche un paysan portant les
insignes du pèlerin :
bourdon, chapeau et camail constellés de coquilles
saint-jacques et de médailles. De la main droite, le paysan
tenait une sorte de bâton, ouvert en deux, d’où s’échappait
une sorte de grains jaunâtre.
Ce tableau était, croyons nous, la représentation d’un
fait divers légendaire qui avait dû se passer dans la cité,
une centaine d’années auparavant.
Et voici ce que disait la légende : vers les années
1697 ou 1698, vivait à Callac un brave homme, nommé François
LE MADEC, « Fanch » pour les intimes ; il
était marchand de bestiaux. Ses affaires étaient prospères
et il avait considérablement arrondi sa fortune, acheter
terres et fermes. Pour remercier Dieu, il décida de faire
un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle. Mais avant
de partir, les routes n’étant point sûres, il alla
trouver un notaire, nommé PENANRUN, et lui remis toute sa
fortune qui consistait en « nombreux écus d’or et
d’argent » et se mit en route vers Compostelle.
Plusieurs années passèrent et Fanch MADEC ne donnait plus
signe de vie. Le notaire qui n’était pas très scrupuleux
se dit : Fanch ne revient plus à Callac, il a dû
mourir en route, je vais garder son argent. Ce qui fut dit,
fut fait, mais pour plus de sûreté, il dissimula les pièces
dans sa canne qui était creuse.
Or un beau
jour, Fanch MADEC fit irruption à Callac de retour d’Espagne
et après avoir fait ses dévotions en la chapelle Sainte
Catherine, il se rendit chez le notaire. Celui-ci feignit de
ne pas le reconnaître mais Fanch se chargea de lui rafraîchir
la mémoire.
- « Que voulez-vous de moi ?» demanda le
notaire.
- « Mon argent, » dit Fanch.
- « Votre argent ? Quel argent ?
Vous ne m’avez pas donné d’argent »
- Fanch fut atterré.
- « Pardon M. PENANRUN, je vous l’ai bel et bien remis
la
veille de mon
départ, même que vous m’avez dit qu’entre gens
honnêtes comme nous, il n’était pas besoin de papiers ».
- « C’est faux, hurla le notaire, sortez de
chez moi ! Si j’avais votre argent, je vous le
rendrai. Je ne suis pas
un voleur, moi ! »
- « C’est ce que nous verrons » , répondit
Fanch.
Et il se rendit chez le sénéchal. Le notaire fut convoqué
et de nouveau, il nia avoir reçu de l’argent de Fanch Ar
Madec.
Mais le sénéchal dit au paysan : « Jurez sur le
Christ que vous avez remis votre argent au notaire.
- « Je le jure « , dit Fanch.
- « A votre tour », M. PENANRUN.
- « Je jure », dit ce dernier, «
que jamais je n’ai reçu d’argent de Fanch Ar Madec
« .
Alors il
se produisit une chose incroyable, extraordinaire, la canne
du notaire, qui était posée sur uns table, éclata avec
bruit et une pluie d’or et d’argent en sortit.
- « Mon argent « cria Fanch !
A cette vue, le notaire s’enfuit, sans demander son reste
et nul ne le revit dans le pays.
Jean GUILLOTIN
Notes.
[2] GUILLOTIN, Jean -"Callac
autrefois"- Le Livre d'histoire- 2005- ISBN
2-84373-652-8
http://www.histo.com/
Disponible à la librairie de "La Louve"- 22
160- Tél : 02 96 45 50 40. Fax. 02 96 45 58 84.
J.Lohou (mars 2006-février 2012-décembre 2015)
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