Nous parlions ensemble en attendant
Avant,
nous ne cessions d'attendre. D'attendre la moisson, le printemps, la
pluie, les vendanges, Noël, d'attendre le courrier, d'attendre le
retour de celui qui avait mis à la voile et dont nul n'avait de
nouvelles, rien ne venait jamais, guérison ni satiété. Heureusement,
nous lisions des
romans-fleuves
en plusieurs tomes, où l'héroïne, elle aussi, attendait l'amour. Mais,
j'y pense : aussi vrai que Madame Bovary fit l'amour dix fois moins en
réalité qu'au virtuel de ses rêves et de ses attentes, n'en est-il pas
de même pour tout être humain? Ne sommes-nous point virtuels dans les
trois quarts de nos actions ?
Qui désormais comprend à quel point nous avons attendu, consumés de patience ? Longitudine dierum replebo eum:
je le remplirai de la longueur des jours. Qui évaluera ce que les
religions, les cultures, les littératures et les poésies, les morales,
les philosophies, oui, toutes... durent à cette interminable suspension
du désir ? Frustration, avez-vous dit? Qui estime aujourd'hui à sa
juste valeur l'accès universel, en temps réel, à tout lieu, à toute
personne, à toute information, l'immédiateté de toute communication et,
parfois, des assouvissements ?