Lettre d’Egon Schiele à son oncle
5 mars 1909
Mon cher oncle !
Permets-moi
de te parler de ma philosophie de vie. La passivité ou la patience
poussées trop loin conduisent à des bouffonneries comme l’impatience et
la patience d’ange qui exige avant tout du clame dans le sang. La
mélancolie induit la patience, la patience l’expérience, l’expérience
l’espérance et l’espérance empêche la débâcle. L’enthousiasme pour
l’équité et une liberté raisonnable font de l’homme noble un despote,
et l’impatience passionnelle est responsable de la disparition de son
talent et de sa bonne volonté. Supporter pour supporter est une
sinistre folie ; la patience est généralement un mélange
d’insensibilité, de paresse et de lâcheté ; la patience qui s’oppose
intelligemment à la pression et sait attendre son heure lorsque le
courage et la force ne conduisent pas tout de suite au succès, est la
seule vertu qui sera récompensée par elle-même. L’endurance permet
d’aplanir des montagnes, de borner l’océan et de transformer la pierre
en murs et en villes — qui se vaine lui-même est plus vaillant que
celui sui surmonte les murs les plus solides.
L’indignation
ou l’agacement face aux offenses que l’on doit encaisser infligent à un
tempérament vif, des nerfs fragiles, une sensibilité exacerbée et à la
pensée une souffrance sévère ; elle vous prive de sommeil, fait
maigrir, ôte l’appétit et précipite dans la mélancolie. La peur défait
les forces du corps et de l’esprit.
La
confiance en soi est la base du courage, le danger présente un attrait
tout particulier pour la confiance en soi ; des êtres doués
d’imaginaire deviennent facilement des aventuriers. Le désir d’éprouver
sa force, de vaincre des difficultés rend courageux, à l’instar de
l’intrépidité de la jeunesse. Le courage est l’état psychique qu’il
faut pour affronter le péril de manière réfléchie. Le courage est la
première représentation de la vertu que le fils de la nature comprend.
L’indépendance
est un grand bonheur, doublement appréciable pour une personne d’esprit
qui aime à être indépendante. Tout le monde n’a pas la qualité requise
pour en jour dûment. Mère nature veille sur l’espère humaine comme dans
le règne animal.
La
vie doit être un combat contre les assauts des ennemis à travers des
flots de souffrances. Chaque individu doit lui-même combattre et jouir
de ce pour quoi la nature l’a conçu. Un enfant encore ignorant a déjà
ce qu’il faut pour traverser un pont très long exposé aux pires
tempêtes. Nul garde-corps ne sécurise cette passerelle étroite et
étendue. Sur l’autre rive, l’ilot de la vie terrestre est strié de
souffrances et de joies. Et il se peut que, des années plus tard, les
essaims éprouvés retournent là où ils avaient commencé, emplis et repus
de sagesses de la vie.
Rien n’est plus honteux que d’être dépendant, rien n’est plus nuisible et plus dommageable pour un caractère bien trempé.
Ce
n’est pas comme ça que je pense, c’est plutôt ainsi que je le ressens,
mais ce n’est pas moi qui ait écrit cela, ce n’est pas ma faute. Une
pulsion est là, permanente et toujours plus puissante, qui me soutient
dans ce que je viens de dire.
Toute la faute incombe à la nature. Ton neveu redevable.
Egon.
Notes :Egon
Schiele est un peintre, un poète et un dessinateur autrichien, né le 12
juin 1890, à Tulln an der Donau près de Vienne, et mort le 31 octobre
1918, à Vienne.
Joseph Lohou (juillet 2017)