UNE TOMBE À BURTHULET
Depuis bientôt trois ans je rends quatre visites
Par mois, ou trois selon l'état de ma santé,
Au tombeau de ma femme en un lieu planté
De pins nerveux, d'herbes bouffies, inquiétant site.
C'est que le cimetière, au pied d'une chapelle,
Couronne une colline et reçoit tous les vents
Insensés, insidieux, s'insinuant sous l'auvent
Qu'ouvre sur les talus chaque houx qui m'appelle
De chaque pourpre sphère et de feuilles piquantes...
Je ne puis célébrer cet émouvant hommage
Souventefois hélas, parce que mon ancrage
Vespéral est distant de dix lieues éloquentes
Où chaque forêt, chaque manoir, chaque église
Ressuscite l'émoi d'un
souvenir commun :
Fête d'un saint local imprégné de parfums
De gerbes
et d'encens, voire de vocalises
De femmes et d'enfants psalmodiant des cantiques
Dans des cérémonies :
mariage ou bien baptême.
Laure et moi nous avions lors de ces fastes
même
Cinquante années de moins ; des mines pathétiques ;
Un digne port de tête ; un aplomb ; des postures
Qui faisaient
sursauter les témoins rêvasseurs...
Des confrères hélas agressifs,
finasseurs,
Menèrent au tombeau ma douce enluminure...
J'aime de ce cimetière la solitude.
Je m'y présente donc à l'heure des repas
Non par misanthropie, mais regret du trépas
De ces êtres touchés par la béatitude,
Telle mon épouse je souffre du tapage
D'appareils percutants, de
leviers convulsés
Installant sur les dalles un décor déplacé
Et
plantant une croix portant un Christ en mage.
Je sais qu'au fil du temps j'ai contemplé la tombe
Sous tous climats
bretons : pluie torrentielle en juin,
Inondant ses huit pots du suint
de Vulcain ;
Des torrents se formaient dessus les catacombes
Pour s'étaler aussi au creux des majuscules
Où s'entremêlaient tôt des
aiguilles de pin,
Des scarabées fuyards, des insectes taupins
Et des
vers disgracieux, violacés, minuscules.
Néfaste est le climat de ce sol qui gémit
D'où nul ne voit surgir un
défunt assumé,
Étendu de son long, raidi ou consumé,
En sa cendre, en
sa chair, nul germe ne revit.
Durant près de deux mois l'oeuvre fut hiéroglyphe
Jusqu'à ce jour
d'hiver où un maître graphiste
Inscrivit dans le roc nos séjours de
touristes
Terrestres. Je n'avoue que mes deux premiers chiffres.
Au printemps doux et sec j'avais en prairie rase
Fait bouquets de jonquilles, voire de boutons d'or
Et plus tard je choisis rouges coquelicots.
Aussi frustes que nous ces fleurs comblaient nos vases.
Quand sévit l'ouragan je dois vers ma demeure
Acheminer mes pots brisés ou bosselés
Je les restaure et les dispose en mausolée :
Laure redevient reine ; je la chante et la pleure.
J'ai remplacé deux de ces pots par deux pelouses
De fleurs dont j'ai
perdu le nom...Dipladénias ?...
Mais aux pots survivants j'offre des
bégonias,
Deux arbustes veillant l'enclos de mon épouse.
Nous nous retrouverons très bientôt.
Cet automne, II fallut perforer mon crâne de breton
Pour vider un caillot subdural et glouton.
J'ai guéri, semble t-iI, ce qui vraiment m'étonne.