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L'ARGOAT SECRET AUTOUR DE GUINGAMP
SAINT-SERVAIS
En matière de littérature régionaliste, de même qu'en mathématiques, il
existe des équations permettant de traiter les problèmes. Ainsi pour
moi, Saint Servais=Anatole Le Braz. Certains esprits contestataires
m'opposent un Saint Servais=menhirs, mais je prétends que A littéraire
est plus grand que M archéologue, en mérite et en notoriété, si ce
n'est en taille. Car quels peuvent bien être les mérites d'un menhir
définitivement planté, en dehors de sa contribution à la venue des
touristes ? A-t-on jamais vu ailleurs que dans les légendes un menhir
se promener, danser, chanter, tomber amoureux, se reproduire ? Jamais !
Les menhirs ont un cœur de pierre.
Anatole Le Braz.
Priorité donc à Anatole Le
Braz, grand écrivain régionaliste s'il en fut, qui naquit le 2 Avril
1859 dans la maison qui abrite aujourd'hui la Poste. Une plaque
commémore l'événement : "Ici naquit Anatole Le Braz, l'Orphée breton,
qui ne voulut aimer et chanter que la Bretagne". Fils d'instituteur,
petit-fils de sabotier, Le Braz fut veillé en son berceau, dit Le
Scouézec, par "les Dieux de la Préhistoire derrière leur masque de
pierre... et par l'Ankou, Dieu des formes et des métamorphoses qui lui
confia une mission d'espérance". Dès l'âge de deux ans, Le Braz, "fils
des monts adopté par la mer", quitta Saint Servais, mais ses parents
avaient aimé le village et il y revint souvent. Pénétré de sa vocation
dès l'âge de dix-sept ans, il tint à faire un pèlerinage à sa maison
natale. A la fin de sa vie il dicta à Charles Chassé les souvenirs que
sa mère lui avait contés et que je lus au micro lors des cérémonies du
centenaire de l'écrivain. Les Cahiers de l'Iroise, 2-1960, les ont
intégralement reproduits. "Ce pays de Saint Servais, disait-il, était
la barbarie même, d'une « primitivité » délicieuse... Ma mère avait
apporté un moulin à café. Le dimanche, les gens du pays venaient voir
tourner le moulin, mais aucun ne voulait boire ce breuvage
diabolique... On offrait à mes parents des quartiers de bêtes... Mon
père fut le dieu de ce pays. Il y eut une épidémie de choléra ; mon
père fut médecin et fossoyeur... En excellents termes avec le curé
Beaudoin qui était à demi païen, il avait avec lui de longues
conversations... Comme les enfants grecs j'ai bu du lait de chèvre"...
Brillant élève du Lycée de Saint Brieuc, même en gymnastique, puni
docteur-ès-lettres, Le Braz fut professeur à de Lettres de Rennes.
Il a laissé une œuvre vaste et talentueuse, entièrement inspirée par la
Bretagne, comprenant des romans et contes tels que Le Gardien du Feu,
Contes du Soleil et de la Brume ; des poèmes, dont Tryphina Keranglas ;
des ouvrages folkloriques parmi lesquels Le pays des Pardons, le
Théâtre celtique, Les Légendes de la Mort chez les Bretons Armoricains.
Selon J.A. Le Gall, à qui nous laissons la responsabilité de son
jugement abrupt : "Le Braz, comme la plupart des écrivains bretons,
s'avéra incapable d'inventer, mais extraordinairement habile à
composer, c'est-à-dire à mettre ensemble, en ordre et en forme, des
éléments épars de la réalité"... Il fut un créateur d'images, bien que
certains auteurs bretons contemporains, qui sont loin d'avoir fait
mieux, croient devoir ridiculiser ses poèmes.
Qu'ont-ils écrit de supérieur à ces vers :
"Svelte et blanche, sur l'aile invisible d'un cygne,
Vous passez, et le vent des eaux, le vent amer
N'a pas même attendu que vous lui fassiez signe
Pour butiner du miel aux lèvres de la mer."
"Toute sa vie, dit Le Gall, Le Braz garda une prédilection pour les
paysans sédentaires de l'Arrée et les curieux nomades de la forêt :
charbonniers, bûcherons, sabotiers, pillaouers. Si la mer le fascina,
il ne se sentit jamais réellement marin. Il la contempla en terrien".
Il aimait à s'entretenir en breton, autour d'un feu, avec les habitants
d'un hameau perdu, et sut profiter de la chance d'être un des derniers
témoins d'un passé désormais révolu. Durant sa retraite Le Braz donna
des conférences aux États Unis. Décédé à Menton le 20 Avril 1926, il
demeure, quoiqu'en disent les critiques atrabilaires, l'un des plus
grands écrivains bretons de tous les temps.
Avant Le Braz, Saint Servais avait donné le jour à un auteur
folkloriste en la personne de Barbe Émilie Guitton[1], épouse Saint Prix
(1789-1869), née au Manoir de Kerbournet, qui, à partir de 1820,
entreprit de noter les chants populaires de la région de Callac, tels
"le Siège de Guingamp". Habitant Ploujean près de Morlaix, elle reçut
en 1836 la visite d'Hersart de la Villemarqué, à qui elle remit nombre
de textes de chansons qui figurent dans le Barzaz Breizh.
Un an après Le Braz, c'est-à-dire en 1860, naquit également à Saint
Servais, au village isolé de Pont Cadic, Yves Le Gall qui comme Saint
Yves fut recteur de Trédrez et est l'auteur de cantiques, dont
celui de Bulat, ainsi que de gwerziou (chansons) réunies sous le titre
de "Sommeil du barde".
Je reviens aux mathématiques de mon préambule pour constater que si
toutes les communes de notre Argoat avaient comme Saint Servais donné
le jour à trois écrivains, notre Pays d'Accueil en compterait 126. Or
je n'en ait recensé qu'une quinzaine. La conclusion évidente est que
l'environnement culturel, religieux, écologique de Saint Servais
prédispose au talent. On doit donc déplorer que les futures et rares
mères de la commune aillent accoucher en Maternité.
Envions la chance de Le Braz qui dans la décennie 1890-1900 put
entendre les témoins des derniers excès du pardon de Saint Servais,
définitivement interdit en 1855. Le 13 Mai - jour qui plus tard fut
aussi celui du putsch d'Alger - dix mille pèlerins, surveillés par deux
cents gendarmes, se rendaient au pardon du Saint réputé pour protéger
du gel. Les femmes ôtaient leur coiffe pour la placer sur un bâton et
en toucher la figure du Saint. Chaque « pardonneur » enfermait dans un
reliquaire, dit Seuil de Saint Servais, un pain d'un sou, préalablement
béni. Quand le prêtre ouvrait le reliquaire, chacun s'efforçait de
s'emparer d'un morceau de ce pain qu'on consultait en cas de maladie
d'un proche : s'il avait moisi, le malade devait mourir. Cependant
l'attraction principale était la sortie de la bannière et de la statue
du Saint pour une procession, vite interrompue. Vannetais,
Cornouaillais et Trégorrois, regroupés de part et d'autre du ruisseau
qui traverse le bourg, et qui limitait plus en théorie qu'en fait les
évêchés, se ruaient sur la statue qui éclatait en morceaux. On la
remplaçait chaque année. Il y eut mort d'homme et la cérémonie fut
interdite en 1766 sans succès, puis, définitivement, en 1855, ainsi que
le relatent Habasque et, à sa suite, Le Braz dans "Au pays des
Pardons". L'oubli tomba alors sur le pardon de Saint Servais.
Cependant, cent dix ans plus tard, et pendant plusieurs années, chaque
dimanche, des centaines de pèlerins venus de loin assistaient aux
offices dits par un Recteur disciple du Padre Pio, qui, ayant réuni des
fonds, se permit comme il l'avait fait à Saint Norgant d'agencer à sa
façon le mobilier de l'église.
L'édifice commencé en 1510 mêle style gothique et Renaissance. Dans sa
façade Ouest est incluse une fontaine où jusqu'à ces dernières années
trônait la statue présumée du Saint. La tête décapitée repose dans la
sacristie. Le corps a disparu. La niche est vide. Pourtant il n'a pas
gelé à Saint Servais cet hiver. Aurait-on abusé les fidèles en
prétendant que Saint Servais avait des pouvoirs météorologiques ? II
n'est même pas certain qu'il aurait fait un bon commentateur à la
Télévision.
Sur l'élégante façade Sud, aux fenêtres surmontées de gâbles similaires
à ceux de Magoar, au-dessus du porche, sous un petit auvent de granit,
trois pierres noires qui paraissent n'en faire qu'une, intriguent le
visiteur. On dirait des pierres volcaniques. Un riche auvergnat
serait-il venu implorer le Saint au 16ème siècle ? Que nenni, Messires.
Il s'agit très probablement d'armoiries martelées par un opposant
déterminé (ou jaloux). Le coupable est peut- être un Noble qui estimait
que lui aussi aurait dû avoir son blason sur l'église. Car si les
Révolutionnaires de 1789 étaient les auteurs de ce lâche attentat, qui
a nécessité le recours périlleux, car sans doute nocturne, à une
échelle, comment expliquer qu'ils n'aient pas agressé les Apôtres du
porche qui paradent à portée de la main ? Car ils sont tous là, les
Apôtres, beaux, dignes, attendrissants ! Comme à Bulat, Saint Jean
s'est trompé de main pour présenter son calice empoisonné. Saint
Jacques pour sa part a si chaud, depuis le temps qu'il pérégrine, qu'il
a rejeté son chapeau en arrière sur son dos.
Dans la nef on remarquera des restes de fresques naïves. Au-dessus de
la porte il y a quelques années encore, on reconnaissait ou plus
exactement on imaginait - faute de l'avoir fréquentée - l'entrée du
Ciel, avec le Père Éternel et les Anges. Mais l'humidité voile
progressivement ce ciel. On n'identifie aujourd'hui que Saint Servais
conduisant sept personnages vers le purgatoire. Selon certains auteurs
ceux-ci symboliseraient les sept œuvres de miséricorde, qu'il n'est pas
inutile de remémorer : chaque homme se doit d'instruire les ignorants,
de convertir les pécheurs, de consoler les affligés, de conseiller les
hésitants, de supporter les défauts d'autrui, de pardonner à ses
ennemis, de prier pour les morts et les vivants. Nobles occupations qui
meubleront agréablement les vacances.
Sur les sablières l'on découvrira un ange portant l'emblème des cinq
plaies, des blasons, une précieuse Trinité polychrome, des figures
grotesques dont, entre deux nudités, un Diable cornu et ricaneur.
Quelques statues anciennes ont survécu aux bouleversements modernistes
du Recteur plus haut cité. On fera ensuite le tour extérieur de
l'église pour voir la tourelle du clocher, une pierre sculptée d'une
couronne encastrée dans le mur Nord, et, au chevet proche d'une
fontaine, plusieurs sculptures animales.
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A Saint Servais on peut varier les plaisirs. Sans souci de chronologie
partons maintenant à la recherche des mégalithes de la forêt de Duault,
accessibles depuis la route de Saint Nicodème. Le premier chemin à
droite, par Kerroux, dont les maisons dominent la profonde vallée d'un
humble ruisseau au pied de l'immense houle verte de la forêt, mène au
village désert du Clojou. Dans le grand champ proche, séparés de 7,65
m, deux menhirs qu'on nomme les Jumeaux se font face. Habituellement
les jumeaux se ressemblent. Tel n'est pas le cas ici : l'un,
plantureux, mesure 4,50 m ; l'autre, maigrichon, 3 m. On imagine qu'au
retour des sabbats nocturnes le grand menhir doit porter le petit sur
ses épaules.
Revenu sur la grande route on arrêtera la voiture près de la croix
dressée au bord du ruisseau et l'on tentera de découvrir à cent mètres
au Sud un menhir penché. Puis on grimpera à travers bois vers le Rocher
de l'Ermite, situé à quatre cents mètres au S.E., et qui constitue un
remarquable observatoire au sommet d'un empilement de gros rochers en
surplomb, sous lesquels des cavernes peu profondes mais très bien
abritées persuadent le promeneur des charmes de la vie érémitique.
Avant Kerbernès - où la Duchesse Anne, ainsi que son cheval, est
prisonnière dans un souterrain - un chemin monte vers Convenant Bercot.
On abandonnera la voiture peu avant la bifurcation, afin de découvrir
pédestrement trois menhirs, un chaos, un rocher, une borne, en se
référant à un plan que le S.I. de Callac a déposé à la Mairie. Dans un
tournant de la route on remarquera à droite sur quelques mètres des
traces de pneus. Un sentier en part, qui se subdivise bientôt. Il faut
emprunter le tronçon droit. Soudain dans un enchevêtrement de troncs et
de branchages on se heurte à un superbe menhir dit Dent de Saint
Servais, dixième du classement général avec 7,10 m. Certains veulent
voir dans la large saignée verticale qui descend de son sommet la
preuve de sacrifices humains : le mot saignée prend alors toute sa
valeur. Mais je me refuse à admettre que nos ancêtres aient été aussi
sanguinaires que les Aztèques. On ne trouve pas d'obsidienne dans la
région et je doute qu'un bourreau armé d'un poignard de schiste, de
dolérite ou de granit ait pu extirper un cœur comme il était d'usage
courant à Ténochtitlan. A cinquante mètres on découvre un autre menhir,
couché sur le sol, couvert de feuilles mortes et d'herbes. D'autres
rocs semblent mégalithiques. On a le sentiment qu'on erre dans la
carrière de menhirs d'Obélix, ou plus exactement dans un cimetière de
menhirs dont la Dent de Saint Servais serait le seul survivant.
Pourquoi les menhirs, après plusieurs millénaires de veilles, ne
succomberaient-ils pas ?
Un peu plus haut sur la route de Kercourtois s'ouvre un chemin
coupe-feu qu'il convient de parcourir à pied. Au bout de quelques
centaines de mètres on découvrira à gauche un groupe de rochers
entourant un petit repère géodésique. Une tour haute de sept mètres
édifiée à cet endroit permettrait d'avoir un panorama exceptionnel de
la région. Plus loin se dresse un beau menhir. Par contre aucun
chercheur ne retrouve le dolmen figurant sur d'anciennes cartes : les
bulldozers l'ont probablement renversé. De retour sur le chemin de
Kercourtois on verra encore un autre menhir. Si l'on poursuit la route
vers Saint Nicodème, on pourra, à partir d'un large tournant à droite,
explorer la partie Ouest de la forêt et y découvrir les belles cascades
d'un ruisseau, ainsi que des rochers, dont le Bénitier.
La forêt de Porthuault - son nom breton - recèle nombre de rochers
isolés, de ruisseaux minuscules mais courants et parfois souterrains,
un étang. S'évadant pour un temps de la forêt on gagne par le plateau
de Kerparquic les abords du Moulin du Corong, d'où un sentier qui suit
constamment la rivière, mène au célèbre chaos de rochers du Corong. La
promenade est superbe. Sous le soleil brillent de-ci de-là les
gravillons de la rivière dont les eaux sont ombrées par la végétation.
Après le franchissement d'un mince affluent, les téméraires
escaladeront la colline en direction du Nord-Ouest et découvriront, à
deux cents mètres à peine, le groupe des rochers dits Toul ar Laérien -
le trou des voleurs - parce que les cavernes qu'ils délimitent
servirent au siècle dernier de cachette aux bandits de grand chemin Le
Saux et Gaudu que j'ai déjà cités à Bulat-Pestivien. Ils dépeçaient les
animaux qu'ils chapardaient les nuits d'orage, sur une table de pierre
toujours présente. Le Saux mourant d'une pneumonie, alors que le ciel
nocturne déversait des trombes d'eau, eut ce mot de la fin : "Quel
dommage de mourir par une aussi belle nuit !". Le sommet du chaos est
dominé par un rocher rond auquel l'érosion a donné l'apparence d'une
orange friandise ou des serres d'un gigantesque rapace, à moins qu'il
n'ait été meule préhistorique. Deux cents mètres plus loin, en lisière
de la forêt, face à une interminable lande marécageuse où tremblent de
pâles graminées, se dresse le fier menhir de Convenant Picagne, inconnu
des auteurs de guides non indigènes, bien qu'il mesure sept mètres. Il
porte des traces de bouchardage et de tentatives de découpage, mais les
malandrins d'on ne sait quel siècle n'ont pu l'abattre.
Regagnant le sentier des Gorges du Corong on découvre bientôt que les
vestiges ininterrompus d'un mur le bordent sur plus d'un kilomètre. La
légende dit que ce mur aurait été construit en une nuit par des lutins,
ou par les Chouans ! Ou qu'il entourait jadis une chasse d'animaux
sauvages, sangliers en particulier, constituée par les Ducs de
Bretagne, dont la résidence de Kerbernès était nommée la Loge des Lions
du Duc... Je sais bien qu'on voit un éléphant sur les murs de l'église
de Bulat, un dromadaire sur les sablières de Saint Nicolas, mais j'ai
quelque peine à imaginer des lions en liberté dans la Forêt de Duault :
les pauvres bêtes n'auraient pas supporté le climat !... En réalité il
y eut ici un immense haras d'étalons sauvages, aménagé vers 1200 par
les Templiers des Commanderies de Burthulet et du Loc'h. Les meilleurs
étalons étaient sélectionnés, dressés dans les prieurés, puis vendus
aux foires de Botmel-Callac ou de Montbran-Pléboulle, d'où ils étaient
expédiés par mer à Acre, en Terre Sainte, principal port maritime de
l'Ordre.
Au pied des monticules de la forêt, de superbes amas rocheux bordent le
sentier. L'un évoque le visage d'une Dame. Bientôt le murmure de l'eau
fait place à un grondement sourd dont l'amplitude dépend évidemment du
débit de la rivière qui disparaît sous un entassement magnifique de
centaines de rochers que l'on prend plaisir à escalader. Le site envahi
par une végétation anarchique a été quelque peu dégagé et l'on en a
maintenant une belle vue d'ensemble. En aval la rivière revoit le jour
entre d'énormes roches. En période de pluies l'eau dévale en
impétueuses cascades que l'on ne se lasse pas de contempler et
d'écouter. Quelques dizaines de mètres plus bas elle retrouve son calme
et l'on y voit filer des truites dont on préfère ne pas imaginer les
pérégrinations souterraines, si elles se sont laissé happer par les
tourbillons en amont du chaos.
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Quittant à regret les Gorges du Corong, on rejoint le bourg afin d'y
prendre la direction de Trefflay puis celle du Mont Saint Michel d'où
l'on jouit d'un immense panorama. Sur les pentes éclairées la nuit par
les vers luisants, se cachent de mystérieux rochers que certains
chercheurs disent liés à l'ensemble mégalithique de la forêt. On gagne
alors ce qui fut le Manoir de Kerbournet, où naquit Barbe de Saint
Prix, et l'on a une pensée pour l'oratoire disparu qui abrita jadis de
belles statues ; le gisant brisé séjourna longtemps sous les ronces et
les orties. Triste destin pour ces hauts personnages !... Puis l'on ira
voir à Trefflay une jolie mais penchée croix ancienne et de solides
maisons dont l'une, ruinée, conserve dans ses murs de vastes et
profondes niches qui servaient à entreposer les aliments et les
berceaux des bébés !
On se dirige ensuite vers la chapelle de Burthulet, joliment juchée sur
une colline à l'abri de hauts pins maigres et tordus, à quelque cent
mètres de la route Rostrenen-Bulat. L'hiver le vent souffle si fort sur
l'enclos que la tradition orale assure que le Diable, pourtant abrité
sous les fougères, y est mort de froid. Dans un champ proche gisent les
rochers ronds avec lesquels il jouait aux boules avant le tragique
événement. La chapelle est entourée d'un petit cimetière où les natifs
des villages voisins aiment à prendre place à l'issue de leur voyage
terrestre. Hélas, le sanctuaire mal entretenu, mal protégé, a été
totalement pillé en 1967. Les voleurs, s'y étant introduits par un trou
de la toiture, ont tout emporté : panneaux de retable du 16ème, statues
de bois ou de pierre : Sainte Trinité, Ecce Homo, Saint Yves entre le
Riche et le Pauvre, chef de Saint Jean dans un plat, etc. En partie
grâce aux dons reçus par le Recteur disciple du Padre Pio, les voisins
ont pu assumer la restauration du monument, installant des vitraux, des
bancs, réparant les boiseries, etc. Les vandales n'ont pu arracher les
sablières ornées de scènes pittoresques, parfois libertines. Mais c'est
avec émotion et colère que l'on contemple les consoles vides ou les
photographies des statues volées, qui décorent aujourd'hui les salons
de quelques riches, mais peu scrupuleux esthètes. En contrebas de la
chapelle le vieux presbytère a été restauré avec sobriété.
Malheureusement les autorités de la décennie du vol ont, sans
sourciller, laissé construire à trente mètres de la chapelle, un
transformateur horrible qui aurait trouvé place n'importe où ailleurs,
l'espace n'étant pas mesuré.
Non loin de la chapelle on visitera avec intérêt l'élevage apicole de
Milin ar Foll, où Mr Caserta réserve le meilleur accueil aux visiteurs
isolés et aux groupes, en particulier scolaires. Une dizaine de
panneaux détaillent la vie des abeilles, expliquent la récolte du miel.
Si celui-ci est particulièrement goûté, c'est que les champs d'alentour
ne subissent guère de traitements chimiques et que la flore sauvage des
talus est très variée. Les apiculteurs disposent de quelque deux cents
ruches disséminées dans toute la contrée, de La Chapelle Neuve à
Peumerit-Quintin. La rivière proche abrite quelques loutres, animal
protégé, à l'irritation de certains pêcheurs.
Un autre jeune couple élève dans les dépendances du Moulin de Lost an
Prat des chèvres angoras d'origine turque et non bretonne, mais je ne
saurais faire preuve de racisme à l'égard des caprins immigrés.
D'autant plus qu'ils ont une bonne tête. Lorsque j'ai visité les
installations, cinquante-deux chèvres et deux mâles nommés Attila et
Baby Doc, sans doute en hommage à certaine de leurs qualités, étaient
si occupés à brouter qu'ils en de deux personnages naissances étaient
attendues. Tondues tous les six mois, les chèvres fournissent une laine
d'excellente qualité qui est expédiée dans le Tarn pour y être filée et
teinte. Au retour cette laine est confiée à une tricoteuse à la main
qui exécute sur commande des pull-overs. Cette dame habite Guingamp.
Après ses pèlerins Saint Servais a perdu ses tricoteuses.
Voici quelques années la commune a aussi perdu, dans la fleur de l'âge,
son peintre-paysan Fanch Vidament, qui œuvrait dans ce vallon de Pont
Cadic où naquit Yves Le Gall et où se cachèrent plusieurs Résistants.
Son épouse fabrique aujourd'hui du fromage de chèvre. Efflanqué comme
un hêtre, abrupt comme un rocher de granit, aussi taciturne qu'un
ermite, plus farouche qu'un buisson de ronces, entre deux labours,
Fanch Vidament peignait sur de vastes toiles, à grands traits, comme
avec une truelle, dans des tons ocres, roux, noirs qui paraissaient
sortis de la glèbe plutôt que d'un tube, des paysans aux visages vides,
donc inexpressifs, car privés d'yeux, de nez, de bouche, et cependant
éloquents dans leur mutisme. Son style évoquait celui de Maurice Le
Scouézec et surtout du flamand Permeke, chantre des mineurs... Insolite
démarche que celle de cet artiste qui avait reçu la leçon
expressionniste d'un Le Nost, mais s'exprimait avec tant de spontanéité
qu'il en paraissait autodidacte et n'en finissait plus d'exposer sur
ses toiles, dans le même esprit qu'un Breughel, mais en ne dépassant
pas la simple suggestion, cette condition rude, austère et presque
abêtissante du travailleur de la terre qu'il avait choisi d'être, à
part égale avec le métier d'imagier. Parfois ses paysans martelant le
sol de leurs lourds sabots, entreprenaient une danse primitive. Ses
fermes de guingois semblaient vouloir entrer dans cette danse, mais on
avait la certitude que, clouées à la fange, elles ne parviendraient
jamais à s'envoler comme les maisonnettes de Chagall. Et c'est au
moment où, sans doute sur la suggestion de quelques-uns de ses
critiques, il éclaircissait sa palette, prenant conscience que le ciel
de l'Argoat est parfois bleu, que les enduits de façades des penty
brillent parfois sous le soleil, de même que l'herbe, les fleurs, les
feuillages, qu'il fut arraché à son sol. J'imagine que comme Buffet,
Vidament aurait fini par reconnaître et peindre, dans l'écheveau gris
de l'Argoat austère, quelques bouts de laine heureux. Il avait certes
su exprimer l'âme de l'Argoat, car certains aujourd'hui le copient.
Nous terminerons cette visite de Saint Servais en rappelant que tout
Breton se doit d'effectuer le pèlerinage du pardon au moins une fois
dans sa vie. Sinon, après son décès il sera condamné à s'y rendre en
n'avançant chaque jour que de la longueur de son cercueil posé sur sa
tête. Pour les Callacois, passe encore, ils parcourent les six
kilomètres en un peu plus de huit ans…
Mais les Brestois, 106 kms, 150 ans environ ! C’est long…
Dr Edmond Rébillé- L’Argoat secret autour de Guingamp- 1989- Imp. Henry- Pédernec(22)
Notes.(Correction de la rédaction)
[1] Émilie Barbe Louise GUITTON, née à Callac en 1789, épouse dans
cette ville, Charles Jean André TIXIER DAMAS de Saint PRIX en 1816
rencontré à Morlaix chez ses amis Le DENMAT-KERVERN, originaires de
Callac.
Sa fille Émilie Marie TIXIER DAMAS de SAINT-PRIX, née à Morlaix en
1829, épouse à Ploujean(29) un militaire originaire de la Guadeloupe,
le général Charles Louis Marie de la JAILLE qui deviendra conseiller
cantonal du canton de Callac de 1864 à 1871. C'est donc ce couple qui
construira le château ou manoir de Kerbournet en Saint-Servais vers
1870.
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Joseph
Lohou( mai 2012_déc.2016)