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La population et l'émigration bretonne.
Deux grands faits caractérisent la démographie de la Bretagne : l'accroissement de la population, l'importance de l'émigration.
De 1801, date du premier recensement, à 1911, dernier recensement avant
la guerre, la population de la Bretagne a constamment augmenté, sauf de
1866 à 1872 : 1801, 2 202 715 hab. ; 1856, 2 838 951 ; 1911, 3 271712.
L'importance de cette augmentation, due à l'excédent des naissances sur
les décès, a été en se réduisant : 632 236 entre 1801- et 1856, 432 761
de 1856 à 1906 ; à partir de 1886, les gains deviennent relativement
faibles et la dépopulation, générale dans les régions des marges de
l'Ouest français, Basse-Normandie, Bas-Maine, Anjou, Vendée,
atteint deux départements bretons, les Côtes-du-Nord, en diminution
depuis 1886, l'Ille-et-Vilaine, en décroissance depuis 1891.
Au contraire, l'émigration a été en se développant. De 1801 à 1846,
deux départements présentent un excédent d'immigration : le Finistère,
29900, et la Loire-Inférieure, 15500, soit au total 45 400 ; les trois
autres, un excédent d'émigration, 25 500 hab. au total ; de 1846 à
1872, sauf dans la Loire-Inférieure où l'excédent d'immigration est de
15200, l'émigration l'emporte partout, 97 400 au total ; de 1872 a
1896, toute la Bretagne se vide et perd par émigration 131 500 hab. Le
département le plus atteint est celui des Côtes-du-Nord, d'où partent
pendant ces trois périodes 18 100, 51 500, 74 000 émigrants.
Pendant la première moitié du 19° siècle, l'émigration est née de la
surpopulation : la Bretagne était alors un pays d'agriculture arriérée,
produisant peu et comprenant beaucoup de terres incultes ; l'excédent
de population a dû chercher ailleurs des moyens d'existence ; mais
l'absence ou le mauvais état des voies de communication, maintenant la
région dans son isolement séculaire, contrariait l'émigration ; aussi
resta-t-elle faible et épargna-t-elle d'abord le Finistère, département
le plus longtemps privé, à l'extrémité de la péninsule, de relations
faciles avec le dehors ; quant à la Loire. Inférieure, elle fut
longtemps un foyer d'attraction, parce qu'elle comprend le seul centre
industriel de la Bretagne ; celui de la Basse Loire.
Avec la seconde moitié du19° siècle, la culture s'améliora et étendit
son domaine par défrichement; mais ses progrès furent moins rapides que
ceux de la population : les exploitations rurales restent trop peu
nombreuses pour les demandes et sont âprement disputées ; les prix des
propriétés ont toujours été en hausse ; surtout, la Bretagne
s'ouvrit par l'établissement d'un réseau de routes modernes, puis du
réseau ferré; l'émigration, plus vivement sollicitée, s'amplifia et,
comme toujours, se propagea par imitation : des courants d'émigration
se sont établis, auxquels l'exode actuel des Bretons est beaucoup plus
imputable qu'au défaut d'occupations sur place et à la surpopulation;
dans les Côtes-du-Nord, on se plaint déjà de ne plus trouver assez
d'ouvriers agricoles ; l'émigration pauvre vers Paris se fait aux
dépens, non des régions les moins riches ou à forte natalité, mais des
régions les plus riches et qui se dépeuplent le plus (Côtes-du-Nord,
Ille-et-Vilaine).
Trois groupes d'émigrés sont surtout importants : ceux de Paris, de l'Ouest et des villes maritimes.
Le groupe le plus fort d'émigrés (109 351 en 1891) est celui de
l'agglomération parisienne (Seine, 88 100; Seine-et-Oise, 21251). C'est
une émigration pauvre, comprenant des domestiques, surtout des femmes,
des cochers ou chauffeurs, des employés, en particulier des employés de
chemins de fer, des ouvriers à bas salaires. Aussi les retours sont-ils
rares, sauf pour les servantes, et les retours après fortune faite à
peu près nuls.
Vient ensuite le groupe de l'Ouest (54340 lors du recensement de 1891,
le seul qui donne des renseignements précis), Basse-Normandie (Manche,
10 623 ; Calvados, 5 208 ; Orne, 3 611); Bas-Maine et Anjou (Mayenne,
13 256; Maine-et-Loire, 22 540); Vendée (7 921). L'émigration y revêt
plusieurs formes. Dans la région contiguë à la Bretagne, où le
dépeuplement se fait sentir et où les fermes vacantes sont fréquentes,
Cotentin, Bocage normand, Nord-Est du Bas-Maine, les Bretons prennent
ferme et s'établissent définitivement (la partie normande du Marais de
Dol et l'Avranchin en particulier subissent une véritable infiltration
bretonne); ce sont des pays de bocage où les Bretons retrouvent le sol,
le climat, l'économie rurale de leur province et ne sont pas dépaysés.
Dans le Bas-Maine et l'Anjou, au contraire, l'émigration est surtout
urbaine et industrielle, et comprend des servantes de ville, des
ouvriers travaillant dans les mines et fours à chaux du Bas-Maine, les
corderies d'Angers, les ardoisières de Trélazé, ces dernières recrutant
en partie leur personnel parmi les ouvriers.
Sources : Musset René. La population et l'émigration bretonnes. In: Annales de Géographie. 1923, t. 32, n°176. pp. 185-188
Notes.
Lors du recensement de 1901, les Côtes-du-Nord étaient le département
français ayant envoyé le plus de servantes dans lo département do la
Seine (4967); le Morbihan venait au troisième rang (3458),
l'llle-et-Vilaine au cinquième (3046).
Joseph Lohou (mai 2012)