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Enquête sur trois cantons de Bretagne centrale
Ceux qui ont raté le train du progrès.
Comment et
pourquoi certains cantons de Bretagne centrale sont-ils restés sur le
bas-côté du développement économique ? Pierre Corbel, maître de
conféren-ces de sociologie à l'université de Rennes 2, tente d'apporter
une réponse pour trois d'entre eue, situés dans les Côtes-d'Ar-mor.
« J'ai voulu
comprendre des gens qui me paraissaient incompréhensibles », dit Pierre
Corbel. Cet universitaire de 40 ans, dont le père a été responsable de
coopérative agricole à Guingamp, est parti à la recherche des habitants
des cantons de Bourbriac, Callac et Saint-Nicolas-du-Pélem. « Dans mon
enfance, on me les présentait comme des bêtes curieuses : ils se
laissaient mourir... »
Une aspiration égalitaire.
Pour
lui, cette partie de la Bretagne (20 habitants au km2) a toujours eu
mauvaise réputation. « Les images sont celles d'un pays rude et
farouche en état de délabrement : vieillissement, célibat, alcoolisme.
» Les trois secteurs cumulent aussi le malheur de n'avoir point de nom.
« Il n'y a pas d'identité collective. » Sinon une dénomination, le pays
d'Argoat, c'est-à-dire du bois.
Ici,
depuis la Révolution, existe une aspiration égalitaire. Il y avait une
majorité républicaine, en 1910, due à une rivalité entre propriétaires
et fermiers. Le glissement vers le communisme se fait à la Libération
sous l'influence des maquis. « Le PCF tient les mairies et le MODEF, la
paysannerie. » La division réapparaît, dans les années 50, à la faveur
du développement. « Deux logiques vont s'affronter entre les
exploitations extensives et intensives. »
Un regard vers la ville.
Les
productivistes y resteront minoritaires. Les autres paysans leur
reprochent de tout sacrifier au travail. La plus grande partie reste
attachée à une autre conception de la vie, faite de valeurs
ancestrales. « La langue bretonne y est la mieux parlée et c'était un
des derniers lieux où on avait des fest-noz. »
Dans son analyse de la dévi-talisation, le sociologue rennais retient
deux hypothèses. Soit le communisme en a été le facteur essentiel, soit
il n'en a constitué qu'une façade. Dans ce cas, on a tort de raisonner
en termes idéologiques.
Les
réalités terriennes expliquent bien davantage les clivages. « Les
petites exploitations étaient difficiles à moderniser. Leurs
exploitants ont dû choisir l'école, et l'émigration. » Le progrès,
c'était la ville et non la campagne. « D'où le paradoxe de paysans
fidèles au modèle traditionnel et, en même temps, organisateurs de sa
liquidation. » Leurs fils et filles formeront les salariés de la
banlieue rouge de Paris-Villejuif avant de revenir retraités.
Les néo-ruraux de mai 68.
Outre
le recul du Parti, le paysage humain a maintenant quelque peu changé.
Les néo-ruraux de l'après-mai 68 se sont établis dans ce « désert
breton » du bout de la lande. Hier hippies mal accueillis, aujourd'hui
artisans bien intégrés, potiers, tisseurs, éleveurs : ils représentent
15 % de la population. Pierre Corbel y voit une ruse de l'Histoire,
l'étranger plutôt que la friche.
Jacques GALLOT.
Paru
dans le journal Ouest-France du jeudi 17 octobre 1991, Jacques Gallot
analyse avec justesse et corrige sérieusement les termes du sociologue
Pierre Corbel...
Sources.
Mondes ruraux en mutation
Comment définir, en
ce qu'ils ont de spécifique, les rapports sociaux ruraux ? Comment
mesurer l'incidence que de tels rapports peuvent avoir sur les formes
de travail ? Comment les femmes rurales, ouvrières ou agricultrices,
font-elles leur place dans des mondes familiaux ou professionnels en
mutation ?
1993-Pierre Corbel et François Vatin (dir.)
Domaine :Sociologie
Collection : Des sociétés
J.LOHOU(août 2011)