Cachée
derrière le pseudonyme de George Sand, Aurore Dupin a entretenu une
longue et tumultueuse liaison avec Alfred de Musset. Ses
correspondances ont été publiées dans le livre Lettres d’une vie. Dans
ce recueil, nous retrouvons entre autres des lettres envoyées au poète.
Celle qui nous intéresse a été écrite à Venise alors que les deux
amants étaient en voyage. Musset, peu soucieux de son amante, passe ses
nuits dans les maisons closes et les cabarets, où il finit par
contracter une fièvre qui l’oblige à rester alité. Inquiète, Georges
Sand contacte un médecin, Pietro Pagello, avec qui elle commence une
liaison. Se sentant coupable, l’écrivaine avoue tout au poète dans une
lettre.
Non mon enfant
chéri, ces trois lettres ne sont pas le dernier serrement de main de
l’amante qui te quitte, c’est l’embrasement du frère qui te reste (…)
Mais garde-moi dans un petit coin secret de ton cœur et descends-y dans
tes jours de tristesse pour y trouver une consolation ou un
encouragement. (…) Aime donc, mon Alfred, aime pour tout de bon. Aime
une femme jeune, belle et qui n’ait pas encore aimé, pas encore
souffert. Ménage-la et ne la fais pas souffrir. Le cœur d’une femme est
une chose si délicate quand ce n’est pas un glaçon ou une pierre ! (…)
Ton âme est faite pour aimer ardemment ou pour se dessécher tout à fait
(…) Peut-être m’as-tu aimée avec peine pour aimer une autre avec
abandon. (…) Pour la première fois de ma vie j’aime sans passion. (…)
j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j’ai aimé.
C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil
et mon ennui (…) Ne hasarde rien qui te fasse souffrir. Tu as bien
assez souffert pour moi. (…) Tu sais que je les aime de passion, tes
vers, et qu’ils m’ont appelée vers toi, malgré moi, d’un monde bien
éloigné du tien. (…) Quelquefois je me mets à rire toute seule au
souvenir de nos bêtises et puis il se trouve que cela me fait pleurer.
Oh ! nous nous reverrons, n’est-ce pas ?