Au-delà des poules
JE VIENS DE TOMBER sur une expression allemande - une fois n'est pas
coutume - qui caractérise adorablement un endroit lointain, une sorte
de diable vauvert fantastique : « Wo sich die Füchse gute Nacht sagen »
; soit, en bon français, « où les renards disent bonne nuit ».
Imagine-t-on cela ?
Un pays d'une politesse tellement exquise que les renards, qui sont des
bêtes sauvages, y souhaitent la bonne nuit ? Cela m'a rappelé, par
association de bestioles, une expression courante employée dans mon
village - je ne sais si elle est en usage ailleurs - pour dire au
contraire qu'un endroit n'est pas éloigné après tout : «Ce n'est pas
au-delà des poules. »
Ça signifie que le trajet est envisageable : S'il le faut, nous irons à
Toulouse. Ce n'est pas au-delà des poules ! Cette image m'a toujours
fasciné ; lorsque j'étais petit, je n'en voyais que le sens strict :
pas plus loin qu’une expression courante employée dans mon village - je
ne sais si elle est en usage ailleurs - pour dire au contraire qu'un
endroit n'est pas éloigné après tout : «Ce n'est pas au-delà des
poules. » Ça signifie que le trajet est envisageable :
S'il le faut, nous irons à Toulouse. Ce n'est pas au-delà des poules !
Cette image m'a toujours fasciné ; lorsque j'étais petit, je n'en
voyais que le sens strict : pas plus loin que les poules vont. Or les
poules, chez nous, se promenaient en liberté toute la journée -
elles allaient picorer dans les champs, surtout à la saison des
moissons où elles jouaient, après la récolte, les glaneuses en
menu mais toujours dans un rayon assez limité autour des fermes -
elles ne s'éloignaient jamais à plus de cinq cents mètres
de leur base, car elles craignaient les mauvaises rencontres, on devine
lesquelles... Elles rentraient sagement bien avant la chute du jour, le
gésier lourd de graines glanées, ou de vers de terre arrachés aux
labours.
« Pas au-delà des poules », toujours employé négativement, désignait donc un secteur géographique
assez limité, une zone parfaitement accessible, même à de petites jambes !
En grandissant, je suis devenu accessible aux métaphores ; je me suis
aperçu qu' « au-delà des poules » désignait en fait un pays où les
poules n'existeraient pas - un pays lointain comme un désert où, nous
disait-on, se produisaient des mirages. Et j'aime bien une civilisation
où les poules servent de repère - les renards aussi d'ailleurs. Nous
savions bien qu'un pays sans poules ne pouvait exister ! Les poules
symbolisaient la maisonnée, le chez-soi, la petite fratrie...
Pourtant, cette volaille fondamentale et pacifique s'est vu peu à
peu retirer sa fonction ; nous avons maintenant de vastes territoires
sans poules. Elles sont enfermées dans des parcs enclos de grillages,
sans liberté de choix, et, dans le pire des cas, elles servent de
machines à pondre, loin de la lumière du jour, dans des hangars
méchamment illuminés. Craignons pour l'humanité ! D'autant que les
renards se sont urbanisés, on les rencontre dans les grandes villes
d'Europe. Oh ! Ils n'en sont pas pour autant à dire « bonne nuit » : à
Londres, où ils prennent le métro, deux d'entre eux se sont attaqués à
des bébés de neuf mois dans leur chambre à coucher- ils les ont pris
apparemment pour des poulettes plumées.
Claude Duneton (Le Figaro Littéraire)-
Joseph Lohou(mars 2011)