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Romance Subjective
Le subjonctif fait rire, l'imparfait surtout, à cause de ses formes
lourdes qui sonnent mal à la bouche aussi bien que sur la
feuille. Les désinences
asse, assions, et assiez, avec le à
ouvert et long des siècles révolus, font une
conjugaison à gros nez rouges de clown ; « Ah !
fallait-il que je vous aimasse, fallait-il que vous me
plussiez! » sont : des répliques de cabaret depuis fort
longtemps, en fait.
Même notre joli passé simple,
dans les personnes du pluriel, s’est trouvé entraîné
vers l' ostentatoire et
se prête à la dérision.
Alphonse Allais- ce n’est pas d’hier- se moquait déjà:
«Mais de quel air froid vous
reçûtes
Tous les
soins que je vous pris!
De
quelle cruauté vous fûtes !…
Ce fut justement à là fin du XIX° siècle, au moment où la
langue française gagnait les couches profondes de la population
qui avaient jusqu'alors pratiqué d'autres langues et des
dialectes variés, que se fit jour un effet d'anachronisme;
l'imparfait du subjonctif parut pompeux, et comme le vestige
d'une langue aristocratique un, parler noble mal adapté au vulgum
pecus avec des
relents de royauté mal venus dans une république
combattante et exacerbée.
Le décalage paraissait encore plus violent avec les verbes
familiers du nouveau langage, dit « argotique », qui s'était
mêlé au français central, L'effet comique était assuré:
« Nous turbinâmes jusqu'à la nuit par
crainte que nous ne bouffassions des clous.»
Dans les années 1890 un chansonnier fantaisiste, Léo Lelièvre.(ancien
garçon coiffeur, bohème, gloire du Quartier latin,
anarchiste et néanmoins futur président de la Sacem),
composa une chanson de café-concert intitulée : Romance
subjonctive,
sur une jolie musique de Gaston Maquis. Elle se jouait des
effets précieux de temps trop châtiés :
« Fallait-il que
je m’agenouillasse
Sans que
jamais je
reculasse
Pour que
nous nous adorassions
Et
puis que nous nous plaquassions! »
Le refrain dit: « Dans l'amour que vous suscitâtes
Vous fîtes germer la douleur !
Et ce jour-là vous m'épatâtes ! »
-Il est clair qu'au café concert la foule remuante saluait
bruyamment ce « vous, mes patates », comme au
couplet suivant elle goûtait l'écho d'un« poignard
d'acier » dans les vers:
«Pour que vous m'ensorcelassiez,
Et que vous me poignardassiez.»
Hélas !… Nous étions loin des chants de Noël!
Claude
Duneton(novembre 2009)