Callac-de-Bretagne

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LOHUEC

Si un citoyen de Lohuec donne son adresse à un habitant d'une commune limitrophe, il est sûr de l'entendre s'esclaffer : "Ah ! Lohuec ! Le pays des voleurs de chevaux !..." Et le citoyen de Lohuec de se regarder subrepti¬cement dans la glace : "Ai-je vraiment une tête de voleur de chevaux ?..."

Un peu plus tard, retourné à sa solitude coutumière, il songera qu'il serait étonnant que les 453 citoyens de Lohuec - recensement 1982 -, dont vous ôtez les nouveau-nés, un par an ; les enfants en bas âge ; les grabataires ; soit 30 personnes environ, il serait surprenant, dis-je, que les 423 habitants valides de Lohuec ne soient préoccupés que de vol de chevaux. Ils n'y gagneraient pas de quoi vivre !

De nos jours, personne n'a besoin de chevaux de labour !... Je vous entends déjà : "Ils volent peut-être des tracteurs !..." Halte là, je vous arrête !... Vous versez dans la diffamation !...

A quoi peut bien tenir cette réputation ? On ne sait trop. L'excellent écrivain Pierre Guéguen, qui passa son enfance à Loguivy-Plougras, écrit dans "Bretagne, types et coutumes", qu'au village de Goariva (en Plougras) résidait jadis trois seigneurs nommés : Louis Kalareg, Fanch Piou et Potik Jaouen. Trop pauvres pour vivre de leurs rentes, ils se livraient au maquignonnage et au vol. Ils savaient où se procurer "l'herbe à ruer et - excusez- moi - à pèter" (Planta Pistolata), qu'ils répandaient sur les animaux, lesquels, saisis d'intolérables démangeaisons ruaient puis s'enfuyaient au grand galop. Les voleurs les récupéraient épuisés, les peignaient et les revendaient à leurs vrais propriétaires. Goariva est un village désert bâti sur les pentes d'un sommet haut de 319 mètres couronné d'une impressionnante antenne. Cette contrée aride de Plougras est bizarrement surnommée la Corée. Je ne comprends pas comment les honteux forfaits d'indigènes de Plougras ont pu ternir la réputation des natifs de Lohuec. Evidemment Lohuec est plus connue que Plougras, peut-être même que Loguivy. Les trois communes s'interpénètrent, et l'on attribue souvent à Lohuec les mines de fer jadis exploitées au Gouélou, village situé en Loguivy. Les riches habitants du Gouélou exigèrent que le porche de l'église de Lohuec soit tourné dans la direction de leurs demeures, c'est-à-dire vers le Nord. La commune de Lohuec s'est toujours singularisée puisqu'elle fut la seule des onze communes du canton de Callac à ne pas appartenir à l'évêché de Cornouaille, mais à celui de Tréguier.

L'Aulne en effet, large de deux mètres, faisait office de frontière. Cette célèbre rivière, qui se termine à Châteaulin en un majestueux estuaire, prend sa source à Lohuec près du village de Pen Naon. Deux autres lieux-dits méritent la mention : celui du Pavé, suivi d'un chemin de même nom, qui traverse la forêt de Beffou du Sud au Nord, et qui n'est autre que la voie romaine Carhaix-Plestin les Grèves. Et aussi le village nommé Haute Vigne, qui rappelle probablement les tentatives médiévales de création d'un vignoble ; tentatives vaines, hélas, au grand dam des autochtones.

A proximité dès la rivière, un champ dépendant de Kernescop possède une allée couverte enfouie sous les broussailles, mais toujours imposante. Non loin, sur le plateau proche de Kéranquéré, se dresse dans une lande rase un énorme rocher irrégulier, qui n'était à l'origine qu'un galet de l'Atlantique qu'une dame de Concarneau laissa tomber de son tablier. Le climat tonique de la contrée explique sa prise de poids.

De part et d'autre d'une carrière de pierres riches en fer sur les bords de l'Aulne, le site bucolique du Moulin Quelen et la vieille demeure de Gouerneven méritent un coup d'œil. En amont, la vallée fangeuse est criblée de fondrières, qui constituent sans doute ce "désert affreusement écorché" dont parlait Pierre Guéguen. Voici trente ans, sur le chemin qui remonte au bourg, je rencontrais un vieil homme qui promenait sa femme impotente dans une brouette. Il me fit don d'un renardeau qui, comme le rocher de Kéranquéré, grandit très vite et que je dus sacrifier, son comportement devenant aussi agressif que celui des voleurs de chevaux. L'air vif, sans doute, ou un excédent de fer dans l'eau ? Qui sait ?

Les habitants de Lohuec ne pouvaient évidemment s'abstenir de participer à la Révolution. Alors que le reste de la contrée penchait du côté des Chouans, soixante hommes de Lohuec, menés par l'agent municipal Louis Fercoq, combattirent victorieusement les royalistes en 1799 à Plourac'h. Philippe de Broca a omis de citer cette passe d'armes dans ses "Chouans". Hélas, Fercoq fut capturé quelques jours plus tard et fusillé près de Guerneven. Cinq ans plus tôt, les Lohuécois, fabriquant du salpêtre dans l'église - lieu éminemment propice à cette activité - y mirent le feu. On reconstruisit l'édifice, et on fit bien, car l'architecte de la construction primitive n'est autre que le célèbre Beaumanoir. Sous le porche nord, au-dessus du banc de pierre des pèlerins, une Vierge de douleur soutient le corps du Christ avec l'aide d'un ange. Le porche ouest, Renaissance, est entouré de candélabres, ainsi que la fenêtre qui le surmonte, cependant qu'autour de la balustrade du clocher des canons de pierre braqués vers les demeures font taire les velléités de révolte. La nef abrite des statues anciennes, parmi lesquelles on distinguera un Ecce Homo, un Christ en gloire, une Crucifixion, une mystérieuse Notre Dame du lac - quel lac ? -, et des poutres à engoulant, c'est-à-dire terminées par des gueules de crocodiles. A cent mètres la fontaine St Judoce, solennelle, aurait mérité une plus riche ornementation.

Le terroir agité de Lohuec est aujourd'hui fort calme. Le dernier commerçant a fermé boutique : plus de boulanger, d'épicier, de boucher. Un club du troisième âge ravive les ardeurs. Suggérons-lui d'explorer le Parc ar Pouldu, ou champ du Trou du Diable. Une légende assure que les Sauvages, cousins germains de ceux de Loc Envel et de Bulat, y ont caché de l'or. Plusieurs paysans tentèrent de déterrer la barrique qui brille, tant elle est emplie d'écus. Mais quelqu'un parla : la barrique s'enfonça et roula sous terre jusqu'à une source du pré voisin. Elle s'y trouve encore, mais les chercheurs doivent se méfier des nains qui vivent en ce monde souterrain, et dont "les faces, dit Pierre Guéguen, sont pareilles à des mottes, les yeux gluants à des limaces, les cheveux à des herbes sèches, les ventres à des taupinières. Ils ont de petits doigts de taupes, un rire sanguinolent et d'extraordinaires goitres en forme de calebasse, de tonnelet, de boîte à sel. Leur domaine souterrain se nomme l'Agartha ou Dinn Dann ar Douar. Ils cultivent le blé blanc, l'herbe blanche, élèvent des troupeaux pâles. Leur maître est le Roi du Monde". ...Que les amateurs de trésors lèvent la main...

Dr Edmond Rébillé- L'Argoat secret autour de Guingamp- 1989- Imp. Henry, Pédernec (22)


 


 

                

  

 

 
                                             
Joseph Lohou (mai 2012)
                                                          

 

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