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MAËL-PESTIVIEN
Sur la route de Lanrivain, au bourg de Maël-Pestivien, une pancarte
signale les "Pierres Celtiques" de Menez Lan (qui se trouvent en
Peumerit-Quintin). Quand l'Administration l'installa je vis en ce
libellé une erreur, car si certains de nos entassements rocheux sont
exceptionnels, c'est par la volonté de la Nature et des Dieux, non de
l'Homme, fût-il Celte, c'est-à-dire... supérieur. A la réflexion je
renonçai à protester auprès de Monsieur Qui de Droit, dont j'ignore
d'ailleurs l'adresse, une longue contemplation des blocs erratiques et
chaos de la contrée m'ayant conduit à la certitude que seuls les Dieux
celtiques peuvent les avoir ainsi dispersés ou amoncelés. On connaît
nial les Dieux armoricains d'avant l'invasion romaine. On les dit
identiques à ceux des Gaulois : Bélénos, Epona, Sucellus, le Dieu au
Maillet. etc. Pourtant ni la statue de déité des jardins de l'abbaye de
Daoulas, ni la Déesse à la lyre découverte tout récemment à Paule n'ont
pu être identifiées. Je suis convaincu que nos ancêtres ne manquaient
pas d'imagination et qu'ils s'étaient inventé des dieux spécifiques,
qui n'appartiennent qu'à nous, leurs héritiers (spirituels). Des dieux
anonymes, par discrétion.
La Chaire des Druides de Kerohou fut à l'évidence un lieu sacré, où les
vaillantes populations laborieuses du Maël-Pestivien d'il y a trois
mille ans rendaient un culte à leurs dieux. Quel site étrange ! Sur une
colline ronde, haute de vingt mètres, large de cent, plantée de hêtres
magnifiques, de chênes, de châtaigniers, gît une centaine d'énormes
rochers de granit, parfois entassés avec des surplombs créant une
caverne, parfois confrontés en falaises entre lesquelles un homme se
glisse difficilement. Au sommet, telle de ces roches branle sous la
poussée adéquate d'un enfant arc-bouté. Telle autre brandit, ainsi que
le poing d'un page, un arbre flambeau dont les racines tentaculaires
s'agrippent à sa peau rugueuse. Une mystérieuse Pierre du Soleil (Ar
Men Sul) qui ressemble à un menhir, dans le champ voisin, passe pour
être prise d'une frénétique envie de danser à midi sonnant le 25
décembre et le 24 juin (Saint Jean). Ces jours-là, les voisins sont si
occupés que personne n'a pu vérifier les faits. Une quatrième roche, la
plus inquiétante, dite Pierre des Sacrifices, est creusée de la triple
et profonde empreinte du corps d'un supplicié, à savoir les
emplacements de sa tête, de ses jambes. On pressent que le bourreau
n'est pas loin : cet éclair qui soudain brille entre les feuillages ne
peut être que la lame de son poignard. Méfiance !
Actuellement, et pour des raisons qu'ils n'ont pas dévoilées, les Dieux
ne sont pas satisfaits du comportement des Bretons. Le 15 Octobre 1987,
ils ont abattu sur les rochers de la Chaire des Druides la moitié des
arbres. Quinze mois plus tard ceux-ci entremêlent toujours leurs
branches mortes, ainsi que cadavres et baïonnettes sur un champ de
bataille. La catastrophe était prévisible : les croassements répétés de
plusieurs couples de corbeaux freux installés sur le site
l'annonçaient. Mais personne ne l'a compris. Les arbres seront-ils
tronçonnés, les pentes déblayées ? La Société scientifique gestionnaire
des lieux s'y emploie.
Au pied de la colline le Manoir de Kerohou appartenait jadis à la
famille briochine du poète Mathias-Auguste Villiers de l'Isle Adam
(1838-1889). La pierre tombale de son grand-père, "Commandant
d'Artillerie", dilettante surnommé Lilly, est dressée contre le porche
de l'église, non loin d'un cadran solaire de 1688 qui ne lui est plus
utile. Sept Villiers, dont l'oncle et le père de l'écrivain, naquirent
à Kerohou. Le père de Villiers fut un illuminé qui dilapida ce qui
demeurait de la fortune de ses ancêtres dans la recherche vaine de
trésors sous les rochers de la Chaire des Druides et d'ailleurs.
L'atmosphère trouble qui baigna la jeunesse du poète influença sans
aucun doute sa psychologie et son comportement. Il se disait vingt-deux
fois Comte et voulut être reconnu Roi de Grèce, composa des vers
romantiques, des contes insolites, des drames sinistres, où s'expriment
un désir forcené d'absolu et le mépris de la bassesse quotidienne. Pour
ne pas perdre la sérénité mieux vaut être accompagnée quand on visite
la Chaire des Druides : le prosaïsme de la conversation interdit en
effet toute velléité de méditation transcendantale, mais au fond de soi
on sait bien que seuls les poètes détiennent la vérité.
A quelques centaines de mètres au Sud, près de Kerrolland, où Jean-Paul
Rolland est toujours disposé à guider bénévolement les visiteurs,
s'élèvent dans un champ dit Roch Toul, un dolmen et une stèle
armoricaine. Plus à l'Ouest le village de Kermorvan eut aussi son
dolmen, qu'habitait la mauvaise fée Groach... Fée et dolmen ont disparu
en 1890. Sept ans plus tôt furent découverts dans la tourbière de Guern
an Floch, près de la route Maël-Kérien, un gros lingot de cuivre et
surtout un très bel anneau-disque d'or, plié en quatre et maintenu par
un crochet d'or, que l'on peut admirer au Musée de Saint Germain en
Laye, car de même que les lunules de Bourbriac il nous a été enlevé. On
voit dans cette offrande votive un symbole de l'Age du bronze moyen
(800 avant J.-C.). Flânant par monts et par vaux on garde le sentiment
qu'une commune aussi vouée au merveilleux que Maël-Pestivien n'a pas
livré tous ses trésors. Le nom même de Maël signifierait prince ou
chef. Il est probable que d'autres sépultures anciennes nous demeurent
inconnues A coup sûr intrigués par cet environnement, les Romains
séjournèrent à Maël-Pestivien : on y a découvert des monnaies de Julius
Népos. La contrée demeura longtemps isolée et sauvage, ce qui
facilitait les coups de main des bandes armées. Ainsi le château de
Kerauffret fut-il en 1596 tour à tour occupé par les soldats du Roi,
les Ligueurs, des mercenaires espagnols. En 1675, les Bonnets Rouges
pillèrent la maison du débitant de vin du bourg et sans doute aussi son
entrepôt. En Octobre 1803, venant de Guernesey, l'«irréductible» J.P.E.
Le Peige-Dorsenne, dit De Bar, avocat, commandant Chouan des régions de
Rostrenen, Carhaix, Gourin, Le Faouët, homme de confiance de Cadoudal,
fut accueilli à Kerauffret, désormais étiqueté Manoir, par le Maire
L'Hostis de Kerhor qui, ainsi que le notaire callacois Even, et le
grand-père de Villiers, fut mis par lui, à l'issue d'un bon repas, au
courant des projets des insurgés. De Bar partir pour Maël-Carhaix. De
Kerhor, arrêté, eut la chance de n'être point inculpé...
Durant la dernière guerre la Résistance s'est évidemment manifestée à
Maël-Pestivien, où le recensement en vue du STO (Service du Travail
Obligatoire) fut boycotté. Un parachutage eut lieu le 13 Mars 1944. Le
16 Mai vingt-trois habitants de la commune, plus une vingtaine de
voisins, furent arrêtés par les Allemands qui incendièrent trois
maisons.
De nos jours le grand manoir de Kerauffret, témoin depuis sa
construction, au 16ème siècle, d'événements dramatiques est
devenu un paisible gîte d'étape fréquenté par les randonneurs
pédestres, cyclistes, équestres, voire motorisés. Des
journées-découverte y sont organisées. L'animateur Hubert Forget
apprend aux touristes à cuire pain et gâteaux dans un four ancien,
ainsi qu'à découvrir la contrée.
L'église du bourg mérite une visite attentive, car elle possède
plusieurs belles statues anciennes (Vierge à l'Enfant, Saint Laurent et
son gril, Sainte Anne apprenant à lire à la Vierge, Christ en gloire)
et aussi une superbe verrière du 16ème siècle, sur laquelle sont
représentés les donateurs Jehan de Coatgourden et son épouse Jehanne du
Vieux-Chastel. La devise familiale de cette dernière m'a toujours ravi
par sa simplicité et son humilité : "En toute saison, il faut prendre
conseil". Voilà qui est fort sage... Sous le porche Sud on admirera,
outre un tronc d'offrandes, une Piéta polychrome où la Vierge porte un
voile doré, et les panneaux d'un ancien jubé du 16ème siècle
représentant les douze Apôtres, moins un, disparu, et que j'ai oublié
d'identifier. L'originalité de ces bas-reliefs est que le sculpteur a
tenté d'y rendre la perspective par les lignes fuyantes du socle, des
dais et des montants des niches. Il s'est aussi évertué à suggérer le
mouvement : on voit les Apôtres marcher, jambes croisées, d'un pas
décidé, vers les tâches sacrées qui leur incombent. Cette ambition d'un
modeste sculpteur breton du 16ème siècle ne laisse pas d'être
émouvante, car elle remet en mémoire les essais similaires, un siècle
plus tôt, du toscan Paolo Ucello, si préoccupé par ses recherches qu'il
réveillait sa femme la nuit pour lui susurrer : "Quelle belle chose que
la perspective !"... Le sculpteur anonyme des Apôtres de
Maël-Pestivien, qui probablement ne quitta jamais sa province, est
l'Ucello de l'Argoat.
Sur le placître actuellement aménagé à la place du cimetière désaffecté
se dresse une haute croix de l'atelier lannionais Hernot, que j'ai
retrouvée avec surprise et fierté parmi les clichés d'un agenda breton.
Le photographe Bernard Henry l'a fixée de profil, quelques pas à
l'arrière gauche, conservant volontairement dans son champ fils
électriques et antennes de télévision. Eh bien, vu sous cet angle, sur
fond de ciel sombre, ce noir Christ solitaire, vers qui personne ne
lève les yeux, de ses deux bras tendus, m'a paru faire le V de la
Victoire. J'ai longuement ressassé cette impression et ne l'ai point
jugée choquante.
Il est vrai que ce Christ demeure honoré dans trois chapelles de
Maël-Pestivien. Sur la route de Callac, à l'Église Blanche, la chapelle
Saint Isidore s'ouvre par un porche Renaissance, mais sa nef où, en
1730, fut inhumé "en odeur de sainteté" le frère Yves Auffret, est
presque vide, alors que la fontaine à deux bassins et deux niches
décorées de trois visages, dont celui d'un angelot, a été restaurée en
1988.
Sur la route de Lanrivain, à Coatmaël, la chapelle Saint Gildas
conserve plusieurs statues et un tronc d'offrandes, en pierre, datant
de 1672, dont le clapet métallique a été, récemment et
malencontreusement, badigeonné d'un vert sombre qui l'étouffe, alors
que la patine de sa rouille précédente chantait merveilleusement sous
le soleil.
Sur la route de Guingamp, avant la vieille croix de Kerred, la chapelle
de la Croix Saint Pierre, sommairement restaurée, vit à nouveau.
Personne n'éprouve l'envie de quitter Maël-Pestivien. S'il faut trouver
des raisons d'y flâner encore, allons explorer la vallée des Renards à
Kerauten ou prenons à Kerbalen la route qui rejoint les rives
bucoliques de l'étang du Blavet, situé en Kérien. Au loin un héron
s'affaire. Un martin-pêcheur bleu joue à faire ployer la branche qui le
supporte. En aval, dans les prairies humides envahies au printemps de
jonquilles, on rencontre des bécassines, de hautes tiges de massettes
et de roseaux tremblotants, des pierres antiques délimitant des biefs
abandonnés rejoignant les Moulins de Crech Bley et du Neiou. Certains
promeneurs attentifs disent avoir aperçu les fantômes des Princes aux
torques d'or.
François Ménez raconte qu'en 1920 à Maël-Pestivien, de même qu'à Kérien
et Lanrivain, on croyait ferme aux lutins, aux korrigans et aux
sorciers. A la stupéfaction de leurs concitoyens plusieurs pauvres
riboterez (ou riboteuses) parvenaient à tirer dix litres de beurre d'un
ribot où il ne restait qu'une écuellée de lait, alors que leurs riches
voisines n'extrayaient qu'une quantité infime de beurre de grands seaux
de lait. C'est qu'elles avaient le pouvoir de voler le beurre à
distance, pouvoir qu'elles renouvelaient chaque année en se rendant en
chemise le ler Mai au lever du soleil, dans un champ à trois coins
appartenant au voisin qu'elles désiraient dépouiller, afin d'y cueillir
la rosée sur les herbes. Une des victimes, nommée Born Maël (le borgne
de Maël) se plaignit au père du Maire de Lanrivain, M. Savéant, qui
demanda au Curé Pasco de dire des messes afin de conjurer ces
pratiques. Il faut croire que le succès fut obtenu car actuellement à
Maël personne ne se plaint de vol incompréhensible de lait…
Dr Edmond Rébillé. "L'Argoat secret autour de Guingamp" - 2ème trimestre 1989-Imp. Henry, Pédernec.
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