Callac-de-Bretagne

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BULAT-PESTIVIEN

                                                                                                                                                       
De quelque côté que l'on accède au bourg de Bulat, on remarque davantage les collines découpées en pâtures et landes, d'où émergent d'énormes rochers de granit, que les maisons pudiques qui s'étiolent en contrebas des talus. Mais cette terre aride n'est pas déserte, car soudain surgit, à la sortie d'un virage, par-dessus la houle des fougères et des chênes têtards, la moitié de la flèche d'église la plus haute du département. Virevoltante, calculant ses effets, elle accompagne l'esthète tout au long des derniers hectomètres, me laissant peu à peu admirer, désirer. On la découvre bientôt tout entière, jaillissant d'un ample toit, telle d'une robe à crinoline une aristocrate de Winterhalter. Contemporaines, elles le sont, puisque la flèche de Bulat fut érigée en 1866 pour remplacer un dôme détruit par la foudre.

Bulat était alors, et ce depuis le douzième siècle, un lieu de pèlerinage vénéré de tous les Bretons. De Trédrez entre 1280 et 1303, date de son décès, Saint Yves, fut-il rapporté au cours de son procès de canonisation, vint "cent fois et plus" rendre visite aux barons de Pestivien, et grâces à Notre Dame de Bulat. Une chanson populaire du pays de Vannes témoigne également de cette gloire. Une jeune femme nommée Françoise Le Nové avait maudit le marin qui l'avait rendue mère sans l'épouser. Le bateau de celui-ci sombra. L'homme sur le point d'être noyé implora la Vierge :

"Oui j'irai chercher ma grâce à Bulat
A pied, oui, nu-pieds, et la tête nue
Et sur mes genoux si je peux durer.
Oui ! Si je reviens sauf à la maison,
Je t'épouserai, Françoise Nové !"


L’issue du drame varie selon les auteurs. Du fait qu'à l'instant où je le retranscris, le soleil illumine la feuille blanche que mon stylo noircit (je n'ai plus de stylo bleu), j'imagine que la Vierge se montra généreuse et sauva ce marin dont la reconnaissance s'est certainement exprimée par l'offrande d'une des plaques de marbre accrochées en ex-voto sur le pilier droit du chœur  à côté d'une paire de béquilles.

Mais nous n'avons pas encore pénétré dans l'église.  Nous marchons dans
le cimetière à la suite des foules de pèlerins de jadis et d'un célèbre Inspec¬teur des Monuments Historiques dont nous laissons au lecteur le plaisir de deviner le nom. Nous levons les yeux vers l'orgueilleux clocher et la grande verrière du chevet. Déjà se révèle l'extravagante façade Sud, Renaissance, si riche d'emblèmes et sculptures, qu'on ne sait par quel bout la prendre, ce qui amène à songer avec dépit que l'on risque d'y méconnaître nombre d'œuvres d'art, qui s'avèreront, lors de lectures ultérieures, essentielles pour un auteur qu'on jalousera, car il n'y a aucune raison que ce Monsieur ait vu des choses qui vous ont échappé... Ce n'est qu'après quatre visites sup-plémentaires à cette façade que j'ai fini par découvrir où se cache l'éléphant qu'un seul commentateur mentionne. Je ne dévoilerai pas tout de suite son repaire, afin de ne point priver le visiteur des charmes de l'exploration. Un éléphant, en principe, à plus forte raison à Bulat, où ne poussent ni baobabs ni okoumés, se remarque, d'autant qu'il brise ici les os d'un malheureux humain prisonnier de sa trompe.
Du sommet du pignon de l'éléphant, le regard, passant par-dessus un canon de granit installé sur la tour du clocher, gagne le fronton triangulaire de la sacristie ou secrétairerie. Eh bien, Monsieur Fouquet Jehannou, on peut dire que vous aviez de l'imagination, de la volubilité en cet an de grâce 1552 où vous avez construit ce morceau de roi, vingt et un ans après avoir posé la première pierre de l'église ! Que de pilastres, cercles, oves, losanges, cros¬settes, rosaces, boules, candélabres, coquillages ! Une immense coquille couve deux géants barbus armés de pieux, qui furent peut-être des épées avant l'éro-sion. Sous le regard inquiet d'un animal, chien ou lion, qui a peur de tomber de l'étroite corniche où on l'a juché, ils soutiennent un heaume et un blason effacé. Le mur même de la sacristie est percé de cinq fenêtres garnies de gril¬les dont les deux plus grandes sont surmontées de deux coquilles encadrant un incertain animal assis qui, pensivement, se frappe le front.
Aux angles du fronton une gente Dame en corsage bouffant, un noble Messire en justaucorps, qu'on retrouvera ailleurs, s'interpellent. Poursuivant l'enquête on s'aperçoit qu'on a oublié d'examiner le porche. On le garde pour la bonne bouche, on y reviendra tout à l'heure quand sera achevée l'inspec¬tion de cette sacristie anguleuse sur laquelle court un bandeau commencé et terminé par un buste d'homme du 16ème siècle. Sur chacun des contreforts saillants grimace le visage effrayant de l'Ankou, la Mort. Brandissant un tibia en guise de sceptre, braillant de toute sa goule noire comme l'enfer, voici le Spectre Hurleur qui impressionna si fort en 1847 notre Inspecteur des Monuments Historiques de tout à l'heure qui n'était autre - mais c'est bien sûr ! - que Prosper Mérimée égaré en Argoat !... Monsieur Mérimée, je présume ? Comme j'aurais aimé le rencontrer et le questionner sur ses sentiments à propos de nos monuments ! Le Spectre Hurleur est rongé tout à la fois par la mort, le repentir, l'érosion, le lichen. C'est beaucoup. Chaque jour il se décharne un peu plus. Quatre autres squelettes en buste l'accompagnent ; on reconnait aisément celui qui prie, les mains jointes. De même celui qui pleure, et qui serait une femme, voyez son voile. Mais désignez donc, comme l'Abbé Daniel et Sigismond Ropartz vers 1864, celui des deux autres qui chante et "celui qui blasphème, avec un rictus sardonique". C'est que pendant ces cent vingt années, une tête a disparu. Ne demeure que le squelette tête à droite. Chante-t-il ? Blasphème-t-il ? Le visiteur jugera. Restent à interpréter les deux scènes de cette Danse Macabre où un animal, en qui certains disent reconnaitre un singe, d'autre un "cheval à visage humain", emporte, ici un personnage nu, là un enfant sans tête, emmailloté. Le fils d'un Seigneur de Pes¬tivien aurait été enlevé par un singe. La Vierge l'aurait rendu à sa famille qui en reconnaissance bâtit l'église... D'autres exégètes expliquent que le nom de Bulat vient de bugel, enfant, et que si le Seigneur et sa Dame élevèrent l'église en hommage à la Vierge, c'est tout simplement parce qu'elle leur avait donné un enfant. J'ai feuilleté la presse : en Argoat les singes kidnappeurs sont rares. Ceux même qui se sont échappés d'un cirque ne se sont pas montrés malfaisants.

Nous voici devant le porche Ouest au pied de la tour dont le style est inspiré des monuments du Val de Loire et du Vannetais. Surveillé par sa Dame notre Messire est là, coiffé d'un superbe bonnet. Il tient un phylactère orné d'une inscription datée du 29 février 1530. Dans les voussures sont sculptées de nombreuses statuettes représentant les Apôtres, les Évangélistes et quelques personnages ne figurant pas au Gotha, mais que le vent et la pluie ont érodés.
Revenons maintenant et sans plus regarder cet Ankou fort déplaisant (dire que nous avons rendez-vous avec lui ! j'écrirais volontiers pour me décommander), vers le superbe porche Sud que surmonte un haut mur, orné d'armoiries et de divers bas-reliefs. Il constitue l'œuvre la plus originale de la Renaissance bretonne. L'architecte de Guingamp, Jean Le Moal, l'étudia scrupuleusement avant d'établir ses plans de Notre Dame de Bon Secours. On le reconnaît entre mille à sa svelte colonne centrale gravée d'oiseaux picorant les grappes d'une vigne élégamment enroulée et à son tympan ajouré, où la pierre, dessinant de souples ondulations, découpe dans l'espace, à la façon d'une dentelle, quatorze figures : à savoir une bannière losangique, quatre oriflammes triangulaires, deux tulipes non écloses, deux plumes d'oie, quatre feuilles emportées par le vent, une larme. Tout visiteur acquiert en entrant ici le droit de modifier à sa guise cet inventaire à la Prévert.
Visiteurs, attardez-vous sous ce porche ! Sous des dais ouvragés les douze Apôtres de granit, grandeur nature, vous attendent, contrariés parce que leurs costumes sont tachés de vert de gris et parce qu'ils redoutent que vous découvriez l'erreur commise par leur sculpteur. Vous ne voyez pas ? Tant pis, je la dévoile. L'artiste s'est fourvoyé quand il a placé le calice empoisonné dans la main droite de Saint Jean, alors que partout ailleurs, sauf à Saint Servais, celui-ci le tient dans la main gauche. Comment Saint Jean va-t-il pouvoir faire, de cette main droite, le signe de croix destiné à rendre inopérant le venin du serpent ou du griffon contenu dans le calice ?... II va le renverser !

On reconnaît les autres Apôtres à leurs attributs. A droite Thomas et son équerre : André et sa croix en sautoir ; Jacques le Majeur et son bâton de pèlerin ; Jean et son calice ; Paul et son épée ; Pierre et sa clef. A gauche Mathieu tient son évangile ; Simon sa scie ; Jude ou Thadée un livre ; Jacques le Mineur, plus petit que le Majeur, son bâton de foulon ; Philippe a sa croix ; Barthélemy son coutelas... Paul a ici pris la place de Mathias, sans conflit apparent. Mathias n'est pas honoré en Argoat, alors que Jude a son village et son tumulus en Bourbriac. Tous ces Saints voudront bien m'excuser de les avoir, trop familièrement sans doute, nommés par leurs seuls prénoms, mais j'ai ainsi économisé une bonne quinzaine de "Saint", qui pourront m'être utiles plus tard... J'en reviens au porche pour signaler que sur la voûte deux lions supportent le blason des Rohan, et que sur le mur du fond une Vierge à l'Enfant occupe la place du Christ enseignant.
L'intérieur, a priori moins exubérant, comporte une nef à chevet plat, et un bas-côté de cinq travées. Si on l'inventorie méthodiquement on découvre quelques oeuvres intéressantes. Et d'abord l'autel de pierre qui présente en relief toutes les scènes de la Passion. A côté un pilier de granit est décoré de plusieurs Sauvages velus, comme à Loc Envel. La verrière de 1852 représente l'Annonciation, "heure historique de l'Incarnation", et dans des médaillons quelques Saints bretons : Brieuc, Guillaume, Yves, Corentin. Dans le bas-côté gauche un retable, sculpté en 1703 par Yves Corlay père, figure l'apparition du Sacré Cœur à Marguerite-Marie sous le regard de plusieurs chérubins jaillissant d'un décor de verdure et de cornes d'abondance. Quant aux statues, à part sur le pilier penché une Vierge tenant un Enfant à tête d'adulte, elles ont disparu. Couffon en cite onze, dont on ignore le destin, ce qui est tout de même étonnant. A gauche de la nef un gros pilier creux contient un escalier de granit donnant accès à un jubé disparu. Une majestueuse table d'offrandes de cinq mètres de longueur, datée de 1583, recevait autrefois les dons en argent et nature. Reposant sur trois pieds elle est ornée d'une frise Renaissance : cercles, croix, losanges.
A droite au fond de la nef il ne faut pas oublier de contempler la loggia ou tribune de pierre qui fait saillie sur le mur de la sacristie. On la nomme Chambre des Reclus, car deux maçons ayant travaillé à la construction du sanctuaire décidèrent d'y finir leurs jours. Par les étroites ouvertures de cette loggia ils pouvaient assister aux offices. En fait ce privilège était sans doute réservé aux Seigneurs du pays.

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Le jeune paysan vannetais dit "Guénédour"

Il nous reste à saluer le jeune Paysan vannetais ou Gwénédour, oeuvre de Chamaillard, de Rostrenen, en 1850. Il porte le bragou-braz ou pantalon bouffant, un beau gilet à boutons, une veste "mouton blanc", une large ceinture, des guêtres, des sabots. A ses pieds il a déposé son chapeau à guides. Il soutient le lutrin. Invité à parader devant le public de l'Exposition Costumes et Coutumes au Grand Palais - qui le présentait comme finistérien ! - il n'a pas supporté les variations hygrométriques. Son corps et son visage se sont fendus. Les restaurateurs ont mieux réparé sa figure que son torse. Sans doute notre Gwénédour tournera t-il sa langue sept fois dans sa bouche avant d'accepter une autre invitation.

Pour être complet, disons que l'ascension de la tour - cent trente-neuf marches - révélera un immense panorama. La galerie du sommet se situe à quelque trois cents mètres par rapport au niveau de la mer.
Si l'on désire voir la célèbre Vierge en argent, oeuvre de J.B. Buchet, de Rennes, en 1747, il faudra assister au Pardon du second dimanche de Septembre, qui a perdu de sa notoriété, bien que la foire aux chevaux du lundi se maintienne. Cette statue fut enterrée à la Révolution à Kerjulou puis Kernec'h, jusqu'au retour de son exil irlandais du recteur Dom Jean Touboulic. Notre Dame de Bulat a la réputation de protéger enfants et foyers. Le trésor compte également une clochette de bronze, réalisée en 1553 et qui est ornée d'arbustes fleuris et d'animaux : lapins, singe, cigogne, pélican, ainsi que d'amours nus et d'un personnage jouant de la lyre.

Le bourg de Bulat possède trois fontaines très honorées lors des pélerinages de jadis. Dans l'enceinte du cimetière la fontaine de la Vierge était fréquentée par les nourrices ; aujourd'hui par le cresson. En direction de Cal- lac, à gauche, la fontaine du Coq offre un bel appareillage de pierre avec bancs pour les pèlerins tout autour de deux bassins surmontés d'arcades. De l'autre côté de la route, presque invisible, la fontaine des Sept Saints fondateurs des évêchés de Bretagne a perdu beaucoup de son intérêt depuis que les statues ont été "mises à l'abri", Dieu sait où.

Une quatrième fontaine, dite de Saint Nicolas, au Corong, à la sortie du bourg sur la route de Maël-Pestivien, recevait la visite des conscrits, car elle protégeait "les soldats et les imbéciles". Certains professionnels du tourisme estiment que cette dernière catégorie comporte encore un nombre élevé de membres, qu'une campagne de publicité bien orchestrée pourrait conduire à Bulat, ce qui serait tout bénéfice pour le commerce local. Le nom du saint qui la protège n'est pas certain, mais Paul Gruyer rapporte ses litanies autrefois collées sur une planchette suspendue par une ficelle devant sa statue "Grand Saint, patron des Imbéciles, priez pour nous !". Précisons honnêtement qu'étymologiquement Imbécile signifie "qui n'est pas appuyé sur un bâton", donc frêle, faible, sans vigueur, débile.

Au 14ème siècle la famille de Pestivien possédait presque tout le territoire de Bulat-Pestivien et bien d'autres terres dans les communes environnantes. Tristan de Pestivien et deux de ses oncles, Alain de Keraurais, époux de sa tante Typhaine de Pestivien et le frère de ce dernier, Olivier de Keraurais, participèrent au Combat des Trente, dans la lande de Mi-voie entre Josselin et Ploérmel, le 26 Mars 1351. Froissard et le Barzaz Breizh en témoignent, ainsi que le grand tableau du Musée de Quimper où Penguily-L'Haridon reproduit fidèlement les blasons des combattants. Deux ans plus tard le château de Bizien de Pestivien, au village du.Château, tomba aux mains des sbires de l'aventurier anglais Roger David, monstre de cruauté qui régna sur le pays de Pestivien durant plus de dix ans. C'est alors que Duguesclin, aidé de six mille hommes, enleva la forteresse après en avoir vidé l'étang et incendié les portes. Durant la bataille un prêtre pria en permanence sur un rocher depuis lors nommé Roc'h ar Bellec. Grandeur et décadence ! Au village du Château on ne remarque, là où clapotait l'étang, qu'un vaste fossé vide. Du château il ne reste que les pierres réutilisées pour la construction des maisons voisines. La riche histoire de Bulat-Pestivien est excellement contée dans "Miettes d'histoire et de légende" (1971) par son ancien Recteur, l'Abbé Le Tirrand, aussi modeste qu'érudit. Les documents écrits sont rares en Argoat. Le géographe Fournier a toutefois consacré une thèse à la commune. Un autre savant ouvrage traite de la quévaise, impôt spécial à la contrée.
Le même Abbé a publié un opuscule sur la chapelle Sainte Anne Radenek, sise route de Callac. Radenek signifie fougère. Edifiée de 1767 à 1770 à la suite de la découverte d'une statuette de Sainte Anne par une jeune bergère, elle se dresse sur un petit placître comportant une croix où le corps du Christ est projeté en avant. L'entoure un mur reconstruit il y a une vingtaine d'années en respectant la disposition primitive des pierres. On y voit des statues de Sainte Anne et Saint Joachim, et trois tableaux représentant la Nativité de la Vierge, la Présentation de la Vierge au temple, Sainte Anne éducatrice. La fontaine, qui ne fut jamais importante a disparu. Le pardon est célébré le premier dimanche d'Août.

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L'histoire de la chapelle Saint Blaise de Pestivien est encore plus marquante car son enclos longtemps planté d'ormes qu'on a dû abattre pour cause de maladie, possède un riche calvaire, malheureusement mutilé par des vandales. On pourra contempler sur la croix un Christ maigre et majestueux, qui regarde vers l'Est ce qui est assez inhabituel ; deux larrons plus petits arc-boutés les jambes pliées sur le fût ; quatre anges et une Piéta, entourée de Saint Jean et Marie Madeleine. Sur le socle, la face Est présente le baptême de Jésus, agenouillé et priant, vêtu d'un simple pagne. Saint Jean a disparu. De l'ange qui tenait pliée sur le bras la robe du Christ ne subsistent que les pieds. Sur la face Sud le Christ montre ses plaies près de Saint Blaise évêque. Sur la face Nord un grand personnage porte une tête qui n'est pas la sienne, auprès de Saint Yves et du Riche, le Pauvre ayant été volé, ce qui est assez paradoxal... L'oeuvre la plus poignante est la Mise au Tombeau, similaire à celle de Lanrivain, ses personnages étant toutefois moins rigides, plus humains. On reconnaît Joseph d'Arimathie qui détint le Graal, Nicodème, tous deux gigantesques. Saint Jean soutient la Vierge muette et som-bre, vue de trois quarts devant le Christ dont la tête repose sur un coussin. Marie-Madeleine est à droite près d'un orant aux mains jointes, mais décapité.

La chapelle Saint Blaise comportait un superbe groupe sculpté de Sainte Anne et la Vierge qu'un auteur ancien décrit ainsi : "Marie, d'une extrême gracilité, suit du doigt sur la page. Anne étirée elle-même en de longs voiles penche doucement la tête vers elle". Hélas, ce groupe a disparu. Il ne reste qu'un tableau de 1829 de Sainte Barbe et quelques statues : remarquable Piéta fendue et soutenue par quatre tours de ficelle, Saints Blaise, Pierre, Nicodème tenant la couronne d'épines, Sainte Anne. Un enfeu abrite les sépultures des Seigneurs de Bodillio. Deux pardons célèbrent Saint Blaise : le pardon du beurre le dimanche de la Trinité, le pardon du Coq le premier dimanche de Février, identique à celui décrit en Coadout. Seul le second est désormais célébré. Une fontaine de pierres gît à cent mètres dans un marécage, en grande partie cachée par le carex. On remarque également l'ancien presbytère de 1708 précédé d'un beau portail. Le nom du village tout proche, Pors an Goff, indique qu'un forgeron y travaillait. On y trouvait aussi le loch plouz, auberge et bureau de tabac. Mais Pestivien, dont le nom fut connu de toute la Bretagne, n'est plus qu'un hameau déserté.
La campagne accidentée et boisée de Bulat est splendide. Ce ne sont que vallées profondes où serpente un ruisseau scintillant, entre d'arides collines rondes encombrées de rochers. Ainsi la vallée du ruisseau de Pont Min, ou Pont Menez, mérite d'être parcourue à pied depuis le chemin qui relie Guérizouarn et Trefflay en Saint Servais à la route Bulat-Burthulet, en passant par le moulin de Pen Nech, les abords de Crec'h-an-Bleiz, puis de Guivoas, soit trois kilomètres au moins. De même la vallée du ruisseau de Bodélio ; en un parcours de quatre kilomètres on rencontrera tout d'abord le superbe étang de Bodélio entouré de bois. Dans son manoir vivait jadis une Dame dont les douze fils étaient d'impénitents "dragueurs". Fort prudemment la Dame prévenait ses fermières : "Bonnes femmes, mes coqs sont aux champs, prenez garde à vos poulettes". Passé le village de Kerluff on se fait reprendre en voiture entre Kernaléguen et Goasker, après avoir vu l'étang envasé et les vestiges du Moulin de Coatgourden, lieu-dit qui a donné son nom à la famille de Roland de Coatgourden, sénéchal de Charles de Blois que nous rencontrerons à Guingamp, et à Pierre de Coatgourden, écuyer de la Duchesse Anne, sénéchal universel, ambassadeur en Angleterre en 1489. Quand, promeneur ou pêcheur, on erre solitaire dans cette vallée tourbeuse où l'on ne rencontre que corbeaux et geais, humble pont de pierre et vétuste roue de moulin, on a quelque peine à imaginer qu'un Ambassadeur médiéval marche à vos côtés. L'imagination est plus vive quand on escalade un belvédère, telles les collines de Quinquiscren, Coat Clay, Keravel, Kernec'h parmi les ajoncs, les genêts et la bruyère.

Une autre gloire de Bulat est le fameux Jérome Gaudu, chef d'une bande de voleurs de grands chemins. Né en 1794 au village de Coz Caraès, il consacra son existence au vol des chevaux et des bourses des paysans de la contrée, à l'exception de ses compatriotes de Bulat-Pestivien. Nous le retrouverons aux Gorges du Corong. Il mourut octogénaire en 1875. Personne n'a encore découvert le trésor qu'il aurait caché dans le mur de l'enclos de Pestivien
D'autres petites merveilles attendent le visiteur de Bulat : le tumulus de Kerjullou, la croix de Stanqué juchée sur un rocher, celle qui se penche à l'entrée de Coz Caraes, où vit encore un lutin coiffé d'un béret basque (il a probablement voyagé) les hêtres de Kernanvel ; le chêne de Tronjoly dont le tronc creux mesurant douze mètres de circonférence abrita en 1750 le lit, la table et la bibliothèque d'un "prédicateur de talent", Dom José Le Graêt. J'imagine que si ce chêne s'obstine à demeurer en vie, c'est qu'il aime à entendre, filtrant de la maison voisine, les poétiques airs de musique celtique interprétés à la harpe par Anne Auffret, également cantatrice et chanteuse d'airs du folklore en compagnie de Jean François Quéméner.
Lorsqu'on pose la plume au terme d'une description de Bulat-Pestivien, ce fleuron de l'Argoat, on a le sentiment que l'on n'a pas tout dit, que l'on a sûrement oublié de citer un autre site, un autre monument, et que l'on n'a pas su trouver les qualificatifs qui permettraient de restituer les images, les sons et les parfums de ce haut pays...


Dr Edmond Rébillé- L'ARGOAT AUTOUR DE GUINGAMP. - 1989- Imp. Henry, Pédenec (22)

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Joseph Lohou (mai 2012)
                                                          

 

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