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Callac-de-Bretagne |
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Les animaux qui gouvernent la langue.
Nicolas d'Estienne d'Orves
«
Sortant du lycée en pleine canicule, Philippe Tesson sentit que
l'Arcadie était loin, combien toute tragédie était chimérique, et qu’à
bien y réfléchir, seules comptaient les joies de la marmite. » A
première vue, cette phrase semblera tordue, voire faussement
surréaliste. Pourtant, à qui se livre aux joies de l'étymologie, ce
texte est une vraie ménagerie : on y trouve un chien (canicule), un
cheval (Philippe), un blaireau (Tesson), un ours (Arcadie), un bouc
(tragédie), une chèvre (chimère), une chatte (marmite) et un taureau
(la lettre « A »).
Au
secours, les animaux sont partout ! Derrière nos noms, nos villes, nos
lieux-dits, nos usages, toujours ils sont tapis, surgissant dans un
étonnant ouvrage d'Henriette Walter et Pierre Avenas qui dresse «
l'étymo-généa-zoologie » des mammifères dans nos langues occidentales.
On n'en revient pas d'une telle ménagerie Nos langues aboient,
meuglent, miaulent et caquettent, et de lupanar. (Photo Canal +) et ce
dès leurs origines indo-européennes.
Commençons
par le loup : la racine « luko » a donné le latin lupa, qui signifie
tant louve que... prostituée. D'où une commune racine pour Lycée
(quartier d'Athènes, autrefois hanté par les loups, puis lieu
d'élection d'Aristote), Louvre (cette partie de Paris était également
peuplée de loups) et... lupanar.
Ce
petit exemple donne une idée de l'immense ramification animale dans nos
langues. Et que dire des noms ? L'écrivain Lope de Vega, le compositeur
Villa Lobos, le prénom Jean-Loup, les villes de Chanteloup, Louviers,
Louvres…
Enfin
la racine germanique Wulf nous offert quelques Virginia Wolf, Tom
Wolfe, Wolfgang –à la démarche du, loup- Rodolphe, Groult, Raoul et
autres…
Difficile
d'éviter le catalogue avec un tel ouvrage, mais on voudrait retenir
chaque exemple, tant il est probant et révélateur de l'inconscient des
langues. L'ancien français « cagne » désignait la chienne, puis en est
venu à caractériser la paresse. Au XIX° siècle, par ironie, on surnomma
« cagneux » les postulants à l'École normale supérieure. Passée dans le
langage courant, cette expression fut orthographiée différemment, pour
lui conférer une étymologie moins canine ! L'origine du mot « canicule
» est encore plus alambiquée : en astronomie existe la constellation du
Grand Chien, dont fait partie Sirius, l'étoile la plus brillante. « Le
lever de Sirius annonçait à l'Egypte l'époque de la crue du Nil, et,
comme un chien fidèle, avertissait les hommes », dit la légende.
L'étoile, comme un chien fidèle, annonçait donc chaque année la saison
chaude. D'où son nom grec de « seirios Kuon », chien brûlant.
C'est
également du chien que viennent les mots Caraïbes et cannibales. En
1492, un certain Christophe Colomb débarquait aux Bahamas, dans les
tribus cariba ou caniba, persuadé que ces hommes avaient des têtes de
chiens et se nourrissaient de chair humaine ! Plus littéraire :
l'expression « braque » nous vient de Marivaux, qui, en 1736, compara
un insensé à cette race de chien instable. En revanche, n'allez pas
croire que le caniche vient du latin « canis ». non ! Il dérive du
canard, car ce chien aime à barboter dans les étangs et les mares.
Son
cousin le renard, du latin « vulpus », est aussi rusé que le personnage
de Ben Jonson « Volpone ». Et si tous les Reynardt en descendent, il ne
faut oublier Rembrandt, Rimbaud, ou Renault. Pour rester dans les noms
propres, si la forme bretonne « arz » d'ours nous donné le prénom
Arthur, la racine germanique « ber » (qui désigne la couleur brune de
l'animal) a généré force patronymes : de Claude Bernard au Bernin, de
Giordano Bruno à Sarah Bernhardt. Enfin, le film noir n'est pas en
reste, car la racine scandinave « hunn » (ours, toujours), associée au
mot « frid », paix... a formé le prénom Humphrey !
Passons
dans la savane, pour y rencontrer le roi, prénommé Léon ou Lionel. Son
cousin, le chat est lui aussi, père d’&tonnant glissement
sémantique. Ainsi, en ancien français, la forme populaire pour désigner
la chatte était.la «mite ». D'où les « mitaines », le « mistigri »
ou... la marmite qui, hypocrite comme le serait la chatte, dissimule ce
qui est en elle... On ne parlera pas d'hypocrisie pour le maréchal,
dont la racine « mahr » désigne la jument, car cet homme était
autrefois le soldat chargé de l'entretien des chevaux.
Tournons-nous
maintenant vers le nord. Qu'y voyons-nous ? Le Septentrion.
C'est-à-dire les sept étoiles de la Grande Ourse, surnommées en latin
les « septem triones », à savoir les sept bœufs au labour. Les
ruminants offrent effectivement quelques cocasses étymologies, comme
celles du mot vaccin (qui vient de la vache), du bouvreuil, du
beurre et du butane (qui viennent du bœuf). Enfin, toute notre
orthographe naît en pleine corrida, puisque la première lettre de
l'alphabet phénicien était représentée par. une tête et des cornes de
taureau. On pourrait aussi vous parler des bisons de Besançon, de la
chèvre et de la crevette, ou encore de la richesse que constituèrent
longtemps les troupeaux de moutons (en latin pecus), d'où de
nombreux pécules, pécunieux et autres pécuniaires.
Il
faudrait aussi mentionner la truie et ses avatars, car si son nom
italien de « scrofa » a donné quelques scrofuleux écrous, un coquillage
rappelait aux anciens l'organe génital de la petite truie, ou «
porcella ».
C'est
alors que certaines céramiques rapportées de Chine par Marco Polo
firent songer à ces fruits de la mer. Autres animaux aquatiques, les
castors (beber en gaulois) étaient, fréquents près des affluents de la
Seine... comme la Bièvre. Enfin, que dire des souris, dont la racine «
mus » (mouse en anglais), appelle le muscle, la moule, le myocarde, le
myosotis et la mygale ? Nous arrêterons ici ce petit parcours
zoologique, tant l'ouvrage regorge d'exemples, jeux et, anecdotes, à
cuir épais ou à poils laineux…
SOURCES.
L’ÉTONNANTE HISTOIRE DES NOMS DES MAMMIFÈRES
De la musaraigne étrusque à la baleine bleue
Pierre AVENAS, Henriette WALTER ;ED. Laffont-2003
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