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Callac-de-Bretagne |
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LE PORC DANS LA LÉGENDE DORÉE DES CELTES
par Léon LE BERRE*. (Ab Alor)
A l'époque paléolithique, ou époque des chasseurs « la chasse était la
raison sociale des hommes, ce qui les faisait vivre cc qui les faisait
se grouper » (1).
L'âge néolithique fut celui des Agriculteurs. « De nouvelles
générations », écrit encore Camille Julian, « vont surgir, qui
connaîtront, enfin,"" M terre ». Quand l'Homme se fixa sur un
territoire, qu'il, le cultiva, il asservit, aussi, les bêtes. Le
premier dans l'ordre e ces animaux domestiques, fut le chien mais on
compta; bientôt, le bœuf, la chèvre, le porc... Ce dernier tire sa
souche du sanglier lui-même... Le porc sauvage avait été, jusque-là,
soit l'enseigne ou l'insigne, ou le représentant d'un être vivant,
d'une famille, ou d'une tribu, soit simplement un gibier. Longtemps,
encore après sa domestication, le Porc, sous la forme du Sanglier
servira d'enseigne. Le sanglier occupe le cinquième rang parmi les
enseignes romaines. Il est l’emblème de la XXe légion qui tient
garnison en Grande-Bretagne. On l'y retrouve sculpté sur les stèles, en
creux ou en relief, sur les monnaies de l'occupation, comme en
Armorique, d'ailleurs. Le médailler du musée départemental, à Quimper,
possède une monnaie d'or, portant, sur une de ses faces, le « Sus
gallicus ». Cette monnaie provient: de Châteauneuf-du-Faou. N'oublions
pas que le surnom du dieu latin, Mercure est « Moccus », surnom, sous
lequel, M. bottin, découvre, facilement, notre mocTh. Il n'est parfois
qu'un accessoire au cheval et au taureau, près duquel il apparaît.
Parfois aussi, son effigie supplante entièrement la leur. Partout un
peu, il a. laissé ses statues de bronze... Sa fréquence dans les
fouilles• britanniques a fait penser, à' des savants anglais, que le
sanglier avait été le totem des Calédoniens (2). Mais il se pourrait
que le sanglier de Calydon ait prêté à quelque confusion, par suite de
la presque homonymie, entre Calydon et Calédonie, et que cette
fréquence' serait due à la présence de quelques légion d'origine
étolienne.
Calydon est la capitale de l'Etolie. Le héros Aeneos offrant un
sacrifice aux dieux, oublie d'en offrir sa part à Artémis. La déesse,
offensée, suscite un monstrueux Sanglier qui vient ravager les champs
et les vergers de la fertile_ plaine grecque. Méléagre, fils d'Aeneos
et l'élite des guerriers hellènes, Jason, Thésée, la plupart des
Argonautes, Nestor, alors dans toute la splendeur de sa jeunesse,
décident de lui donner la chasse. Mais ces chasseurs y perdent les uns,
la vie, les autres leur temps. Seule, l'Arcadienne Atalante, fiancée de
Méléagre, parvient à percer d'une flèche le, porc sauvage et ses
compagnons achèvent la bête. Mais la mort du sanglier n'a pas apaisé le
courroux d'Artémis, Les oncles de Méléagre, Maverti.es et Plexippe,
jaloux du succès de leur neveu, se répandent en paroles amères. Le
jeune prince les tue et Althée, sa propre mère, venge ses frères. Elle
donne la mort à son fils, puis se suicide, tandis que ses filles sont
changées en pintades (3). Hercule avait été plus heureux avec le
sanglier d'Eryinanthe. On sait que la mort de cet animal fut le
quatrième de ses travaux.
Cependant, en Gaule, nous avons les pièces gauloises de Dumorix et des
Allerques-Eburovices, à porter l'effigie du sanglier. Cet animal
figure, dans les bas-reliefs de l'Arc de Triomphe d'Orange, et au
nombre des dépouilles opimes, enlevées aux Gaulois vaincus. Le sanglier
enseigne est emmanché au bout d'un perche. Dans les tombes de la Marne,
parmi les provisions dont sont remplies les urnes, on reconnaît
facilement que le sanglier était l’un des animaux sacrés des Gaulois.
Dans la mythologie galloise, il est le symbole des
Ténèbres, de l'Esprit-Mauvais. Le diable gagé chez saint Majean, comme
domestique à tout faire, et dont l'astuce fut dévoilée par saint Hervé,
se nommait Hulean, nom qui renferme « Houc'h », vocable breton du
sanglier.
Les Romains n'en faisaient pas seulement un animal symbolique de leurs
« signa ». Ils l'offraient, en sacrifice, aux dieux lares, pour être
préservés de la folie. Sa chair était la plus appréciée sur leur table.
Les noms de Lucullus, d'Apicius et autres gourmets, sont associés au
nom du sanglier. On le servait entier, comme le rapporte Pétrone, en
son festin de Trimalcien, le corps bourré de petits oiseaux et de
farcies (4), d'où l'expression de « Sus Trojana » cochon troyen, par
allusion au cheval de Troie, rempli de guerriers grecs. On sait que le
mot « truie », nom de la femelle du porc domestique, vient de cette
épithète culinaire « Trojana ». Le cuisinier de Néron s'entendait à
façonner, avec de la chair à, saucisse, des ortolans, des pintades, des
becfigues et même -des poissons.
Les jeux ou plutôt les massacres du cirque virent le sanglier y prendre
part, pêle-mêle, avec les lions, les tigres, les panthères, les onagres
et, dit Calpurinus de Sicile, écrivain du III° siècle, des lièvres
arctiques, lièvres des neiges : niveos lepores. Les Romains appelaient
cela « venationes » chasses. C'étaient d'odieux et stupides massacres
qui n'avaient aucun rapport, avec le noble art de vénerie. On vit, sous
Gordien ler, jusqu'à cent cinquante, de ces malheureux porcs sauvages,
imbécilement occis sur l'arène. Les chrétiens n'étaient pas mieux
traités. Pline nous rapporte quelque part, qu'il vit (les sangliers
cornus ! Sans doute, prit-il leurs défenses pour des cornes ; le
sanglier ne déparait pas la foule des fauves destinés aux jeux publics.
Son humour est tout aussi farouche que celle de n'importe lequel
d'entre eux. Lorsqu'au bout de quatre mois de gestation la laie a mis,
au monde, de huit à douze petits, on ne doit point en conclure huit à
douze sujets nouveaux. Tel le tigre, tel le vieux Saturne du Latium, le
mâle en dévore quelques-uns et la laie elle-même, qui a pris soin de
les lui cacher, ne résiste pas devant l'appât de la nichée, aux
tentations de la famine. Echappé à ces périls intimes, le marcassin,
s'habille de bandes alternées d'un brun fauve et jaune clair, disposées
dans le sens de la longueur du corps... Les bandes sont sablées de brun
et de blanc. Ce pelage ne tarde pas à le céder au gris noir. A quatre
ans, un sanglier mâle se nomme ragot. Ainsi que l'homme et voué comme
lui à la monogamie, il a une jeunesse orageuse. C’est à cette époque,
qu'au hasard des glandées, il s'unit à la truie, et de cette
promiscuité avec le cochon domestique, naissent dans les fermes, à la
lisière des bois, des sujets reconnaissables aux taches noires de leur
épiderme. Quant au sanglier adulte, il vit en « hardes des »,
c'est-à-dire en clan, toujours fidèle à la même laie. Il a alors quatre
ans et tiendra bon jusqu'à trente environ. Ce clan est parfaitement
organisé pour la défense contre les chiens et les loups.
Le sanglier s'apprivoise assez facilement. Avant la guerre on
rencontrait facilement un solitaire (et c'était le cas de le dire) dans
la cour de maint hôtel de l'Arrée ou des Montagnes Noires. Ces captifs
occupaient d'ordinaire, en face d'un magnifique panorama, une bauge,
près du tas de fumier. Les « glec'hien » (1) abondantes des cuisines,
leur étaient tout regret de la liberté perdue. D'autres plus heureux,
jouissaient d'une demi-franchise,_ dans la clôture d'un bois ou d'un
parc, telle « Adèle » de Kerisole, une superbe laie, seul reste d'une
portée de marcassins, prise par M. de Mauduit, dans les bois de
Carnoët. On dit qu'Adèle faisait bonne garde des biens de son maitre,
et terrifiait par ses grognements la gent écolière, tentée, les jours
de congé, d'y braconner les petits oiseaux, et même les lapins (6).
Une calamité des campagnes est la visite de la gent porcine, dans les
cultures. Cambry, en 1794, écrit que les riverains des forêts du Laz,
du Huelgoat, etc.., sont obligés de veiller la nuit, pour éloigner les
(sangliers aussi bien que les loups (7). Ceux-ci ont disparu, mais les
sangliers bien que leur nombre ait considérablement diminués, n'en
demeurent pas moins, un danger pour nos cultures. Il ne faut pas
longtemps à une, harde ou à un couple de sangliers, pour retourner
quelques hectares de pommes de terre. Cependant, une tradition veut que
les premiers hommes aient utilisé ce penchant pour la culture, et
l'ensemencement des terres. Au siècle dernier, dans certaines contrées,
on mettait à l'usage cette inclination héritée par le cochon
domestique. On parquait les porcs dans des carrés de luzerne, dont on
circonscrivait; chaque jour, l'espace, dans une proportion suffisante
pour leur nourriture quotidienne. Les cochons mangeaient l'herbe,
labouraient le sol, l'émiettaient, le fumaient, le préparaient.
Parfois, on attelait un cochon et un âne à une binette. Tout en tirant,
le cochon fouillait du groin, à droite et à gauche.
Pour chasser le sanglier il faut de gros mâtins et des bull-dogs.
Encore, ces chiens courent-ils le risque d'être décousus, par les
défenses droites et tranchantes, tandis que leurs congénères restent
impuissants à mordre dans une crinière de soies rudes et fortes. Dans
nos pays, des battues donnent parfois d'heureux ré-isultats, et c'est
un pittoresque tableau, que le retour à la petite ville voisine, des
chasseurs escortant triomphalement la bête énorme, qu'ils se
partageront tout à l'heure. En 1916, dans la période des grands froids,
il ne se passa guère de semaine, à Quimperlé où nous écrivons ces
lignes, qu'on n'entendit les exploits des sangliers, et de leurs
chasseurs, parmi ces derniers, les permissionnaires du front. Ainsi se
maintient dans la civilisation envahissante à l'excès, quelques rappels
des très anciens âges ou plutôt d'une époque très rapprochée, où, s'il
faut en croire le pasteur gallois. E.-W.-L. Davies, auteur des. «
Chasseurs aux loups D, la Terre bretonne était aussi l'habitat de
prédilection du sanglier.
A Mogati, les vieillards racontent les prouesses de leur jeune temps,
évoquent, encore, cette sorte de corrida, dont les héros turent un loup
et un sanglier. Un. .énorme solitaire étant, par un froid rigoureux,
venu chercher fortune dans le bourg, entra dans un jardin, dont.la
porte aussitôt refermée, changea son asile en prison. Sur .ce, jeunes
gens et de vieux retraités d'accourir, avec leurs flingots, et de se
disposer à. canarder le monstre, du haut des murs. Or, soudain,
un loup attiré de la prochaine forêt de Carnoët, par les mêmes raisons,
saute lui aussi, dans le jardin. Trois partis sont en présence :
l'Homme, le Loup, le Sanglier. L'un des chasseurs, impatient, au lieu
d'attendre, comme ses compagnons, le curieux spectacle de la lutte
inévitable des deux fauves, traverse de part en part, le pauvre
sanglier d'une balle. Ramassant ses forces qui le fuient, le porc
sauvage, encore plus agile que son adversaire, se précipite sur le
loup, l'éventre et tombe mort... Ainsi se termina cet épisode de
vénerie paysanne qui demeura, longtemps, dans la mémoire des gens.
Dans la vie de nos saints celtiques, plutôt rares sont les incidents,
où se mêle le sanglier. En voici d'abord un, concernant Kolm-Kilt. Le
promoteur du monachisme irlandais se trouvant à Skye, l'une des
Hébrides, vit un sanglier, poursuivi par une meute de chiens. L'homme
qui devait bénir le vieux cheval et la grue fatiguée de son voyage
d'Irlande, tua le fauve sous sa malédiction, et d'un seul coup ! Durant
tout le Moyen-Age, Kan-Kill sera de ce fait, le patron de Skye, où un
petit lac a gardé son nom. Combien préférable la mission du sanglier,
dans la fondation du célèbre monastère de Llancarvan, en Galles !
S'étant fait tonsurer par l'évêque Dubrig, Kadog revient habiter
l'ancien ermitage du prélat. Il ne reste comme trace du séjour de
l'évêque qu'une pauvre cabane, entourée de ronces et d'épines, et
aussi, un pommier, tout couvert de fleurs. La cabane sert de bauge à un
vieux solitaire, dont les poils rudes sont devenus tout blancs, par
l'âge. Non loin de là, dans la fontaine où nul ne vient puiser, vogue
un majestueux cygne blanc. Kadog fatigué, s'est assis sous le pommier.
Il considère tristement cette ruine, quand l'habitant de la cabane, les
crins hérissés s'élance, en trois bonds de sa retraite, grognant et
s'arrêtant chaque fois pour se retourner et regarder d'un air furieux
le nouvel hôte qui vient lui disputer son gîte. De son côté, le cygne,
déployant ses ailes, s'envole (8).
Que signifiaient ces trois bonds et ces trois arrêts ? A force d'y
songer, Kadog s'endormit, et voici qu'un ange lui apparut, durant son
sommeil, pour lui expliquer le sens caché. Le sanglier a bondi en
l'honneur des trois personnes de la Sainte Trinité, et chacune de ses
stations marque un emplacement : une maison, un réfectoire et une
chambre de repos. Et que fera Kadog, dans cet ermitage ? Prier,
travailler de ses mains, instruire la jeunesse. Les druides de jadis
n'ont-ils pas fait du sanglier le symbole de l'instituteur, appelant
ses disciples autour de lui, comme la laie ses petits? De la
Villemarqué nous a transmis cet appel dans les fameuses « Séries » :
Gwiz hag he nao hoc'hell ail
E toulig dor an houc'h zall
O soi o titreltial
Touc'h ! touc'h ! touc'h ! d’ar vezen aval !
An houc'h koz d'ho tiorreal (9).
Kadog n'ignores pas que, le cygne est l'annonciateur des évènements
heureux ! En l'espèce, l’érection, du monastère de Llancarvan. Avec
trois branches, il relève les trois emplacements dont nous avons parlé.
Nous avons vu que, dès l'âge néolithique, l'homme asservit le porc.
Nous connaissons également, l'inclination du sanglier pour la vie en
commun de la harde, en un mot, du clan. Cet instinct social n'a pas
dégénéré dans le cochon domestique. Il l'a, au contraire, fort
développé. Lui aussi aime à vivre en bandé. Si l'on maltraite l'un des
associés, les autres s'insurgent, poussent des cris affreux, caressent
et gourmandent le blessé. Un jour l'auto qui nous menait à, Pont-Aven,
passant devant le manoir de Kerlaouen, ne put éviter un jeune porc
errant, avec ses frères, sur la grande route. Il fut roulé par la
voiture et nous eûmes la sensation de passer sur quelque traversin.
Nous étant arrêtés, nous vîmes le sinistré, une affreuse blessure au
flanc, entouré de ses congénères grognant, criant, le poussant du
boutoir, vers l'accotement de la route, et donnant toutes les marques
de la sollicitude la plus fraternelle.
L'Homme primitif dut se réjouir de cette domestication qui, sans
l'obliger aux fatigues de la chasse, lui laissait aussi plus de temps
pour les cultures dont il venait de découvrir l'avantage. Comment se
fit cette domestication ? Les porcs (de Gaule) écrit, après Strabon, M.
Dottin, dans son Manuel pour servir l'étude de l'Antiquité Celtique,
étaient si grands, si vigoureux, si rapides, qu'ils étaient dangereux
pour les hommes qu'ils ne connaissaient pas ; ils fournissaient
d’excellentes salaisons. Tout ce qui vient du porc est bon, même les
sabots qui se vendent au « pillawer » (10). Les excréments eux-mêmes,
constituent le meilleur engrais pour les terres froides et alumineuses.
Non seulement, toutes les parties de son •corps sont bonnes (la hure,
dont on fait le délicieux fromage de tête), mais le sang crée les
boudins, les intestins, les andouilles et les saucissons. Le mot «
andouille » a paru sous notre plume. Que de petites villes bretonnes
tirent leur renommée de cette spécialité de gourmets : Lesneven,
Kerfeunteun, Kemper, Guéméné-sur-Scorff, Locminé, etc., etc. Si des
poètes bretons ont chanté le cochon, le barde « Laboureur » par son «
Marti en tetah » dans la langue nationale ; Frédéric Le Guyader avec «
Mavour-neen », s'il est l'une des richesses de nos fermes, si nos
frères d'Irlande, ont en lui, un trésor qui les sauva, bien des fois,
de la famine, il .est des peuples qui n'ont point voulu l'adopter
franchement et l'ont banni de leur alimentation. Dans l'Egypte antique,
la loi religieuse obligeait qui le touchait à se purifier dans le Nil.
Israël, obéissant au Lévitique, s'abstenait du porc, comme d'une viande
impure. On a longtemps voulu que ces prescriptions fussent causées par
le souci de ne point favoriser les maladies de peau, telles la lèpre.
En tout cas, ces prescriptions n'atteignaient guère leur but, la
fréquence des maladies de peau, en Orient, venant surtout de
l'excessive transpiration qui résulte du climat. D'ailleurs, Egyptiens
et Israélites s'abstenaient-ils de la viande de porc autant qu'on le
croit? Tl y avait, en Egypte, des porcs et des porchers et chez les
Juifs aussi, si toutefois les Gérasiniens, cités par saint Mathieu,
comme ayant vu leurs cochons envahis par les démons, du consentement du
Sauveur, sont sinon des Israélites purs, du moins des Judaïsant,
observateurs de la Loi (11).
De tout temps le lard salé ou fumé, comme dans le Trégor, fit le fond
de la nourriture celtique. Les jambons et la charcuterie des Gaulois
étaient renommés au premier siècle de notre ère, et déjà, l'on
connaissait l'usage du saindoux. Au temps de Strabon, les Séquannes
faisaient un grand commerce de salaisons qu'ils expédiaient, non
seulement à Rome, mais dans toute l'Italie. Varron, citant Caton et son
« De re rustica » nous dit la quantité in vrais-semblable de lard salé
(taxea), tiré de la Cisalpine et de la Transalpine, et absorbé par la
Ville. Ovide n'a garde, d'oublier dans Philémon et Baucis les « terga
migra suis ». Pour ce qui est des Gaulois, nous en avons un témoignage
dans les fragments qui nous sont parvenus du philosophe stoïcien
Posidonius (12). On sait que les ouvrages, de ce savant du II° siècle
de notre ère, ont été perdus, mais que le rhéteur grec Athénée, qui, au
commencement du III° siècle, fut, comme lui, une sorte de Pic de la
Mirandole, avant la lettre, en a recueilli des épaves. Posidonius a
beaucoup voyagé chez les Galates asiatiques (13). Il nous montre les
chefs Ariamnès, donnant à manger, durant un an, à tous ceux qui se
présentaient et emplissant chaque jour ses chaudières de taureaux,
moutons et porcs. L'épopée irlandaise nous montre également le roi
Connor, en son palais d'Esnain, préposant, pour chaque jour de l'année,
un des 365 hommes de sa maison, au soin du repas qui comprend un
.cochon, un bœuf et une cuve de bière. Le voyageur grec nous rapporte
comment, dans un festin gaulois, le plus fort se saisissait d'un
jambon, et défiait qu'on le lui enlève, et comment le festin dégénérait
en combat mortel.
Ainsi les choses se passent dans la matière irlandaise.
Mac-Datho possède un hôtel, dont sept portes donnent sur sept avenues.
A chacune correspondent un foyer et un chaudron, avec, dans chacun
d'eux, un bœuf 'et un cochon. Comme chez Ariamnès, et dans certaines
gargotes montmartoises, d'avant-guerre, tout passant piquait avec un
trident, dans le chaudron. Ce qu'il en ramenait était à lui, mais le
coup manqué, il ne recommençait pas ce jour-là.
Comme Ariamnès encore, chacun des convives de Mac-Dathoen veut pour sa
dignité et le mérite qu'il s'attribue. Nos lecteurs savent que chez les
Celtes, l'ordonnance d'un repas comportait toute une hiérarchie, dans
l'attribution des parts. Le plus brave, ou à son défaut, le mieux né,
ou le plus riche, avait droit aux meilleurs morceaux, plus tant de
portions. Les autres convives en recevaient une ou deux selon leur
rang, et le dernier devait se contenter de ce qu'on appelait « la part
ennuyeuse ». Mais nul ne touchait à ce qu'il avait devant lui, avant
que le Roi ne donnât le signal, avant qu'il n’ait découpé l'animal,
servi en entier. Au festin de Mac-Datho, c'est un cochon qui est le
plat d'honneur et le mécontentement causé par l'attribution des parts,
va déchaîner l'une des épopées les plus dramatiques du cycle d'Ulster
(14).
Le porc était toute la richesse de Milhu, le petit chef de l'Ulster,
dont le jeune gallo-romain Patrik, né à Bononia, près de
Boulogne-sur-Mer, était devenu le porcher-esclave et de chez qui il se
sauva.
La viande de porc est donc une noble viande convenant aux guerriers et
aux nobles darnes. Et ici, il ne s'agit pas seulement du sanglier. Dans
une saga, on voit, il est vrai, une femme exigeante, remplir le palais
de ses gémissements, au milieu de la nuit, et disant qu'elle allait
mourir, si, avec beaucoup d'autres choses, on ne lui apporte un bol de
lait doux, avec la moelle et la cheville d'un sanglier, et un petit
coucou ayant sur son dos une ceinture de lard jaune de sanglier blanc
(15). C'est aussi un sanglier entier que Dillus Varvawc est en train de
rôtir dans Kuiwch et" Olwenn (16) quand il est surpris par ses ennemis
Keï et Bodewyr.
Mais ce sont des tranches de cochon de lait que la jeune fille
brune, et d'une beauté parfaite, offre à Perédur ab Evrawc (17).
Aussi la richesse porcine est-elle en grande considération.
Léon LE BERRE (1874-1946), journaliste et homme de lettres.
Ce texte est paru dans le journal "An Oaled" (Le foyer breton) au 3ème trimestre de 1930-pages 33 à 39.
Joseph Lohou(nov. 2015-mats 2017)
Notes.
(1)De la Gaule à la France, Camille Juillan, Hachette 1922.
(2)Cela se pourrait bien si l'on pense à la communauté de race entre
Calédoniens, ancêtres des Écossais et des Irlandais. Le sanglier est
peut-être bien aussi un totem breton. Dans le conte gallois de Kulwch
et Olwenn, Kulwch n'obtiendra la fille d'Yspadaden-Penkawr qu'à la
condition de remplir trente-huit tâches difficiles dont la plus
malaisée est la chasse de Twrch-truyth. Le Twrch Trwyth où porc Trwyth
se trouve d'abord dans Nennius. Ce porc-sauvage est un porc enchanté.
Entre ses deux oreilles il a un peigne, un rasoir et des ciseaux.
Arthur, sollicité par Kulwch, marche contre lui et le trouve avec ses
sept pourceaux. Arthur est accompagné de sa famille, de ses chevaliers,
de ses alliés irlandais. Le porc tue un cinquième de ces derniers, la
famille d'Arthur n'en reçoit que dommages et le héros, lui-même, au
bout de huit jours et huit nuits de combat, ne réussit qu'à tuer un des
pourceaux.... Enfin, après une longue poursuite, et une tuerie
d'animaux, et d'hommes, dont le chef des charpentiers d'Arthur, Mabon
fils de Modion, put se saisir du rasoir. Kylodyr s'empara des ciseaux.
Mais le peigne ne put être enlevé qu'en Kernew. Quant au sanglier,
poussé à la mer, on ne le revit jamais.
(Kulwch et Olwenn, Mabinogieb, p. 310 et suivante).
(3)Métamorphose... Ovidius Naso. Livre VIII, vers 543-545. (4)' Triceta désignait le porc farci.
(5)Glec'hien. — Trempages, barbotages, faits d'eau de vaisselle et de
restes de pain, abondants, dans les casernes, les pensionnats, les
hôtels, et dont on engraisse les porcs. Ailleurs Goellien pour
Goelc'hicn, Lavages.
(6)Impressions d'un vieux chasseur. — Union Agricole et Maritime, 18 octobre 1929.
(7)Voyage dans le Finistère. — Cambry revu par le Chevalier de Fréminville. Brest, Le Fournier 1836.
(8) C.-F. Légende Celtique. — HERSART DE LA
VILLEMARQUÉ. Nul vol d'oiseau n'est avec celui de l'aigle, plus
majestueux que le vol du cygne. Mais il ne peut le soutenir longtemps.
(9)La laie et ses neuf marcassins. — A la porte de leur bauge. —
Au mot torc'h nous ferons remarquer qu'il signifie aussi cochon, et se
traduit dans le langage enfantin, par farci ! tarc'hig, et en vannetais
Tetall. Il y a une localité cornouaillaise du nom de Tourch. Disons
encore que l'onomatopée dont on se sert pour faire aller le porc où
l'on veut, est, en Basse-Bretagne une syllabe très sifflante Si ! En
latin, le porc s'énonce : « Sus ». Le mot le plus usuel en breton, est
fiez-moc'h, pluriel, inoc'h.
(I0) Non du chiffonnier en Basse-Bretagne. Les os sont vendus aux raffineries.
(11) Saint Mathieu, chap. VIII, 2S-34 ; C.-F. S. Marc, chap. V, io-i6 ; S. Luc, chap. VIII, 27-37.
(12)C.-F. Georges DOTTIN, Manuel pour servir à l'étude de l'Antiquité
celtique. Champion 1915. M. Dottin s'en rapporte souvent à Poseïdonios
dans Athénéa.
(13)Les Galates de Pessimunte s'abstenaient du porc.
(14)Le cochon de Mac-Datho. C.-F. Le drame dans l'époque celtique, p. 9, du « Théatre Celtique » le Braz, chez Levy-
(15)Les littératures celtiques. Georges DOTTIN, collection Payot.
(16)Les Mabinogion, tome II, LOTH.
(17)Les Mabinogion, tome ler.
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