Extrait de la Revue de Bretagne et de la Vendée-Année 1867
Réunion
du soir. —
Cette solennité littéraire et musicale avait attiré une telle foule que, dès
sept heures, il était devenu impossible d'avoir accès dans la salle. M. Gagon,
président du tribunal de première instance, occupait le fauteuil. Au début de
la séance, M. de la Villemarqué a lu son éloquent discours sur les relations
entre les Bretons insulaires et les Armoricains, qui figurent en tête de ce
numéro de la Revue. On a exécuté ensuite la cantate composée en
l'honneur de nos visiteurs cambriens. Les paroles françaises étaient dues à M. Ropartz.
Il est inutile d'en faire l'éloge : le lecteur va juger combien elles
méritaient les applaudissements qu'elles ont reçus ; elles avaient été
traduites en breton par un barde dont le talent est bien connu, M. Le Jean
(Eostik Koat ann Noz) ; la musique, fort applaudie aussi, avait été composée
par M. Thielemans, organiste de Guingamp, d'après des motifs populaires bretons
et gallois.
Les deux
Bretagnes.
Vous
qui venez si loin pour embrasser des frères,
Parlez-nous du pays où naquirent nos pères,
Notre Bretagne, à nous, ce sol que nous aimons,
Rappelle-t-il un peu le berceau des Bretons?
A
vos grands bois pleins de murmure,
La mer fait-elle une ceinture :
Le vent pleure-t-il triste et doux,
Dans vos genêts comme chez nous?
Voit-on
planer dans vos nuages
Des héros les blanches images ?
Le brouillard peint-il sur l'azur
Tantôt Merlin, tantôt Arthur?
Voit-on
chez vous
Les loup-garou
Bôder dans les bruyères ;
Voit-on, la nuit,
Errer sans bruit
Les lavandières?
Voit-on
parmi les ajoncs blonds
Les korrigans danser en ronds ?
Entend-on crier les ressorts
Du sombre charriot des morts?
Des
ancêtres sacrés gardez-vous le respect?
Voit-on les noirs menhirs se dresser sur vos landes?
Avez-vous des dolmens au gigantesque aspect?
Plus les morts étaient chers, plus leurs pierres sont grandes.
Honneur
à vos maisons, si l'on n'y blesse pas
Soit l'hospitalité, soit la paix des dimanches;
Mais honte à vos cités, sauf les jours de combats,
Si la jeunesse y marche avant les têtes blanches.
Vous
qui venez si loin pour embrasser des frères,
Parlez-nous du pays où naquirent nos pères.
Notre Bretagne à nous, ce sol que nous aimons,
Rappelle-t-il un peu le berceau des Bretons ?
Avez-vous
mille chapelles,
Aux hauts clochers de granit,
Brodés comme des dentelles,
Où la cloche chante et rit ?
Avez-vous
de belles fêtes,
Pour honorer vos Patrons,
Et pour mettre en l'air les têtes,
Avez-vous de vrais Pardons?
Aux
Pardons, les garçons luttent
De vigueur et de fierté ;
Et les filles se disputent
La palme de la beauté.
Puis
garçons et filles dansent
Au son joyeux des binious;
Et les noces recommencent
Les jours de pardon pour nous.
Nous
avons du moins le même langage,
A travers les mers nous nous entendons,
Et le même écho sur chaque rivage
Aime à répéter les mêmes chansons.
Entre
frères parlons
La langue des Bretons ;
Bretons de France et d'Angleterre,
Oublions la langue étrangère ;
Entre
frères parlons
La langue des Bretons.
Aimons la vieille encore,
Elle cache un trésor ;
La jeune assurément est belle,
Et comme un astre elle étincelle ;
Ce
qui luit n'est pas or
Aimons la vieille encore !
M. S. Ropartz