Claude
QUENECHDU
Un
personnage hors du commun oublié de l'histoire
Il est d'usage de citer la société bretonne de la fin du
XVIIIe siècle comme «une société à acculturation
faible à l'écrit où l'alphabétisation est
retardataire...».
Ce jugement doit être nuancé par quelques exceptions
notoires et c'est ce qui m'a incité à
publier deux lettres, écrites dans des circonstances
exceptionnelles, par le citoyen Claude. Quénechdu,
cultivateur à Callac en 1811.
Claude
Quénechdu naît au bourg de Plusquellec le 7 mars
1769. Ses parents, Claude Quénechdu et Jeanne Thomas,
font partie des paysans aisés de la paroisse. La famille
compte quelques prêtres de bonne renommée: le vieil
oncle Pierre Quénechdu signe les registres paroissiaux
pendant plus de soixante ans, de 1660 à 1720 - un record
de longévité -, et un autre Pierre Quénechdu dit «le
Jeune», desservant la paroisse, meurt à 41 ans en 1708.
Du côté maternel, sa grand-mère Françoise Guézennec
a, dans sa lignée, trois oncles prêtres avant 1700:
Jean, Jacques et Jérôme Guézennec.
Sur
les recommandations de Guillaume René Armand Floyd,
recteur de Plusquellec, il rejoint vers 1781 ou 1782 le
collège de Quimper(2).
Celui-ci, de grande réputation, n'est
plus tenu par les jésuites depuis leur interdiction
d'enseigner par le Parlement en 1762. Il se trouve en
classe de rhétorique dans l'année 1788, comme il le dira
plus tard dans sa lettre. Cette formation n'est pas
exceptionnelle à l'époque, il ne fait que suivre, à
quelques années d'intervalle, son petit cousin de douze
ans son aîné, François Abgral1. Celui-ci, fils de
Charles Abgrall et de Jacquette Quénechdu, également né
à Plusquellec, en 1757, est déjà avocat à Quimper; il
sera élu député du Finistère au conseil des
Cinq-Cents, le premier prairial de l'An VII,
totalement ignoré de sa paroisse.
Claude
Quénechdu rentre à Plusquellec en 1789, ses études
terminées. En avril 1790, nous le retrouvons greffier, il
rédige la liste des citoyens actifs de la municipalité
de Plusquellec pour la formation du département. Au mois
de juin 1791, lorsque les rumeurs de guerre commencent à
circuler après la fuite du roi Louis XVI à Varennes, la
Constituante décide que des bataillons de «volontaires»
seraient formés avec des hommes tirés au sort parmi les
Gardes nationaux. Claude Quénechdu, accompagné de
Nicolas (?)Yves Marie Guyot de Callac et d'Yves
Marie Brossard de Duault, est affecté sous le n° 128 le
18 septembre 1791 au 4e bataillon de la Garde nationale3.
Ils rejoignent Rostrenen, puis le bataillon est formé à
Saint-Brieuc.
Sceau
du 4e bataillon des Volontaires des Côtes du Nord
(3)
Claude
est un jeune homme d'une belle prestance, d'une taille supérieure
à la moyenne, il mesure 5 pieds, 4 pouces et 6 lignes,
soit 1 mètre 76 environ (4).
Sur 169 bataillons, 60 seulement peuvent être organisés,
ces troupes médiocres élisaient leurs cadres et étaient
distinctes de l'armée de ligne et portaient un uniforme
différent. Claude Quénechdu se retrouve ainsi élu par
ses pairs, capitaine de la se compagnie du 4e bataillon
des Volontaires des Côtes-du- Nord.
Notre capitaine est toujours sous les armes lorsque la Législative
déclare le Il juillet 1792 «la Patrie en danger» et
ordonne la levée de 50 000 hommes nouveaux
de la Garde Nationale.
Soldat de l'AnII
Ces «volontaires» de l'An 1 ne furent pas non
plus incorporés à l'armée de ligne. La loi les
autorisait à quitter les armées au premier décembre de
chaque année, beaucoup rentrèrent dans leur foyer dès
la fin de 1792.
Claude Quénechdu dut en profiter car les gendarmes de
Callac durent se rendre à Plusquellec le 20 octobre 1793
afin de porter une réquisition aux citoyens Claude Quénechdu
de Kerdiriou, Corentin Beaudoin de Lestrédiec et Mathieu
Le Bourhis de Hellaouet avec ordre de se rendre à Callac,
puis de se diriger sur Corlay et Rostrenen.
Il reste au 4e bataillon de 1792 à Thermidor de l'An IV
(fin juillet 1796), date à laquelle il fut démissionné
par le général Hoche en tant que lieutenant-colonel,
mais nous n'en connaissons pas la raison. Ces bataillons
de volontaires ont laissé peu d'archives et il est
difficile de suivre les pérégrinations de Claude pendant
ces quatre années. D'après les généraux sous lesquels
il sert, nous pouvons le suivre dans l'armée de l'Ouest
avec laquelle il combat à Nantes, Torfou et Pontorson
contre les Vendéens.
Claude
Quénechdu revient donc à Plusquellec vers la fin de
juillet 1796 sous le Directoire et au cours de la
Constitution de l'An III. Il a maintenant 27 ans révolus
et convole en justes noces à Callac, le 3 Fructidor An V
(21 août 1797) avec Anne- Marie Yvonne Huitorel et vient
s'établir au village de Restellou Tanguy. Il fait
profession de cultivateur. Comme citoyen de Callac, il est
sollicité par la nouvelle administration de 1798 pour
remplir les fonctions
d'agent de la commune.Nous le
retrouvons en 1803 à la municipalité de Callac. Il est
électeur au collège d'arrondissement
aux élections de l'An XI et est mentionné comme
militaire, agent et adjoint municipal, marié avec trois
enfants. Ses revenus annuels sont évalués à 30.000
francs. Peu après, ses états de service lui font obtenir
un poste de receveur de contributions directes, poste plus
qu 'honorifique qui lui fait franchir une autre étape
dans l'échelle sociale. Lors de la vente des biens
nationaux, il représente la municipalité au cours de la
vente du convenant du manoir de Kernormand à Yves
Guillaume Gouranton, tenancier du lieu.
Mais
Claude avait-il pris quelques mauvais penchants aux armées
ou des déboires conjugaux l'avaient-il poussé à la
boisson? Nul ne le sait, mais son comportement apparaît
de plus en plus anormal au cours de l'année 1810. Les
crises d'éthylisme alternent avec des accès de démence
aigus. A Saint-Brieuc, début décembre 1810, on le
retrouve parcourant les rues dans le plus simple appareil,
Il est enfermé à la maison d'arrêt et libéré le 10
janvier 1811, après qu'il ait retrouvé la raison(8).
Rentré à Callac, il rechute peu après et est accusé de
menaces de mort et de tentative d'incendie envers son
beau-frère Huitorel. Avec une hache, il se porte au
domicile de celui-ci à Restellou, il jure de lui donner
la mort et dans un de ses accès, il casse porte et fenêtres.
Averti par les voisins proches, le maire de Callac, Jérôme-Alexandre
Guiot(9) demande au chef de la gendarmerie de se rendre maître
du forcené et de le conduire, en prime abord, à la
maison d'arrêt (10); puis le lendemain 25 janvier 1811,
Claude Quénechdu est transféré à la prison de Guingamp
où il demeure jusqu'à la fin du mois d'août de la même
année.
Mais
laissons maintenant le soin à Claude de nous faire part,
dans sa première lettre, de son malheur et de tenter
ainsi d'atténuer la triste impression laissée par son
attitude précédente.
Comme
le dit si bien M. Le Gorrec, secrétaire général de la
préfecture, dans une lettre adressée au ministre de la
Justice le 13 septembre 1811: «Un homme dans la force de
l'âge, ayant un excellent fonds d'éducation et
d'instruction et joignant à cet avantage celui
d'appartenir à une famille honnête...»
Première
lettre (11)
«Éclairer
une faction, c'est la vaincre.» «Monseigneur, son
excellence le Ministre de la Justice,
«C'est
un père de famille, c'est encore un malheureux patriote
qui jadis a eu l'honneur de bien mériter de la patrie et
de ses infortunés camarades, c'est un capitaine de l'armée
de l'Ouest, qui ose recourir à la source même de la
justice de Sa Majesté Impériale contre l'oppression de
ses ennemis.
Ais-je assez souffert, ais-je assez comprimé une juste récrimination?
Il y a cinq mois que privé de mes enfants, je traîne
dans la prison ma pénible existence. Une ligue s'est formée
contre moi: cette ligue existe à Callac, commune de mon
habitation; elle se compose d'individus vingt fois plus
criminel que le malheureux Even (12). Elle a tout corrompu
autour de moi, mes domestiques, mes voisins, mon épouse.
J'ai vécu environné de mille pièges, de mille ennemis;
j'ai depuis trois ans souffert mille morts par des
tortures réelles et par des calomnies...
Enfin, le 23 janvier dans la nuit, une nouvelle mine
pratiquée pour ma perte fut jugée mûre pour
l'explosion.
Ma femme et ma servante avaient de nuit déserté mes
quatre enfants couchés au lit. En rentrant chez moi à 9
h 30, j'ai la douleur de voir mon ménage ainsi abandonné.
J'étais encore percepteur. Je trouve le cas
extraordinaire, j'interroge ma fille âgée de douze ans,
elle ne savait point ce que sa mère et la servante étaient
devenues.
Je crus devoir aller les chercher, je m'adresse en les
cherchant dans le village, chez la sœur de ma femme où
je soupçonne qu'elles étaient. Le maître du logis, mon
ennemi public et mon assassin, refuse d'ouvrir. Ce refus
à ma juste demande suffit dans la circonstance pour
exciter ma colère, mon indignation. Je donne dans la fenêtre
et je brise d'un coup de bâton plusieurs carreaux à
vitres.
Après cette triste vengeance de l'affront que je recevais
et à l'injustice du perfide receleur, je rentrais chez
moi, me renfermant avec mes enfants dans l'asile sacré.
J'eus la bonté de laisser la porte ouverte, c'est-à-dire
non barrée, croyant que les femmes eussent rentré; vaine
attente, je couchais seul avec mon fils et n'eus pas même
l'avantage de revoir le lendemain madame mon épouse.
J'eus lieu de croire qu'elle était allée avec son
beau-frère délibérer avec le maire de Callac. Environ
les quatre heures de l'après-midi du 24 janvier, je vis,
non sans quelques surprises, entrer dans ma maison deux
gendarmes. Ils déclarèrent qu'ils étaient venus m'arrêter;
requis de me faire connaître par ordre de qui, ils firent
quelques difficultés de le faire connaître; enfin ils
exhibèrent un ordre signé Guiot, maire, et au même
moment, l'un d'eux nommé Delvallée m'assomme à coup de
crosse de fusil et me repousse de cette manière atroce
hors de ma maison. Il y a témoins suffisants de ce fait:
les nommés Jacques Le Coz et Toussaint Le Goff, l'aînée
et la troisième de mes filles étaient présents. Les
deux gendarmes m'emmenèrent sans résistance à Callac où
ils me tinrent dans une chambre de la caserne, les
menottes aux mains. Le lendemain 25 janvier, ils m'emmenèrent
à Guingamp, la chaîne par le corps et attaché à mon
cheval comme le plus scélérat de tous les hommes.
Incarcéré à Guingamp, je patientais durant huit jours,
sans recevoir nulle consolation du dehors, à la seule
exception que j'avais été interrogé. Au bout de huit
jours, la fièvre ou l'indignation me prit. J'accusais les
autorités de Guingamp d'injustice et de complicité avec
les chouans de Callac. Je déchirais mes vêtements en
invoquant la justice du ciel et celle de l'Empereur, de
Bonaparte, le plus grand
des héros que la vertu ait suscité d'entre les mortels.
Les complices des Barr(13), des sans-souins (?), des
Georges(14)... ont ainsi traité Quénechdu (depuis
septembre 1792, capitaine au 4e bataillon des Côtes-du-Nord
jusqu'au mois de Thermidor de l'An IV) ayant depuis son
retour des armées constamment exercé des fonctions
publiques et sans reproche à l'égard de ces fonctions.
Quénechdu connu jadis avantageusement, ils l'ont assassiné,
garrotté, la chaîne en croix par la poitrine et par les
épaules qui portèrent dignement les honneurs de l'épaulette
et qui font toujours les épaules d'un grenadier français.
Monseigneur, j'ai depuis le mois de janvier manifesté mon
vœu de voir mon fils encadré aux jeunes soldats de mon
Empereur. Mon fils est mon unique garçon, le don doit être
agréable à sa Majesté...
Je le supplie par son propre fils et par le mien et par
nos amis morts aux fossés de 1 'honneur de l'Armée impériale,
à genoux et devant Dieu, je le supplie de vouloir connaître
ces crimes qui me concernent et à rendre justice à un
opprimé dévoué à son service et que ces scélérats ne
haïssent que parce qu'ils n'ont pu le corrompre.
Monseigneur
Depuis cinq mois bientôt complets, je souffre dans une
prison, victime innocente du despotisme du sieur Jérôme-Alexandre
Guiot, maire de Callac.
Que n'avais-je pus souffert précédemment de son
infatigable persécution? Que ne puis-je rendre le tableau
de mes malheurs, sensible à mes frères d'armes, aux Français,
à notre Empereur.
Le paysan du Danube fut écouté au Sénat romain; je suis
un cultivateur assez connu dans mon département et dans
le Finistère, mes frères d'armes m'accordaient du
courage et de la bravoure. J'étais en 1788 premier en rhétorique
du collège de Quimper.
Si mon Empereur m'accordait le de voir, il comblerait mes
vœux.
J'aspire encore à le servir, à mourir à son service en
lui recommandant mon fils
par l'effusion de mon sang au champ d'honneur.
Daignez
agréer, Monseigneur, l'assurance de mon dévouement et de
ma parfaite soumission aux lois et aux ordres du
Gouvernement français.
J'ai
l'honneur d'être le citoyen Quénechdu,
cultivateur né à Plusquellec le 7 mars 1769.
PS.
En 1793, j'écrivis au gouvernement sur la descente en
Angleterre. On ne s'est avisé que depuis peu de vouloir
me faire passer pour imbécile.
Cette assertion est du sieur maire de Callac, qui avoue
ingénument avoir oublié son latin.
J'ai servi sous les généraux Canclaux, Tribout, Bouret,
Dufilo, Beaupuy,
Beauregard.. .»
Nous
voyons, par cette lettre, que Claude Quénechdu possède
et manie sa seconde langue avec une dialectique
implacable, que serait à notre époque bien incapable d'égaler
la plupart de nos concitoyens; rappelons, pour bien situer
l'événement, que nous somme en 1811.
Le
sieur Quénechdu est interrogé le 6 avril et jugé une
première fois le 1er mai 1811. Les conclusions sont
accablantes pour lui; il apparaît qu'il est loin de jouir
de la plénitude de sa raison. Mais quand on sait combien
est ténu le lien qui délimite la frontière de la
normalité, on reste songeur sur les conclusions de ce
jugement.
Puis,
sur une déposition unanime de sept témoins dont nous
ignorons les noms, ceux-ci déclarent «que le sieur Quénechdu
a donné dans divers lieux, circonstances et époques, des
marques évidentes de démence et de fureur, depuis les
trois dernières années, poussant le délire jusqu'à
vouloir incendier sa maison, d'attenter à ses jours et à
ceux des personnes qui l'approchaient».
Le
conseil de famille, réuni sous la présidence du maire Jérôme-Alexandre
Guiot, décide unanimement de son interdiction d'exercer
ses droits. Le jugement a lieu à Guingamp, le 9 juillet
1815 dans lequel M. le substitut Beaudoin du tribunal impérial
considère que l'inculpé se trouve sous le coup de
l'article 489 du Code Napoléon: «Le majeur, qui est dans
un état habituel d'imbécillité, de démence et de
fureur, doit être interdit, même lorsque cet état présente
des intervalles lucides...» Le jugement est prononcé
sans que M. Laler, le défenseur de Claude, ne plaide; il
est condamné en ces termes: «Le tribunal a donné de
fait, faute de conclure et de plaider, que le sieur Quénechdu
est interdit de l'administration de ses biens et de sa
personne. . .» Le conseil de famille réuni nomme sa
femme, Anne Huitorel, tutrice de la famille.
Claude
Quénechdu est conduit et enfermé à la maison de force
de Saint- Méen en Ille-et - Vilaine le 15 août 1811 d'où
sa deuxième lettre aux propos plus décousus.
Deuxième
lettre (16)
«Saint-Méen,
le 16 août 1811
«Quénechdu,
capitaine du 4e bataillon des Côtes-du- Nord, «Percepteur
de contributions directes et cultivateur
«à
Son Excellence Monseigneur le Ministre de la Justice,
Grand-Juge. «Monseigneur,
Pour que notre auguste empereur et le gouvernement français
aient connaissance à quel point l'on peut abuser de la
loi, il importe, je pense, que ma translation à Paris
soit ordonnée. J'arrive de hier dans cette maison de réclusion,
de la prison de Guingamp, département des Côtes-du-Nord.
Le tribunal de cette ville par jugement du 9 juillet
m'ayant déclaré imbécile et interdit à
l'administration de ma personne et de mes biens, le juge
de paix de Callac indique [indigne'!"] n'avoir jamais
obtenu cette place importante, m'a fait transférer ici de
concert avec une femme dont lui et le maire Jérôme-Alexandre
Guiot, ont égaré la confiance, corrompu l'innocence et
perdu la réputation. . .
Je m'arrête par décence et pour abréger; plein de
confiance dans le Ministre que
j'implore pour la punition de grand crime. S'il faut un
exemple à la France pour apprendre à ne point abuser ces
lois et de ses mœurs et des pouvoirs qui en dérivent, il
ne pourra jamais se présenter une plus belle occasion.
Je suis père de quatre enfants dont un seul mâle; et
j'ai été chassé de ma maison par un infâme célibataire.
Dans les premiers jours de mon emprisonnement, sachant
les desseins de mes ennemis, qui étaient de me priver de
la liberté, après avoir attenté à ma vie et à la
douceur d'élever moi-même mes enfants et surtout mon
fils, j'offris ce cher enfant à mon Empereur, afin qu'il
fût imbu de bonne heure des principes qui doivent former
un bon citoyen. .. et le magistrat auquel ma lettre fut
adressée, en argumenta comme d'une preuve non équivoque
de folie...
Ah! que n'est-elle plus générale ma démence prétendue!...
Le monstre qui vient opiniâtrement me faire passer pour
un furieux sire. Encore qu'il ait eu le titre de législateur,
il sait bien lui-même que le jour où il obtint le nombre
de voix nécessaire alors pour conférer ce titre, je méritais
plus que lui les suffrages de mes concitoyens.
II sait bien, le fourbe et cauteleux Alexandre que, si je
suis coupable d'un crime,
c'est de n'avoir point d'ambition.
A ce titre, Monseigneur, un cultivateur, un capitaine, un
bon citoyen français, né
Breton, peut-il raisonnablement espérer de voir les
traits chéris de sa Majesté
Napoléon.
Puis-je en avoir le bonheur et paraître digne de mourir
pour son service? «Veuillez, Monseigneur, lui soumettre
une offre de service et les vœux ardents que mon âme
entretient constamment pour la Diuturnité (?) de son règne,
pour le service de ses armes et pour le bonheur de sa
majesté, duquel dépend celui de la famille
impériale, de la France entière et la paix générale
digne objet des travaux et de la méditation du plus grand
des hommes et du premier des Empereurs.
«Salut
et Fidélité inviolable,
«Le
citoyen Quénechdu Claude.
PS. Je suis si convaincu de la nécessité d'obéir aux
lois, que je me fais soumis à l'exil que je n'ai point mérité
mais j'ai tant de confiance en la bonté de ma cause et
dans mon innocence que je provoque le regard perçant de
l'Aigle.
C.
Quénechdu
«(Olim
Centurio)(17)
«J'ai
cru qu'à l'aide d'une machine l'on aurait pu mieux
qu'avec des échelles parvenir au sommet des remparts à
Cadix et Gibraltar.
"Inspectura
domos, venturaque desupor urbi"
"Virgilius,
ancis "(18)
A la lecture de cette deuxième lettre, nous remarquons
que Claude Quénechdu trouve, en la personne du maire de
Callac, Jérôme-Alexandre Guiot, un adversaire déclaré,
coupable à ses yeux de son enfermement. Quelles qu' aient
été les relations entre les Quénechdu et les Guiot,
Yves- Marie, le frère de Jérôme, fut son compagnon
d'armes en 1792 et Fleurie- Françoise, leur sœur, témoin
du mariage de Claude en 1797. L'écart social était
relativement important entre cette famille de paysans aisés
de Plusquellec et la famille de notables callacois, arrivés
de Champagne en 1750 dans les bagages des années royales.
Ces
deux lettres citées parviennent en septembre 1811 sur le
bureau du ministre de la Justice, le Grand Juge, comte de
Massa. Celui-ci approuve la décision du tribunal de
Guingamp en date du 9 juillet et classe l'affaire.
Claude
Quénechdu reste enfermé à l'hospice de Saint- Méen de
l'année 1811 au 4 décembre 1816, date à laquelle il décède
à l'âge de 47 ans, oublié de tous.
Il
est à remarquer que le décès ne sera reporté sur le
registre de Callac que le 17 mai 1821, soit cinq ans après
sa mort et comble d'ironie, l'officier d'état civil n'est
autre que Joseph- Laurent Even(19), qui avait succédé à
Jérôme-Alexandre Guiot dans les fonctions de maire en
1814, au décès de ce dernier. Il est à noter que la
profession mentionnée de Claude est celle de «propriétaire»...
Ainsi se termine cet épisode qui agita, en son temps, la
vie tranquille de la petite ville de Callac.
Joseph Lohou
Cet
article est paru dans le n° 19 – 1/1993 de la revue
d’Histoire et d’Archéologie des cantons d’Argoat
« Pays d'Argoat »- Kerrroland – 22160 Maël-Pestivien-
Téléphone : 02 96 45 75 05.
Ce
même article, modernisé, est également paru dans le N° 113 du Bulletin
du Centre Généalogique des Côtes-d'Armor au 1er trimestre 2017.
Notes :
1.
Jean Meyer, Le notaire rural, p. 10. Les actes
notariés, source de l' «Histoire sociale du XVI e au
XVII e siècle»,
actes du colloque de Strasbourg, mars 1978, librairie
Istra.
2.Le
collège de Quimper était dirigé à cette époque par
l'abbé Claude Le Coz, qui fut élu évêque
constitutionnel
d 'Ille-et- Vilaine le 28 février 1791 et député du même
département à l'Assemblée nationale le 10 avril 1791.
3. Documents administratifs et judiciaires de la période
révolutionnaire (1790-1800), Archives départementales
des Côtes-d'Armor, cote lL671.
4. Mesures anciennes: 1 pied = 33 cm, 1 pouce = 27,7 mm, 1
ligne = 2,25 mm.
5. Archives municipales de Guingamp, VI - Dl.
6.
Archives militaires, château de Vincennes, cote XW 26,
27, 28. 7. Archives nationales, Caran, Paris. Élections,
cote F/lcIIII/CdN.
7.
Archives nationales, Caran, Paris. Élections, cote F/lcIIII/CdN.
8.
Archives nationales, Caran, Paris. Justice, cote BB/18/255
(A4-1028).
9.
Jérôme-Alexandre Guiot (Botmel- Callac, 26 janvier
1760), fils de Nicolas Guiot, originaire de Soissons- en
Champagne, et de Marie- Yvonne Bossard. Avocat, puis
notaire, élu député au Conseil des Cinq-Cents le 26
Germinal de l'An VI. Maire de Callac de 1803 à 1814. Célibataire
et grand acheteur de biens nationaux.
10.
La maison d'arrêt de Callac se trouvait à cette époque
sur Le Martray (place du Centre), attenante au cabinet des
poids où elle faisait partie des Halles.
11. Cf. note 8
12.
Joseph- Laurent Even (Botmel- Callac, 10 août 1765),
maire de Callac de 1814 à 1828, compromis dans le complot
de Georges Cadoudal contre Napoléon en 1804, acquitté
mais placé en résidence surveillée à Bar- sur Aube
de 1804 à 1812.
13. Jean-François Le Peige Dorsenne dit «Debar»
(Concarneau, 1761), chef chouan tué à l'île d'Houat en
novembre 1812.
14. Georges Cadoudal (Kerléano [56], 1er janvier 1771),
chef chouan, organisateur d'un complot contre Napoléon
avec Moreau et Pichegru en 1803. Il fut arrêté et
guillotiné en 1804.
15. AD22, Minutes et Jugements, greffe civil de Guingamp.
Justice, cote 3U-2/23.
16. Cf. note 8
17.
Olim Centurio, locution latine : « Ancien
centurion ».
18. «Virgile», Énéide, livre II, vers 47. Jean
Perret, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1977, p.40. "Pour
épier nos
maisons et pénétrer d'en haut, en notre ville...»
Lacoon s'inquiète et demande aux Troyens de se méfier de
ce stratagème (cheval de Troie).