Callac-de-Bretagne

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                                                La commune de Carnoët, par le Dr. Rébillé








Au 18e siècle le très consciencieux Ogée, auteur d'un précieux Dictionnaire de Bretagne écrivit ces lignes: "Carnoët ne renferme presque que des landes, des bois et la forêt de Fréau". Ii est vrai que le nom vient de carn = rocher et coat bois. Bien sûr il n'en est plus de même aujourd'hui, bien que l'immense forêt, à présent finisté¬rienne, de Fréau demeure toujours aussi ensorcelante, les affreux dégâts provoqués par la tempête y étant invisibles de loin. Mais s'il décrit avec une précision relative les événements qui se déroulèrent à Carnoët, Ogée en ignore la protohistoire. Il n'a pas vu les trois tumulus de Trélan, dont la triple ondulation soulève le sol d'un même et vaste champ sur un plateau découvert, ce qui ne laisse pas d'intriguer, car on imagine que les cérémonies funèbres qui se déroulèrent ici pendant plusieurs siècles ne devaient pas manquer de grandeur.

Ogée a également ignoré que les armées romaines avaient aménagé un camp sur les pentes de la colline Saint Gildas, sur laquelle on trouve de beaux morceaux de tuiles quand les champs sont labourés. Derrière une maison d'Ilibridou, dont le nom viendrait de Ty Bricou, la maison de briques, ont été mises à jour les substruc¬tions d'une villa romaine, comportant une installation de thermes avec conduits d'hypocauste qui témoignent du luxe des propriétaires: une villa dotée d'hypocauste possédait aussi des colonnes de marbre, des mosaïques, des enduits peints. M. Giot, Directeur régional des Antiquités, vint en 1959 reconnaître ces vestiges, depuis lors redevenus souterrains.

Les Romains partis, le Tossen Saut Weltas ne demeura pas inoccupé. Une forteresse y fut édifiée dont subsiste de nos jours la motte excavée en son centre et entourée d'un large fossé et un chemin de ronde désormais dévolu à une troupe de moutons nonchalants. Parfois l'un de ceux-ci bêle pour prévenir ses confrères qu'il aperçoit à l'horizon une fumée suspecte. Un incendie ? La gent ovine lève le nez, opine, converse un instant, puis chacun recommence à brouter; estimant n'être point concerné. Il n'appartient pas aux moutons d'alerter les pompiers. Des oiseaux piaillent parcimonieusement. Un paysan invisible crie. Le vent, qui ne veut pas demeurer en reste, improvise un pizzicato. Tous ces bruits mêlés constituent le silence, qui règne sur ces lieux et trois mille ans d'histoire. On découvre tout à la fois un immense panorama circulaire, les Monts d'Arrée avec Saint Michel de Brasparts et le  Roc Trévézel,  les Montagnes Noires avec Toulaëron et le Menez, d’innombrables clochers griffent le ciel: Carhaix, Plouguer, Poullaouën, Ploué, Scrignac, Bolazec, Plourac'h, Trébrivan, Plusquellec, Calac, Bulat, etc. De retour d’un accouchement très tôt un matin d'été je vis, du Tossen le soleil se lever dans sa splendeur rouge et s'élever lentement comme une montgolfière, inondant de ses rayons flamboyant le bourg de Carnoët au pied même de la colline, la chapelle  Saint Gildas, dont la croix du clocher vue sous les angles adéquats, paraît fichée dans le sol vert de la prairie ou brandie, en un dernier appel hors de la mer bleue du ciel, par la main d’un mari naufragé. Prosper Mérimée a laissé de sa visite au Tossen une description rébarbative.

Sur ces pentes, en 911 dit Ogée, en 1197 rectifient ses continuateurs, se déroula une grande bataille entre les barons bretons et les "païens" de Richard, 1er d’Angleterre dit Cœur de Lion. 6800 païens périrent. On notera la précision des statistiques.  Le village de Guerzosic tire son nom de l'occupation britannique, Ker Zaosons, signifiant,  « le village des Saxons ».
En 1595 à Arques, François 1er, pourtant très occupé par ses pourparlers de paix avec le Roi d'Angleterre, trouva le temps d'édicter une ordonnance chargeant les riverains de la forêt de Fréau de veiller à y empêcher les larcins. Une telle omniprésence d’esprit m'incite à regretter la monarchie. Car j'imagine mal un Président de la République contemporain interrompant ses conversations avec Bill Clinton pour réglementer la chasse à la bécasse en lisière de la forêt de Fréau.

Decendons donc vers la chapelle Saint Gildas, superbe édifice gothique du au célèbre
Atelier Beaumanoir, de Morlaix, à qui l'on doit nombre d'églises  du Trégor,
identifiables au clocher-mur à contreforts et au chevet à noues multiples. Elle a malheureusement subi des dégâts irrémédiables. Alors que des crédits avaient été difficilement obtenus à la suite d'une visite des édiles du département et d'un Architecte des Bâtiments de France, qui me confia qu'à ses yeux Saint Gildas présentait moins d'intérêt que le Palais des Papes d'Avignon dont il s'occupait également (!), certaines carences firent que, comme à Burthulet, toutes les œuvres d'art furent volées de 1962 à 1965. Disparurent ainsi les boiseries du retable ; une clôture de choeur faite de quatorze panneaux de jubé représentant les douze Apôtres, une scène de mariage, la rencontre des Saints Gildas et Cado; le crâne présumé du Saint, conservé dans une niche poussiéreuse et que je venais fréquemment, tel Hamlet, saluer ; enfin toutes les statues, y compris celles de la poutre de gloire où ne subsiste qu'un ange en « bragou bras », pantalon breton bouffant, gravé dans le bois. Deux statues de Saint Gildas protégeaient des morsures de chiens enragés. Un panneau de bois du 16ème siècle montrait comment le Saint préserva miraculeusement un enfant que des loups s’apprêtaient à dévorer... Le vide presque intégral. Ne demeurait dans la nef que l’immense cage de bois où, le jour du pardon, les fidèles déposaient les poules offertes au Recteur, et la cavité où était déposé son sarcophage, que les voleurs n'emportèrent pas, car il s'avérerait encombrant dans un salon. En dehors de ce sarcophage, aujourd'hui, il n'y a plus rien à voler à Saint Gildas.
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Satisfaisons-nous de faire le tour du monument et de contempler les étonnants personnages du chevet. Un joyeux luron s'arrache les poils de la barbe. Un autre crie des insanités. Le suivant se protège l'abdomen derrière un blason-bouclier. Un quatrième attente aux bonnes mœurs, cependant qu'une furie prognathe et mongoloïd
e, coiffée de tresses, allaite un bébé rachitique, tout en maintenant fermement par la queue un chien suspendu tête en bas…  qui lui lèche certaine partie charnue de son individu.
A quelques mètres en contrebas est nichée dans les herbes humides une très ancienne fontaine monolithique où l'on conduisait les chevaux le dimanche de la Trinité. On leur versait de l'eau dans l'oreille. La chapelle avait deux autres pardons : le 29 janvier et le premier dimanche de Septembre. On n'y mène pas les tracteurs: le passage est trop étroit.

Une autre motte féodale subsiste, fort bien conservée, à Rospellem„ à l'extrémité occidentale de la commune, dominant le superbe site de Pont-Troël où l'Aulne flâne dans une conque large en bordure de la forêt de Fréau. Il fut un temps question de transformer cette vasque géante en lac, mais les paysans d'alentour s'y opposent. En sa base la motte de Rospellem, dont on dit qu'elle servit de repaire à La Fontenelle, est creusée d'une vaste galerie, longue de deux cents mètres, entièrement inondée, qui servit autrefois à alimenter en eau provenant du ruisseau de Plourac'h les mines de plomb argentifère de Poullaouën. Des briques romaines, des restes de voie pavée, ont été mis à jour à proximité du sommet de la butte et de la chapelle Saint Cado, du 18ème  siècle, qui a fort belle allure quand on la contemple depuis les rives de l'Aulne. Il ne semble pas que Saint Cado ait le pouvoir d'améliorer les performances des pêcheurs, et c'est dommage, car les truites de ces eaux courantes, enveloppées de-ci de-là de longues tresses de renoncules qui cachent le lit sablonneux, sont excellentes.

Les ingénieurs des Mines de Poullaouên ont laissé d'autres traces de leurs investigations à Carnoët en particulier entre la Villeneuve et Coatleau où une colline est nommée Menez Plomb ; près de Kerlastre ; et à proximité de Quénécan où l'on peut encore voir, parmi les ronces et les ajoncs le Toul Bon Ru (Trou des Bonnets Rouges), vestige de galerie jadis fermée par une porte de fer, qui fut creusée par des forçats du bagne de Brest coiffés d'un bonnet rouge. On trouve la mention de ces exploitations dès 1682, où la concession des Mines de Carnoët fut attribuée à un Yves du Liscoët, probable descendant de son homonyme chef de bande à Coadout au temps-de la Ligue (1590). En 1704, les mines étaient exploitées par des gentils hommes anglais.

On y travailla jusqu'au 19ème  siècle.

Au cours des siècles passés les villages de Carnoét étaient très peuplés. Les familles riches habitaient de solides manoirs dont on verra un exemple à Kerandraou. Celui de Kerautem a été démoli en 1989. Le château de Langle, disparu, a donné son nom à une famille célèbre qui a compté l'explorateur Antoine-Paul Fleuriot De Langle, commandant de L'Astrolabe dans l'expédition de la Pérouse, est qui fut massacré en 1787 par les Indigènes de Samoa. Son nom, et donc celui d'un village de Carnoët a été donné à une baie de l'île soviétique de Sakhaline, voisine du Japon. Deux descendants de Fleuriot De Langle, furent amiraux.
Plusieurs chapelles honoraient alors l'immense commune. Au bord l'Hyère celle du Pénity, du 16ème  siècle, attire la foule le 15 Août vers son pardon et son fest-noz. La Municipalité vient de réagir à la ruine progressive de la chapelle Saint Corentin aux confins Sud, qui date du 15e siècle. Certaines statues dont une Vierge écrasant le serpent sous forme d'une sirène étaient citées dans les ouvrages d'art. Quelques imposantes boiselles s'y dégradent lentement: autel sculpté, clôture de chœur, confessionnal, armoire de sacristie. Vide, une niche verticale semble le berceau ou le cercueil d'un enfant. Sous une console de pierre ricanent six visages: trois rouges, trois blancs. D'anciennes inscriptions sur les dalles glissantes s'effacent. Cependant sur le clocheton un gardien consciencieux, en buste, s'acharne à scruter l'horizon. La cloche est muette. Dans le minuscule enclos où les ronces se gonflent comme à la fête foraine la barbe à papa, gisent au pied d'un bel échallier, à l'abandon, quelques pierres tombales récentes, dont celle d'une dame décédée en 1928. « Vanitas vanitatum ! »

Lors de ma dernière visite, au grand effroi de veaux voisins, trois hélicoptères militaires patrouillaient au-dessus des ruines, comme si Saint Corentin leur était suspect. A-t-on entendu dire quelque part en Bretagne que le Saint patron de Quimper aurait fait des bêtises ?... Le petit penty voisin est encore plus délabré que la chapelle. C'est la désolation. J'ai beau m'interroger: je ne comprends pas le pourquoi de cette incompatibilité flagrante entre les Saints bretons, les Administrations, les veaux et les hélicoptères. La cohabitation, le partage des crédits, sont- ils vraiment impossibles ?


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Fort heureusement le calvaire de Saint Corentin a été transporté au bourg. Aucun ouvrage aspirant à l'exhaustivité ne le cite. Il était, en effet, fort discret en son champ où traînèrent longtemps à même le sol les têtes de ses Saints, que les promeneurs finirent par emporter. Bien qu'il ait été abîmé en 1794 par les révolutionnaires carhaisiens, Il mérite la considération. Sur la mare sont déposées trois statues sans visage. L'une porte le pantalon breton. Les pierres du socle supérieur sont gravées en bas-relief de faciès lunaires, de têtes de morts, de visages d'hommes tirant une langue bifide, de tibias. Le fût principal porte une Piéta et un Saint Jean, et sur l’autre face un débonnaire Bon Dieu. Sous deux pierres arquées décorées de raisins la date 1630.

L’église du 19ème siècle, depuis des lustres, m'étonne par ses lustres, sinon par son lustre. Mais outre ses statues anciennes, dont un Christ en croix vêtu d'un pagne rouge, un Efflam "fils de la mer adopté par les monts" à l'inverse d'Anatole Le Braz, elle abrite sur de modestes stalles les amusantes statuettes d'un noble vêtu d’un beau costume Renaissance et d'un mécréant qui se tire la barbe: telle doit être la distraction préférée des habitats de Carnoët, puisqu’un  personnage du chevet de la chapelle St Gildas en fait autant.
 

La ruine du patrimoine de Carnoët aurait certainement provoqué la fureur du plus célèbre de ses fils, le barde François Jaffrennou, dit "Taldir ab Herminn" (1879-1956),  fils du notaire Claude Jaffrennou et de la poétesse Anne Marie Ropars(1939-1913), de Bolazec, qui écrivit de fort beaux vers bretons.

Jaffrennou, licencié en droit puis Docteur ès lettres, s'installa à Carhaix pour y exercer tour à tour ou simultanément
les professions de publiciste, imprimeur et marchand de vin. Disciple de François Vallée, de Belle-Isle, il témoigna d'une activité débordante, créant des journaux (Ar Vro, Ar Bobl),des troupes théâtrales ; participant à maints congrès, où il se révéla excellent orateur. Sans doute plus homme d'action que poète, il a laissé des anthologies en français et en breton : "Le chant du menhir ; l'Épe d'Acier ; Dalc'h Sonj; etc.

Il est auteur de l'hymne breton "Bro Goz va zadou", Vieux pays de mes pères. Taldir, barde "au front d'acier", passait pour orgueilleux et fantasque, cherchant la publicité. Suspecté comme beaucoup d'autonomistes, voire de simples régionalistes, de collaboration, il dut s'exiler et mourut à Bergerac (Dordogne) sans avoir revu sa terre natale.

  Son oeuvre est toutefois attachante. Ainsi ce poème breton qu'il consare au musicien aveugle Pierre Sérandour:


"Jeune, il sonnait  gaiement dans les danses et les pardons

les cœurs des filles se réjouissaient.
Vieux, il soupire davantage, mais ses vers sont plus beaux
De la mer à la montagne, sonne, aveugle de Corlay."




Même si ces vers ne sont pas aussi riches, j'y retrouve l'inspiration du célèbre poète irlandais W.B.Yeats dans son "Violoneux de Dooney":


« Quand mon violon chante à Dooney
Les gens y dansent comme houle...

Le gai luron est le meilleur    .
A moins de quelque malchance.
Quand là-haut je paraîtrai
Les braves gens viendront en foule:
Voici le violon de Dooney !
  Ils danseront comme la houle..."


Il est évidemment inutile de gloser sur la parenté si étroite des Irlandais et des Bretons qui toutefois attendent encore leurs Yeats, Moore, Synge ou O Casey.

Natif de Carnoët, le Docteur Jean Charles Raoul (1848-1931) fut le bienfaiteur de Rostrenen qui lui éleva un buste.



"Gloire à notre patrie antique

Asservie au joug étranger,
Mais guettant l'aurore celtique
Qui va luire pour la venger..."


Fort heureusement la Bretagne ne s'est pas transformée en un second Ulster et les visiteurs de Carnoët pourront se promener en toute sérénité sur le territoire de cette immense commune, où l'on reconnaît différents quartiers pour ne pas dire peuplements, qui avaient jadis leurs traditions particulières. Ainsi au Sud, les chevaux étaient-ils pas tenus par la bride du même côté qu'au Nord, ce qui ne manquait pas d'agacer l'animal changeant de propriétaire.

Le nom du village de « Pont ar Gwin » rappelle certainement une tentative de culture de la vigne. A quelques centaines de mètres, la gare de Carnoët-Locarn est à l'honneur, avec sa "Micheline", dans le film "Je suis le Seigneur du château".(Film de Régis Wargnier-1988)

Dr Edmond Rébillé. - L'Argoat secret autour de Guingamp- Imp. Henry, Pédernec (22), 1989

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