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Les Racines et la
Terre.
J'AI DÉNICHÉ un coin
de France où l'on appelle encore les Allemands, les «doryphores
». L'image
de ces insectes dévoreurs des fanes de pommes de
terre était particulièrement hilarante pendant la Seconde
Guerre mondiale où leur carapace verdâtre évoquait le
casque allemand aussi bien
que l'uniforme «vert
-de-gris ».
La métaphore se trouvait surmotîvée par la pénurie alimentaire ;
« Ils nous mangent tout ! », et la réputation
de l'occupant d'adorer les pommes de !erre...
L'appellation narquoise est restée dans une toute petite
commune située aux confins de la Haute Corrèze qui ne comporte
aujourd'hui que trente-six habitants, dont une douzaine de ressortissants
belges. Sur ce territoire archaïque, couvert de pâturages
et de forêts, quelques habitations avaient encore des sols
en terre battue il y a trente ans - me dit-on - et la volaille vivait
dans la cuisine en aimable communauté avec les propriétaires.
Le progrès dans cette région du Limousin fut foudroyant- il
semble que l'exode rural aussi, On n'y voit que des bourgs
solidement bâtis
aux maisons closes - je veux dire abandonnées, silencieuses dans
leur granit gris, leurs fenêtres éteintes et leurs
portails jetés aux orties.
La transformation s'est opérée très vite :
il y a moins
de vingt-ans, le conseil municipal de L'Église-au-Bois
tenait encore ses séances en occitan. Aujourd'hui, la
langue millénaire s'est effacée, et l'on ne m'ôtera
pas l'idée que là disparition de la langue dépositaire de l'identité est liée à cette désertification
soudaine dans un pays par ailleurs assez riche.
Exemple, la petite ville de Bugeat dans les Monédières possède
trois débits de boissons : l’un
est tenu par
un Breton, le second
par un Irlandais, le
troisième, par un Parisien
qui vient d'accomplir un retour à la nature.
Les jeunes autochtones sont allés en ville; parler banlieue
dans l'argot des cités : Que sera-ce lorsque l'anglais
sera devenu la langue dominante en
France et en Europe?
Y a-t-on songé?
Claude
Duneton. (septembre
2010)