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LA SOULE EN BRETAGNE
ET LES
Jeux similaires du Cornwall et du *pays de Galles
Le
jeu ue la soule a été, pendant des siècles, de même que la lutte, l'un
des sports favoris des Bretons. Une partie de soule n'était elle-même
qu'une lutte très chaude et très prolongée entre deux partis, lutte
souvent sanglante, quelquefois meurtrière. Aujourd'hui que la soule
est tombée en désuétude, son souvenir s'efface peu à peu des mémoires.
Des publications récentes traitant de la Bretagne et de ses moeurs n'en
font même point mention. Le mot « soule » ne figure pas chez
Littré. Le Dictionnaire des Dictionnaires de Paul Guérin lui consacre
une petite notice peu satisfaisante, accompagnée d'une gravure qui
donne une idée défectueuse du jeu. Parmi les recueils encyclopédiques,
c'est la Grande Encyclopédie du X1Xe siècle qui, en quelques lignes, en
fournit la meilleure description. Je la reproduis ici afin de permettre
à ceux des lecteurs pour qui le sujet est entièrement neuf d'en
acquérir d'ores et déjà une notion provisionnelle : « Soule, jeu de
ballon pratiqué en Bretagne. La Boule est un gros ballon de cuir que
les joueurs, partagés en deux camps, se disputent; chaque camp
représente une paroisse, et celui qui transporte le ballon sur le
territoire de l'autre paroisse est le gagnant.
Ce jeu, très
populaire dans le Morbihan, a donné lieu fréquemment à des scènes brutales, par suite de la rivalité entre deux villages (1). »
«
Jeu de ballon pratiqué en Bretagne », vient de dire la Grande
Encyclopédie. « Je diray en passant, écrit de son côté dom Pezron, en
1703, à propos du mot sou', que les Bretons Armoriques ont un jeu ou
exercice assez particulier, qu'ils nomment la soule ». Enfin, en
1752, dom Le Pelletier prétend que « soulle est un mot particulier à la
Haute-Bretagne ». Pourtant il ne faudrait pas conclure de ces
diverses assertions que la soule fût, dès le principe, un jeu
exclusivement breton. Le nom et la chose étaient connus et usités, au
moyen âge, dans maintes régions de la France, et principalement dans
les pays de langue d'oïl : Artois, Picardie, Vermandois, Vexin,
Basse-Normandie, Brie, Gâti¬nais, Beauvaisis, etc. On courut même
la soule dans quelques pays au sud de la Loire, à Cusset et à Hérisson,
dans le Bourbonnais, à Coriac, en Auvergne , etc.
Quant
à l'antiquité du jeu, Pezron énonce catégoriquement son avis sur ce
point dans les termes suivants : « Je ne doute nullement que cette
boule ronde qu'ils appellent soute n'ait été inventée par les anciens
Gaulois en l'honneur du Soleil, nommé par eux sout; et c'est pour cela
qu'on la jetait en haut.
. Pezron est, on le sait, un des premiers celtomanes. Aujourd'hui,
on se déciderait moins aisément, dans l'absence de meilleures preuves,
à faire remonter, d'un bond si hardi, les origines de la soule
jusqu'aux anciens Celtes. Tout ce que l'on peut dire sur
l'ancienneté de cet exercice, c'est que, à en croire des témoignages de
la seconde moitié du XIV° siècle, il semble implanté de longue date
dans plusieurs contrées. A Chauny, en Vermandois, on y était accoutumé,
dit une lettre de grâce de l'an 1374, de temps immémorial, « de si
longtemps qu'il n'est mémoire du contraire ». De même, un acte de
1380 nous montre les habitants du Vexin normand et ceux de la forêt de
Levons s'assemblant « de si longtemps qu'il n'est mémoire du
contraire... chacun an pour souler et jouer à la .soule les uns contre
les autres, devant la porte de Notre-Dame de Mortemer ».
Le jeu ne se pratiqua pas, on le conçoit, d'une manière uniforme dans tous ces pays. Assez grande est la diversité
: « Cet exercice est un dernier
vestige du culte que les Celtes rendaient au soleil. Le nom même de
soule vient du celtique heaul (soleil) ». — Après avoir rappelé cette
étymologie du mot soule, le chanoine Mahé conclut plus sagement : «
Voilà bien des frais pour transformer le jeu de la soule en oeuvre de
religion; mais, pour dire franchement ce que je pense, je crains bien
que toute cette érudition ne soit perdue et que l'exercice de la soule
ne fût, parmi les anciens comme parmi nous, un jeu pur et simple. »
Des
usages de pays à pays ou même dans chaque localité. Ces usages, nous
les retrouverons en vigueur en Bretagne, à des époques plus voisines de
nous ; nous allons donc les caractériser rapidement, en passant.
La
soule est tantôt un ballon de cuir rempli de son, de bourre ou de
quelque matière analogue, tantôt une boule de bois. Ici on la lance
avec le pied ou avec la main, là avec une crosse, bâton plus ou moins
long dont une des extrémités est recourbée. La « sou le au pied »,
comme on disait aux XIV° et XV° siècles, est probablement la forme
authentique et primitive du jeu; ce qui justifierait l'opinion de ceux
qui croient le mot « soule » dérivé du latin solea, sandale (1).
Peut-être aussi a-t-on raison de voir dans le foot-bail des Anglais une
transformation de notre « soule au pied », opérée par eux à l'époque de
la guerre de Cent Ans.
Quant
à la soule à la crosse, elle est attestée dans des lettres de rémission
de 1361, 1381 et 1387 par les expressions « ad soulam crossare »,
(«thonier à la crosse ». On disait aussi « bastonner à la soule ».
On trouve notamment, cette variété du jeu dans le Beauvaisis, en
Normandie, en Haute-Bretagne. C'est d'elle que dérive le jeu canadien
de « Lacrosse », lequel aurait été transporté au delà de l'Atlantique
par nos colons normands et bretons, où
le
foot-bail prit naissance. Mais, à ma connaissance, on ne le voit pas
apparaître parmi les exercices populaires avant le règne d'Edouard III
(1327-1377), et alors, en 1349, il fut interdit par un édit public. » . Or, c'est précisément sous Edouard
III, en 1337, que commencèrent les hostilités entre la France et
l'Angleterre. — Il faut beaucoup de bonne volonté pour reconnaître le
jeu de foot-bail, à l'exclusion de tout autre jeu de ballon, dans une
sculpture de miséricorde de la cathédrale de Gloucester, remontant à la
fin du XIV* siècle, reproduite chez Jusserand.
Les
parties de soule étaient tantôt régionales, tantôt locales. Dans le
premier cas, c'étaient deux bourgades, deux villages, le plus souvent
deux paroisses, qui se disputaient le ballon ou la boule. Dans le
second cas, la partie se jouait entre habitants d'une même localité
divisés en deux camps : l'un comprenait les hommes mariés, l'autre les
célibataires
Dans les parties de soule régionales, le jeu se déployait sur un espace
de terrain très étendu et à travers mille péri-péties. Un gentilhomme
normand, Gilles Picot, sire de Gouberville, a raconté dans son Journal
plusieurs parties mémorables qui se jouèrent dans son pays, à la
Saint-Maur (15 janvier) de l'année 1551 et les années suivantes : «
Nous allasmes tous ensemble à Sainct Mor et fusmes le reste du jour à
la choule, qui dura jusques à jour faillant, y estoyt le sieur de
Couriac cappitaine de Cherebourg, le sieur Mareschal, Pierre de Sainct
Jehan et plus de cinq centz aultres personnes tant d'un costé que
d'aultre. Cantepye heult ung sault à l'enreverse, missire Guillaume Le
Lièvre, sur luy cul en gron, par la faulte de Jehan Roger de
Chere-bourg. Le dit Cantepye en cuyda mourir, et demeura long¬temps
presque evany. » Cette partie eut lieu un vendredi. Gouberville
lui-même y prit part avec tant d'ardeur qu'il écrit, dans son Journal,
le dimanche suivant : « Je ne bouge de céans, je ne fus ny à Vespres,
ny à la Messe pour ce que j'estoys tant las de la choule de Sainct Mor
que je ne me pouvoys ayder. » Au cours d'une autre partie, la soule
ayant roulé à la mer, les intrépides jouteurs s'élancèrent dans les
flots pour s'en emparer. C'est ainsi, nous le verrons, que souvent
les choses se sont passées en Bretagne.
Notons enfin qu'en France comme chez nous on choisissait volontiers
pour lancer la soule le voisinage d'une chapelle rurale. Les souleurs y
entendaient la messe avant de com
Note. Journal du sire de Gouberville, publié d'après le
manuscrit original (Mémoires de la société des antiquaires de
Normandie, 4e série, t. H, 1895, p. 218, 299). Cf. Siméon Luce, op.
cit., p. 115-116.