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L'ARGOAT SECRET AUTOUR DE GUINGAMP
CALANHEL
Les habitants de Calanhel
sont modestes. Sans doute estiment-ils que leur bourg ne possède aucune
curiosité susceptible d'inciter les touristes à marquer chez eux une
halte. C'est qu'ils oublient que la sortie Nord en direction ion de
Lohuec offre un vaste panorama qui pour n'être pas circulaire n'en
conduit pas moins le regard au-delà des croupes boisées de Bulat et
Maël-Pestivien, Duault et Locarn. De cet océan de verdure émerge de-ci
de-là quelque clocher effilé qui semble le mât d'un navire naufragé,
tandis qu'à l'horizon un alignement d'arbres hautains paraît chargé
d'interdire tout bouleversement impromptu de la topographie.
L'église Saint Vincent Ferrier ne date que de 1871. Elle remplaça un
édifice ruiné dont subsiste un baptistère orné de dix têtes sculptées,
et quelques vieilles statues. Saint Grégoire qui avait jadis sa
chapelle entre Kerudu et le Peignard guérissait les malades des yeux,
les fiévreux et les enfants, donc à plus forte raison les enfants
fiévreux souffrant d'ophtalmie. Il traitait également les enfants qui
tardaient à marcher, quand les mères angoissées l'en priaient :
"Monsieur Saint Grégoire, aux enfants
Donnez la faculté de marcher."
Le texte n'étant pas trop compliqué, aucune mère ne l'oubliait et les
enfants guérissaient. A côté de Grégoire, Saint Maur se fait vieux,
probablement parce qu'ici il n'est pas véritablement chez lui, ce qui
n'est pas le cas de Saint Yves et d'une Piéta au regard absent. On
remarquera aussi des reliques de Saint Vincent Ferrier, saint espagnol
honoré à Vannes, Runan et Calanhel. René Couffon écrit que le premier
patron de la paroisse fut Monsieur Saint Calanhel, mais il ne reste
aucune effigie de lui. Un antique meuble à dîme sera peut-être restauré.
Le monument le plus vénérable de la commune est la chapelle Saint Maur,
de 1778, isolée au Nord de la commune. Elle était jadis très fréquentée
par les rhumatisants lors du pardon du quatrième dimanche après Pâques,
que Pierre Guéguen évoque en termes qui paraîtront outranciers :
"Ce
funèbre plateau de Saint Maur était couvert les jours de pardon de
mendiants à plaies.
Partout ce n'étaient que terres stériles,
pierrailles fiévreuses, hérissement de fourrures pauvres des landes
d'hiver"...
Récemment restaurée, débarrassée de ses lambris troués et de ses
enduits écaillés, la chapelle laisse apparaître des murs solides et une
superbe charpente en forme de carène renversée. Sur l'autel de pierre
moderne un Saint Maur chauve garde la tête haute, bien qu'il ait perdu
une forte partie de sa clientèle au profit des rhumatologues. Pourquoi
les Saints bretons ne poursuivent-ils pas les médecins pour exercice
illégal de la thaumaturgie ? A ma connaissance aucun rhumatologue n'est
en mesure d'exposer dans sa salle d'attente, comme Saint Maur dans sa
nef, deux paires de béquilles définitivement abandonnées par ses
patients. Un Saint Nicolas, un Christ en croix, trois fauteuils de
bois, trois bénitiers complètent la décoration sommaire du monument. A
trois cents mètres en contrebas se niche la fontaine du 16ème siècle,
au superbe appareillage, où les malades de jadis venaient baigner leurs
membres arthrosiques ou tout simplement se verser un peu d'eau sur le
cou et dans les manches.
Il y a trente ans, au village de Saint Yves, se dressaient les ruines
d'une chapelle, mais son élégant fenestrage gothique a trouvé preneur,
je ne sais où. A proximité, le manoir de Kergadou s'efforce de
conserver le souvenir des paysans aisés qui l'élevèrent au 18ème siècle.
Calanhel est contourné par l'étroit ruisseau de Guerhallou qui dans un
passé lointain a présenté quelque importance car il a creusé une
profonde vallée où s'ouvre une impressionnante carrière de matériaux
d'empierrement. Parmi quinze minéraux les géologues amateurs
reconnaîtront certainement la pyrite et le grenat (pyrénéite)...
De part et d'autre de la
vallée les villages du Valy et de la Roche se font face. On a envie de
les relier par un viaduc. Sans nécessité, c'est certain, uniquement
pour l'amour de l'art. Je crains que la municipalité ne soit pas assez
riche.
Dans ce pays de vallons et
monticules l'imagination vagabonde ; l'Abbé François Le Du, né à
Calanhel en 1888 fut barde sous le nom de Roc'h Lann. Personne n'a
songé à fêter son centenaire. Un autre enfant du pays, l'Abbé Yves
Guillerm a récemment publié un ouvrage traitant des origines des
Pardons bretons. Pour sa part, Lidwine, talentueux dessinateur de
bandes dessinées, à l'instar d'Alain Goutal, donne le jour dans sa
maison de Kergadoret à des révolutionnaires patibulaires et aussi à de
troublantes jeunes beautés qui ne craignent pas d'exposer leur nudité
aux zéphyrs de l'Argoat. Sans doute se promènent-elles la nuit, car je
ne les ai pas encore rencontrées.
Notes.
Dominique Legeard dit Lidwine ou Marcel de la gare (né en 1960 à Saint-Brieuc) est un dessinateur français de bande dessinée.
Dr Edmond Rébillé.-L'Argoat secret autour de Guingamp. - Imp. Henry, Pédernec (22) - 1989.