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PLOURAC'H
Les paysages de la commune
de Plourac'h sont si divers, si tourmentés, si éloquents que l'on se
doit de les découvrir selon un itinéraire précis qui commence
évidemment au bourg, en hommage à la notoriété de l'église bap¬tisée
Cathédrale de l'Argoat par un prêtre érudit. Tout est à voir dans le
modeste enclos qui abrite toujours le cimetière. D'abord le mur
d'enceinte s'ouvrant par une grille grinçante de fer forgé, veillée par
deux lions. Immé¬diatement la façade Sud de l'église s'impose aux
regards. Mais l'on se doit, comme en toutes choses, d'aller du plus
simple au plus complexe, donc d'exa¬miner d'abord du haut vers le bas,
le calvaire du 16ème siècle à trois fûts dont les personnages évoquent
ceux de Brasparts ou de Nizon, immortalisés par Gauguin. Pour montrer
son mépris à l'égard du mauvais larron - à moins que ne ce soit par
maladresse - le sculpteur l'a représenté bien plus petit que le bon, et
tournant le dos au Christ, vers qui vont tous les regards de son
complice résipiscent. Sur le fût principal, au-dessous du Christ en
croix les consoles latérales qui portent la Vierge et Saint Jean sont
des bustes humains. Plus bas Saint Michel terrassant le dragon présente
les âmes au jugement de Dieu. Sur le socle même, à hauteur des yeux du
visiteur, une sévère Piéta réunit autour du corps affaissé du Christ un
Saint Jean élégant et songeur, une Marie-Madeleine apparemment
contrite, une Vierge parvenue à domi¬ner sa douleur, bien que ses
lèvres entrouvertes exhalent encore des soupirs et que sa main droite
s'efforce de ralentir les battements de son cœur. Au dos du fût pendant
plusieurs centaines d'années le Christ aux liens attendit son sort avec
résignation, semblant vouloir profiter jusqu'à l'instant suprême de la
quiétude de l'atmosphère. L'hiver dernier le Recteur a jugé bon de le
transporter dans l'église. Judicieusement installé il saura désormais à
quoi ressemblent les fidèles de la paroisse que sa position précédente
- tourné vers le mur - lui interdisait de dévisager.
De même qu'à Bulat, avant de
pénétrer dans le sanctuaire il convient d'examiner la façade Sud, qui
offre de gauche à droite un clocher-mur aux pilastres décorés de
coquilles, avec un beffroi flanqué d'une harmonieuse tou¬relle ronde et
ajourée, et coiffé d'une élégante balustrade et d'un humble clocheton.
Suit une sorte de chapelle Renaissance qui fut ossuaire. Puis trois
gâbles décorés de blasons et percés de fenêtres gothiques. Ensuite en
avancée, épaulé d'une tourelle, le pignon abritant sous un cadran
solaire et la fenêtre grillagée d'une chambre d'archives, un superbe
porche ogival, dont les voussures sont décorées de pampres et de
feuilles d'acanthe, motifs Renaissance. Au fond de ce porche, entre
Saint Marc et Saint Luc accostés du lion et du bœuf symboliques, la
Vierge présente l'Enfant. L'encadrent dans des niches à dais gothiques,
sur des culs-de-lampe Renaissance, les douze Apôtres ressemblant à ceux
de Saint Herbot. Leurs visages longs, sculptés dans la pierre de
Kersanton, portent des barbes soignées, incurvées et frisées qui
conservent des traces de badigeon rouge, ocre ou blanc. Les expressions
diffèrent : chacun a sa personnalité. Le dernier pignon est orné d'une
belle fenêtre gothique. Quant au chevet il est de style anglais comme
celui de Runan.
La nef recèle nombre
d'œuvres d'art. Attire d'abord les regards, dans une niche de granit,
une Déposition de croix où, entre Saint Jean et Madeleine, la Vierge
est vêtue de la cape de deuil bretonne et d'un tablier rond étalé. Le
corps du Christ, bras droit pendant, repose à plat sur leurs six genoux
alignés. L'ensemble constitue une Mise au Tombeau sans vieillards ni
sépulcre. L'autel du Rosaire blanc et noir, assez naïf, montre aux
côtés de Catherine de Sienne un Saint Dominique élégant. Devant l'autel
des panneaux sculptés, restes d'un retable de style flamand,
représentent des scènes de la Passion : Arrestation du Christ, Jésus
devant Caïphe, Jésus au Jardin des Oliviers. On contemplera avec
déférence les statues polychromes de la Trinité, des Saintes Anne,
Marguerite, des Saints Sébastien, Maudez et Guénolé. Saint Adrien pour
sa part est représenté en guerrier à pied, appuyé sur un écu, tenant
l'épée au clair. Les sablières sont décorées d'animaux fantastiques, de
visages grotesques, de scènes de fabliaux (la poule et le renard), de
joueurs de biniou, etc.
Au presbytère, où se réfugia
quelque temps le Marquis de Pontcallec, on admirera un calice d'argent
orné de motifs végétaux, de six niches Renaissance abritant des Apôtres
de 24 mm et de l'inscription "A NRE Dame de Plouracz". Et aussi un
reliquaire d'argent en forme de chapelle, recelant le Christ et les
Apôtres, soutenue par une tige dont le pied repose sur quatre lions
couchés. Ainsi qu'un plateau, ces œuvres sont dues à l'orfèvre
morlaisien Yves Donné, actif vers 1545.
Après cette visite
surprenante en un village aussi modeste il convient d'inventorier la
campagne, en allant d'abord à la rencontre du menhir de Toul Hoat,
solitaire dans un champ sur la route de Carnoêt. En fait celui-ci ne
fera pas un pas en direction du visiteur ; il se sent humilié depuis
qu'un dément, jaloux de sa prestance, l'a amputé de quelques mètres en
le frappant à coups de masse, dont on verra les traces en son sommet.
On regagnera le bourg en passant près des ruines de la chapelle Saint
Guénolé dont on entreprend pour la seconde fois la restauration. Une
haute croix dresse son mince fût apparemment invulnérable de l'autre
côté de la route. Face à l'église on prendra la direction de Bourgerel
où subsistent les douves d'une motte féodale. Puis l'on dépassera
Kerambail afin de découvrir au bord du chemin de Trévenec, parmi les
ronces, une superbe croix à personnages (Christ en croix, Vierge, Saint
Jean, anges tenant les calices) dévorés par le lichen.
Faisant demi-tour on se dirigera vers le Gué Richard, où les charrettes
franchissaient jadis le confluent de deux modestes ruisseaux qui n'en
formeront donc plus qu'un, sinueux et couvert, que l'on va suivre puis
dominer par Keroan et Calanhel-Melscoêt jusqu'au Moulin des Prés où il
rejoint l'Aulne dans un joli site où s'est installée une pisciculture.
La légende assure qu'existe ici un souterrain où les mineurs lavaient
leur or. Puis l'on recommence à grimper vers Coatrescar, d'où l'on ira
à pied voir les ruines de la chapelle Saint Maudez, sa fontaine
délabrée cent mètres à l'Ouest, les vestiges d'une large voie romaine
qui suivait la ligne des crêtes et de gros rochers qui passent pour
avoir abrité le berceau du Saint. La route sinueuse mène ensuite à
Klempétu, village jadis très peuplé où un Saint nommé Guingal fut reçu
si désagréablement par les femmes qu'il décréta illico qu'il y aurait
toujours au moins une veuve parmi elles. La tradition est respectée.
De Klempétu et de la route
qui monte vers l'Ouest la vue est superbe sur le bourg de Plourac'h et
ses alentours champêtres. Deux cents mètres après avoir rencontré à
droite le socle d'une croix défunte on stoppera la voiture pour aller
saluer à gauche, au terme d'un chemin de terre, dans une lande
d'ajoncs, fougères, bruyères et sphaignes, l'imposant Rocher de Kergus,
entablement bosselé long de vingt mètres, haut de trois ou quatre, d'où
se révèle un panorama absolument circulaire sur l'Argoat. En contrebas,
au-delà d'une rangée de pins, s'étend la vallée fertile de l'Aulne.
Tout proche le petit bourg finistérien de Bolazec conquit la notoriété
dans les années 1925, car un habitant du village de la Salle s'y trouva
nez à nez - est-ce bien le terme exact ? - avec un serpent gigantesque.
Pendant plusieurs mois les curieux, la peur au ventre, se pressèrent à
Bolazec, mais personne (sauf moi, mais je ne suis plus très sûr de mes
souvenirs) ne revit le monstre dont la commune a fait son emblème.
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Lorsque, venant de Bolazec,
on franchit l'Aulne au pont du Milin Hilvern, la vue sur le Rocher de
Kergus solitaire en sa lande, ne laisse pas d'impressionner. Il assure
parfaitement ses fonctions de sentinelle ultime des habitants des Côtes
du Nord, taciturnes, discrets, opiniâtres, confiants, face aux
Finistériens bavards, hâbleurs, fluctuants, sceptiques !
Regagnant le bourg on constatera qu'il est dominé par un entassement de
rochers dit Roc'h Hellou. Derrière l'église on empruntera la route qui
mène aux landes de Keranquéré, d'où l'on aura à nouveau, entre de
superbes pins, une vue admirable. N'oublions surtout pas d'apporter
papier, stylo et parapluie. Car la chanson du vent dans les branches
des pins, est si douce, le bleu du ciel si limpide, le parfum des
bruyères si délicat que l’on se sentira inspiré au point d’écrire un
poème à l’instant. Le parapluie est destiné à se protéger du soleil
pendant les corrections…
Dr Edmond Rébillé- L'ARGOAT SECRET AUTOUR DE GUINGAMP. 1989- Imp.Henry Pédernec (22)
Joseph
Lohou (mai 2012)