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L'ARGOAT SECRET AUTOUR DE GUINGAMP
PLUSQUELLEC
De Duault, par la gare du
Pénity, l'on rejoint la large route Carhaix Callac qui suit désormais
en Plusquellec la belle vallée de l'Hyère, au pied d'une falaise
rocheuse qui n'est pas sans rappeler, à la mesure discrète de l'Argoat,
la célèbre Lorelei du Rhin. On dépasse le Moulin de Coatleau et son
bief. Sur la gauche de la route un panneau interdisant le passage,
plaqué contre la paroi rocheuse, avertit qu'il serait dangereux de
pénétrer dans la cavité qu'il ne cache qu'en partie et qui est l'entrée
d'une galerie de mine ouverte puis fermée au 19ème siècle par les
exploitants des Mines de plomb argentifère de Poullaouén. Elle se
prolonge plusieurs dizaines de mètres sous terre, et l'on ne donnerait
pas cher de la vie de qui s'y trouverait pris sous un éboulement, car
elle n'est pas étayée. Lorsque cette mine fut mise à jour à l'occasion
d'un élargissement de la route, on y découvrit une pipe en terre.
Curieusement je constatai quelque temps plus tard, en examinant les
cartes des Mines de Poullaouén exposées au Musée de Morlaix, que la
galerie de Plusquellec était nommée Kerpipe. La pipe y fut sans doute
volontairement abandonnée... Plusquellec connut d'autres exploitations
minières, en parti¬culier entre Coat Nech et Kerthomas où l'étang
actuel servit, dit-on, à laver un minerai dont on tira même l'arsenic
qui aurait servi à la célèbre empoi¬sonneuse la Brinvilliers ! Voilà
une légende qui contredit les propos, rapportés en Saint Servais, de Mr
J.A. Le Gall, affirmant que les Bretons manquent d'imagination. Les
gens de Kerthomas et alentours en ont à revendre, puisqu'ils assurent
également qu'un château est englouti dans l'étang, et que l'on entend
encore la nuit les bâtons des serfs chargés par les Seigneurs de
frapper l'eau à coups redoublés pour faire taire les grenouilles qui
troublent leur sommeil. Par conscience professionnelle, une nuit, j'ai
tenu à vérifié ces dires, et ai effectivement pu conclure au petit jour
que j'avais entendu plus de coups redoublés que de coassements de
grenouilles. Cette nuit-là le vent avait soufflé très fort, paralysant
les grenouilles et agitant des vagues clapotantes. Je renouvellerai
l'expérience, bien que j'aie souffert de la fraîcheur.
Pour le moment nous roulons toujours sur la route Carhaix-Callac.
Flaubert nous dit avoir
emprunté en 1847 une "affreuse bagnole". Ses notes sont brèves : "Notre
conducteur ; la femme veuve amie du conducteur ; noix et pain qu'ils
mangeaient ensemble".
Dépassant l'embranchement du
bourg nous jetons un coup d'œil sur le Manoir de la Rivière, allons
contempler à droite le joli site du Moulin des Près qu'entourent
parfois les eaux débordantes de l'Hyère, traversons la rivière à Pont
Varéguez, dont le café est un lieu de rendez-vous des pêcheurs venus de
loin. Après le Moulin de Locménal, nous prenons à gauche la route du
village du même nom où se dresse une chapelle Saint Mélard, du 18ème
siè¬cle. Un peu plus loin nous irons voir au Manoir de la Boissière un
puits décoré d'un homme vigoureux tenant une trique. Qui va-t-il
bastonner ? Sans aucun doute une épouse récalcitrante. Les mœurs ont
bien changé.
Tous les chemins mènent à
Rome. Ici par monts et par vaux deux routes conduisent au bourg de
Plusquellec, l'une par Kerugant, l'autre par Kerambreton et les abords
d'Hellaouet, où l'on fabrique du fromage de chèvres. Quand bien même le
clocher de l'église n'est-il pas élevé, nous finirons par nous trouver
au pied de ce monument du 16ème siècle, qui se détache majestueusement
sur un placître surhaussé, où se dresse également une croix historiée
avec deux anges recueillant le sang du Christ. Le porche Sud, daté de
1551, abrite des Apôtres expressifs. Saint Jacques porte un chapeau et,
attachée à sa ceinture, une aumônière. On suivra sur les arcades
extérieures de ce porche une frise de vignes jusqu'à son terme
irrespectueux. Au-dessus se font face les deux personnages de
l'Annonciation. Dans le mur intérieur de la porte Ouest une excavation
a toujours été emplie de dents humaines. De nos jours certains
habitants y ajoutent des dentiers, sans doute périmés... Je manque
d'éclaircissements sur cette tradition un tantinet superstitieuse. Je
n'en dirai pas plus par crainte que les Plusquellecois ne me gardent
une dent.
La nef abrite la statue de
Notre Dame de Grâces, dont l'Enfant tient un grand oiseau blanc ; une
Sainte Anne apprenant à lire à la Vierge et peut- être à Jésus, car ils
semblent avoir le même âge ; une Piéta de pierre où des anges écartent
le voile de la Vierge, comme à Lohuec ; les Saints Sébastien, Efflam,
Herbot, Barbe. Considérée comme l'une des plus belles de Bretagne, et
la plus ancienne, la chaire du 16ème siècle comporte six panneaux de
bois sculptés de représentations de l'Annonciation, la Nativité,
l'Adoration des Mages, la Présentation au Temple, la Mise au Tombeau,
la Résurrection, de style Renaissance italianisante. Les seins de deux
cariatides femmes ont été amputés par un Recteur très prude. On verra
encore des sablières, une tombe arcade, un baptistère orné de figures,
une belle verrière dont les parties latérales représentent des Saints
bretons, l'autel du Tabernacle.
A la sortie du bourg sur la
route de Kerthomas, après avoir salué le grand coq de buis taillé par
un forgeron également sculpteur, on atteint le cimetière qui possède
une croix du 17ème et des murs si hauts que l'on peut se demander si
les bâtisseurs ont craint les évasions de résidents. En continuant vers
Plourac'h on rejoint à droite l'étang de Kerthomas. Avant Kercourtois
les chemins de droite mènent à des landes riches de couleurs en
automne. On atteint ainsi Kerdudal d'où l'on reviendra vers Callac en
effectuant le crochet de Rundunet où s'offre un vaste panorama sur le
bassin de Rostrenen¬Carhaix et les Montagnes Noires. Une autre pointe à
gauche permettra de découvrir la jolie chapelle Saint Fiacre, isolée
sur un petit placître et qui possède une rose de chevet et un porche du
14ème, ce qui est assez inhabituel dans la contrée. Sa minuscule
fontaine cachée sous la végétation d'une prairie éloignée était jadis
fréquentée par les furonculeux, qui y jetaient des clous.
Nous ne saurions quitter Plusquellec sans évoquer la seule célébrité -
à ce jour - de la commune : Charles Hercule de Keranflec'h[1], né en
1741, auteur de plusieurs ouvrages édités à Rennes, ardent défenseur de
Descartes, et dont on dit qu'il a peut-être servi de modèle au
sarcastique Voltaire pour le Huron de l'Ingénu (1767), baptisé par son
auteur Hercule de Kerkabon. Débarquant du pays des Hurons, le naïf
Hercule est victime de nombre de mésaventures, mais vainct les Anglais
en Basse-Bretagne. Reçu à la cour pour y recevoir une récompense, il
finit par être enfermé à la Bastille. Sa fiancée meurt de chagrin.
Après quoi, Hercule, libéré et devenu philosophe, se satisfait d'être
nommé officier et se contente de son sort.
"Il faut prendre le monde
comme il est", telle est la moralité de Voltaire, d'Hercule de
Keranflec'h et des Plusquellecois d'aujourd'hui...
Mais combien d'autochtones,
combien de touristes songent qu'un célèbre Huron les a précédés, à
cheval, sur les chemins tranquilles de Plusquellec ?
Nés, comme Charles Hercule, au manoir du Launay, son fils
Pierre-Alexandre, dit La Douceur, et son petit-fils Guillaume, surnommé
Jupiter, furent de 1796 à 1800, aux côtés de De Bar, de redoutables
chefs chouans, auteurs de plusieurs exécutions.
Dr Edmond Rébillé. L'Argoat secret autour de Guingamp- Imp. Henry, Pédernec (22) -1989.
Notes.
[1] Edmond Rébillé confond le manoir du Launay en Callac avec le
village du Launay (Ar Vern) en Plusquellec, attribuant ainsi un
personnage célèbre, Charles Hercule de Keranflec'h, à la commune de
Plusquellec au lieu de Callac ; les registres paroissiaux de 1741 en
font foi...
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