Callac-de-Bretagne

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Une Querelle Indigne

Louis Ferdinand CÉLINE a tout fait de son vivant pour être un mort infréquentable – Je parle de l’homme, pas de l’œuvre. Je crois qu’il serait aux anges d’avoir été refusé au Panthéon de 2011 des écrivains à célébrer. On entend d’ici la diatribe du pamphlétaire ! Il faut dire que son cas s’est notablement aggravé depuis sa disparition en 1961 ; j’en suis témoin, moi qui ai monté une adaptation des Beaux Draps dès l’automne de 1970, dans une petite librairie-théâtre à la mode d’alors. La surprise causée par la langue célinienne, le plaisir de cette oralité contrôlée ( si bien mise en valeur plus tard par Fabrice Luchini) avaient été vifs neuf ans après la disparition de l'auteur. Il n'y avait eu aucun remous passionnel, juste le plaisir d'un texte pimpant que l'on découvrait.
 

Dix ans plus tard, j'ai créé, à la télévision, avec mon feu cher complice Gérad Follin, une adaptation très fantaisiste et nous avions faite de Nord. Succès de l'émission et pas le moindre murmure d’en haut ou d’en bas pour cet Appelez-moi Ferdinand, tendre, bougon et plutôt rieur.

Aussi ma surprise fut grande, quatorze ans plus tard, lorsque je voulus mêler ma voix fluette à ce que j'imaginais être les célébrations du centenaire de Céline, en 1994. Je proposais une petite bluette ayant pour titre Bal à Korsor (Chez Grasset), par laquelle je saluais le génie de l'ermite de Meudon et les grandes vertus de sa veuve, la délicate Lucette Almanzor. Mais de célébration, il n'y en avait guère – Non, non ! Je me trompais d’époque... On me fit sentir que Céline était devenu malsain, un odieux saltimbanque à fuir de toute urgence... Que s’était-il passé ? Eh bien des pamphlets antisémites dont lui-même avait interdit la réédition étaient revenu à la surface - on ne voyait plus à présent que ces diatribes datées. L'auteur de livres majeurs disparaissaient et derrière celui de textes haineux. Les choses n'ont pas changé depuis, et le ministre a agi sagement, je crois, en coupant court très vite à une querelle qui s'annonçait indigne à la fois des victimes des nazis et des défenseurs de Céline.

D'ailleurs, cinquante ans c’est trop court pour faire rentrer les personnalités exceptionnelles dans des cadres. Si l'on avait voulu célébrer officiellement Voltaire en 1828, on se serait heurté à de belles criailleries. Quel tollé ! quelle révolte !...

 Au demeurant, les restes de Voltaire, contrairement à ce qu'on croit, ne seraient même pas au Panthéon... Ce sont d'autres os que les siens qui ont pris sa place. Chut ! Je raconterai cette histoire une autre fois…

Claude DUNETON
(Le Figaro 27 janv. 2011)









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