Callac-de-Bretagne

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Atterrissage du ballon « Le Montgolfier », le 25 octobre 1870


 LBB vous fait partager un épisode militaire et postal local exceptionnel, associant l'aérostation au siège de Paris en 1870.
Le compte-rendu très détaillé qui suit a été publié en 1970, cent ans après les faits. Grand merci à l'Association d'Histoire de HEILIGENBERG (67) qui fêtera le 140è anniversaire de cet atterrissage mémorable en automne 2010.
En ce matin du 25 octobre 1870, la brume étend son manteau vaporeux sur les rives de la Seine endeuillée, à Paris. Depuis un mois, la capitale est investie. Strasbourg a pu résister une semaine de plus après des bombardements meurtriers, mais le 27 septembre, à 5 heures de l'après-midi, elle avait dû hisser le drapeau blanc sur les tours de la cathédrale. En ce mardi 25 octobre, Sélestat vient de capituler et les pourparlers de la reddition de Metz sont en cours. Les lignes de pont sont confuses: Belfort, Verdun, Neuf-Brisach, Thionville tiennent encore, mais les prussiens sont aux abords de la capitale. La résistance en Alsace et en Lorraine subsiste, mais pour peu de temps: le verrouillage total de la place fortifiée de Belfort, animée par le colonel Denfert-Rochereau est proche. La poste n'assume plus sa vocation.
Le 25 octobre 1870, donc, un ballon quitte Paris. C'est le 17ième ou 18ième du genre sur les 67 qui quittèrent la capitale pendant la durée du siège. Ce ballon reçut pour nom "Le Mongolfier", en mémoire de l'inventeur de ce type de ballon. Il a été affrété par l'administration des postes pour transporter le courrier et est piloté par un gabier de la marine nationale. Le dirigeable qui nous intéresse, d'un volume de 2045 mètres cubes est confié à Hervé Sené. Deux passagers de marque ont pris place à bord: le Colonel de La Pierre et le Commandant Le Bouedec, envoyés par l'Etat Major de Paris pour prendre le commandement des troupes en province et réunir les efforts permettant de faire relâcher l'étau prussien.
Le chargement postal comprend 5 sacs de dépêches expédiées par les parisiens assiégés représentant un poids total de 250kg et un panier contenant 2 pigeons voyageurs. Il est 8h30 du matin près de la gare d'Orléans-Austerlitz lorsque les amarres sont rompues. Le ballon s'élève dans la brume. Il doit se rendre à Nancy, mais les caprices des vents ne ménagent-ils pas quelques surprises ? Le temps couvert ne permet guère aux aéronautes de suivre le parcours.

Empruntons au Commandant Le Bouedec la relation de ce voyage aérien mémorable

"Pendant trente minutes la direction fut variable; à 9 heures elle était franchement ouest-est. Le temps était couvert, les nuages bas. A 11 heures, pensant me trouver à une distance assez éloignée de PARIS, je donnai l'ordre de la descente. Bientôt, j'eus devant moi une vaste plaine avec quelques villages dans la direction de l'est. A 300 mètres environ de terre, j'allais donner l'ordre de lâcher le guiderope sur un village (on sut par la suite qu'il s'agissait de Nixéville situé à 12 kilomètres au sud-ouest de VERDUN ) au-dessus duquel allait passer le ballon, lorsqu'une vive fusillade partit de ce village. Des cavaliers se mirent à notre poursuite. Plusieurs balles frappèrent le ballon, mais aucune ne toucha la nacelle. N'ayant plus de lest, je fis couper un premier sac de dépêches. Le ballon descendant toujours, j'en fis couper un second (on verra par la suite que ce largage explique le destin différencié du courrier qui était transporté par « Le Mongolfier »).
Immédiatement le ballon, allégé d'un poids d'environ 150 kilogrammes, monte avec une rapidité vertigineuse; le baromètre cesse de fonctionner et pendant 40 minutes, nous souffrîmes d'un froid tellement intense que nous ne pouvions plus nous entendre parler et que nos oreilles semblaient près d'éclater (les aéronautes estimèrent par la suite qu'ils devaient être à 500 m d'altitude). Un tourbillon de neige et de vent nous enleva comme une plume et, réellement, nous crûmes que notre dernière heure avait sonné.
A midi quinze, je tentais une deuxième descente. Le vent s'amollit peu à peu et bientôt nous jetâmes le câble sur un petit village dont les habitants, le maire et le curé en tête se portèrent immédiatement à notre secours. Dès qu'ils eurent saisi le câble, l'ancre fut lancée, elle s'accrocha fortement et notre descente s'opéra sans incident fâcheux. Nous étions à proximité de HEILIGENBERG, petit village du Bas-Rhin situé à 9 kilomètres de Molsheim et à 365 kilomètres de Paris à vol d'oiseau".
Le voyage n'avait pas duré 4 heures et la moyenne avait presque atteint 100 kilomètres à l'heure. C'était un record pour un ballon monté. Le ballon s'est posé non loin des dernières maisons de Heiligenberg à environ 350m au Nord-Ouest de l'église dans la section de la banlieue qui s'appelle « Loeschbrand", parcelle numéro 394, section B du cadastre, altitude 290m. Dès qu'ils ont mis pied à terre, les habitants du village les entourent. Les aérostiers interrogent : "Où sommes-nous? Y a-t-il des Prussiens aux alentours ?" Ils apprennent avec anxiété qu'une garnison prussienne forte de 500 hommes est cantonnée à Mutzig. La contrée n'est pas sûre : des francs-tireurs freinent l'avance ennemie en direction des Vosges. Mais les Prussiens ont une cavalerie qui risque d'intervenir rapidement.
Le ballon est dégonflé en hâte. L'étoffe dont il est constitué est cachée hâtivement avant que la population ne se la partage religieusement. Les cordages sont rassemblés pour être mis à l'abri. L'ancre est récupérée sur un perchoir pour être cachée. Il faut faire vite. Chaque minute compte pour faire disparaître les traces. Les aéronautes sont conduits chez l'adjoint au maire Hubert SIAT. Ils troquent leurs uniformes contre des vêtements de bûcherons que leur procure Antoine Schmitt, domestique de la maison Siat, et l'appariteur communal. Les sacs de dépêches, les fusils et les uniformes sont enfouis afin de prévenir de toute perquisition.
Le Colonel de la Pierre voudrait exprimer sa gratitude à toute cette population si bienveillante. Mais il n'en a ni le temps, ni les moyens. A peine peut-il s'adresser à la jeune fille de cette maison accueillante en lui remettant, en témoignage de reconnaissance, la pochette de soie finement brodée à ses armes qu'il portait sur lui. Mais l'heure n'est pas aux attendrissements. L'aventure des militaires continue et leur mission ne souffre aucun retard.
Hubert Siat accompagne les militaires jusqu'à son verger. Il les confie à la garde de son domestique Antoine Schmitt et du fils du maire Kübler. La hache sur l'épaule, les cinq hommes s'éloignent, se dirigeant par le Weissenberg vers Lutzelhouse. La traversée de la route serait pleine d'embûches; ainsi c'est à travers bois que s'opère le décrochage. Pendant ce temps, la population s'affaire, se concerte pour garder un silence unanime sur le passage des officiers français. Les hommes valides qui faisaient le guet sur la crête dominant la route pressentent la prochaine irruption en force de la cavalerie prussienne. La consigne se diffuse vite à travers les bois: "Le combat serait inutile et vain. Cachez vos armes et regagnez vos domiciles et mettez-vous au lit".
Après cette heure d'intense émotion, Heiligenberg reprend son aspect paisible, les femmes vaquent (ou font semblant) aux occupations domestiques; les hommes atteints d'une maladie mystérieuse se reposent dans leur lit, à moins qu'ils ne guettent derrière les volets des bruits suspects. Et ceux-ci ne tardent pas à se faire entendre. Une escouade de cavalerie prussienne pénètre à Heiligenberg. Ils questionnent enfants et adultes. Peine perdue: personne n'a vu de ballon. Ils demandent alors la maison de l'adjoint au maire Siat. Ils s'y présentent et leurs propos deviennent bientôt menaçants : "Den sollte man erschiessen" (Celui-là, on devrait le fusiller), rugit l'un d'eux qui ne contient plus sa colère. Hubert Siat leur indique une fausse piste, disant avoir effectivement aperçu des hommes qui se dirigeaient à travers champs vers Still et Wasselonne en direction opposée du parcours véritable. Sa maison est fouillée aussitôt. Mais l'ancre du ballon, les uniformes et les armes sont bien cachés sous le tas de fumier de la ferme. Rien ne peut être trouvé. Pris de colère, les prussiens renouvellent leurs menaces et infligent une lourde amende à la population. Dix mille francs – somme exorbitante pour l'époque - doivent être recueillis dans le délai d'une heure, faute de quoi, Heiligenberg sera détruit.
Le tambour passe dans l'agglomération pour inviter les habitants à apporter leur contribution à la Mairie où s'organise aussitôt la collecte. Les gens sont pauvres; les bûcherons et tailleurs de pierre ne peuvent à eux seuls réunir la somme imposée, Les familles Siat et Kübler, plus aisées, versent une forte partie de la somme exigée pour voir partir, sans dommage, l'escouade prussienne.

Mais l'occupant ne met pas la main sur les aéronautes en fuite. Ceux-ci après être passés près de Grendelbruch, arrivent le soir même à vingt heures à la Rothlach sous la tempête et la pluie. Ils y prennent quelque repos et y font sécher leurs vêtements. A deux heures du matin, ils reprennent la route, accompagnés par le garde Schweinghauser. Une marche harassante sous un temps épouvantable les mène vers Breitenau, puis vers Rombach, Lièpvre, Saint-Dié, Gérardmer et le Ballon d'Alsace.
Les premières perquisitions faites dans le village l'après-midi du 25 octobre se sont révélées infructueuses. Une amende collective a été imposée et payée. Les trois sacs de dépêches qui avaient été laissés sous la garde d'Hubert Siat ont été cachés dans la forêt sous de grosses pierres dès que les prussiens ont quitté le village. En regagnant leur garnison à Mutzig, ils rencontrent l'abbé Reibel, curé du village voisin de Dinsheim, qui vient de participer à  l'évasion des aéronautes et rejoint son presbytère. La patrouille l'interpelle, l'interroge et le fouille. On découvre sur lui des journaux qui lui ont été donnés par les officiers français. Les interrogatoires sont vains : L'abbé garde un silence obstiné et les prussiens finissent par le libérer. Mais sa liberté est précaire. Les prussiens reviennent fouiller Heiligenberg les jours suivants.
Le vendredi après-midi à quinze heures comme à l'accoutumée, les cloches de Dinsheim sonnent dans la vallée. Au même moment, les francs-tireurs alsaciens déclenchent une fusillade sur les collines. Les prussiens interprètent la sonnerie des cloches comme un signal et arrêtent le curé, le maire et le sacristain de Dinsheim. Ils sont menacés d'exécution par les armes. Le danger est réel : les captifs s'en remettent à la volonté divine et font un voeu, s'ils recouvrent la liberté. En 1875, une statue pieuse en grès de Vosges, matérialisera leur fidélité.
Le sort du courrier transporté par Le Montgolfier connaît une fortune diverse : les deux sacs de dépêches abandonnés en cours de voyage au dessus de Nixéville, comportaient, d'après la Gazette de Cologne, sept paquets de lettres et d'autres papiers d'un poids de 150 kilogrammes. Ils furent transportés immédiatement au Quartier général de Charny sur Meuse. Ils comprenaient des correspondances relatives aux événements de Paris et aux privations imposées par le blocus. Celles-ci furent brûlées dans un jardin du village.
Les trois sacs qui avaient atteint Heiligenberg, cachés successivement dans la maison des Siat, puis dans la forêt, finirent par être découverts par les prussiens. Ils furent saisis. Que devinrent-ils par la suite? Nous avons à ce sujet recueilli les données suivantes qui méritent d'être évoquées:
Le Commandant Le Bouedec signale : "Les correspondances furent par la suite remises à l'Etat Major de la Confédération germanique à Versailles et distribuées tardivement sans cachet d'arrivée". Notre ami Charles Dirheimer, Président de la Société Philatélique Union de Strasbourg nous rapporte un témoignage personnel du Président d'Honneur de cette société, Monsieur Simon Blum :

"Pendant la guerre de I914-1918, j'eus l'occasion de converser avec un officier allemand né à Strasbourg après l'annexion. I1 me raconte que son grand-père était en 1870 au Grand Etat Major allemand à Versailles. Les lettres de Paris trouvées dans les ballons capturés furent distribuées comme souvenirs aux officiers de l'Etat Major. Lui-même en possédait, disait-il, quelques unes, qu'il manifesta l'intention de me faire parvenir après la guerre. Peut-être l'aurait-il fait si l'Allemagne avait été victorieuse. Je ne reçus plus aucune nouvelle de lui".

Le grand collectionneur que fut Le Pileur précise :
"Nous possédons une lettre envoyée par un garde mobile du Camp de Rosny le 18 octobre 1870 et remise par lui, ainsi qu'il l'écrit, au Commandant Le Bouedec, passager du ballon Le Montgolfier. Cette missive dépourvue de tout affranchissement et de tout cachet postal de départ est revêtue de la griffe PP en rouge. Elle est parvenue sans taxe, à Saint-Brieuc le 2 novembre".

Malgré l'annexion de l'Alsace, les relations entre le Colonel de La Pierre et Hubert Siat n'étaient pas terminées pour autant. Dans les semaines qui suivirent son évasion jusqu'à Gérardmer, le colonel lui envoya de ses bonnes nouvelles en provenance de Belfort. Puis vers 1875, il l'invita à Paris, a l'occasion de l'Exposition. Hubert Siat s'y rendit et reçut en cadeau un cache-pot en faïence de Gien, gage de reconnaissance pour son attitude courageuse du 25 octobre 1870 (nous avons pu le retrouver et l'obtenir gracieusement, grâce à l'aide et à l'obligeance de descendants à qui nous devons une profonde gratitude: Mme Zimmermann (petite fille de Hubert Siat), son époux (malheureusement décédé il y a deux ans), leur fils M. Zimmermann, de Souffelweyersheim). 
Quant à l'ancre du ballon, Hubert Siat la garda précieusement jusqu'à sa mort, survenue en 1899. Son fils Joseph en hérita et la conserva jusqu'en 1911, date à laquelle, pressé par son ami Wagner, brasseur à Mutzig, il finit par céder à ses instances et à lui en faire don. Au terme d'une génération ou deux, l'ancre restait à Mutzig mais changeait de mains: la famille Strobel liée à la famille Wagner, en prenait possession. Et c'est là que nos dévouées collègues Mesdames Desvernois et Schott, troquant leurs activités comptables pour se transformer en détectives, parvinrent à déceler son existence et à en obtenir l'acquisition pour le compte de notre Association. Leur dévouement mérite nos plus vifs remerciements. Désormais, dans notre musée régional, ces objets constituent les reliques d'un épisode militaire et postal d'une époque à la fois fervente et douloureuse.

   LBB- Libres Ballons du BASTBERG.            




                                                                        

                                                                                           Joseph Lohou (juin 2013)