Callac-de-Bretagne

Page Retour


Sexualité, d'antan


Virginale, dis-je. Avant, on ne parlait jamais de ça. "Tabou".

Si l'on avait l'estomac brouillé par la nausée, il fallait dire qu'on avait mal au coeur ; au milieu du siècle, nos compagnes découvrirent le soutien-gorge, celle-ci disant les seins. Pour ne pas parler du bas, les mots du corps remontaient de la ceinture vers la tête. Plus bas que l'estomac, terra incognito. Les illustrations des manuels d'histoire naturelle montraient des nus à l'entrejambe désert; ou couverts d'une feuille de vigne. Pourquoi la vigne et pas le platane ou le bananier? Réservé à l'argot, à quelques étudiants, aux salles et aux corps de garde, un vocabulaire spécial, des chansons paillardes et des histoires à la Rabelais servaient à la jeunesse et à quelques écrivains d'égout libérateur.

En ville et à la piscine, les femmes se dévoilèrent lentement. La plupart des garçons et des filles nubiles arrivaient au mariage doté d'une ignorance abyssale concernant cette région. Une héroïne de la Résistance, assez notable par ses faits d'armes pour que son nom ait été donné à une rue de Paris, institutrice de son état et enceinte de six mois, demanda, pendant la guerre — c'est son obstétricien qui le raconte —, par où passerait l'enfant à la naissance ; l'expert lui répondit qu'il sortirait par la voie qu'empruntait parfois son mari; elle s'en montra surprise, immensément.

Notez qu'à l'école primaire, elle expliquait aux écoliers la petite graine qui fait que les arbres et le blé se reproduisent. Un autre gynécologue célèbre allait citant des couples, mariés depuis des années, venus le consulter pour stérilité mais avouant, après quelques questions, qu'ils faisaient l'amour par le nombril. L'éducation sexuelle des élèves paraissait inconcevable, voire perverse. Et les divorcés n'avaient pas bonne presse. On ne parlait jamais de viol. Bien entendu, dans toutes ces affaires, l'on jugeait surtout la culpabilité des femmes, le mâle gardant le droit de se conduire comme un coq.

 Les chiffres concernant la maltraitance sexuelle des adolescentes, en famille, ne furent publiés que récemment. Il n'y a pas si longtemps, non plus, que nous découvrîmes avec effroi qu'une femme mourait tous les deux jours des sévices du mari ou de l'amant, et que deux enfants par semaine expiraient sous les coups des parents. Encore un coup, le meurtre du père ! L'éloge de la famille ne parlait jamais de ces drames intimes.

Avant la guerre et longtemps après, la vérole et autres maladies vénériennes faisaient rage et tuaient un pourcentage notable de la population, sans guérison possible ni connue. Elles semaient une telle terreur que tout ce silence, toute cette hypocrisie s'expliquent sans doute par elle. Par peur, il fallait mettre la famille, sacrée, en lumière et le sexe, ignoble, à l'ombre.


Michel SERRES, « C’était mieux avant »-2018