Callac-de-Bretagne

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L'ARGOAT SECRET AUTOUR DE GUINGAMP

   
SAINT-SERVAIS

En matière de littérature régionaliste, de même qu'en mathématiques, il existe des équations permettant de traiter les problèmes. Ainsi pour moi, Saint Servais=Anatole Le Braz. Certains esprits contestataires m'opposent un Saint Servais=menhirs, mais je prétends que A littéraire est plus grand que M archéologue, en mérite et en notoriété, si ce n'est en taille. Car quels peuvent bien être les mérites d'un menhir définitivement planté, en dehors de sa contribution à la venue des touristes ? A-t-on jamais vu ailleurs que dans les légendes un menhir se promener, danser, chanter, tomber amoureux, se reproduire ? Jamais ! Les menhirs ont un cœur de pierre.


Anatole Le Braz.

Priorité donc à Anatole Le Braz, grand écrivain régionaliste s'il en fut, qui naquit le 2 Avril 1859 dans la maison qui abrite aujourd'hui la Poste. Une plaque commémore l'événement : "Ici naquit Anatole Le Braz, l'Orphée breton, qui ne voulut aimer et chanter que la Bretagne". Fils d'instituteur, petit-fils de sabotier, Le Braz fut veillé en son berceau, dit Le Scouézec, par "les Dieux de la Préhistoire derrière leur masque de pierre... et par l'Ankou, Dieu des formes et des métamorphoses qui lui confia une mission d'espérance". Dès l'âge de deux ans, Le Braz, "fils des monts adopté par la mer", quitta Saint Servais, mais ses parents avaient aimé le village et il y revint souvent. Pénétré de sa vocation dès l'âge de dix-sept ans, il tint à faire un pèlerinage à sa maison natale. A la fin de sa vie il dicta à Charles Chassé les souvenirs que sa mère lui avait contés et que je lus au micro lors des cérémonies du centenaire de l'écrivain. Les Cahiers de l'Iroise, 2-1960, les ont intégralement reproduits. "Ce pays de Saint Servais, disait-il, était la barbarie même, d'une « primitivité » délicieuse... Ma mère avait apporté un moulin à café. Le dimanche, les gens du pays venaient voir tourner le moulin, mais aucun ne voulait boire ce breuvage diabolique... On offrait à mes parents des quartiers de bêtes... Mon père fut le dieu de ce pays. Il y eut une épidémie de choléra ; mon père fut médecin et fossoyeur... En excellents termes avec le curé Beaudoin qui était à demi païen, il avait avec lui de longues conversations... Comme les enfants grecs j'ai bu du lait de chèvre"... Brillant élève du Lycée de Saint Brieuc, même en gymnastique, puni docteur-ès-lettres, Le Braz fut professeur à de Lettres de Rennes.

Il a laissé une œuvre vaste et talentueuse, entièrement inspirée par la Bretagne, comprenant des romans et contes tels que Le Gardien du Feu, Contes du Soleil et de la Brume ; des poèmes, dont Tryphina Keranglas ; des ouvrages folkloriques parmi lesquels Le pays des Pardons, le Théâtre celtique, Les Légendes de la Mort chez les Bretons Armoricains. Selon J.A. Le Gall, à qui nous laissons la responsabilité de son jugement abrupt : "Le Braz, comme la plupart des écrivains bretons, s'avéra incapable d'inventer, mais extraordinairement habile à composer, c'est-à-dire à mettre ensemble, en ordre et en forme, des éléments épars de la réalité"... Il fut un créateur d'images, bien que certains auteurs bretons contemporains, qui sont loin d'avoir fait mieux, croient devoir ridiculiser ses poèmes.

Qu'ont-ils écrit de supérieur à ces vers :

"Svelte et blanche, sur l'aile invisible d'un cygne,
Vous passez, et le vent des eaux, le vent amer
N'a pas même attendu que vous lui fassiez signe
Pour butiner du miel aux lèvres de la mer."


"Toute sa vie, dit Le Gall, Le Braz garda une prédilection pour les paysans sédentaires de l'Arrée et les curieux nomades de la forêt : charbonniers, bûcherons, sabotiers, pillaouers. Si la mer le fascina, il ne se sentit jamais réellement marin. Il la contempla en terrien". Il aimait à s'entretenir en breton, autour d'un feu, avec les habitants d'un hameau perdu, et sut profiter de la chance d'être un des derniers témoins d'un passé désormais révolu. Durant sa retraite Le Braz donna des conférences aux États Unis. Décédé à Menton le 20 Avril 1926, il demeure, quoiqu'en disent les critiques atrabilaires, l'un des plus grands écrivains bretons de tous les temps.

Avant Le Braz, Saint Servais avait donné le jour à un auteur folkloriste en la personne de Barbe Émilie Guitton[1], épouse Saint Prix (1789-1869), née au Manoir de Kerbournet, qui, à partir de 1820, entreprit de noter les chants populaires de la région de Callac, tels "le Siège de Guingamp". Habitant Ploujean près de Morlaix, elle reçut en 1836 la visite d'Hersart de la Villemarqué, à qui elle remit nombre de textes de chansons qui figurent dans le Barzaz Breizh.

Un an après Le Braz, c'est-à-dire en 1860, naquit également à Saint Servais, au village isolé de Pont Cadic, Yves Le Gall qui comme Saint Yves fut  recteur de Trédrez et est l'auteur de cantiques, dont celui de Bulat, ainsi que de gwerziou (chansons) réunies sous le titre de "Sommeil du barde".

Je reviens aux mathématiques de mon préambule pour constater que si toutes les communes de notre Argoat avaient comme Saint Servais donné le jour à trois écrivains, notre Pays d'Accueil en compterait 126. Or je n'en ait recensé qu'une quinzaine. La conclusion évidente est que l'environnement culturel, religieux, écologique de Saint Servais prédispose au talent. On doit donc déplorer que les futures et rares mères de la commune aillent accoucher en Maternité.
Envions la chance de Le Braz qui dans la décennie 1890-1900 put entendre les témoins des derniers excès du pardon de Saint Servais, définitivement interdit en 1855. Le 13 Mai - jour qui plus tard fut aussi celui du putsch d'Alger - dix mille pèlerins, surveillés par deux cents gendarmes, se rendaient au pardon du Saint réputé pour protéger du gel. Les femmes ôtaient leur coiffe pour la placer sur un bâton et en toucher la figure du Saint. Chaque « pardonneur » enfermait dans un reliquaire, dit Seuil de Saint Servais, un pain d'un sou, préalablement béni. Quand le prêtre ouvrait le reliquaire, chacun s'efforçait de s'emparer d'un morceau de ce pain qu'on consultait en cas de maladie d'un proche : s'il avait moisi, le malade devait mourir. Cependant l'attraction principale était la sortie de la bannière et de la statue du Saint pour une procession, vite interrompue. Vannetais, Cornouaillais et Trégorrois, regroupés de part et d'autre du ruisseau qui traverse le bourg, et qui limitait plus en théorie qu'en fait les évêchés, se ruaient sur la statue qui éclatait en morceaux. On la remplaçait chaque année. Il y eut mort d'homme et la cérémonie fut interdite en 1766 sans succès, puis, définitivement, en 1855, ainsi que le relatent Habasque et, à sa suite, Le Braz dans "Au pays des Pardons". L'oubli tomba alors sur le pardon de Saint Servais. Cependant, cent dix ans plus tard, et pendant plusieurs années, chaque dimanche, des centaines de pèlerins venus de loin assistaient aux offices dits par un Recteur disciple du Padre Pio, qui, ayant réuni des fonds, se permit comme il l'avait fait à Saint Norgant d'agencer à sa façon le mobilier de l'église.
L'édifice commencé en 1510 mêle style gothique et Renaissance. Dans sa façade Ouest est incluse une fontaine où jusqu'à ces dernières années trônait la statue présumée du Saint. La tête décapitée repose dans la sacristie. Le corps a disparu. La niche est vide. Pourtant il n'a pas gelé à Saint Servais cet hiver. Aurait-on abusé les fidèles en prétendant que Saint Servais avait des pouvoirs météorologiques ? II n'est même pas certain qu'il aurait fait un bon commentateur à la Télévision.


Sur l'élégante façade Sud, aux fenêtres surmontées de gâbles similaires à ceux de Magoar, au-dessus du porche, sous un petit auvent de granit, trois pierres noires qui paraissent n'en faire qu'une, intriguent le visiteur. On dirait des pierres volcaniques. Un riche auvergnat serait-il venu implorer le Saint au 16ème siècle ? Que nenni, Messires. Il s'agit très probablement d'armoiries martelées par un opposant déterminé (ou jaloux). Le coupable est peut- être un Noble qui estimait que lui aussi aurait dû avoir son blason sur l'église. Car si les Révolutionnaires de 1789 étaient les auteurs de ce lâche attentat, qui a nécessité le recours périlleux, car sans doute nocturne, à une échelle, comment expliquer qu'ils n'aient pas agressé les Apôtres du porche qui paradent à portée de la main ? Car ils sont tous là, les Apôtres, beaux, dignes, attendrissants ! Comme à Bulat, Saint Jean s'est trompé de main pour présenter son calice empoisonné. Saint Jacques pour sa part a si chaud, depuis le temps qu'il pérégrine, qu'il a rejeté son chapeau en arrière sur son dos.

Dans la nef on remarquera des restes de fresques naïves. Au-dessus de la porte il y a quelques années encore, on reconnaissait ou plus exactement on imaginait - faute de l'avoir fréquentée - l'entrée du Ciel, avec le Père Éternel et les Anges. Mais l'humidité voile progressivement ce ciel. On n'identifie aujourd'hui que Saint Servais conduisant sept personnages vers le purgatoire. Selon certains auteurs ceux-ci symboliseraient les sept œuvres de miséricorde, qu'il n'est pas inutile de remémorer : chaque homme se doit d'instruire les ignorants, de convertir les pécheurs, de consoler les affligés, de conseiller les hésitants, de supporter les défauts d'autrui, de pardonner à ses ennemis, de prier pour les morts et les vivants. Nobles occupations qui meubleront agréablement les vacances.

Sur les sablières l'on découvrira un ange portant l'emblème des cinq plaies, des blasons, une précieuse Trinité polychrome, des figures grotesques dont, entre deux nudités, un Diable cornu et ricaneur. Quelques statues anciennes ont survécu aux bouleversements modernistes du Recteur plus haut cité. On fera ensuite le tour extérieur de l'église pour voir la tourelle du clocher, une pierre sculptée d'une couronne encastrée dans le mur Nord, et, au chevet proche d'une fontaine, plusieurs sculptures animales.
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A Saint Servais on peut varier les plaisirs. Sans souci de chronologie partons maintenant à la recherche des mégalithes de la forêt de Duault, accessibles depuis la route de Saint Nicodème. Le premier chemin à droite, par Kerroux, dont les maisons dominent la profonde vallée d'un humble ruisseau au pied de l'immense houle verte de la forêt, mène au village désert du Clojou. Dans le grand champ proche, séparés de 7,65 m, deux menhirs qu'on nomme les Jumeaux se font face. Habituellement les jumeaux se ressemblent. Tel n'est pas le cas ici : l'un, plantureux, mesure 4,50 m ; l'autre, maigrichon, 3 m. On imagine qu'au retour des sabbats nocturnes le grand menhir doit porter le petit sur ses épaules.
Revenu sur la grande route on arrêtera la voiture près de la croix dressée au bord du ruisseau et l'on tentera de découvrir à cent mètres au Sud un menhir penché. Puis on grimpera à travers bois vers le Rocher de l'Ermite, situé à quatre cents mètres au S.E., et qui constitue un remarquable observatoire au sommet d'un empilement de gros rochers en surplomb, sous lesquels des cavernes peu profondes mais très bien abritées persuadent le promeneur des charmes de la vie érémitique.
Avant Kerbernès - où la Duchesse Anne, ainsi que son cheval, est prisonnière dans un souterrain - un chemin monte vers Convenant Bercot. On abandonnera la voiture peu avant la bifurcation, afin de découvrir pédestrement trois menhirs, un chaos, un rocher, une borne, en se référant à un plan que le S.I. de Callac a déposé à la Mairie. Dans un tournant de la route on remarquera à droite sur quelques mètres des traces de pneus. Un sentier en part, qui se subdivise bientôt. Il faut emprunter le tronçon droit. Soudain dans un enchevêtrement de troncs et de branchages on se heurte à un superbe menhir dit Dent de Saint Servais, dixième du classement général avec 7,10 m. Certains veulent voir dans la large saignée verticale qui descend de son sommet la preuve de sacrifices humains : le mot saignée prend alors toute sa valeur. Mais je me refuse à admettre que nos ancêtres aient été aussi sanguinaires que les Aztèques. On ne trouve pas d'obsidienne dans la région et je doute qu'un bourreau armé d'un poignard de schiste, de dolérite ou de granit ait pu extirper un cœur comme il était d'usage courant à Ténochtitlan. A cinquante mètres on découvre un autre menhir, couché sur le sol, couvert de feuilles mortes et d'herbes. D'autres rocs semblent mégalithiques. On a le sentiment qu'on erre dans la carrière de menhirs d'Obélix, ou plus exactement dans un cimetière de menhirs dont la Dent de Saint Servais serait le seul survivant. Pourquoi les menhirs, après plusieurs millénaires de veilles, ne succomberaient-ils pas ?
Un peu plus haut sur la route de Kercourtois s'ouvre un chemin coupe-feu qu'il convient de parcourir à pied. Au bout de quelques centaines de mètres on découvrira à gauche un groupe de rochers entourant un petit repère géodésique. Une tour haute de sept mètres édifiée à cet endroit permettrait d'avoir un panorama exceptionnel de la région. Plus loin se dresse un beau menhir. Par contre aucun chercheur ne retrouve le dolmen figurant sur d'anciennes cartes : les bulldozers l'ont probablement renversé. De retour sur le chemin de Kercourtois on verra encore un autre menhir. Si l'on poursuit la route vers Saint Nicodème, on pourra, à partir d'un large tournant à droite, explorer la partie Ouest de la forêt et y découvrir les belles cascades d'un ruisseau, ainsi que des rochers, dont le Bénitier.
La forêt de Porthuault - son nom breton - recèle nombre de rochers isolés, de ruisseaux minuscules mais courants et parfois souterrains, un étang. S'évadant pour un temps de la forêt on gagne par le plateau de Kerparquic les abords du Moulin du Corong, d'où un sentier qui suit constamment la rivière, mène au célèbre chaos de rochers du Corong. La promenade est superbe. Sous le soleil brillent de-ci de-là les gravillons de la rivière dont les eaux sont ombrées par la végétation. Après le franchissement d'un mince affluent, les téméraires escaladeront la colline en direction du Nord-Ouest et découvriront, à deux cents mètres à peine, le groupe des rochers dits Toul ar Laérien - le trou des voleurs - parce que les cavernes qu'ils délimitent servirent au siècle dernier de cachette aux bandits de grand chemin Le Saux et Gaudu que j'ai déjà cités à Bulat-Pestivien. Ils dépeçaient les animaux qu'ils chapardaient les nuits d'orage, sur une table de pierre toujours présente. Le Saux mourant d'une pneumonie, alors que le ciel nocturne déversait des trombes d'eau, eut ce mot de la fin : "Quel dommage de mourir par une aussi belle nuit !". Le sommet du chaos est dominé par un rocher rond auquel l'érosion a donné l'apparence d'une orange friandise ou des serres d'un gigantesque rapace, à moins qu'il n'ait été meule préhistorique. Deux cents mètres plus loin, en lisière de la forêt, face à une interminable lande marécageuse où tremblent de pâles graminées, se dresse le fier menhir de Convenant Picagne, inconnu des auteurs de guides non indigènes, bien qu'il mesure sept mètres. Il porte des traces de bouchardage et de tentatives de découpage, mais les malandrins d'on ne sait quel siècle n'ont pu l'abattre.
Regagnant le sentier des Gorges du Corong on découvre bientôt que les vestiges ininterrompus d'un mur le bordent sur plus d'un kilomètre. La légende dit que ce mur aurait été construit en une nuit par des lutins, ou par les Chouans ! Ou qu'il entourait jadis une chasse d'animaux sauvages, sangliers en particulier, constituée par les Ducs de Bretagne, dont la résidence de Kerbernès était nommée la Loge des Lions du Duc... Je sais bien qu'on voit un éléphant sur les murs de l'église de Bulat, un dromadaire sur les sablières de Saint Nicolas, mais j'ai quelque peine à imaginer des lions en liberté dans la Forêt de Duault : les pauvres bêtes n'auraient pas supporté le climat !... En réalité il y eut ici un immense haras d'étalons sauvages, aménagé vers 1200 par les Templiers des Commanderies de Burthulet et du Loc'h. Les meilleurs étalons étaient sélectionnés, dressés dans les prieurés, puis vendus aux foires de Botmel-Callac ou de Montbran-Pléboulle, d'où ils étaient expédiés par mer à Acre, en Terre Sainte, principal port maritime de l'Ordre.
Au pied des monticules de la forêt, de superbes amas rocheux bordent le sentier. L'un évoque le visage d'une Dame. Bientôt le murmure de l'eau fait place à un grondement sourd dont l'amplitude dépend évidemment du débit de la rivière qui disparaît sous un entassement magnifique de centaines de rochers que l'on prend plaisir à escalader. Le site envahi par une végétation anarchique a été quelque peu dégagé et l'on en a maintenant une belle vue d'ensemble. En aval la rivière revoit le jour entre d'énormes roches. En période de pluies l'eau dévale en impétueuses cascades que l'on ne se lasse pas de contempler et d'écouter. Quelques dizaines de mètres plus bas elle retrouve son calme et l'on y voit filer des truites dont on préfère ne pas imaginer les pérégrinations souterraines, si elles se sont laissé happer par les tourbillons en amont du chaos.

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Quittant à regret les Gorges du Corong, on rejoint le bourg afin d'y prendre la direction de Trefflay puis celle du Mont Saint Michel d'où l'on jouit d'un immense panorama. Sur les pentes éclairées la nuit par les vers luisants, se cachent de mystérieux rochers que certains chercheurs disent liés à l'ensemble mégalithique de la forêt. On gagne alors ce qui fut le Manoir de Kerbournet, où naquit Barbe de Saint Prix, et l'on a une pensée pour l'oratoire disparu qui abrita jadis de belles statues ; le gisant brisé séjourna longtemps sous les ronces et les orties. Triste destin pour ces hauts personnages !... Puis l'on ira voir à Trefflay une jolie mais penchée croix ancienne et de solides maisons dont l'une, ruinée, conserve dans ses murs de vastes et profondes niches qui servaient à entreposer les aliments et les berceaux des bébés !
On se dirige ensuite vers la chapelle de Burthulet, joliment juchée sur une colline à l'abri de hauts pins maigres et tordus, à quelque cent mètres de la route Rostrenen-Bulat. L'hiver le vent souffle si fort sur l'enclos que la tradition orale assure que le Diable, pourtant abrité sous les fougères, y est mort de froid. Dans un champ proche gisent les rochers ronds avec lesquels il jouait aux boules avant le tragique événement. La chapelle est entourée d'un petit cimetière où les natifs des villages voisins aiment à prendre place à l'issue de leur voyage terrestre. Hélas, le sanctuaire mal entretenu, mal protégé, a été totalement pillé en 1967. Les voleurs, s'y étant introduits par un trou de la toiture, ont tout emporté : panneaux de retable du 16ème, statues de bois ou de pierre : Sainte Trinité, Ecce Homo, Saint Yves entre le Riche et le Pauvre, chef de Saint Jean dans un plat, etc. En partie grâce aux dons reçus par le Recteur disciple du Padre Pio, les voisins ont pu assumer la restauration du monument, installant des vitraux, des bancs, réparant les boiseries, etc. Les vandales n'ont pu arracher les sablières ornées de scènes pittoresques, parfois libertines. Mais c'est avec émotion et colère que l'on contemple les consoles vides ou les photographies des statues volées, qui décorent aujourd'hui les salons de quelques riches, mais peu scrupuleux esthètes. En contrebas de la chapelle le vieux presbytère a été restauré avec sobriété. Malheureusement les autorités de la décennie du vol ont, sans sourciller, laissé construire à trente mètres de la chapelle, un transformateur horrible qui aurait trouvé place n'importe où ailleurs, l'espace n'étant pas mesuré.
Non loin de la chapelle on visitera avec intérêt l'élevage apicole de Milin ar Foll, où Mr Caserta réserve le meilleur accueil aux visiteurs isolés et aux groupes, en particulier scolaires. Une dizaine de panneaux détaillent la vie des abeilles, expliquent la récolte du miel. Si celui-ci est particulièrement goûté, c'est que les champs d'alentour ne subissent guère de traitements chimiques et que la flore sauvage des talus est très variée. Les apiculteurs disposent de quelque deux cents ruches disséminées dans toute la contrée, de La Chapelle Neuve à Peumerit-Quintin. La rivière proche abrite quelques loutres, animal protégé, à l'irritation de certains pêcheurs.

Un autre jeune couple élève dans les dépendances du Moulin de Lost an Prat des chèvres angoras d'origine turque et non bretonne, mais je ne saurais faire preuve de racisme à l'égard des caprins immigrés. D'autant plus qu'ils ont une bonne tête. Lorsque j'ai visité les installations, cinquante-deux chèvres et deux mâles nommés Attila et Baby Doc, sans doute en hommage à certaine de leurs qualités, étaient si occupés à brouter qu'ils en de deux personnages naissances étaient attendues. Tondues tous les six mois, les chèvres fournissent une laine d'excellente qualité qui est expédiée dans le Tarn pour y être filée et teinte. Au retour cette laine est confiée à une tricoteuse à la main qui exécute sur commande des pull-overs. Cette dame habite Guingamp. Après ses pèlerins Saint Servais a perdu ses tricoteuses.

Voici quelques années la commune a aussi perdu, dans la fleur de l'âge, son peintre-paysan Fanch Vidament, qui œuvrait dans ce vallon de Pont Cadic où naquit Yves Le Gall et où se cachèrent plusieurs Résistants. Son épouse fabrique aujourd'hui du fromage de chèvre. Efflanqué comme un hêtre, abrupt comme un rocher de granit, aussi taciturne qu'un ermite, plus farouche qu'un buisson de ronces, entre deux labours, Fanch Vidament peignait sur de vastes toiles, à grands traits, comme avec une truelle, dans des tons ocres, roux, noirs qui paraissaient sortis de la glèbe plutôt que d'un tube, des paysans aux visages vides, donc inexpressifs, car privés d'yeux, de nez, de bouche, et cependant éloquents dans leur mutisme. Son style évoquait celui de Maurice Le Scouézec et surtout du flamand Permeke, chantre des mineurs... Insolite démarche que celle de cet artiste qui avait reçu la leçon expressionniste d'un Le Nost, mais s'exprimait avec tant de spontanéité qu'il en paraissait autodidacte et n'en finissait plus d'exposer sur ses toiles, dans le même esprit qu'un Breughel, mais en ne dépassant pas la simple suggestion, cette condition rude, austère et presque abêtissante du travailleur de la terre qu'il avait choisi d'être, à part égale avec le métier d'imagier. Parfois ses paysans martelant le sol de leurs lourds sabots, entreprenaient une danse primitive. Ses fermes de guingois semblaient vouloir entrer dans cette danse, mais on avait la certitude que, clouées à la fange, elles ne parviendraient jamais à s'envoler comme les maisonnettes de Chagall. Et c'est au moment où, sans doute sur la suggestion de quelques-uns de ses critiques, il éclaircissait sa palette, prenant conscience que le ciel de l'Argoat est parfois bleu, que les enduits de façades des penty brillent parfois sous le soleil, de même que l'herbe, les fleurs, les feuillages, qu'il fut arraché à son sol. J'imagine que comme Buffet, Vidament aurait fini par reconnaître et peindre, dans l'écheveau gris de l'Argoat austère, quelques bouts de laine heureux. Il avait certes su exprimer l'âme de l'Argoat, car certains aujourd'hui le copient.
Nous terminerons cette visite de Saint Servais en rappelant que tout Breton se doit d'effectuer le pèlerinage du pardon au moins une fois dans sa vie. Sinon, après son décès il sera condamné à s'y rendre en n'avançant chaque jour que de la longueur de son cercueil posé sur sa tête. Pour les Callacois, passe encore, ils parcourent les six kilomètres en un peu plus de huit ans…
Mais les Brestois, 106 kms, 150 ans environ ! C’est long…

Dr Edmond Rébillé- L’Argoat secret autour de Guingamp- 1989- Imp. Henry- Pédernec(22)


Notes.(Correction de la rédaction)
[1] Émilie Barbe Louise GUITTON, née à Callac en 1789, épouse dans cette ville, Charles Jean André TIXIER DAMAS de Saint PRIX en 1816 rencontré à Morlaix chez ses amis Le DENMAT-KERVERN, originaires de Callac.
Sa fille Émilie Marie TIXIER DAMAS de SAINT-PRIX, née à Morlaix en 1829, épouse à Ploujean(29) un militaire originaire de la Guadeloupe, le général Charles Louis Marie de la JAILLE qui deviendra conseiller cantonal du canton de Callac de 1864 à 1871. C'est donc ce couple qui construira le château ou manoir de Kerbournet en Saint-Servais vers 1870.

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Joseph Lohou( mai 2012_déc.2016)
                                                          

 

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